Si tu penses que les choses vont s’arranger, tu te mets le doigt dans l’œil. Si tu crois qu’il faut espérer, continue à rêver, mais tu te mets encore une fois le doigt dans l’œil. Libre à toi d’ignorer que l’esprit des hommes n’est pas enclin qu’à la bonté, que leurs actions ne sont pas dirigées vers le bien commun, que la beauté est le cadet de leur souci, que leur méchanceté aveugle saura s’immiscer jusque dans ton lit douillet. Libre à toi de te sentir libre.
Tu te mets le doigt dans l’œil, et même plusieurs doigts, mets-y tous les doigts, réfugies-y-toi entièrement, ne deviens plus qu’un œil, cet œil qui aura le devoir de voir et le droit de pleurer.
Peut-être que tu m’entendras dans un accord de guitare ou de piano, pourquoi pas même dans un solo, tu sais, la fausse note, celle qui frotte, qui n’est pas à sa place. Peut-être que tu me verras de manière fugace dans les traits d’un figurant, dans les mouvements d’un passant. Et peut-être que le parfum de ce passant te rappellera le mien. Peut-être que tu me sentiras toujours près de toi. Peut-être. Peut-être nous rejoindrons-nous parfois dans un livre, entre les lignes. Et puis tu tourneras la page. Car peut-être, et je te le souhaite, que d’autres mains sauront, dans la caresse, te faire oublier les miennes, et d’autres lèvres, goûter de nouveau à l’amour. Alors tu m’oublieras peut-être.
Chaque seconde qui s’écoule dans ce monde met ton cœur à l’épreuve. Rafistolé de partout, s’il est plus solide aujourd’hui, s’il s’est comme endurci, il a désormais du mal à filtrer la lumière de l’amour qui l’entoure.
Grand buveur de bière et féru de littérature, Pierre avait pour habitude, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, d’uriner contre le peuplier qui trônait dans un coin de son jardin, à l’abri de tous, faisant décrire à son jet, dont il maîtrisait le débit avec un art inouï, des courbes et des droites impeccables pour former, au gré de son inspiration, des lettres dignes des meilleurs calligraphes, et des mots et des phrases entières. L’arbre, qui survécut à l’imagination débordante de l’humble Pierre, fut ainsi le réceptacle d’une œuvre poétique conséquente, de quelques recueils de nouvelles plus anecdotiques et d’un roman d’anticipation ambitieux mais inachevé, tous malheureusement indisponibles.
Je devrais écrire mais au lieu de ça il faut croire que je préfère avaler des chips au ketchup en regardant du coin de l’œil un film insipide, inintéressant au possible, négligeant ce faisant les travaux dans l’appartement, lesquels attendent un sursaut de ma part, toujours remis à plus tard, j’ai la flemme et il n’y a pas urgence, même si j’ai bien conscience, au fond, que la trappe s’agrandit à mesure que je vieillis, par où tombent émerveillement, enthousiasme et brins de folie, l’emballage de mes rêves de gosse et autres velléités désormais surannées que j’offre à l’oubli…
Entre nous, ça sentait mauvais. J'ai tenté de l'avertir, j'ai fait ce que j'ai pu pour lui éviter le pire, mais en vrai gentleman je n'allais tout de même pas lui sauter dessus... Insouciante, elle avançait tête basse, les yeux rivés sur l'écran son iPhone, des écouteurs dans les oreilles - aussi mes gestes et paroles affolés ont eu sur elle autant d'effet que la bave du crapaud sur la blanche colombe. Quand nous nous sommes croisés, donc, c'était gros comme une maison, elle a marché dedans.
Couvert de poussière de la tête aux pieds, il traversa quelques siècles sans se faire remarquer. À la fin, il fut balayé comme s'il en était entièrement constitué, comme s'il n'avait jamais existé.
Le poing serré, il pique dans la veine, dénoue le garrot et s’injecte sa dose au creux du bras. Il retire l’aiguille, ouvre la main, raccommodé avec le genre humain.