CHABEUIL : DES OPÉRATEURS DE TÉLÉPHONIE AU PAYS DES CELTO-LIGURES.
Tiré des archives municipales, le relevé cadastral publié ici pour la première fois, montre une zone archéologique chabeuilloise peu et mal connue. Relevé manuel, mais assez précis, il fait figurer quelques parcelles situées sous et à coté des cimetières protestants et catholiques de Chabeuil, sous leur numérotation de 1968, date de ce courrier (26 septembre 1968). Son auteur est un archéologue averti, notable local bien connu, d'une famille influente, Michel Rouveure, qui écrit au maire de l'époque, René Pasquier et à ses conseillers municipaux. La lettre est longue et déférente, argumentée, précise, soignée ; elle informe que Michel Rouveure vient d'effectuer, à l'occasion du terrassement de la maison Saint-André qui domine la route de Combovin, 'un sauvetage archéologique de cinq sépultures à incinérations (des 2e et 3e siècles après Jésus-Christ)', suivi, informe-t-il d'une 'communication écrite à la circonscription Archéologique Rhône-Alpes des Antiquités historiques'. Aux mêmes archives, on ne trouve cependant trace ni d'une réponse de la Mairie de l'époque, ni d'un courrier de l'institution concernée.
Les chabeuillois connaissent bien le petit chemin, qui prend un raccourci pentu et qui relie dans les sous bois les deux cimetières, protestants et catholiques. Eh bien ce petit chemin est en plein dans la 'zone archéologique' signalée par ce précieux (et inédit dans le débat public) document, qui indique de quatre croix crayonnées de rouge les parcelles où il conviendrait de procéder à des 'sondages prospectifs'.
Intérêt de la découverte de Michel Rouveure : '(ses) observations de ces sépultures (...) m'ont fourni de précieux renseignements et objets, témoins des coutumes funéraires de nos ancêtres Celto-Ligures, en pleine colonisation romaine'. Il entre ensuite dans le détail de ces 'grosses lentilles noirâtres', de ces céramiques, monnaies, os calcinés enfouis entre 1m50 et 2m de profondeur, 'dans le sol marneux loessique, quaternaire, en pente douce vers le Nord, sur le plateau 'des Combes', à côté des cimetières Catholiques et Protestants actuels'. La liste est longue ensuite du 'mobilier funéraire' découvert : vases à offrandes, fioles à porphum (?), monnaies des empereurs antonnains, frappées à Lyon, minuscule bélier sculpté en ronde bosse, tous objets qui 'nous font pénétrer, pour notre archéologue, à plan-pied dans les préoccupations spirituelles de nos ancêtres'.
Mieux encore, et plus largement, Michel Rouveure trace de riches perspectives historiques quant à la connaissance de l'histoire ancienne de Chabeuil : 'ces cinq sépultures 'gallo-romaines' laissent présumer l'existence d'une importante nécropole, aux Combes, et, bien sûr d'un lieu d'habitat organisé correspondant.' Bien sûr.
Tout ceci soigneusement considéré, reportons nous à la carte proposée ici. De l'autre côté de la montée du cimetière, laissant à gauche l'entrée de la maison Saint-André, on lit bien, en rouge : 'zone à surveiller' (sépultures ?)' Soit un secteur compris entre le cimetière protestant (en face) et la bifurcation Drilles-Chabeuil (actuellement Montée des Garennes) face à la parcelle numérotée ici 409.
Cette 'zone à surveiller', de grand intérêt archéologique, pose maintenant un très sérieux problème d'aménagement. Au regard de ce qui vient d'être dit, Chabeuil se prépare à cet endroit à un sinistre gâchis.
En effet, il y a là une parcelle municipale que la Commune de Chabeuil va concéder, sans précaution excessive à de très délicats opérateurs de téléphonie, pour qu'ils y établissent à leur goût et profit deux pylônes relais, afin que la 5G et d'autres réseaux puisse commodément se répandre sur les quartiers situés en contrebas. Première concession, premier pylône au bénéfice des opérateurs SFR et Bouygues, le tout voté à l'unanimité au Conseil municipal de Chabeuil du 28 septembre dernier. A leur décharge, nos conseillers ne connaissaient pas notre affaire celto-ligure qui les eût empêché, à n'en pas douter, de voter leur unanime saccage. Pour dire le vrai, on se souvient que les mêmes conseillers sont arrivés là par surprise en 2022, tous autant qu'ils sont, dans la plus grande des précipitances du dégagisme électoral : ergo ils débarquent et ne connaissent pas la ville, ni ses paysages discrets, ni ses enjeux lourds, ni son histoire. Va donc pour les 3, 4 et 5G et leur pylône afférent dans la zone des cimetières, l'arrière pays chabeuillois, chez des ploucs isolé.e.s, trop peu nombreuses et breux pour moufter. Les débats du 28 septembre faisaient pitié à entendre (voir notre article intitulé Tintouin à Chabeuil) et l'adjoint en charge de l'urbanisme, Gérard Devaux, s'est chargé, avec son habituelle cuistrerie relâchée de nous la faire à l'envers : 'le pylône, on le verra pas du rond point de la fusée (fameuse entrée de ville). Et il sera peint en vert.' Soit : de l'enfumage. Par charité chrétienne, on taira surtout le nom de la conseillère d'opposition (Oui-Oui fait de la politique...) qui, rose de contentement courtisan, a tenu à féliciter le maire de Chabeuil au motif que l'opération va laisser 5000 € de recette à la Commune, au titre des loyers pylônards. Soit peanuts, on est bien d'accord. Personne en tous cas pour mentionner l'intérêt paysagers et écologique d'un quartier (bois du Château, Gontarde (refuge LPO d'importance) qui forme l'arrière pays très promeneur de Chabeuil. Et pas non plus le Groupe Trempil, de gauche et écolo, qui a voté le binz sans barguigner. Unanime, on vous dit.
Mais, comme si ce n'était pas suffisant, la Commune évoque maintenant un deuxième pylône-Devaux, pour faire la place à Free, autre bienfaiteur de l'humanité du même tonneau, à même vocation culturelle et philanthropique. Et sur la même parcelle celto-ligure, dans l'importante nécropole' que signalait Michel Rouveure. Dès lors que Free aura transmis son dossier, la délibération correspondante devrait venir au Conseil Municipal, peut-être dès le 28 mars prochain.
Avant de revenir à notre belle lettre archéologique, deux choses :
-un collectif d'habitants vient d'être crée, dont voici les coordonnées :
[email protected]. Vous les trouverez sur FaceBook à : nuisances-antennes-Chabeuil où ils viennent d'éditer leur premier tract. Ce collectif regroupe des riverains du quartier ; ils ont été mis devant le fait accompli puisqu'ils ont appris l'installation future par la seule pose très récente d'un panneau obligatoire d'information mentionnant une 'déclaration préalable' [DP] de travaux ; ils protestent bien sûr du manque criant de concertation dans cette affaire et trouvent plutôt gonflé que la Commune brade sous leur nez leur cadre de vie en même temps que le patrimoine commun. Ils vont créer une association de sauvegarde et lancer une pétition. Rien non plus sur les nuisances éventuelles...Dès ce matin mardi 5 mars, les premiers habitants du lotissement de l'Orée du Bourg (que domine le site concerné) font crépiter les premiers mails de protestation, truffés de plans à faire peur...Sans compter un collectif de Mirabel-et-Blacons avec lequel ils sont maintenant en contact, soumis dans les mêmes conditions au même largage subreptice de leurs élus. La mobilisation prend forme.
-lundi 4 mars, dans l'après midi, coup de fil d'Alban Pano, maire de Chabeuil, à votre Bachass'Club favori où il défend véhémentement l'arrivée des opérateurs dans le secteur. Il proteste au passage de ce 'populisme' qui consiste à dénoncer l'inaction des élus en ces matières de déploiements d'antenne et renverse même l'argument de la nécessaire protection des chabeuillois : '...mais justement, je protège les chabeuillois qui ont besoin de réseau. Ces antennes répondent à une demande.' Monsieur le maire fait aussi grand cas de cette 'obligation de couverture du territoire' qui est faite aux opérateurs, à quoi il lui semble très difficile de s'opposer, pour une collectivité. Il enchaîne avec cette justification ultime : 'si ce n'est pas la Commune qui favorise le projet, sur une parcelle communale, les opérateurs vont se tourner vers les privés, ce qui sera pire.' Ce qu'Alban Pano appelle une protection 'a minima'. Quant à l'argument archéologique, il ne le connaît pas, mais semble considérer qu'il s'agit là d'un 'élément nouveau', qu'il pourrait prendre en compte comme tel.
Retour maintenant au passionnant topo archéologique de Michel Rouveure qui rapporte dans son développement une autre anecdote de fouilles, qui lui semble élargir très sensiblement la zone d'intérêt archéologique, à un espace bien plus vaste, toujours sur cette fameuse colline de la Gontarde. En effet, il rappelle un autre chantier : 'lorsque monsieur Costa creusa, il y a de nombreuses années, une fosse, chez lui, au Monestier [au surplomb du transfo, situé à droite en montant route de Combovin, face à la sortie de la passerelle nord], il trouva sans y porter plus d'attention, les mêmes indices archéologiques.' Ce qui amenait Michel Rouveure à conclure qu'au 'Monestier et dans les prairies environnantes, sous le cimetière catholique et près du cimetière protestant, sur ce plateau continuant celui des sépultures, se situe, soit la nécropole, soit de façon plus plausible, l'habitat lui-même. Ce serait-là l'antique 'Cabéolum' de la tradition'.
L'antique Cabéolum, ce n'est pas rien, tout de même. A tout le moins, il convient maintenant de vérifier ces hypothèses, de leur accorder quelque attention, de confirmer et réactualiser ces trouvailles, de les confronter bien sûr avec les progrès considérables de l'archéologie contemporaine. Pas sûr par exemple qu'on puisse encore dénommer 'celto-ligures' ces ancêtres des chabeuillois...Mais bon, ça vaut le coup d'interrompre, ou de repousser, les pelleteuses de nos affairés et trépidants téléphonistes. Pour ce faire, pour laisser à nos morts anciens le temps de se retourner dans leurs antiques sépultures, il faut maintenant alerter les services archéologiques de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (l'État) pour leur demander la protection qu'Alban Pano ne sait pas, pour l'heure, leur apporter. C'est à quoi va s'employer ces jours-ci le collectif dont on parlait plus haut.
La lettre de Michel Rouveure est en tout point remarquable, manifestant tout au long une hauteur de vue qui fait plaisir à lire, qu'il conclut en signalant tout le bénéfice qu'il y aurait pour Chabeuil à exploiter ses trouvailles archéologiques : 'le potentiel culturel et intellectuel ainsi que le dynamisme local pourront trouver un riche ferment pour le regain de vie chabeuilloise qui se fait jour depuis quelques années'. Sa formule de conclusion vaut par la qualité d'un civisme de très bon aloi, à méditer : veuillez agréer, monsieur le maire de Chabeuil et messieurs les conseillers municipaux, l'expression de mon plus complet dévouement, tant à Chabeuil DONT VOUS ÊTES LES MANDATAIRES (c'est moi qui souligne...) qu'à la science archéologique que j'espère ainsi servir de mon mieux'. La hauteur de vue, contre la hauteur d'antenne. On se prend à rêver...
claude meunier
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