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#Ah! le ciel cher époux
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Samedi 4 avril 2020
Aujourd’hui, alors que ma mère m’appelait pour me prévenir que Marie-Caro était sortie de réa et qu’elle était officiellement tirée d’affaire, j’ai appris par un vulgaire post Facebook le décès subit de Pierre-Emmanuel, ce collaborateur de Victor dont je suis extrêmement proche et que nous considérons vraiment comme un membre de notre famille.
Marie-Caroline, telle le phénix, renaît de ses cendres.
Pierre-Emmanuel s’éteint.
C’est toujours les meilleurs qui s’en vont.
Ma mère m’a appelée au téléphone en début d’après-midi, alors pour faire passer le temps pendant son monologue, j’ai allumé mon iPad et ouvert Facebook.
– Tu sais que ça y est, Marie-Caroline est désintubée, elle va beaucoup mieux.
– Oh je me doutais que ça irait, tu sais. Elle est plus résistante qu’elle ne le croit.
– En tout cas moi je suis soulagée pour elle.
– Tiens, j’ai rêvé d’elle, cette nuit. J’ai rêvé qu’elle sortait de l’hôpital et qu’elle venait nous rejoindre ici, dans le manoir. C’était sûrement prémonitoire.
– Ah tiens, c’est drôle. En tout cas, j’ai eu Olivier au téléphone...
– Qui ça ?
– Olivier, son mari.
– Ah oui, bien sûr, Olivier.
– Oui, donc il avait vraiment une meilleure voix.
C’est à cet instant précis que j’ai vu passer l’information sur Facebook. Sur la page de Pierre-Emmanuel, un certain Philippe, qui se présentait comme son “partenaire”, nous annonçait à tous la triste nouvelle dans un texte accablé – et accablant – de chagrin. C’est beau, d’avoir su nouer des liens d’amitié aussi étroits avec un de ses collaborateurs. On serait presque tenté d’y lire une déclaration d’amour.
Une série de photographies les montrent tous les deux trinquant au champagne sur une terrasse chic, puis vraisemblablement en business trip dans une île paradisiaque. Je suis très sensible à l’amitié virile qui peut s’établir entre deux hommes. On sent bien que ces deux-là étaient vraiment très proches, et les regards complices qu’ils se lancent font plaisir à voir.
Seule dans mon lit au deuxième étage, j’ai le souffle coupé. Ma mère parle, parle, parle, mais je ne l’entends pas.
Je pense à Pierre-Emmanuel, et à cette merveilleuse promesse que nous nous étions faite, d’aller prendre l’apéritif ensemble au bar du Plaza Athénée à l’issue de ce confinement. Comme il me tardait de retrouver sa sympathique présence, notre amitié complice, nos regards en coin et notre estime mutuelle !
Une foule de sentiments m’assaille et la voix de ma mère en fond sonore m’empêche de les investir pleinement, alors je lui explique d’un ton monocorde que j’ai un petit coup de fatigue et que j’aimerais mieux que nous remettions cette conversation à plus tard.
– Oh mais bien sûr ma chérie. Repose-toi bien.
Je raccroche. J’ai horreur qu’elle se donne ces airs de bonne mère qu’elle n’est pas.
Je clique sur le profil de Philippe. Il y a beaucoup de photos de Pierre-Emmanuel et lui. Les messages de condoléances abondent sur sa timeline. Tout le monde savait, apparemment, l’amitié qui les liait. Je reviens sur la publication sur la page de Pierre-Emmanuel, et je cherche dans les commentaires si quelqu’un a déjà posé la question de la date et du lieu de l’inhumation.
Personne. Je commente donc :
Cher Philippe, Victor se joint à moi pour vous faire part de notre immense chagrin suite à l’annonce du décès de notre bien-aimé Pierre-Emmanuel. Cette funeste maladie, dont je suis actuellement atteinte, nous prive d’un homme intègre et précieux. La date de l’inhumation a-t-elle été annoncée par ses proches ?
La réponse est arrivée presque immédiatement :
Les parents de Pem et moi-même pensons partir sur une cérémonie en effectif restreint mercredi prochain. J’annoncerai ces informations sur le profil de Pem dès que nous aurons convenu des détails. Étant données les circonstances, nous nous verrons dans l’obligation de nous limiter aux personnes les plus proches de Pem.
“Bien entendu”, ai-je répondu, en le demandant comme ami dans la foulée.
Puis j’ai préparé ma publication pour annoncer la nouvelle à mes amis. J’ai d’abord fait une capture d’écran de notre dernier échange virtuel – notre promesse de rendez-vous – puis je l’ai postée accompagnée du texte suivant :
Aujourd’hui mon ami Pierre-Emmanuel, la bonhomie incarnée, nous a quittés, victime de ce virus dont je suis également atteinte et qui ravage le monde entier. Curieux et extraverti, Pem – pour les intimes – était aussi un battant et un as dans son domaine professionnel. Mais par-dessus tout, il était mon ami, et la promesse que nous nous étions faite de nous retrouver après cette crise sanitaire pour aller trinquer ensemble sera probablement la seule qu’il n’aura pas pu tenir. La douleur que me causent mes migraines et mes toux covidiennes (et quotidiennes !) n’est rien comparée au chagrin qui m’assaille. Pem, c’était toi le meilleur. Le monde est beaucoup moins beau sans toi.
Les likes et les messages de soutien ont commencé à pleuvoir, mais j’ai éteint mon iPad. Je trouve que lorsque quelqu’un décède, les réactions des gens sont assez malsaines. Beaucoup tentent de tirer la couverture à eux et de s’approprier le chagrin des autres – le chagrin des vrais proches du défunt. Cela me paraît abject, mais j’imagine que les personnes en deuil sont rarement en état de remettre à leur place ces parasites des cimetières. La preuve : j’ai préféré couper tout contact avec eux plutôt que de m’y confronter.
Ma tablette éteinte, j’ai laissé ma peine me montrer la voie, et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en pensant à Pierre-Emmanuel. Je le connaissais très bien, oui, très bien, mais j’aurais vraiment aimé le connaître encore mieux. Il y a tant de choses que j’ignorais sur lui. Quelle était donc sa couleur préférée. Comment s’appelait sa toute première amoureuse. Où avait-il grandi.
Finalement, j’ai rallumé ma tablette en faisant abstraction des notifications, et je suis remontée dans l’historique du profil de Pem. Peut-être y trouverais-je des réponses à toutes mes questions. Je lui découvre immédiatement un point commun avec moi : nous aimons tous les deux la poésie des arcs-en-ciel. Il en a en effet regroupé plusieurs dans un album photo dédié et sobrement intitulé “Rainbows in the sky”. J’apprends qu’il vivait dans le Marais, dans un bel appartement en duplex. Un homme de goût. Je remarque également qu’il côtoyait quelques vedettes. Julie Depardieu. Michèle Laroque. Bertrand Delanoë.
Était-il un homme de gauche ? Impossible de le dire. Mais il n’est de toute façon pas l’heure de polémiquer sur les engagements politiques des uns et des autres. La moindre des choses que l’on puisse faire pour un défunt que l’on aimait, c’est de lui pardonner les écueils dans lesquels il a pu tomber de son vivant.
J’éteins de nouveau mon iPad et, la voix encore tremblante, j’appelle Victor pour le prévenir.
– Merde, mais c’est pas vrai !
– Tiens bon, mon amour. Je sais que vous étiez proches, mais...
– La holding, putain ! La holding, comment on va faire bordel ?
Et Victor a raccroché aussi sec. Un coup de fil urgent à passer, sans le moindre doute. Le propre des affaires est qu’elles n’attendent pas.
La réaction de Victor m’émerveille et me fascine tout à la fois. Je sais que mon mari est un homme bon, doublé d’un grand sensible. Mais la peine qu’il a ressentie à l’annonce de cette nouvelle s’est avérée trop cataclysmique pour que son cerveau puisse la ressentir en entier, d’un seul coup. Alors sans même le vouloir, son inconscient a déplacé son attention sur la logistique. Le matériel. Ce qu’il peut contrôler. Ce qu’il peut résoudre.
La mort de son ami, il ne peut pas la résoudre.
Alors il s’immerge dans le travail.
Encore.
Quant à moi, valeureuse petite fourmi qui œuvre dans l’ombre de mon époux, je réfléchis à l’après. Il nous faudra nécessairement nous rendre à l’inhumation, mais il ne faudra surtout pas que l’on nous en interdise l’accès. J’appelle Dolores pour lui demander de vérifier les stocks de gel hydroalcoolique, et lui ordonne d’en mettre deux petits flacons de côté.
Puis la mort dans l’âme, je rappelle ma mère. Non pas que cela me chagrine de lui parler au téléphone. Mais j’ai un service à lui demander. Et quand je demande un service à ma mère, je sais qu’il faut que je m’attende à devoir lui rendre au centuple.
– Allô ?
– Maman, c’est Ludivine. Dis-moi, ta gentille petite voisine qui t’a cousu des masques pour toi et Papa, tu crois qu’elle pourrait nous en coudre, à moi et Victor, s’il te plaît ?
– Aline ? Oh sûrement, oui, il faudrait que je lui demande.
– Très bien. Il m’en faut un chacun. Pour moi, un masque noir fera l’affaire, éventuellement dans un tissu avec quelques reflets, et si possible avec un peu de dentelle, quelque chose d’élégant. Et pour Victor, quelque chose de très sobre. Un beau gris anthracite, idéalement.
Évidemment, sa curiosité est piquée. Elle ne peut s’empêcher de demander :
– D’accord alors attends, je note tout ça. Mais c’est pour quoi, au juste ?
– C’est pour un enterrement.
– Oh ma chérie c’est affreux, qui est mort ?
– Un excellent ami à moi.
– Oh ma pauvre bichette, je suis désolée. Qui était-ce ?
– Il s’appelait Pierre-Emmanuel. Tu ne le connais pas.
– Non, en effet. Et quand aura lieu l’enterrement ?
– Mercredi, a priori.
– Ah, donc il te les faut rapidement. Bon, j’appelle tout de suite la voisine alors. Je suis vraiment désolée de ce qui t’arrive, ma bichette. Quelle tristesse ! Le jour où justement on apprend que Marie-Caroline va mieux.
– Oui, ça ne pèse pas lourd dans la balance.
– Bon, j’appelle Aline tout de suite et je te tiens au courant.
– Par texto, s’il te plaît, j’ai mal à la tête.
Je raccroche et j’appelle Dolores. J’ai besoin de reprendre des forces. Je lui commande quelque chose de simple. Des noix de Saint-Jacques au beurre blanc sur un lit de poireaux avec une bouteille de Sancerre blanc bien frappé.
Un peu plus tard, alors que j’attendais patiemment mon dessert devant mon assiette vide, j’ai levé mon verre en direction de la fenêtre et du soleil couchant.
À toi, Pierre-Emmanuel.
Mon ami, mon frère.
—Ludivine de Saint Léger
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fanfeline · 5 years
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dernière lettre
Le sommeil bienfaisant a suspendu mes maux. On est libre quand on dort; on n’a point le sentiment de sa captivité; le ciel a eu pitié de moi. Il n’y a qu’un moment, je te voyais en songe, je vous embrassais tour à tour, toi et Horace; mais notre petit avait perdu un œil par une humeur qui venait de se jeter dessus, et la douleur de cet accident m’a réveillé. Je me suis retrouvé dans mon cachot ; il faisait un peu de jour. Ne pouvant plus te voir et entendre tes réponses, car toi et ta mère vous me parliez, je me suis levé au moins pour te parler et t’écrire. Mais, ouvrant mes fenêtres, la pensée de ma solitude, les affreux barreaux, les verrous qui me séparent de toi, ont vaincu toute ma fermeté d’âme. J’ai fondu en larmes, ou plutôt j’ai sangloté en criant dans mon tombeau: Lucile! Lucile! où es-tu ?… Hier au soir, j’ai eu un pareil moment, et mon cœur s’est également fendu quand j’ai aperçu dans le jardin ta mère. Un mouvement machinal m’a jeté à genoux contre les barreaux; j’ai joint les mains comme implorant sa pitié, elle qui gémit, j’en suis bien sûr, dans ton sein. J’ai vu hier sa douleur, à son mouchoir et à son voile qu’elle a baissé, ne pouvant tenir à ce spectacle. Quand vous viendrez, qu’elle s’asseye un peu plus près avec toi, afin que je vous voie mieux. Il n’y a pas de danger, à ce qu’il me semble. Ma lunette n’est pas bien bonne; je voudrais que tu m’achetasses de ces lunettes comme j’en avais une paire il y a six mois, non pas d’argent, mais d’acier, qui ont deux branches qui s’attachent à la tête. Tu demanderais du numéro 15: le marchand sait ce que cela veut dire; Mais surtout, je t’en conjure, envoie-moi ton portrait; que ton peintre ait compassion de moi, qui ne souffre que pour avoir eu trop compassion des autres; qu’il te donne deux séances par jour. Dans l’horreur de ma prison, ce sera pour moi une fête, un jour d’ivresse et de ravissement, celui où je recevrai ton portrait. En attendant, envoie-moi de tes cheveux que je les mette contre mon cœur. Ma chère Lucile! me voilà revenu au temps de mes premières amours, où quelqu’un m’intéressait par cela seul qu’il sortait de chez toi. Hier, quand le citoyen qui t’a porté ma lettre fut revenu: «Eh bien ! vous l’avez vue?» lui dis-je. Comme je disais autrefois à cet abbé Landreville, et je me surprenais à le regarder comme s’il fût resté sur ses habits, sur toute sa personne, quelque chose de toi. C’est une âme charitable, puisqu’il t’a remis ma lettre sans raturer. Je le verrai, à ce qu’il paraît, deux fois par jour, le matin et le soir. Ce messager de mes douleurs me devient aussi cher que l’aurait été autrefois celui de mes plaisirs. J’ai découvert une fente dans mon appartement; j’ai appliqué mon oreille; j’ai entendu gémir; j’ai hasardé quelques paroles, j’ai entendu la voix d’un malade qui souffrait. Il m’a demandé mon nom, je le lui ai dit. «O mon Dieu!» s’est-il écrié à ce nom en retombant sur son lit, d’où il s’était levé, et j’ai reconnu distinctement la voix de Fabre d’Eglantine. «Oui, je suis Fabre, m’a-t-il dit; mais toi ici ! la contre-révolution est donc faite?» Nous n’osons cependant nous parler, de peur que la haine ne nous envie cette faible consolation, et que si on venait à nous entendre, nous ne fussions séparés et resserrés plus étroitement; car il a une chambre à feu, et la mienne serait assez belle si un cachot pouvait l’être. Mais, chère amie! tu n’imagines pas ce que c’est d’être au secret, sans savoir pour quelle raison, sans avoir été interrogé, sans recevoir un seul journal! c’est vivre et être mort tout ensemble; c’est n’exister que pour sentir que l’on est dans un cercueil! On dit que l’innocence est calme, courageuse. Ah! ma chère Lucile! ma bien-aimée! Souvent mon innocence est faible comme celle d’un mari, celle d’un père, celle d’un fils! Si c’était Pitt ou Cobourg qui me traitassent si durement ; mais mes collègues! mais Robespierre qui a signé l’ordre de mon cachot, mais la République après tout ce que j’ai fait pour elle! C’est là le prix que je reçois de tant de vertus et de sacrifices! En entrant ici, j’ai vu Hérault-Séchelles, Simon, Ferroux, Chaumette, Antonelle; ils sont moins malheureux, aucun n’est au secret. C’est moi qui me suis dévoué depuis cinq ans à tant de haines et de périls pour la République, moi qui ai conservé ma pauvreté au milieu de la Révolution, moi qui n’ai de pardon à demander qu’à toi seule au monde, ma chère Lolotte, et à qui tu l’as accordé, parce que tu sais que mon cœur, malgré ses faiblesses, n’est pas indigne de toi; c’est moi que des hommes qui se disaient mes amis, qui se disaient républicains, jettent dans un cachot, au secret, comme si j’étais un conspirateur! Socrate but la ciguë; mais au moins il voyait dans sa prison ses amis et sa femme. Combien il est plus dur d’être séparé de toi! Le plus grand criminel serait trop puni s’il était arraché à une Lucile autrement que par la mort, qui ne fait sentir au moins qu’un moment la douleur d’une telle séparation; mais un coupable n’aurait point été ton époux, et tu ne m’as aimé que parce que je ne respirais que pour le bonheur de mes concitoyens. On m’appelle… Dans ce moment les commissaires du gouvernement viennent de m’interroger. Il ne me fut fait que cette question: Si j’avais conspiré contre, la République. Quelle dérision! et peut-on insulter ainsi au républicanisme le plus pur! Je vois le sort qui m’attend. Adieu. Tu vois en moi un exemple de la barbarie et de l’ingratitude des hommes. Mes derniers moments ne te déshonoreront pas. Tu vois que ma crainte était fondée, que mes pressentiments furent toujours vrais. J’ai épousé une femme céleste pour ses vertus; j’ai été bon mari, bon fils; j’aurais été aussi bon père. J’emporte l’estime et les regrets de tous les vrais républicains, de tous les hommes, la vertu et la liberté. Je meurs à trente-quatre ans, mais c’est un phénomène que j’aie traversé depuis cinq ans tant de précipices de la Révolution sans y tomber, et que j’existe encore et j’appuie ma tête avec calme sur l’oreiller de mes écrits trop nombreux, mais qui respirent tous la même philanthropie, le même désir de rendre mes concitoyens heureux et libres, et que la hache des tyrans ne frappera pas. Je vois bien que la puissance enivre tous les hommes et que tous disent comme Denys de Syracuse: «La tyrannie est une belle épitaphe.» Mais console-toi, veuve désolée! l’épitaphe de ton pauvre Camille est plus glorieuse, c’est celle des Brutus et des Catons les tyrannicides. O ma chère Lucile! j’étais né pour faire des vers, pour défendre les malheureux, pour te rendre heureuse, pour composer, avec ta mère et mon père, et quelques personnes selon notre cœur, un Otaïti. J’avais rêvé une république que tout le monde eût adorée. Je n’ai pu croire que les hommes fussent si féroces et si injustes. Comment penser que quelques plaisanteries dans mes écrits, contre des collègues qui m’avaient provoqué, effaceraient le souvenir de mes services! Je ne me dissimule point que je meurs victime de ces plaisanteries et de mon amitié pour Danton. Je remercie mes assassins de me faire mourir avec lui et Philippeaux; et puisque mes collègues ont été assez lâches pour nous abandonner et pour prêter l’oreille à des calomnies que je ne connais point, mais à coup sûr les plus grossières, je puis dire que nous mourons victime de notre courage à dénoncer deux traîtres et de notre amour pour la vérité. Nous pouvons bien emporter avec nous ce témoignage, que nous périssons les derniers des républicains. Pardon, chère amie, ma véritable vie, que j’ai perdue du moment qu’on nous a séparés, je m’occupe de ma mémoire. Je devrais bien plutôt m’occuper de te la faire oublier. Ma Lucile, mon bon Loulou! ma poule à Cachant, je t’en conjure, ne reste point sur la branche, ne m’appelle point par tes cris; ils me déchireraient au fond du tombeau. Va gratter pour ton petit, vis pour Horace, parle-lui de moi. Tu lui diras ce qu’il ne peut entendre, que je l’aurais bien aimé! Malgré mon supplice, je crois qu’il y a un Dieu. Mon sang effacera mes fautes, les faiblesses de l’humanité; et ce que j’ai eu de bon, mes vertus, mon amour de la liberté, Dieu le récompensera. Je te reverrai un jour, ô Lucile! ô Annette! Sensible comme je l’étais, la mort, qui me délivre de la vue de tant de crimes, est-elle un si grand malheur? Adieu, ma vie, mon âme, ma divinité sur la terre. Je te laisse de bons amis, tout ce qu’il y a d’hommes vertueux et sensibles. Adieu, Lucile, ma Lucile! ma chère Lucile! adieu, Horace, Annette, Adèle! adieu, mon père! Je sens fuir devant moi le rivage de la vie. Je vois encore Lucile! Je la vois, ma bien-aimée! ma Lucile! mes mains liées t’embrassent, et ma tête séparée repose encore sur toi ses yeux mourants.
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christophe76460 · 4 years
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JESUS REVIENT BIENTÔT                                                                                                     La veille de sa crucifixion, Quand Judas fut parti pour commettre son ignoble trahison, Jésus parla à ses onze disciples, un peu comme un maître de maison qui va quitter ses chers invités pour arriver avant eux afin de leur préparer une place. Jésus leur dit : « Que votre cœur ne soit pas troublé ; vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; s'il en était autrement, je vous l'aurais dit, car je vais vous préparer une place. Et si je m'en vais et que je vous prépare une place, je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi, afin que là où moi je suis, vous, vous soyez aussi. » (Jean 14 v.1 à 3) Voilà l'espérance du croyant qui se repose sur les promesses immuables du Seigneur Jésus : être pour toujours avec lui dans la maison du Père, le paradis où plus rien ne viendra troubler son bonheur parfait. Cher lecteur, chère lectrice, possédez-vous cette espérance ? • Si oui, nous nous réjouissons avec vous d'une joie ineffable. Nous allons bientôt voir et contempler la face de Celui qui nous a tant aimés qu'il a donné sa vie pour nous. Car c'est à la croix que notre place au ciel a été préparée, l'expiation de nos péchés nous rendant propres à habiter dans la maison du Père. Là, tous ensemble, d'un même cœur et durant l'éternité, nous chanterons les louanges du Seigneur. On n'entendra dans la céleste place Que des chants de bonheur ; Tous publieront les effets de sa grâce Et l'amour du Sauveur. • Si non, nous vous invitons encore à mettre votre confiance en Lui dès maintenant, car le temps presse. « Je reviendrai » a dit Jésus. La Bible se termine par cette déclaration : « Oui, je viens bientôt » (Apocalypse 22 v.20). Sujet de joie pour les croyants, mais pour ceux qui resteront sur la terre parce qu'ils n'auront pas cru au Fils de Dieu, ce sera l'attente terrible du jugement. Ah ! Dîtes-vous peut-être, voilà près de deux mille ans que Jésus a dit « Je viens bientôt » et rien n'a changé depuis... La Bible prédit « qu'aux derniers jours des moqueurs diront : Où est la promesse de sa venue ? Car depuis que nos pères sont morts, tout demeure dans le même état !... Mais n'ignorez pas ceci, bien-aimés, c'est qu'un jour est devant le Seigneur comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas en ce qui concerne sa promesse... ; mais il est patient envers vous, voulant qu'aucun ne périsse, mais que tous viennent à la repentance. Or le jour du Seigneur viendra comme un voleur... » (2 Pierre 3 v.3 à 10) Personne ne sait quand Jésus reviendra, mais beaucoup d'évènements dans ce monde, qu'ils soient politiques, sociaux, moraux et même climatiques nous font penser que nous sommes près de ce que la Bible appelle "les temps de la fin", c'est-à-dire la fin du temps de la grâce de Dieu. Oui, Jésus revient bientôt ! Et s'il revenait avant la fin de cette année ? Et s'il revenait avant la fin de cette journée ? Êtes-vous prêt(e) ? * * * Ô saints transports, allégresse profonde, Quand Jésus reviendra, Quand pour toujours l'Église, loin du monde, Vers l'Époux s'en ira ! Oh ! Quel moment, quand devant Dieu son Père Christ nous amènera, Quand, glorieux, dans son beau sanctuaire Il nous introduira ! On n'entendra dans la céleste place Que des chants de bonheur ; Tous publieront les effets de sa grâce Et l'amour du Sauveur. Ô viens, Seigneur, nos âmes te désirent ; Nous t'aimons, viens à nous ! Depuis longtemps tes rachetés soupirent : Viens, adorable Époux ! J.Foulquier via: http://www.la-verite-sure.fr/
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lesavocatsdudiable · 7 years
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NOUS VOUS INVITONS À DÉCOUVRIR LA NOUVELLE LAURÉATE CI-DESSOUS :
“TA MAÎTRESSE, HUMBLEMENT”
Dimanche 30 octobre 2016 06h59
À: "Myriam Métayer" <[email protected]>
Myriam,
Le tuyau était bon : ce marbrier de Douaumont possède bel et bien certains fragments manquant à ta petite collection. Plus de 80 lettres, tout de même ! dont j'ai dû reconstituer la chronologie, vu que pas mal de dates sont effacées ou illisibles. Nuit blanche ;) ! J'ai pu te scanner quelques passages, et j'ai glissé des commentaires pour lier le tout. Je te laisse à la joie de la lecture. (Une surprise t'attend à la fin, sois patiente !)
Paris, le 20 juillet 1917
Mon filleul ? (Pierre, est-ce vous ?)
Taire mon inquiétude reviendrait à mentir ; ma vertu s'y refuse. Votre dernière lettre, que je relis sans cesse (puis-je l'écrire ?), je voudrais qu'elle ne fût pas de vous. Je voudrais qu'un dérèglement de l'administration militaire eût détourné vers moi le billet ordurier de quelque soudard à sa gourgandine, tandis qu'elle-même recevait votre prose, celle qui m'était promise et dont je me languis chaque jour.
Hélas, ce pli que je n'aurais pas dû ouvrir est signé de votre nom, et il ne peut s'agir d'une blague malveillante, car les mots sont de votre écriture. Seigneur ! Ces façons de por... de pornocrate ! Ma confusion est telle que j'en bafouille. Je ne vous reconnais plus, petit Pierre ! Cette guerre qui a embrasé l'Europe nous avait gentiment rapprochés. Je souffrais quand vous souffriez, j'avais froid, faim, j'étais sale, exténuée cependant que vous me rapportiez vos pires tourments au front. Ou je m'émerveillais de votre spontanéité adolescente. Quant à vos familiarités, je les mettais de bonne grâce sur le compte des privations, de la solitude et de la rudesse grivoise de vos camarades grognards. Mieux : je vibrais avec vous et pour vous, mon cadet chéri, mon filleul si méritant, mon fils devant Dieu ! Ne vous l'ai-je pas maintes fois prouvé en me prêtant à vos caprices ?
Mais ces obscénités ! La plupart, au reste, incompréhensibles. Des apostrophes telles que [ici, hélas, une rature masque deux lignes], je veux les ignorer jusqu'à mon dernier souffle.
Pour l'heure, j'ai décidé de contrarier mon premier mouvement, qui fut de m'en remettre à vos supérieurs ou à la présidente de notre Œuvre, parce qu'ainsi le Seigneur m'a faite de me défier de mes élans. Et qu'après tout, je fus femme avant que d'être veuve : plus d'une fois déjà ma vertu a frissonné à ce mauvais vent de fantaisie qui s'insinue en l'homme, lui soufflant de balayer les convenances. Malgré cela, d'où vient que je me sente seule avec autant d'émoi ? Injustice : on permet excessivement aux hommes d'être forts, tandis que, bien mal outillées, nous expions la faiblesse de notre aïeule à toutes, l'Ève déchue. Coupable, je dois l'être, de n'avoir pas su vous garder raisonnable, ou pire, d'avoir probablement agacé votre jeune sang par quelque allusion ou suggestion involontaire. Comme je voudrais remonter le temps, retourner à nos premiers jeux, bien innocents tout compte fait !
C'est dit : je brûle à l'instant votre lettre, qui n'est pas votre lettre, qui n'a nullement été, et dont nous ne parlerons plus. Ma mission n'est-elle pas de soutenir mon filleul sur la voie de la vertu ? Oui, en dépit de tout, j'entends demeurer votre « chère marraine de guerre », votre directrice de conscience. Vous allez m'y aider, jeune homme ! Je ferme les yeux, et de votre côté vous extirpez l'insolence et l'outrance de votre caractère. Montrons-nous de la sorte plus avisés que nos gouvernements, qui n'ont pas su nous éviter le chaos fratricide, et reprenons notre commerce. Pour sceller l'armistice, je veux bien même consentir à cette bêtise à laquelle vous m'aviez conviée le mois dernier avec un peu trop d'empressement. C'est ainsi modestement vêtue de ma seule féminité que je vous écris, agenouillée devant mon écritoire. Rougissante, vous vous en doutez.
Par la fenêtre de ma chambre, l'aurore étincelante est une divine promesse de paix et d'union prochaines. Sentez comme nos deux cœurs, brûlant d'une même fièvre, s'élèvent jusqu'à Lui.
En retour, ouvrez-vous à moi comme je viens de m'ouvrir, et rassurez-moi vite sur votre détermination à ne pas servir de cible à l'hostilité ennemie. Certes le devoir commande, mais souffrez que, dans la poitrine haletante de la patriote disciplinée que je suis, frémisse le cœur de votre dévouée marraine.
Je vous embrasse mon cher ange, et ne songe plus qu'à vous lire.
                                                                                          Vôtre
*
Quelque part hors du monde, ce 26 juillet
Ma Reine, confuse, bafouilleuse, confouilleuse,
Vous me donnez du « cher ange » ? Quelle prescience ! Car au vrai, je suis mort. Au matin du 14, pour être précis, lorsqu'un obus de passage s'est vautré dans les feuillées au-dessus desquelles, la culotte aux chevilles, je m'astiquais la baïonnette en rêvant à votre cul. Feu d'artifice de sang, de foutre et de merde pour mon ultime orgasme, qui dit mieux ? C'est autre chose que ces chipotages de nonnette dont vous m'entreteniez parfois et qui commençaient à me lasser !
Ne protestez pas (même si j'ai bien compris que votre libido se réglait nécessairement sur ces protestations), car je veux aussi vous trousser le compliment : vous eûtes l'audace charmante de mettre mes dévergondages sur le compte du légitime défoulement du guerrier, et vous condescendez enfin à faire ce qu'on vous demande (quoique je ne voie aucune mention de pinces ni de lavement dans votre compte rendu). Mais, sacredieu, vous n'étiez nullement autorisée à brûler mon courrier ! Qu'avait-il de si choquant ? Vous m'y confessiez avoir été mariée, et il n'eût pas fallu que j'aspirasse à me dédommager de ce cocufiage par anticipation en convoitant, entre autres menues sanctions, de vous frictionner le berlingot aux orties ?
Si sincèrement vous souhaitez poursuivre, il va falloir pédaler dans la côte, ma petite Reine, et plus vite que ça. Je n'ai plus guère le temps de déguiser mes grossièretés en bonnes manières. Dois-je vous rappeler que je suis de corvée de Boche et que je peux y laisser ma peau ?
Ah, mais non, c'est vrai : je suis déjà mort.
Eh bien, en ce cas, adieu. Au diable !
                                                                                         Pierre
*
Date illisible
Mon pauvre enfant, mon orphelin,
Faut-il donc que la guerre soit une Bête ignoble pour égarer ainsi la raison des âmes pures ! Dorlotée à l'arrière, au paradis des planqués en canotier et de leurs femmes au verbe haut, j'ignorais que la censure de Monsieur Foch me tenait à ce point dans l'erreur, et que notre « valeureuse armée » chantée par les gazettes ne marchait pas à son triomphe mais à son holocauste. Consulté hier soir, un ami de feu mon époux, chroniqueur au Canard enchaîné, m'a dessillé les yeux : j'imaginais la guerre, et c'est l'enfer que vous vivez.
Au vu de votre dernière lettre, j'avais supputé que la raison vous avait fui, mais sans en deviner l'épouvantable cause. Mon tout-petit, maintenant que je vous sais désemparé face à la Bête grondante et hululante, à grelotter dans un trou fumant infecté de déchets, de charognes et de parasites, blessé peut-être, gémissant psaumes ou comptines, je me sens si sotte. Seigneur, prenez pitié ! C'est encore ma veulerie de femme abandonnée à son libre-arbitre qui m'aura fait douter de vos qualités profondes, seulement tourneboulées par la férocité d'un siècle qui s'ébroue pour s'arracher à sa peau flétrie.
Vous êtes donc fou. Vous êtes donc mort. Que je suis soulagée ! Car de ces folies-là, on guérit aisément, avec ce qu'il faut de tendresse. (En dernier recours, loué soit le Ciel, il y aurait ce nouveau procédé, la psycho-analyse, qui ferait des miracles !)
Vous êtes donc fou. Ainsi soit-il : je vous suivrai dans la folie ! Et je vais sur-le-champ relire cette lettre que j'avais prétendument brûlée, petite pimbêche que je suis, friponne, simulatrice (voyez que je ne suis pas avare de remontrances à mon endroit ! Et d'ailleurs je me gifle à l'instant. Ouille.)
Le bas du feuillet est délavé. Il semble que Mado se laisse aller à évoquer quelques fantasmes.
*
***, ce 4 août
Mado, madoué ! ma douée, ma doudou, ma dodue aux doudounes doubles et au doux roudoudou,
Licencieuse, enfin ! Je n'en avais jamais douté, scélérate ; c'était entre vos lignes : toute sainte-nitouche est née de la fange, et l'exaltation idolâtre l'y replonge tôt ou tard. Par bonheur, vous êtes également de ces bourgeoises désœuvrées, obsédées de perfection et du mépris d'elle-même, qui se repentent de n'être plus vierges en sombrant dans la neurasthénie ou en se soumettant à leurs sens exaspérés. Je n'aurai donc pas à vous enseigner les rituels déviants : vous les savez par cœur.
Pour l'heure, je cours dans ma cambuse avec votre rédaction émoustillante pour me déboutonner et savourer tout de go ma « minute de gloire », comme dit notre capiston au moment de l'assaut.
                                                      Pierre, dur comme de la pierre
*
Date illisible
Monsieur,
Qui êtes-vous ? Je reçois à l'instant de votre état-major la confirmation écrite de votre décès : « Tombé au champ d'honneur, etc. »        
Si mon infortuné filleul m'a été enlevé par les anges mais que du courrier signé de sa main continue à m'être adressé depuis le front, il faut nécessairement que vous soyez quelqu'un d'autre. J'ignore par quelle ruse et dans quel but vous avez usurpé son identité, mais je vous ordonne de cesser illico cette sinistre farce et de vous démasquer. Pour votre chance, une voix intérieure et miséricordieuse m'invite à ne pas vous dénoncer encore ; mais rappelez-vous que la cour martiale punit les imposteurs au même titre que les traîtres. Repentez-vous donc, Monsieur ! Il ne sera pas dit que Madeleine Gautrat enverra le pécheur à la mort sans entendre sa confession. Urgence ! Lavez-moi de la honte de m'être dévoilée devant vous, et retournez-moi cette pièce de lingerie que j'ai eu l'inconséquence de vous adresser.
                                                                               Madeleine Gautrat
*
Date illisible
Mado,
Merci d'être bien brave. C'est entendu, je ne suis pas cet imbécile de Pierre, qui a trouvé moyen de se faire éparpiller le cul à l'air, à trois-cent-cinquante mètres en arrière de la ligne de front. Je suis le matricule 66 du 280ème régiment d'artillerie (ce qu'il en reste), alias Ferdinand des Bluès, aspirant affecté au service de la Surveillance du courrier, où je m'ennuie beaucoup vu que rien n'y « croustille ».
Voici donc toute l'histoire : c'est l'an passé que je fraternisai avec ce bleu que vous appelez votre filleul et que ses collègues troupiers baptisèrent « Bite-Roide », du fait qu'il était de Béziers. J'ignore si vous possédez un portrait de lui, mais ce salopard était mieux tourné que Ganymède et monté comme un Aliboron. Nous l'utilisâmes pour rabattre les infirmières et les filles de ferme, qui reçurent instruction de nous sucer le dard dès lors qu'elles souhaitaient se faire fourrer par ce faune infatigable. En revanche, Bite-Roide était un parfait analphabète, sans haine ni malice, et donc impuissant à comprendre et à aimer les femmes. Inutile de préciser qu'il eût été bien embarrassé pour vous écrire la moindre ligne ! Le jour où il voulut une marraine, je devins donc son Cyrano, à la pâle lueur de ma bougie de suif. Savez-vous qu'en plus d'ambitionner de vous bouquiner un jour, selon ses termes, Bite-Roide vous témoignait mieux que de la tendresse ? Vos lettres étaient soigneusement rangées dans sa giberne, et votre photo sur son cœur. Lorsqu'il décéda, avec dans mes mains son beau visage arraché au reste de son anatomie, ses yeux larmoyant un sang noir me supplièrent en ces termes : « Poursuis mon œuvre épistolaire, Ferdinand, et mène-la à la volupté sabre au clair ! »
N'est-ce pas que nous l'aimions, notre cher filleul ? Aussi, mettre un terme à vos rapports eût été le tuer à nouveau, et je n'en ai pas trouvé le courage. Mado, je vous en conjure, rejoignez dans sa lâcheté celui dont notre Pierre a fait le légataire de sa flamme. Me blâmer pour avoir menti serait me reprocher de ne vous dire aujourd'hui que la stricte vérité. Moi aussi, savez-vous, je suis seul ; moi aussi, je vais mourir ; moi aussi, je me dresse au garde-à-vous sitôt que l'estafette m'apporte votre lettre.
Voici d'ailleurs ma photo en civil, la moustache bien cirée et la bite à la main (à ma décharge : je n'ai que celle-là).
                                                                                   Ferdinand
*
Date illisible
Monsieur mon aspirant,
Je m'arrache à peine à l'agonie du deuil, ravagée, pantelante, écartelée par mille tourments contradictoires. Après avoir longuement baigné de larmes chacune des lettres de notre cher disparu et baisé chacun de ses mots qui sont vôtres, je suis allée brûler un cierge à Saint-Sulpice et j'y ai fait graver une plaque du souvenir. L'abbé se montra alors d'un grand secours, qui me dissuada de transgresser les volontés d'un défunt, dussent-elles tracasser ma conscience.
De retour dans mon petit chez-moi, j'ai donc conçu que Dieu m'offrait là une épreuve cruciale que je ne pénétrais pas encore. J'ai rassemblé tout mon courage, et, après deux ou trois vomissements, je me suis prescrit une retraite de cinq jours, nue, dans le noir, à ne manger que de la poussière et à m'infliger des mortifications si dégradantes que je peux seulement vous les laisser imaginer. Ne me croyez pas folle : ma patronne, Sainte Marguerite-Marie Alacoque, suivait le même régime, elle qui grava dans ses chairs le nom de Jésus avec un clou rouillé avant de mourir du tétanos.
Et voilà que je vous reviens de pénitence comme neuve, acceptant de poursuivre en votre compagnie la correspondance d'avec Pierre, à présent convaincue que sous vos paroles provocantes, d'autant plus alarmantes qu'elle sont d'un virtuose, se camoufle un gaillard pudique qui ne cherche qu'à se protéger de son sentimentalisme.
Sur la photo de vous, vous semblez plus âgé que moi, qui n'ai que 26 ans après tout. Votre pose est certes bien immodeste, mais les bottes vous avantagent.
Le bas du feuillet est déchiré. Suivent des pages et des pages qui attestent des patientes manœuvres de Ferdinand pour saper les ultimes défenses de Mado, en tirant parti de son mysticisme romantique. Pas le temps de tout te scanner, mais bon, c'est le boniment fétichiste que tu connais. Je t'extrais tout de même une lettre au hasard :
La Malmaison, ce 22 octobre 1917
Ma juteuse,
Bienvenue à mon bataillon disciplinaire ! Te voilà promue au grade d'adjudante de 2ème classe, chargée des corvées. Et voici comme promis ton « parcours de la combattante ». (Pas question de tirer au flanc !)
Lundi. Chez les bouquinistes des quais de Seine, tu dénicheras « Je suis une marchandise », d'un certain Pierre-Louis de Gand. C'est une œuvre crapoteuse dont je suis l'auteur, figure-toi, et qui a son petit succès sous le manteau. À midi, tu t'installeras à la terrasse du Dôme (c'est à Montparnasse le repaire des barbouilleurs et de leurs mécènes texans) pour faire ta lecture, en prenant soin d'être vue de tout le monde. Le soir, tu en rédigeras une exégèse salace dans ton carnet de dressage tout en te turlupinant la barquette, avec au doigt l'anneau d'aluminium que je t'ai taillé dans un éclat de 75. Tu n'es pas autorisée à jouir.
Mardi. Tu retourneras au Dôme, dans les toilettes, cette fois. Dûment troussée, tu t'y fesseras avec chaleur, cent claques bien sonores, pour te punir d'être si cochonne. Puis tu juteras dans ta culotte, que tu abandonneras sur une banquette en partant.
Mercredi. Nue devant ta glace, tu travailleras tout ton corps aux badines de lilas trempées dans du vinaigre. À seize heures, tu iras te présenter à l'académie de croquis de la rue Blanche, et tu poseras sans pudeur pour mon ami Van Maele et ses élèves, qui devront évidemment remarquer tes stigmates, puis tatouer mon monogramme sur ton mont de Vénus.
Jeudi. Une jeune trottin te visitera. Elle se nomme Moniche. Sans que vous échangiez le moindre mot, elle te droguera à l'éther, te godera copieusement, recueillera tes sécrétions dans un flacon, puis s'en ira.
Vendredi. Ton « baptême du foutre » : cheveux tirés en chignon, c'est aux maniaques des pissotières du parc Monceau, que tu iras t'offrir. Ils ne te brusqueront pas, sinon qu'ils t'arroseront copieusement le visage. Aucune inquiétude, ils fournissent les serviettes.
Fin de semaine. Je te donne permission, Madeleine. Mais n'omets pas de tout me raconter, afin que je puisse me soulager de la tension de cet épuisant programme !
J'oubliais : dorénavant, timbres et enveloppes seront humectés avec ta cyprine.
                                                                                   Ferdinand
Au printemps 1918, Ferdinand juge la dépravation de Mado satisfaisante. Étrangement, il se met à lui parler avec rudesse, et son style se relâche. Elle le lui reproche (« La plus ingrate de vos perversions, si c'en est une. ») Lui n'en a cure, s'ingéniant à la désenchanter. Exemple :
Cesse de m'envoyer ces gâteaux à la mayonnaise, Bécassine, ils sont infects ; on dirait du fromage de couilles avarié. Et si je t'ai effectivement ordonné de débroussailler le berlingot de Moniche avec tes dents, glisser ses poils pubiens dans ton dernier courrier était une initiative écœurante. Du coup, j'ai fait distribuer toutes tes lettres aux poilus de ma section. Je peux t'assurer qu'ensuite, ça chantait La Madelon, et avec des couplets pas piqués des hannetons !
Insensiblement, la dépendance de Mado va alors glisser de Ferdinand à sa propre servitude, la rejetant aux frontières de la déformation physique et de la mutilation, au point que, dépassé, son mentor s'en offusque. À l'été, elle exige une rencontre (« Pygmalion redoute sa créature ? »), mais il trouve mille prétextes pour se dérober. Ensuite, apparemment, ils ont une conversation téléphonique, qui tourne mal : Mado le sermonne, avant de confirmer ses critiques par écrit. J'ai des bribes :
« Mon humilité, j'en suis fière. Faut-il, au prétexte que les femmes ont moins d'orgueil qu'eux, que les enfants gâtés de votre espèce se croient autorisés à flatter leurs faiblesses ? [...] Vous nous dites stériles et sans attrait dès lors que l'être humain en nous se manifeste. Il vous faudrait une compagne qui ne fasse pas d'ombre à votre idéal féminin, cette hallucination teintée de répugnance que vous adorez pour ne pas aimer, cette supposée énigme qui vous domine, à l'évidence. [...] Vous n'êtes que trahisons. Par Moniche j'apprends que vous auriez monnayé mes services ! [...] User de tant de mots, ce n'est pas très bon signe. Et vous vous répétez, je m'ennuie » ; etc.
Je crois aussi que Mado a été déçue par leur culbute dans le réel. Et par le fait que Ferdinand bégaie, ça l'a peut-être refroidie.
Après, il manque de nombreuses pages, mais toutes les lettres de Mado sont signées « Ta maîtresse, humblement », suivi du point d'ironie qu'utilisaient les typographes de l'époque. Je crois comprendre qu'elle lui signifie l'arrêt de leur relation. Lui : geignements, supplications, puis chantage au suicide (du style : dès les cloches de l'armistice, je me fais descendre par un fridolin), avant le piètre aveu : « J'abdique tout amour-propre, Mado : je suis épris de toi. » Malheureusement, la fin manque. Mais je vais poursuivre mes recherches. Haut les cœurs ! Tu le publieras, ce bouquin, ma Mimie !
ET VOICI LE COUP DE THÉÂTRE
Cette correspondance entre ton arrière-grand-mère et Ferdinand... eh bien, ce ne sont pas de vraies lettres ! Juste des pages arrachées à un bloc-note, dont j'ai pu voir la souche. Probablement des brouillons pour un roman épistolaire. Madeleine préparait un roman ! Ce qui explique les nombreuses digressions sur la littérature : les parallèles écrivain/lecteur, dominant/dominé, la claustration, la nécessaire coercition du créateur. Il y a aussi quelques considérations sociales, politiques, humanistes, eschatologiques, parfois sous forme de notes... Et puis pas mal de rebondissements quant à l'identité et au statut des personnages, des impostures révélées en cascade (Madeleine est-elle vraiment veuve ? Ferdinand est-il un insoumis en attente du peloton ? Sont-ils en réalité mari et femme, etc.), des boîtes qui s'ouvrent sur d'autres boîtes. Au final, c'est plutôt bien.
Je t'appelle dès mon réveil, pour un topo plus précis.
Pascal, tendrement
PS : J'ai reçu un message du maître. Notre safeword sera désormais : ricochet.
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scopophiles · 6 years
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L’ÉPOUX INFERNAL
Écoutons la confession d’un compagnon d’enfer :
« Ô divin Époux, mon Seigneur, ne refusez pas la confession de la plus triste de vos servantes. Je suis perdue. Je suis soûle. Je suis impure. Quelle vie !
« Pardon, divin Seigneur, pardon ! Ah ! pardon ! Que de larmes ! Et que de larmes encore plus tard, j’espère !
« Plus tard, je connaîtrai le divin Époux ! Je suis née soumise à Lui. — L’autre peut me battre maintenant !
« À présent, je suis au fond du monde ! Ô mes amies !… non, pas mes amies… Jamais délires ni tortures semblables… Est-ce bête !
« Ah ! je souffre, je crie. Je souffre vraiment. Tout pour tant m’est permis, chargée du mépris des plus méprisables cœurs.
« Enfin, faisons cette confidence, quitte à la répéter vingt autres fois, — aussi morne, aussi insignifiante !
« Je suis esclave de l’Époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C’est bien ce démon-là. Ce n’est pas un spectre, ce n’est pas un fantôme. Mais moi qui ai perdu la sagesse, qui suis damnée et morte au monde, — on ne me tuera pas ! — Comment vous le décrire ! je ne sais même plus parler. Je suis en deuil, je pleure, j’ai peur. Un peu de fraîcheur, Seigneur, si vous voulez, si vous voulez bien !
« Je suis veuve… — J’étais veuve… — mais oui, j’ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette !… — Lui était presque un enfant… Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduite. J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. Je vais où il va, il le faut. Et souvent il s’emporte contre moi, moi, la pauvre âme. Le Démon ! — C’est un Démon, vous savez, ce n’est pas un homme.
« Il dit : « Je n’aime pas les femmes. L’amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, cœur et beauté sont mis de côté : il ne reste que froid dédain, l’aliment du mariage, aujourd’hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j’aurais pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d’abord par des brutes sensibles comme des bûchers… »
« Je l’écoute faisant de l’infamie une gloire, de la cruauté un charme. « Je suis de race lointaine : mes pères étaient Scandinaves : ils se perçaient les côtes, buvaient leur sang. — Je me ferai des entailles partout le corps, je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol : tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperais et me tordrais sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachée de sang partout. Jamais je ne travaillerai… » Plusieurs nuits, son démon me saisissant, nous nous roulions, je luttais avec lui ! — Les nuits, souvent, ivre, il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m’épouvanter mortellement. — « On me coupera vraiment le cou ; ce sera dégoûtant. » Oh ! ces jours où il veut marcher avec l’air du crime !
« Parfois il parle, en une façon de patois attendri, de la mort qui fait repentir, des malheureux qui existent certainement, des travaux pénibles, des départs qui déchirent les cœurs. Dans les bouges où nous nous enivrions, il pleurait en considérant ceux qui nous entouraient, bétail de la misère. Il relevait les ivrognes dans les rues noires. Il avait la pitié d’une mère méchante pour les petits enfants. — Il s’en allait avec des gentillesses de petite fille au catéchisme. — Il feignait d’être éclairé sur tout, commerce, art, médecine. — je le suivais, il le faut !
« Je voyais tout le décor dont, en esprit, il s’entourait ; vêtements, draps, meubles : je lui prêtais des armes, une autre figure. Je voyais tout ce qui le touchait, comme il aurait voulu le créer pour lui. Quand il me semblait avoir l’esprit inerte, je le suivais, moi, dans des actions étranges et compliquées, loin, bonnes ou mauvaises : j’étais sûre de ne jamais entrer dans son monde. À côté de son cher corps endormi, que d’heures des nuits j’ai veillé, cherchant pourquoi il voulait tant s’évader de la réalité. Jamais homme n’eut pareil vœu. Je reconnaissais, — sans craindre pour lui, — qu’il pouvait être un sérieux danger dans la société. — Il a peut-être des secrets pour changer la vie ? Non, il ne fait qu’en chercher, me répliquais-je. Enfin sa charité est ensorcelée, et j’en suis la prisonnière. Aucune autre âme n’aurait assez de force, — force de désespoir ! — pour la supporter, — pour être protégée et aimée par lui. D’ailleurs, je ne me le figurais pas avec une autre âme : on voit son Ange, jamais l’Ange d’un autre — je crois. J’étais dans son âme comme dans un palais qu’on a vidé pour ne pas voir une personne si peu noble que vous : voilà tout. Hélas ! je dépendais bien de lui. Mais que voulait-il avec mon existence terne et lâche ? Il ne me rendait pas meilleure, s’il ne me faisait pas mourir ! Tristement dépitée, je lui dis quelquefois : « je te comprends. » Il haussait les épaules.
« Ainsi, mon chagrin se renouvelant sans cesse, et me trouvant plus égarée à mes yeux, — comme à tous les yeux qui auraient voulu me fixer, si je n’eusse été condamnée pour jamais à l’oubli de tous ! — j’avais de plus en plus faim de sa bonté. Avec ses baisers et ses étreintes amies, c’était bien un ciel, un sombre Ciel, où j’entrais, et où j’aurais voulu être laissée, pauvre, sourde, muette, aveugle. Déjà j’en prenais l’habitude. Je nous voyais comme deux bons enfants, libres de se promener dans le Paradis de tristesse. Nous nous accordions. Bien émus, nous travaillions ensemble. Mais, après une pénétrante caresse, il disait : « Comme ça te paraîtra drôle, quand je n’y serai plus, ce par quoi tu as passé. Quand tu n’auras plus mes bras sous ton cou, ni mon cœur pour t’y reposer, ni cette bouche sur tes yeux. Parce qu’il faudra que je m’en aille, très-loin, un jour. Puis il faut que j’en aide d’autres : c’est mon devoir. Quoique ce ne soit guère ragoûtant…, chère âme… » Tout de suite je me pressentais, lui parti, en proie au vertige, précipitée dans l’ombre la plus affreuse : la mort. Je lui faisais promettre qu’il ne me lâcherait pas. Il l’a faite vingt fois, cette promesse d’amant. C’était aussi frivole que moi lui disant : « je te comprends. »
« Ah ! je n’ai jamais été jalouse de lui. Il ne me quittera pas, je crois. Que devenir ? Il n’a pas une connaissance ; il ne travaillera jamais. Il veut vivre somnambule. Seules, sa bonté et sa charité lui donneraient-elles droit dans le monde réel ? Par instants, j’oublie la pitié où je suis tombée : lui me rendra forte, nous voyagerons, nous chasserons dans les déserts, nous dormirons sur les pavés des villes inconnues, sans soins, sans peines. Ou je me réveillerai, et les lois et les mœurs auront changé, — grâce à son pouvoir magique, — le monde, en restant le même, me laissera à mes désirs, joies, nonchalances. Oh ! la vie d’aventures qui existe dans les livres des enfants, pour me récompenser, j’ai tant souffert, me la donneras-tu ? Il ne peut pas. J’ignore son idéal. Il m’a dit avoir des regrets, des espoirs : cela ne doit pas me regarder. Parle-t-il à Dieu ? Peut-être devrais-je m’adresser à Dieu. Je suis au plus profond de l’abîme, et je ne sais plus prier.
« S’il m’expliquait ses tristesses, les comprendrais-je plus que ses railleries ? Il m’attaque, il passe des heures à me faire honte de tout ce qui m’a pu toucher au monde, et s’indigne si je pleure.
« — Tu vois cet élégant jeune homme, entrant dans la belle et calme maison : il s’appelle Duval, Dufour, Armand, Maurice, que sais-je ? Une femme s’est dévouée à aimer ce méchant idiot : elle est morte, c’est certes une sainte au ciel, à présent. Tu me feras mourir comme il a fait mourir cette femme. C’est notre sort, à nous, cœurs charitables… » Hélas ! il avait des jours où tous les hommes agissant lui paraissaient les jouets de délires grotesques : il riait affreusement, longtemps. — Puis, il reprenait ses manières de jeune mère, de sœur aimée. S’il était moins sauvage, nous serions sauvés ! Mais sa douceur aussi est mortelle. Je lui suis soumise. — Ah ! je suis folle ! « Un jour peut-être il disparaîtra merveilleusement ; mais il faut que je sache, s’il doit remonter à un ciel, que je voie un peu l’assomption de mon petit ami ! »
Drôle de ménage !
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100% in love with this exact moment
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current mood for absolutely no reason whatsoever
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this (and tbh? a lot of different moments from this opera, but especially this) is playing nonstop in my operatic mental jukebox as I dream of growing wings and flying somewhere far away
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music for walking back from class
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these two are an OTP and this duet is phenomenal
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morning mix:
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lesavocatsdudiable · 7 years
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LE PRIX DE LA NOUVELLE ÉROTIQUE 2017 EST ATTRIBUÉ À ...
PASCAL HELLA POUR SA NOUVELLE “TA MAÎTRESSE, HUMBLEMENT”.
Pascal HELLA, 60 ans, habite à Marseille. Publicitaire depuis 30 ans au sein d'une célèbre agence et formateur aux métiers de la communication, il consacre une large partie de son temps libre à ses multiples passions : auteur-compositeur-interprète de chansons, scénariste de bandes dessinées, chroniqueur et écrivain, scénariste de films (web series, clips publicitaires et institutionnels,etc), journaliste, organisateur de raids aventure...  
Pascal HELLA remporte un chèque de 3000 euros et un séjour de 3 semaines en Camargue, au sein de la Résidence d'écriture des AVOCATS DU DIABLE.
LES AVOCATS DU DIABLE tiennent à remercier leurs partenaires qui permettent au PRIX de se donner, dans tous les sens du terme, les moyens de ses ambitions :
LA SOFIA (Ministère de la Culture) LA Région OCCITANIE- Pyrénées/Méditerranée Le Département du GARD Les éditions Au Diable vauvert
NOUS VOUS INVITONS À DÉCOUVRIR LA NOUVELLE LAURÉATE CI-DESSOUS :
“TA MAÎTRESSE, HUMBLEMENT”
 Dimanche 30 octobre 2016 06h59
À: "Myriam Métayer" <[email protected]>
 Myriam,
Le tuyau était bon : ce marbrier de Douaumont possède bel et bien certains fragments manquant à ta petite collection. Plus de 80 lettres, tout de même ! dont j'ai dû reconstituer la chronologie, vu que pas mal de dates sont effacées ou illisibles. Nuit blanche ;) ! J'ai pu te scanner quelques passages, et j'ai glissé des commentaires pour lier le tout. Je te laisse à la joie de la lecture. (Une surprise t'attend à la fin, sois patiente !)
 Paris, le 20 juillet 1917
 Mon filleul ? (Pierre, est-ce vous ?)
 Taire mon inquiétude reviendrait à mentir ; ma vertu s'y refuse. Votre dernière lettre, que je relis sans cesse (puis-je l'écrire ?), je voudrais qu'elle ne fût pas de vous. Je voudrais qu'un dérèglement de l'administration militaire eût détourné vers moi le billet ordurier de quelque soudard à sa gourgandine, tandis qu'elle-même recevait votre prose, celle qui m'était promise et dont je me languis chaque jour.
Hélas, ce pli que je n'aurais pas dû ouvrir est signé de votre nom, et il ne peut s'agir d'une blague malveillante, car les mots sont de votre écriture. Seigneur ! Ces façons de por... de pornocrate ! Ma confusion est telle que j'en bafouille. Je ne vous reconnais plus, petit Pierre ! Cette guerre qui a embrasé l'Europe nous avait gentiment rapprochés. Je souffrais quand vous souffriez, j'avais froid, faim, j'étais sale, exténuée cependant que vous me rapportiez vos pires tourments au front. Ou je m'émerveillais de votre spontanéité adolescente. Quant à vos familiarités, je les mettais de bonne grâce sur le compte des privations, de la solitude et de la rudesse grivoise de vos camarades grognards. Mieux : je vibrais avec vous et pour vous, mon cadet chéri, mon filleul si méritant, mon fils devant Dieu ! Ne vous l'ai-je pas maintes fois prouvé en me prêtant à vos caprices ?
Mais ces obscénités ! La plupart, au reste, incompréhensibles. Des apostrophes telles que [ici, hélas, une rature masque deux lignes], je veux les ignorer jusqu'à mon dernier souffle.
Pour l'heure, j'ai décidé de contrarier mon premier mouvement, qui fut de m'en remettre à vos supérieurs ou à la présidente de notre Œuvre, parce qu'ainsi le Seigneur m'a faite de me défier de mes élans. Et qu'après tout, je fus femme avant que d'être veuve : plus d'une fois déjà ma vertu a frissonné à ce mauvais vent de fantaisie qui s'insinue en l'homme, lui soufflant de balayer les convenances. Malgré cela, d'où vient que je me sente seule avec autant d'émoi ? Injustice : on permet excessivement aux hommes d'être forts, tandis que, bien mal outillées, nous expions la faiblesse de notre aïeule à toutes, l'Ève déchue. Coupable, je dois l'être, de n'avoir pas su vous garder raisonnable, ou pire, d'avoir probablement agacé votre jeune sang par quelque allusion ou suggestion involontaire. Comme je voudrais remonter le temps, retourner à nos premiers jeux, bien innocents tout compte fait !
C'est dit : je brûle à l'instant votre lettre, qui n'est pas votre lettre, qui n'a nullement été, et dont nous ne parlerons plus. Ma mission n'est-elle pas de soutenir mon filleul sur la voie de la vertu ? Oui, en dépit de tout, j'entends demeurer votre « chère marraine de guerre », votre directrice de conscience. Vous allez m'y aider, jeune homme ! Je ferme les yeux, et de votre côté vous extirpez l'insolence et l'outrance de votre caractère. Montrons-nous de la sorte plus avisés que nos gouvernements, qui n'ont pas su nous éviter le chaos fratricide, et reprenons notre commerce. Pour sceller l'armistice, je veux bien même consentir à cette bêtise à laquelle vous m'aviez conviée le mois dernier avec un peu trop d'empressement. C'est ainsi modestement vêtue de ma seule féminité que je vous écris, agenouillée devant mon écritoire. Rougissante, vous vous en doutez.
Par la fenêtre de ma chambre, l'aurore étincelante est une divine promesse de paix et d'union prochaines. Sentez comme nos deux cœurs, brûlant d'une même fièvre, s'élèvent jusqu'à Lui.
En retour, ouvrez-vous à moi comme je viens de m'ouvrir, et rassurez-moi vite sur votre détermination à ne pas servir de cible à l'hostilité ennemie. Certes le devoir commande, mais souffrez que, dans la poitrine haletante de la patriote disciplinée que je suis, frémisse le cœur de votre dévouée marraine.
Je vous embrasse mon cher ange, et ne songe plus qu'à vous lire.
                                                                                           Vôtre
 *
 Quelque part hors du monde, ce 26 juillet
 Ma Reine, confuse, bafouilleuse, confouilleuse,
 Vous me donnez du « cher ange » ? Quelle prescience ! Car au vrai, je suis mort. Au matin du 14, pour être précis, lorsqu'un obus de passage s'est vautré dans les feuillées au-dessus desquelles, la culotte aux chevilles, je m'astiquais la baïonnette en rêvant à votre cul. Feu d'artifice de sang, de foutre et de merde pour mon ultime orgasme, qui dit mieux ? C'est autre chose que ces chipotages de nonnette dont vous m'entreteniez parfois et qui commençaient à me lasser !
Ne protestez pas (même si j'ai bien compris que votre libido se réglait nécessairement sur ces protestations), car je veux aussi vous trousser le compliment : vous eûtes l'audace charmante de mettre mes dévergondages sur le compte du légitime défoulement du guerrier, et vous condescendez enfin à faire ce qu'on vous demande (quoique je ne voie aucune mention de pinces ni de lavement dans votre compte rendu). Mais, sacredieu, vous n'étiez nullement autorisée à brûler mon courrier ! Qu'avait-il de si choquant ? Vous m'y confessiez avoir été mariée, et il n'eût pas fallu que j'aspirasse à me dédommager de ce cocufiage par anticipation en convoitant, entre autres menues sanctions, de vous frictionner le berlingot aux orties ?
 Si sincèrement vous souhaitez poursuivre, il va falloir pédaler dans la côte, ma petite Reine, et plus vite que ça. Je n'ai plus guère le temps de déguiser mes grossièretés en bonnes manières. Dois-je vous rappeler que je suis de corvée de Boche et que je peux y laisser ma peau ?
Ah, mais non, c'est vrai : je suis déjà mort.
Eh bien, en ce cas, adieu. Au diable !
                                                                                            Pierre
 *
 Date illisible
 Mon pauvre enfant, mon orphelin,
 Faut-il donc que la guerre soit une Bête ignoble pour égarer ainsi la raison des âmes pures ! Dorlotée à l'arrière, au paradis des planqués en canotier et de leurs femmes au verbe haut, j'ignorais que la censure de Monsieur Foch me tenait à ce point dans l'erreur, et que notre « valeureuse armée » chantée par les gazettes ne marchait pas à son triomphe mais à son holocauste. Consulté hier soir, un ami de feu mon époux, chroniqueur au Canard enchaîné, m'a dessillé les yeux : j'imaginais la guerre, et c'est l'enfer que vous vivez.
Au vu de votre dernière lettre, j'avais supputé que la raison vous avait fui, mais sans en deviner l'épouvantable cause. Mon tout-petit, maintenant que je vous sais désemparé face à la Bête grondante et hululante, à grelotter dans un trou fumant infecté de déchets, de charognes et de parasites, blessé peut-être, gémissant psaumes ou comptines, je me sens si sotte. Seigneur, prenez pitié ! C'est encore ma veulerie de femme abandonnée à son libre-arbitre qui m'aura fait douter de vos qualités profondes, seulement tourneboulées par la férocité d'un siècle qui s'ébroue pour s'arracher à sa peau flétrie.
Vous êtes donc fou. Vous êtes donc mort. Que je suis soulagée ! Car de ces folies-là, on guérit aisément, avec ce qu'il faut de tendresse. (En dernier recours, loué soit le Ciel, il y aurait ce nouveau procédé, la psycho-analyse, qui ferait des miracles !)
Vous êtes donc fou. Ainsi soit-il : je vous suivrai dans la folie ! Et je vais sur-le-champ relire cette lettre que j'avais prétendument brûlée, petite pimbêche que je suis, friponne, simulatrice (voyez que je ne suis pas avare de remontrances à mon endroit ! Et d'ailleurs je me gifle à l'instant. Ouille.)
 Le bas du feuillet est délavé. Il semble que Mado se laisse aller à évoquer quelques fantasmes.
 *
 ***, ce 4 août
 Mado, madoué ! ma douée, ma doudou, ma dodue aux doudounes doubles et au doux roudoudou,
 Licencieuse, enfin ! Je n'en avais jamais douté, scélérate ; c'était entre vos lignes : toute sainte-nitouche est née de la fange, et l'exaltation idolâtre l'y replonge tôt ou tard. Par bonheur, vous êtes également de ces bourgeoises désœuvrées, obsédées de perfection et du mépris d'elle-même, qui se repentent de n'être plus vierges en sombrant dans la neurasthénie ou en se soumettant à leurs sens exaspérés. Je n'aurai donc pas à vous enseigner les rituels déviants : vous les savez par cœur.
 Pour l'heure, je cours dans ma cambuse avec votre rédaction émoustillante pour me déboutonner et savourer tout de go ma « minute de gloire », comme dit notre capiston au moment de l'assaut.
                                                         Pierre, dur comme de la pierre
 *
 Date illisible
 Monsieur,
 Qui êtes-vous ? Je reçois à l'instant de votre état-major la confirmation écrite de votre décès : « Tombé au champ d'honneur, etc. »         
 Si mon infortuné filleul m'a été enlevé par les anges mais que du courrier signé de sa main continue à m'être adressé depuis le front, il faut nécessairement que vous soyez quelqu'un d'autre. J'ignore par quelle ruse et dans quel but vous avez usurpé son identité, mais je vous ordonne de cesser illico cette sinistre farce et de vous démasquer. Pour votre chance, une voix intérieure et miséricordieuse m'invite à ne pas vous dénoncer encore ; mais rappelez-vous que la cour martiale punit les imposteurs au même titre que les traîtres. Repentez-vous donc, Monsieur ! Il ne sera pas dit que Madeleine Gautrat enverra le pécheur à la mort sans entendre sa confession. Urgence ! Lavez-moi de la honte de m'être dévoilée devant vous, et retournez-moi cette pièce de lingerie que j'ai eu l'inconséquence de vous adresser.
                                                                                  Madeleine Gautrat
 *
 Date illisible
 Mado,
 Merci d'être bien brave. C'est entendu, je ne suis pas cet imbécile de Pierre, qui a trouvé moyen de se faire éparpiller le cul à l'air, à trois-cent-cinquante mètres en arrière de la ligne de front. Je suis le matricule 66 du 280ème régiment d'artillerie (ce qu'il en reste), alias Ferdinand des Bluès, aspirant affecté au service de la Surveillance du courrier, où je m'ennuie beaucoup vu que rien n'y « croustille ».
Voici donc toute l'histoire : c'est l'an passé que je fraternisai avec ce bleu que vous appelez votre filleul et que ses collègues troupiers baptisèrent « Bite-Roide », du fait qu'il était de Béziers. J'ignore si vous possédez un portrait de lui, mais ce salopard était mieux tourné que Ganymède et monté comme un Aliboron. Nous l'utilisâmes pour rabattre les infirmières et les filles de ferme, qui reçurent instruction de nous sucer le dard dès lors qu'elles souhaitaient se faire fourrer par ce faune infatigable. En revanche, Bite-Roide était un parfait analphabète, sans haine ni malice, et donc impuissant à comprendre et à aimer les femmes. Inutile de préciser qu'il eût été bien embarrassé pour vous écrire la moindre ligne ! Le jour où il voulut une marraine, je devins donc son Cyrano, à la pâle lueur de ma bougie de suif. Savez-vous qu'en plus d'ambitionner de vous bouquiner un jour, selon ses termes, Bite-Roide vous témoignait mieux que de la tendresse ? Vos lettres étaient soigneusement rangées dans sa giberne, et votre photo sur son cœur. Lorsqu'il décéda, avec dans mes mains son beau visage arraché au reste de son anatomie, ses yeux larmoyant un sang noir me supplièrent en ces termes : « Poursuis mon œuvre épistolaire, Ferdinand, et mène-la à la volupté sabre au clair ! »
N'est-ce pas que nous l'aimions, notre cher filleul ? Aussi, mettre un terme à vos rapports eût été le tuer à nouveau, et je n'en ai pas trouvé le courage. Mado, je vous en conjure, rejoignez dans sa lâcheté celui dont notre Pierre a fait le légataire de sa flamme. Me blâmer pour avoir menti serait me reprocher de ne vous dire aujourd'hui que la stricte vérité. Moi aussi, savez-vous, je suis seul ; moi aussi, je vais mourir ; moi aussi, je me dresse au garde-à-vous sitôt que l'estafette m'apporte votre lettre.
Voici d'ailleurs ma photo en civil, la moustache bien cirée et la bite à la main (à ma décharge : je n'ai que celle-là).
                                                                                      Ferdinand
 *
 Date illisible
 Monsieur mon aspirant,
 Je m'arrache à peine à l'agonie du deuil, ravagée, pantelante, écartelée par mille tourments contradictoires. Après avoir longuement baigné de larmes chacune des lettres de notre cher disparu et baisé chacun de ses mots qui sont vôtres, je suis allée brûler un cierge à Saint-Sulpice et j'y ai fait graver une plaque du souvenir. L'abbé se montra alors d'un grand secours, qui me dissuada de transgresser les volontés d'un défunt, dussent-elles tracasser ma conscience.
De retour dans mon petit chez-moi, j'ai donc conçu que Dieu m'offrait là une épreuve cruciale que je ne pénétrais pas encore. J'ai rassemblé tout mon courage, et, après deux ou trois vomissements, je me suis prescrit une retraite de cinq jours, nue, dans le noir, à ne manger que de la poussière et à m'infliger des mortifications si dégradantes que je peux seulement vous les laisser imaginer. Ne me croyez pas folle : ma patronne, Sainte Marguerite-Marie Alacoque, suivait le même régime, elle qui grava dans ses chairs le nom de Jésus avec un clou rouillé avant de mourir du tétanos.
Et voilà que je vous reviens de pénitence comme neuve, acceptant de poursuivre en votre compagnie la correspondance d'avec Pierre, à présent convaincue que sous vos paroles provocantes, d'autant plus alarmantes qu'elle sont d'un virtuose, se camoufle un gaillard pudique qui ne cherche qu'à se protéger de son sentimentalisme.
 Sur la photo de vous, vous semblez plus âgé que moi, qui n'ai que 26 ans après tout. Votre pose est certes bien immodeste, mais les bottes vous avantagent.
 Le bas du feuillet est déchiré. Suivent des pages et des pages qui attestent des patientes manœuvres de Ferdinand pour saper les ultimes défenses de Mado, en tirant parti de son mysticisme romantique. Pas le temps de tout te scanner, mais bon, c'est le boniment fétichiste que tu connais. Je t'extrais tout de même une lettre au hasard :
 La Malmaison, ce 22 octobre 1917
 Ma juteuse,
 Bienvenue à mon bataillon disciplinaire ! Te voilà promue au grade d'adjudante de 2ème classe, chargée des corvées. Et voici comme promis ton « parcours de la combattante ». (Pas question de tirer au flanc !)
Lundi. Chez les bouquinistes des quais de Seine, tu dénicheras « Je suis une marchandise », d'un certain Pierre-Louis de Gand. C'est une œuvre crapoteuse dont je suis l'auteur, figure-toi, et qui a son petit succès sous le manteau. À midi, tu t'installeras à la terrasse du Dôme (c'est à Montparnasse le repaire des barbouilleurs et de leurs mécènes texans) pour faire ta lecture, en prenant soin d'être vue de tout le monde. Le soir, tu en rédigeras une exégèse salace dans ton carnet de dressage tout en te turlupinant la barquette, avec au doigt l'anneau d'aluminium que je t'ai taillé dans un éclat de 75. Tu n'es pas autorisée à jouir.
Mardi. Tu retourneras au Dôme, dans les toilettes, cette fois. Dûment troussée, tu t'y fesseras avec chaleur, cent claques bien sonores, pour te punir d'être si cochonne. Puis tu juteras dans ta culotte, que tu abandonneras sur une banquette en partant.
Mercredi. Nue devant ta glace, tu travailleras tout ton corps aux badines de lilas trempées dans du vinaigre. À seize heures, tu iras te présenter à l'académie de croquis de la rue Blanche, et tu poseras sans pudeur pour mon ami Van Maele et ses élèves, qui devront évidemment remarquer tes stigmates, puis tatouer mon monogramme sur ton mont de Vénus.
Jeudi. Une jeune trottin te visitera. Elle se nomme Moniche. Sans que vous échangiez le moindre mot, elle te droguera à l'éther, te godera copieusement, recueillera tes sécrétions dans un flacon, puis s'en ira.
Vendredi. Ton « baptême du foutre » : cheveux tirés en chignon, c'est aux maniaques des pissotières du parc Monceau, que tu iras t'offrir. Ils ne te brusqueront pas, sinon qu'ils t'arroseront copieusement le visage. Aucune inquiétude, ils fournissent les serviettes.
Fin de semaine. Je te donne permission, Madeleine. Mais n'omets pas de tout me raconter, afin que je puisse me soulager de la tension de cet épuisant programme !
J'oubliais : dorénavant, timbres et enveloppes seront humectés avec ta cyprine.
                                                                                      Ferdinand
 Au printemps 1918, Ferdinand juge la dépravation de Mado satisfaisante. Étrangement, il se met à lui parler avec rudesse, et son style se relâche. Elle le lui reproche (« La plus ingrate de vos perversions, si c'en est une. ») Lui n'en a cure, s'ingéniant à la désenchanter. Exemple :
 Cesse de m'envoyer ces gâteaux à la mayonnaise, Bécassine, ils sont infects ; on dirait du fromage de couilles avarié. Et si je t'ai effectivement ordonné de débroussailler le berlingot de Moniche avec tes dents, glisser ses poils pubiens dans ton dernier courrier était une initiative écœurante. Du coup, j'ai fait distribuer toutes tes lettres aux poilus de ma section. Je peux t'assurer qu'ensuite, ça chantait La Madelon, et avec des couplets pas piqués des hannetons !
 Insensiblement, la dépendance de Mado va alors glisser de Ferdinand à sa propre servitude, la rejetant aux frontières de la déformation physique et de la mutilation, au point que, dépassé, son mentor s'en offusque. À l'été, elle exige une rencontre (« Pygmalion redoute sa créature ? »), mais il trouve mille prétextes pour se dérober. Ensuite, apparemment, ils ont une conversation téléphonique, qui tourne mal : Mado le sermonne, avant de confirmer ses critiques par écrit. J'ai des bribes :
 « Mon humilité, j'en suis fière. Faut-il, au prétexte que les femmes ont moins d'orgueil qu'eux, que les enfants gâtés de votre espèce se croient autorisés à flatter leurs faiblesses ? [...] Vous nous dites stériles et sans attrait dès lors que l'être humain en nous se manifeste. Il vous faudrait une compagne qui ne fasse pas d'ombre à votre idéal féminin, cette hallucination teintée de répugnance que vous adorez pour ne pas aimer, cette supposée énigme qui vous domine, à l'évidence. [...] Vous n'êtes que trahisons. Par Moniche j'apprends que vous auriez monnayé mes services ! [...] User de tant de mots, ce n'est pas très bon signe. Et vous vous répétez, je m'ennuie » ; etc.
 Je crois aussi que Mado a été déçue par leur culbute dans le réel. Et par le fait que Ferdinand bégaie, ça l'a peut-être refroidie.
Après, il manque de nombreuses pages, mais toutes les lettres de Mado sont signées « Ta maîtresse, humblement », suivi du point d'ironie qu'utilisaient les typographes de l'époque. Je crois comprendre qu'elle lui signifie l'arrêt de leur relation. Lui : geignements, supplications, puis chantage au suicide (du style : dès les cloches de l'armistice, je me fais descendre par un fridolin), avant le piètre aveu : « J'abdique tout amour-propre, Mado : je suis épris de toi. » Malheureusement, la fin manque. Mais je vais poursuivre mes recherches. Haut les cœurs ! Tu le publieras, ce bouquin, ma Mimie !
ET VOICI LE COUP DE THÉÂTRE
Cette correspondance entre ton arrière-grand-mère et Ferdinand... eh bien, ce ne sont pas de vraies lettres ! Juste des pages arrachées à un bloc-note, dont j'ai pu voir la souche. Probablement des brouillons pour un roman épistolaire. Madeleine préparait un roman ! Ce qui explique les nombreuses digressions sur la littérature : les parallèles écrivain/lecteur, dominant/dominé, la claustration, la nécessaire coercition du créateur. Il y a aussi quelques considérations sociales, politiques, humanistes, eschatologiques, parfois sous forme de notes... Et puis pas mal de rebondissements quant à l'identité et au statut des personnages, des impostures révélées en cascade (Madeleine est-elle vraiment veuve ? Ferdinand est-il un insoumis en attente du peloton ? Sont-ils en réalité mari et femme, etc.), des boîtes qui s'ouvrent sur d'autres boîtes. Au final, c'est plutôt bien.
Je t'appelle dès mon réveil, pour un topo plus précis.
Pascal, tendrement
PS : J'ai reçu un message du maître. Notre safeword sera désormais : ricochet.
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