Colette à la maison close: Memorie di un gentiluomo de Moyoco Anno
Colette travaille comme prostituée à la Nuit des Œufs, une maison close du Paris de la Belle Époque. Elle est entièrement amoureuse de Léon, un gigolo, qui ne daigne se montrer à Colette que lorsqu’il a besoin d’argent. Memorie di un gentiluomo suit le quotidien de Colette, entre ses collègues, les clients aux fantasmes sexuels toujours plus étranges et Léon, l’homme vers qui son cœur tend.
Memorie di un gentiluomo, Bikachō Shinshi Kaikoroku (鼻下長紳士回顧録) dans son titre original, est un manga de Moyoco Anno qui fut pré-publié dans le magazine Feel Young entre 2013 et 2018 et publié en 2 tomes. Inédit en France, le manga est paru en Italie aux éditions Dynit manga. Le premier tome du manga est aussi disponible en langue anglaise dans une édition numérique fournie par l’éditeur Cork.
Après l’époque d’Edo dépeinte dans Sakuran et le far-west fantasmé de Buffalo 5 Girls, Moyoco Anno continue de faire courir sa plume sur le fil du temps, pour arriver ici dans le Paris de la Belle Époque. Loin des foules qui se pressent à l’exposition universelle de 1900, on retrouve dans cette maison close une poignée de filles coiffées en chignon bouffant sur le dessus de la tête, et habillées en dessous tout de froufrous, de rubans et de dentelle aux motifs floraux faits.
Dans le dessin de la mangaka, on retrouve aussi un écho à l’art nouveau, esthétique emblématique de l’époque: les pages sont fleuries à foison, plumes, arabesques et glands (de passementerie !) sont aussi de la partie, et on imagine sans peine les boiseries entourant le récit que Colette fait de son quotidien.
Cependant, la silhouette de Colette esquisse déjà celle de la garçonne des années folles: elle est mince, droite, et aborde une coupe de cheveux au carré court avec une frange. Tout comme notre écrivaine Colette, l’autrice entre autres de Claudine à l’école ou de Gigi, qui elle aussi aborde cette coiffure dès le début du siècle. Le nom et la coiffure ne sont pas les seules choses que Colette partage avec l’écrivaine, mais j’y reviendrai un peu plus tard.
Dans Memorie di un gentiluomo, la maison close est un espace de liberté. Pour les clients, c’est un lieu où ils peuvent laisser libre cours à leurs fantasmes les plus secrets, les plus pervers, et parfois, les plus absurdes. C’est aussi un espace où il est possible de parler de tout et de rien. Certes, on y vient pour le sexe, mais on y vient aussi pour discuter au salon, un verre à la main. C’est un lieu où le client peut être totalement lui-même, sans aucun filtre.
Pour les prostituées, c’est plus difficile, c’est à la fois un espace de liberté et une prison. C’est un endroit où elles n’ont pas à se préoccuper des problèmes de la vie courante. Elles sont logées, nourries et blanchies. Moyennant leur salaire, évidemment. Constamment endettées auprès de la mère maquerelle, le confort de vie de la maison se paye au prix de la liberté. Mais quelle liberté ? La perspective de liberté n’est même pas une option pour ces filles. Du fait de sa position quasi hors du temps et de l’espace commun, et du statut de prostituée dans la société, la maison close a pour effet de créer une peur de l’incertitude du monde extérieur chez ses prisonnières, les dissuadant de vouloir en sortir. Elles n’ont ni statut solide, ni famille, ni amie qui ne soit autre que collègue, ni homme avec qui se marier, ni argent, ni aucune possession. S’échapper de la prison ? Oui, mais pour aller où ?
C’est aussi un lieu où règne l’absence de pudeur des corps mais aussi des sentiments. Les filles vivent ensemble, elles n’ont pas une chambre à elles, dorment dans le même lit, se lavent dans la même salle de bain, mangent dans la même cuisine, sur la même table, et par conséquent, partagent facilement ce qu’elles ont sur le cœur. Sans parler d’affinité, c’est ainsi que des liens se créent entre elles. Cependant, cette absence de pudeur des sentiments peut aussi se traduire par l’absence d’intimité. Dans un tel cadre, aucune intimité n’est possible. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’aucune individualité n’est aussi possible, voire permise. Ces absences, d’intimité et d’individualité, se manifestent notamment par une absence d’effets personnels. À la Nuit des Œufs, les prostituées n’ont le droit qu’à deux boîtes pour ranger ce qui leur appartienne. Une première avec leurs outils de travail (lingerie, accessoires pour jeux érotiques) et une deuxième, avec leurs effets personnels. Elles n’ont rien pour elles à part quelques babioles auxquelles elles tiennent comme la prunelle de leurs yeux.
Première image: "La voilà ! Je l'ai trouvé !
Seconde image: "C'est comme ça que nous vivons !"
———
Comment sortir de la maison close ? Colette, elle, place tous ses espoirs en Léon. Léon qui ne sait que montrer le bout de son nez lorsqu’il a besoin de quelques sous afin de lui permettre de faire une bonne affaire qui lui permettra, peut-être, de devenir riche, et de sortir Colette de la maison close. Elle, amoureuse de Léon et de la liberté qu’il lui fait miroiter, s’imagine que c’est réciproque. Elle s’imagine qu’il a besoin d’elle autant qu’elle a besoin de lui. Seulement, Léon, lui, est libre et ne manque pas de ressources. Évidemment, ce n’est pas lui qui permettra à Colette de s’en sortir.
Au milieu de tout ses clients, Colette fait une rencontre déterminante. Sakae, un jeune Japonais fraîchement arrivé dans la capitale, lui donne un carnet de notes. À partir de ce moment-là, l’écriture sera salvatrice pour Colette. Dans un premier temps, elle lui permet de tenir le coup face à la dure réalité. Elle relate dans ce carnet ses diverses expériences avec les clients. En écrivant, elle met une distance entre elle et son travail puis entre elle et ses ressentis, ses émotions et ses sentiments. De cette manière, elle se libère. Tout comme pour Colette, l’écrivaine de notre monde, c’est l’écriture qui permettra à la Colette de Moyoco Anno de s’en sortir. Il est d’ailleurs amusant de noter que la mangaka va dans le détail: les deux Colette publient leurs travaux dans le même journal, à savoir Le Matin ! L’une comme journaliste, l’autre comme romancière.
Pourtant, l’écriture, si elle est salvatrice dans un premier temps, finie par faire perdre la tête à Colette. S’il faut attendre le dernier chapitre pour en apercevoir la forme, l’autrice nous met en réalité en garde dès le premier chapitre. Dès le début du récit, les jeux érotiques sont envisagés comme des jeux, des mises en scène ; les clients et les filles, comme des acteurs et actrices jouant un rôle. On s’imagine alors que c’est pour Colette un moyen de faire face à sa réalité, que là aussi un moyen de mettre les choses à distance. C’est le dernier chapitre qui vient remettre en question tout ce que l’on a cru. À mettre les choses trop à distances par l’écriture, elles perdent de leur consistance jusqu’à devenir troubles. Peut-être que ce que Colette couche sur le papier n’est qu’une pièce de théâtre. Peut-être même que ce Léon n’a jamais existé. Qui sait ?
Première image: "À partir de ce moment-là, je m'étais sentie comme si quelque chose avait pris possession de moi."
Seconde image: " —Écrire suffit. —Quoi ? —Toute ta vie... Qui il y a dans ta vie, qu'est-ce que tu manges, pourquoi tu pleures... Des trucs dans le genre."
———
En nous laissant sur des incertitudes, la mangaka nous offre un manga au schéma narratif très intéressant. Le dernier chapitre nous invite à la relecture du manga, et ce, à l’infini. À l’image de ces filles piégées dans cette maison close du Paris de la Belle Époque, Memorie di un gentiluomo est une boucle, un cercle particulièrement vicieux…
De plus, Memorie di un gentiluomo est une lecture passionnante aussi grâce à la richesse de l’univers dans lequel la mangaka nous transporte. Malgré le quasi-huit-clos que le manga nous offre, on y ressent le bouillonnement de la Belle Époque. Moyoco Anno s’inspire avec brio de Colette. On y retrouve la Colette en avance sur son temps, la Colette écrivaine, et même la Colette bisexuelle. La Colette du music-hall du début du XXe fait aussi, indirectement, une apparition. Les lingeries, les costumes de Colette et ses collègues ne sont pas sans rappeler les pantomimes où Colette apparaît seins nus, et même complètement nue (quel scandale !) !
Après Sakuran, Buffalo 5 Girls et maintenant Memorie di un gentiluomo, Moyoco Anno continue l’exploration du plus vieux métier du monde. On pourrait penser qu’elle a fait le tour de la question. Pourtant, avec ce dernier manga, elle arrive à aborder à travers la thématique de la prostitution, celle de l’écriture. À l’image de la maison close, l’écriture est ici à double tranchant.
Travaillant actuellement sur la suite de son manga Happy Mania, Moyoco Anno semble pour l’instant s’arrêter à Memorie di un gentilluomo dans son périple au sein des maisons closes. Peut-être y reviendra-t-elle à l’avenir, à une époque encore différente, avec des personnages différents et toujours sous un angle nouveau ?
C’est tout pour Moyoco Anno et moi aujourd’hui ! Si vous souhaitez en apprendre plus sur cette mangaka, je vous invite à lire l’article que je lui avais consacré à l’occasion de son anniversaire en Mars dernier. Je vous remercie infiniment d’avoir lu cet article et si vous l’avez aimé, n’hésitez pas à me le faire savoir sur Twitter et à le partager autour de vous ! Portez-vous bien et à la prochaine ! Des bisous.
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安野モヨコさんトーク・ライブペインティング 『オチビサン』9巻(朝日新聞出版)&『鎌倉オチビサンポ』(パイ インターナショナル)刊行記念
雑誌「AERA」で好評連載中の安野モヨコの人気マンガ『オチビサン』。
『オチビサン』9巻(朝日新聞出版刊)、オチビサンとその仲間たちが鎌倉の花や緑の名所を案内するガイドブック『鎌倉オチビサンポ』(パイ インターナショナル刊)の発売を記念して、安野モヨコさんのトーク&ライブペインティングを開催いたします!
トークの部では対談相手にライターの山内宏泰さんをお迎えし、『オチビサン』の舞台となっている鎌倉の魅力やエピソードなどをお話しいただきます。
ライブペインティングでは、安野さんによるイラスト製作の様子を間近でご覧いただけます。お楽しみに!
■書籍情報
『オチビサン』9巻
鎌倉にある豆粒町に住むオチビサン。
春はお花見、夏は海水浴、秋はどんぐり拾い、冬はこたつで鍋を囲む。
大好きな犬のナゼニ、パンくい、いつも見守ってくれるオジイと一緒に過ごす日々を描く。
どの巻からも楽しめます。
『鎌倉オチビサンポ ――花ごよみとめぐる旅』
安野モヨコの人気マンガ「オチビサン」の鎌倉ガイドブックができました!
鎌倉のどこかにある豆粒町に住むオチビサンとその仲間たちが、鎌倉の12か月の花や緑の名所、おいしいお食事処、こだわりのお店、お祭りやイベント、オチビサンたちに出会えそうな場所などを紹介します。四季の自然を楽しむ、ほのぼのあたたかな鎌倉の旅へ――。
【参加条件】
代官山 蔦屋書店にて、以下のいずれかの対象商品をご予約・ご購入頂いたお客様がご参加いただけます。
【お申込み方法】
以下の方法でお申込みいただけます。
・オンラインストア
【対象商品】
・書籍『オチビサン 9巻』(朝日新聞出版・842円/税込)+イベント参加券(864円/税込)セット 1,706円(税込)
・書籍『鎌倉オチビサンポ』(パイ インターナショナル・1,296円/税込)+イベント参加券(864円/税込)セット 2,160円(税込)
・イベント参加券 1,400円(税込)
※『鎌倉オチビサンポ』は2019年9月27日(金)に入荷予定です。
イベント当日店頭にてお渡しいたしますので、商品の配送はございません。何卒ご了承くださいませ。
【ご注意事項】
・参加券1枚につきお一人様がご参加いただけます。
・イベント会場はイベント開始の15分前から入場可能です。
・当日の座席は、参加券の番号に関わらず、お越しいただいた順でお座りいただきます。
・参加券の再発行・キャンセル・払い戻しはお受けできませんのでご了承くださいませ。
・止むを得ずイベントが中止、内容変更になる場合があります。
【プロフィール】
安野 モヨコ(あんの・もよこ)
1971年生まれ、漫画家。1989年に別冊フレンド(講談社)よりデビュー。
1996年に発表した『ハッピー・マニア』は今までにないセンセーショナルな恋愛ストーリーに多くの女性読者が共感。
続いて、『さくらん』『シュガシュガルーン』『働きマン』『オチビサン』を発表。
『美人画報』や『くいいじ』などのエッセイも連載。
2008年、『オチビサン』以外の連載を休止して療養に入る。
5年後の2013年より『鼻下長紳士回顧録』の連載開始。2018年3月に完結。
会期 / 2019年9月30日(月)
定員 / 60名
時間 / 19:30~21:00(15分前に開場)
場所 / 蔦屋書店1号館 2階 イベントスペース
主催 / 代官山 蔦屋書店
共催・協力 / 朝日新聞出版・パイ インターナショナル
問い合わせ先 / 03-3770-2525(代表番号 担当:人文フロア)
チケットのご予約はこちら
オンラインショップでの受付2019年9月28日(土)午前9時の受注分までとさせていただきます。
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