Tumgik
alexesworld · 3 years
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Ceux qui partent et ceux qui restent
Chapitre 6: Vérité ou conséquence
~16 ans ~
Le quatre mai 2015, un lundi, Benjamin fêtait ses seize ans. Les gars de son équipe de soccer avaient décoré son casier avec une banderole rose « Sweet sixteen » qu’ils recyclaient depuis le début de notre quatrième année au secondaire et des ballons rose brillant. Ils seraient forcés, comme à chaque anniversaire, de l’enlever avant l’heure du dîner, mais ce n’était pas ça qui les empêcherait de traiter le fêté en roi toute la journée. On peut dire beaucoup de choses sur les groupes d’amis, mais la seule chose qu’on ne peut leur enlever, c’est leur amour profond les uns des autres. Il s’exprime peut-être à coup d’insultes, de mauvais coups et de « big » bien sentis, mais je ne crois pas qu’il existe quelque chose de plus pur qu’une réelle amitié entre garçons dans une école secondaire.
Vincent Asselin, capitaine de l’équipe de soccer et meilleur ami de Benjamin, m’avait chargée du gâteau – forêt noire – le préféré de Benjamin que j’avais passé mon dimanche à préparer avec ma mère. Elle ne m’a rien dit, mais je sentais qu’elle avait envie de me poser des tonnes de questions. Ben et moi avions passé une bonne partie de notre été ensemble, parfois avec Camille, parfois avec Vincent et parfois seulement tous les deux. J’aimais le Benjamin d’été, celui qui passait ses journées en maillot de bain au cas où l’envie lui prendrait de sauter dans la piscine, celui qui était passé des agrumes masculins à la papaye et à la noix de coco de la crème solaire, celui qui avait laissé pousser ses cheveux pour se donner un style de surfeur californien et celui qui m’invitait à le regarder arbitrer des parties de mini-soccer juste pour pouvoir aller manger une crème glacée trempée chocolat-peanuts après. Il y a ce phénomène, chez les garçons, qui dit qu’au retour des vacances d’été, certains reviendront complètement transformés. Leur voix se sera stabilisée, au revoir les élans aigus lors d’envolées dramatiques, ils auront assez grandi pour dépasser les filles de trois têtes et leurs bras ne seront plus de simples baguettes chinoises, mais leurs biceps seront garnis de cette petite colline caractéristique des hommes adultes. Cette transformation-là, Benjamin l’a eu au retour de ses deux semaines au camp de perfectionnement de soccer. Sans être un homme, son visage contenait beaucoup moins de traits enfantins. Adieu joues rondes et bonjour pommettes saillantes. Il avait toujours été beau, mais il n’était plus simplement joli, il était attirant. Vincent aussi d’ailleurs. Et ça n’a pas échappé à Camille qui réservait désormais ses plus beaux bikinis pour les rares fois où nous allions tous les trois, elle, Ben et moi, nous baigner chez Vincent.
J’ai donc transporté mon gâteau dans l’autobus, puis dans le deuxième puis à travers toute l’école jusqu’à la salle des profs où le coach Greg avait promis de nous fournir un accès au réfrigérateur jusqu’à l’heure du dîner. Dîner où j’ai appris – trois semaines après les autres – que Benjamin organisait un party pour sa fête le samedi suivant.
- Tu l’avais pas invitée, gros épais? a demandé Vincent.
- Elle serait la seule fille, je savais pas si ça l’intéresserait.
- Ben, invites-en d’autres! Sabine, Florence, Kimberly, Mathilde, son amie Camille, etc. Si t’es pour faire un party, fais-en un qui a de l’allure.
C’est comme ça que Sabine, Florence, Kimberly, Mathilde, mon amie Camille, plusieurs autres et moi avons été invités au seizième anniversaire de Benjamin Hervieux.
Le stress de choisir la bonne robe avec les bons souliers, le bon maquillage avec le bon parfum était beaucoup plus intense que jamais auparavant. Camille et moi sommes allées magasiner jusqu’à Laval pour trouver le bon ensemble. Chic, mais pas trop Noël, révélateur, mais pas trop aguicheur, et juste assez nous.
Il faisait noir dans le sous-sol de la maison à étage des Hervieux. Seules quelques lampes allumées dans les coins fournissaient un peu de luminosité. La musique était forte, beaucoup trop forte. Le quartier au complet devait entendre le dernier album de Drake au point de pouvoir apprendre les paroles. Tout le monde était là, de l’équipe de soccer à celle de hockey élite AAA, de la troupe de théâtre aux étudiants au programme international. Même quelques étudiants en science et en robotique, ceux qui aidaient les autres avec leurs devoirs, avaient été invités. Il y avait une table avec des bols remplis de croustilles, de bonbons, de popcorn et même un avec des crudités, mais le bol que tous les invités s’arrachaient, c’était celui rempli d’un liquide rouge avec des tranches d’agrumes au fond. C’était fort, mais pas autant que celui qu’avait fait ma mère pour mon anniversaire. « T’as pas vraiment eu seize ans si t’as pas fini la tête dans le bol de toilette. » Ou, dans le cas de plusieurs des invités de la soirée de Benjamin, la tête au milieu de la haie de cèdres.
C’était une belle soirée, sans plus, jusqu’à ce que Vincent décide qu’il était temps de jouer à un jeu. Vérité ou conséquence a gagné le vote du public malgré mes suggestions de boulette et de Scattergories. Tous assis en cercle, certains sur les divans, d’autres par terre, une bouteille d’alcool fort au milieu pour décider qui allait commencer, les mauvaises décisions nous sont tombées dessus.
- Ben, vérité ou conséquence? a demandé Noémie, une des amies de Sabine et une des filles les plus cool de l’école.
On en était à notre troisième tour et comme presque toutes les conséquences consistaient à boire un shooter de vodka, nous étions tous un peu – beaucoup – saouls.
- Vérité.
- Sur qui t’as un crush?
Même moi, assise de l’autre côté du cercle, j’ai vu les joues de mon ami rougir. Son regard s’est dirigé vers moi avant de répondre.
- Sur personne.
- C’est vérité ou conséquence, Benjamin. Il faut que tu sois honnête.
- Conséquence d’abord.
Vincent a essayé de s’interposer devant Noémie en tendant la bouteille presque vide qui, selon moi, sentait le dissolvant à vernis à ongles, à Benjamin, mais elle l’a repoussé d’une main.
- Embrasse la nouvelle. Sur la bouche.
La nouvelle. C’était moi ça, la nouvelle. Noémie et plusieurs autres élèves n’ont jamais pris la peine d’apprendre mon nom. Je suis restée la nouvelle jusqu’à la remise des diplômes.
- C’mon, Noé, a dit Sabine, c’est chien.
Mais Noémie n’a rien voulu entendre. Benjamin s’est donc levé, il a marché vers moi et s’est arrêté à un centimètre de mon visage. Avant même qu’il n’ouvre la bouche, j’ai senti le mélange du punch rouge de Vincent et de la vodka. Ses lèvres brillaient du sucre contenu dans tout ce qu’il avait mangé et ses pupilles étaient aussi dilatées qu’une pièce d’un sou. Je sentais mon cœur battre jusque dans mes talons. Il n’avait jamais été si proche de moi. Personne n’avait été si proche de moi depuis mon bisou avec Julien Langlois en sixième année. Je l’ai revu, dans son maillot de bain jaune près de la piscine chez Vincent, dans ma chambre, couché sur mon lit après qu’on ait écouté le dernier film de Star Wars, sur le terrain de soccer courir après le ballon avec Vincent ou, sur un terrain beaucoup plus petit, avertir Timothy, cinq ans, qu’il n’avait pas le droit de pousser Eliott pour lui voler le ballon. Je l’ai revu m’apporter des bonbons la semaine dernière après mon examen de math pour me féliciter. Et je l’ai regardé, là, debout devant moi, me dépassant d’une tête et j’ai eu envie que Benjamin soit encore plus proche.
- On peut faire semblant si tu veux. Je peux t’embrasser sur le coin de la bouche, personne verra la différence.
- Non, embrasse-moi pour vrai.
J’avais raison, ses lèvres étaient sucrées. J’ai même goûté les jujubes aux pêches et les M&M quand sa langue s’est frayé un chemin jusque dans ma bouche. La vodka aussi qui, soudainement, ne goûtait plus aussi mauvais.
Ça s’est fait tout doucement, entre Ben et moi. La transition d’ami à beaucoup plus, était aussi douce que lui. Au lieu de simplement marcher près de moi en attendant l’autobus, il me tenait la main, ses doigts emmêlés aux miens. Il me donnait un bisou sur la joue en venant s’asseoir près de moi à la cafétéria, me chuchotait qu’il me trouvait jolie quand il débarquait chez moi le samedi matin pour qu’on fasse nos devoirs. Ça n’a jamais été bizarre, ça s’est fait naturellement. Ce n’est que l’été entre notre quatrième et notre cinquième année au collège que j’ai osé lui demander ce qu’il aurait répondu à la question de Noémie.
- Toi, j’ai eu un gros crush sur toi dès que je t’ai vu dans le cours de monsieur Drouin. Toi, ça a changé quand pour toi?
- Quand tu es revenu de ton camp de soccer. Je t’ai trouvé très beau.
C’était quétaine, mais ça résumait bien notre relation. Et ça écœurait bien Noémie et toutes les autres filles qui m’enviaient.
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alexesworld · 3 years
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Ceux qui partent et ceux qui restent
Chapitre 5: Le projet d’inclusion historique
Je n’ai reparlé à Benjamin Hervieux qu’un mois plus tard. Il avait neigé la semaine d’avant et le mur contre lequel était accoté mon bureau était aussi froid qu’un glaçon. À la fin de son cours – le dernier de la journée – monsieur Drouin nous a parlé du projet de fin d’étape : le projet d’inclusion historique. En équipe de deux, nous allions devoir choisir une période historique, la décrire et trouver les impacts sur notre société actuelle.
- À votre grande déception, j’en suis sûr, c’est moi qui formerai les équipes.
Personnellement, j’étais heureuse. À entendre les autres soupirer, je devais être la seule, mais comme je n’avais aucun ami dans mon cours d’histoire, monsieur Drouin m’évitait un moment humiliant. Il s’est positionné devant les deux premières rangées, la mienne et celle de Benjamin, et a claqué ses mains ensemble.
- Première rangée, regardez à gauche. Deuxième rangée, regardez à droite. Voici votre partenaire. Dites-vous bonjour.
Et il s’est éloigné vers les rangées trois et quatre pour recommencer le processus. Je regardais Benjamin qui, pour une raison qui m’échappait, persistait à venir à l’école en bermuda malgré le vent glacial qui pénétrait dans l’école. Même moi, j’aurais aimé pouvoir troquer mes collants contre une paire de pantalons. Je le regardais et il m’a souri exposant sa dent. Sa main droite s’est levée pour me saluer.
- Salut.
- Salut, je suis content d’être avec toi. On va faire une belle équipe.
Il avait raison. On allait faire une bonne équipe.
Pendant les trois semaines qui ont suivi, celles avant le congé des fêtes, je passais tous mes moments libres avec Benjamin. Assis au fond de la cafétéria avec des chocolats chauds sur l’heure du midi, debout autour de nos bureaux qu’on avait collés pendant le cours d’histoire pour faire nos pancartes et choisir nos photos, dehors près du débarcadère des autobus alors qu’il attendait mon transfert jusqu’à Joliette près de moi en me parlant de ce qu’il avait lu sur tel ou tel sujet qu’il disait « obligatoire à inclure dans notre présentation. » Pendant trois semaines, j’ai appris à connaître Benjamin Hervieux, son amour du soccer qui l’avait amené au collège, la façon qu’il avait de regarder vers le ciel quand il expliquait quelque chose ou essayait de formuler une phrase, le fait qu’il gardait toujours une barre tendre au chocolat dans son casier au cas où il y aurait une tempête et qu’il serait coincé à l’école, sa passion pour Star Wars et pour Le seigneur des Anneaux. Il me parlait de ses deux sœurs qui lui avaient montré comment faire des tresses et comment parler aux filles, de son père pédiatre qui adorait faire des blagues et de sa mère qui faisait tout elle-même, du pain jusqu’au savon pour la vaisselle. Je lui ai parlé de ma mère, de Camille, de mon père absent depuis mes six ans. Il a été le deuxième, après Camille, qui ne me connaissait pas à l’époque à connaître l’histoire de son départ et à comprendre pourquoi je suis incapable de manger une sandwich aux œufs depuis.
Après Sabine, Benjamin était mon meilleur ami au collège et après Camille, mon meilleur ami tout court. Il apportait toujours des bonbons quand on allait avoir du temps pour travailler sur notre projet pendant le cours d’histoire et même après, « juste parce que ça lui tentait. » Je me suis rapidement habituée à sa dent surélevée et à l’odeur de bas qui le suivait après une pratique de soccer ou un cours d’éducation physique. J’avais trouvé un ami qui m’avait fourni une place dans un milieu qui m’était solitaire jusqu’alors.
- Pourquoi tu as été transférée au collège? Je sais pas pourquoi je te l’ai jamais demandé.
Notre présentation avait lieu le lendemain à la première période. On avait presque fini, il ne nous restait plus qu’à nous pratiquer. Je connaissais ma partie par cœur, évidemment, mais Benjamin était plus du style à connaître les grandes lignes et improviser ce qui me frustrait au plus haut point.
C’était la troisième fois qu’il venait chez moi donc qu’on prenait l’autobus jusqu’à Thérèse-Martin, qu’il voyait Camille qui prenait l’autobus voisin du mien et qu’il embarquait dans mon autobus, celui que je prenais depuis mon transfert en deuxième année. C’était la troisième fois qu’il faisait quarante-cinq minutes d’autobus alors qu’aller chez lui en prenait vingt. C’était la troisième fois qu’il entrait dans ma maison, mais la première fois qu’il venait dans ma chambre. Ma mère avait invité son amie Claude et, comme à leur habitude, le vin les avait rendues bruyantes et ricaneuses. Surtout qu’elles avaient quelque chose à fêter, ma mère venait tout juste d’acheter la garderie où elle travaillait depuis mes un an. L’ancienne propriétaire avait toujours beaucoup aimé ma mère et son histoire alors, avant de prendre sa retraite, elle lui avait vendu moins cher que sa valeur normale. J’avais donc entraîné Benjamin, nos trois pancartes et notre PowerPoint jusqu’au deuxième étage. Le voir dans ce nouvel environnement avait changé quelque chose chez moi. Il était simplement assis sur ma chaise de bureau, à tourner sur lui-même en lançant dans les airs une balle qu’il avait trouvée sur le terrain de l’école ce matin-là avant de la rattraper. Il touchait à mes crayons, à mon ordinateur. Il avait frôlé les affiches sur le mur derrière mon lit du bout des doigts et s’était accoudé sur les barreaux de mon lit. Il était là et je ne savais pas si j’allais pouvoir effacer sa présence une fois que sa mère serait venue le chercher dans leur mini fourgonnette marine.
- J’ai gagné génie en herbe en secondaire deux et ils m’ont offert une bourse. J’aurais aimé rester à Thérèse-Martin, mais c’était trop une belle opportunité.
- Mais comment ils ont fait pour te trouver? C’est rare qu’ils recrutent dans des écoles secondaires, c’est plus au primaire d’habitude.
Il était rempli d’une logique et d’une perspicacité à un âge où tout le monde se contente de prendre ce qu’on leur dit pour la vérité sans chercher à voir plus loin. C’était rafraîchissant.
- J’ai une note à mon dossier : intelligence supérieure, voir direction pour plus d’informations.
Benjamin l’a pris comme une blague et je n’avais pas envie de lui expliquer. Pas maintenant. Peut-être plus tard, quand il allait me connaître assez pour ne pas me juger.
- C’est vraiment bizarre.
Sa mère, réglée comme une horloge, est venue le chercher à vingt et une heures précise. Je l’ai regardé monter dans la mini fourgonnette et j’ai suivi la voiture des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse au bout de la rue. Quand je suis remontée dans ma chambre, après avoir dit bonjour à Claude et pris ma douche, il y avait quelque chose de changé. Tout était à sa place, rien ne manquait et rien ne s’était ajouté, mais l’air était différent. Il était chargé du parfum de bonbon qui trahissait le passage de Benjamin et de l’odeur du shampooing et gel douche trois en un « au parfum masculin d’agrume de verdure et d’ambre » d’Adidas qu’il utilisait lorsqu’il prenait sa douche à l’école. J’avais volé la bouteille dans son sac un midi où il était venu me rejoindre à la cafétéria après une pratique juste pour voir ce qu’il utilisait. Le trois en un m’avait fait frémir, mais il n’en avait pas fait de cas. Dans ma tête, Benjamin Hervieux allait toujours sentir les agrumes masculins, la verdure et l’ambre, peu importe ce que ça sent l’ambre, même après qu’il ait cessé de l’utiliser.
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alexesworld · 3 years
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Ceux qui partent et ceux qui restent
Chapitre 4: Benjamin
~ 15 ans ~
- Tu t’en vas en quoi? m’a demandé Sabine alors que je prenais mes manuels dans notre case, située au bout d’une rangée ce qui nous garantissait un accès prioritaire à la salle de bain et nous fournissait un peu d’espace.
- Histoire. Toi en français?
Je lui ai demandé sous la forme d’une question même si je savais très bien que j’avais raison. Trois mois après le début de notre troisième année au secondaire, je connaissais son horaire par cœur. J’ai rencontré Sabine lors de la journée d’accueil du mois d’août. Elle avait les cheveux longs jusqu’aux fesses grâce, je l’apprendrai lors de la première semaine de cours, à des rallonges. Elle avait associé la jupe carreautée réglementaire au polo rouge alors que j’avais choisi le blanc. Le sien avait l’air neuf alors que j’avais acheté les miens usagés. Elle était la seule élève de troisième secondaire à n’avoir aucun partenaire de casier à la rentrée alors on nous avait jumelées. Ça m’avait fait peur, avant de la rencontrer, je ne voulais pas être associée à une fille sans amis dès ma première journée dans ma nouvelle école, mais Sabine était tout sauf une fille rejetée par les autres. Étudiante en théâtre, tout le monde la connaissait comme étant celle qui avait ébloui tous les élèves dans son rôle de Lucile dans Le Bourgeois gentilhomme de l’année dernière. Ses nombreuses semaines passées au camp d’art dramatique Centauri Summer Arts Camp à Toronto lui avaient fait manquer la date limite pour inscrire son partenaire.
- Ouais, il faut juste que je me remette un peu de parfum avant. Je suis à côté de Simon dans ce cours-là.
Notre case entière sentait le parfum de Sabine, c’est-à-dire les baies, la vanille avec un fond de citron et de pêche. Sabine disait à tout le monde qu’elle avait la même odeur que Taylor Swift malgré mes protestations. « Ce n’est pas parce que c’est elle qui l’a créé qu’elle le porte. » Sabine était une Swiftie pure et dure. Pas un mot négatif n’était toléré sur le passage de la chanteuse au pop. Taylor Swift était la reine de la country et elle allait réinventer la pop. Au moins, son parfum me faisait oublier l’odeur de vieux qui imprégnait les murs du collège. En arrivant chez moi le soir, ma mère m’envoyait me laver pour enlever les boules à mites qui collaient à ma peau.
- On dîne ensemble? je lui ai demandé en essayant de ne pas trop avoir l’air désespérée.
Même si Sabine m’avait présenté ses amies de théâtre, je n’avais toujours pas l’impression d’avoir ma gang à moi où je me sentais acceptée et où je pouvais tout dire. J’avais laissé Camille à la polyvalente et je m’ennuyais d’elle un peu plus chaque jour. Sabine a hoché la tête et la voyant sortir son flacon rond, mauve avec de petites breloques or autour du capuchon, je me suis empressée de partir vers les escaliers même si je savais très bien que j’allais arriver très en avance à un cours déjà trop long.
Lennie le stupide et George le leader me tenaient compagnie depuis trois jours. Je l’avais déjà lu, mais comme j’allais devoir l’analyser pour mon cours de français, je me suis replongée dans l’œuvre de Steinbeck avec plaisir. M’imaginer un homme aussi grand et costaud que Lennie s’occuper de petits lapins me faisait sourire à tous les coups.
- Toi aussi t’as madame Sabourin en français? a demandé une voix que je ne connaissais pas.
Il avait les cheveux bruns courts avec une partie un peu plus longue sur le dessus. Contrairement aux autres garçons de mon âge, il avait déjà pris un peu de masse musculaire et sa voix était plus grave. Il s’appelait Benjamin Hervieux, je le savais parce que, le premier jour, j’avais regardé tous les visages lors de la prise de présence. Tous les noms de tous mes camarades étaient imprimés dans mon cerveau à jamais. Mais au milieu de tous ces noms qui se mélangeaient, celui de Benjamin Hervieux était plus clair. Peut-être parce qu’il était assis à côté de moi où qu’il était aussi dans ma classe d’éducation physique et dans celle de math.
- Ouais, je suis chanceuse, j’ai déjà lu tous les livres obligatoires.
Je me suis tapée sur la tête longtemps pour avoir dit ça. Ça me faisait passer pour une intello qui lit beaucoup trop pour avoir des amis.
- T’es nouvelle, hein? T’allais où avant? il a demandé après mon hochement de tête.
Il n’arrêtait pas de sourire et chaque fois, mon regard se portait sur sa dent du haut à gauche de ses palettes qui était un peu surélevée. Pas assez pour mériter des broches, mais juste assez pour que ça paraisse.
- Thérèse-Martin à Joliette.
- Mes cousins vont là. Ils sont en secondaire 5.
Il s’est passé la main dans les cheveux comme s’il regrettait son commentaire.
- Est-ce qu’ils frenchent accotés sur les cases?
- Je sais pas, pourquoi?
C’était mon tour d’être gênée. Parce que lors de ma visite de l’école en sixième année, Camille et moi, on avait vu des élèves s’embrasser sur une case, ça définissait l’expérience de la polyvalente? Parce que j’aurais aimé ça avoir la chance d’embrasser un gars alors que son dos serait posé sur le métal gris et froid de son casier? Parce que c’était interdit, à ma nouvelle école de se rapprocher d’un élève du sexe opposé?
- Pour rien, oublie ça.
La classe s’était remplie pendant notre conversation et monsieur Drouin avait pris sa place en avant de la classe. Vincent Asselin, assis au troisième rang complètement au fond, a appelé Benjamin, et mon voisin est allé le rejoindre jusqu’à ce que la cloche sonne.
La décision de changer d’école n’avait pas été facile. Pour une des premières fois, je me suis chicanée avec ma mère.
- Pourquoi, maman? Pourquoi maintenant tu les laisses me changer d’école alors que tu voulais pas quand j’étais petite?
- Parce que c’est pas pareil, ils voulaient te mettre avec des élèves trois ans plus vieux que toi alors que là c’est juste pour te donner une meilleure éducation. Gratuite en plus.
- Dans un collège privé qui veut de moi juste parce que je gagne les concours de sciences.
Camille et moi avions gagné un concours de génie en herbe ce qui avait attiré l’attention sur moi comme j’avais répondu à plus de la moitié des questions. Un collège privé m’a offert une bourse complète et je n’arrivais pas à me décider.
- Écoute, c’est toi qui décides. Si tu veux rester à la polyvalente, c’est ton choix, mais je pense que tu veux aller au collège, mais que ça te fait peur.
Elle avait raison, j’ai donc décidé de changer d’école et soudainement en regardant Benjamin Hervieux la décision semblait logique. 
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alexesworld · 3 years
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Ceux qui partent et ceux qui restent
Chapitre 3: Julien
~12 ans ~
Le bal des finissants de sixième année. Le gymnase de l’école primaire Dominique-Savio avait été savamment décoré en utilisant chaque sou de l’énorme budget de cent dollars accordés au comité du bal. Bleu et blanc. Tout était soit bleu soit blanc. Des bouquets de ballons bleus près de la porte d’entrée, des blancs près des tables du buffet confectionné par madame Ruth et madame Simone, les enseignantes de sixième année. Des nappes blanches aux tables paires et bleues aux impaires, des napkins bleus aux tables à nappe blanche et vice-versa. Une boule disco que Marjolaine Dubuc avait chez elle – une survivante de son anniversaire qui avait vu la première brosse de beaucoup d’entre nous – tournait au plafond, réfléchissant ses petits carrés argent sur les murs jaune et orange que même le meilleur lavage n’avait réussi à décrasser. Et une odeur de dossards sales et de souliers de courses appartenant à des jeunes au bord de la falaise de la puberté qu’une bouteille de Pine Sol à la lavande – fournie par la mère de Marjolaine Dubuc – n’avait pu enlever.
Ma mère m’avait acheté une robe bleue à fleurs jaunes avec des bretelles spaghettis. Exception avait été faite à la règle des trois doigts par bretelle pour la soirée et on avait l’intention d’en profiter. On avait passé un gros trente minutes à se préparer dans la salle de bain, Camille et moi. Ma mère nous avait mis du mascara et de l’eyeliner qui me piquait les yeux et du gloss aux cerises que je ne pouvais m’empêcher de licher. Il goûtait la slush rouge dont je m’étais empiffrée l’été d’avant.  
- OK, écoute-moi, je vais être là si tu as besoin de moi, mais si ce n’est pas le cas, je ne te connais pas et tu ne me connais pas. Je ne veux pas que tu te sentes observée, OK, ma chouette?
Ma mère avait accepté de chaperonner l’évènement comme elle n’avait pas effectué d’heures de bénévolat pendant mon passage à l’école primaire. J’ai hoché la tête et lui ai fait un câlin. Pas beaucoup de mères auraient laissé leur fille de douze ans faire ce qu’elle veut à son bal des finissants et je le savais.
Julien n’avait pas été dans ma classe depuis la troisième année. Il avait beaucoup grandi depuis et il avait fait couper ses cheveux qui, à l’époque lui arrivaient aux épaules. L’enseignante, madame Marie, l’appelait tout le temps « petit bum » insulte que je ne comprenais pas. Ça avait peut-être un lien avec le fait qu’il venait à l’école en skateboard ou qu’il confondait ses « des » et ses « dès. » Erreur qui n’a jamais fait de sens chez moi. C’est peut-être pour ça que la professeure nous avait assis à côté en revenant des vacances de Noël, pour que je puisse l’aider, ou peut-être pour l’éloigner de ses amis du fond de la classe. Dès, qu’elle lui posait une question, il répondait « je sais pas » même quand la question était sa date de naissance. Julien avait été habitué tôt à ne pas se faire confiance quand il était question d’école, mais en dehors c’était un cool. Marjolaine Dubuc et sa gang de filles qui venaient à l’école en voiture et non en autobus le suivaient partout du skate park où il allait après l’école jusqu’au dépanneur pour s’acheter des réglisses rouges. Camille et moi allions aussi au dépanneur, pas pour Julien Langlois, mais pour Carl le caissier qui devait avoir une vingtaine d’années. Il représentait l’égal de Troy Bolton et de Nick Jonas et pas seulement parce qu’ils avaient le même âge, c’est-à-dire beaucoup plus vieux que nous. Carl le caissier représentait l’exotisme amené seulement par la perspective d’un futur auquel nous rêvions : celui de pouvoir fréquenter des garçons de son âge.
La fin du primaire est une étape bizarre du développement humain. Les filles – en grande majorité – avaient déjà remarqué des changements corporels et hormonaux : les seins qui nécessitent l’achat tant redouté de la première brassière, les hanches qui enflent qui font passer du rayon enfant au rayon jeune femme, les poils qui nous dégoûtent et les règles qui nous font détester absolument tout et tout le monde. Et, de l’autre côté, il y a les garçons qui ne voient rien changer avant encore deux ou trois ans pour les plus chanceux. Pour les autres, et c’est souvent ceux pour lesquels la puberté est la plus délicieuse, doivent attendre leur quinzième ou même leur seizième anniversaire avant de voir le moindre signe du passage à l’âge adulte. Julien, quand j’y repense, n’avait rien d’exceptionnel. Il portait toujours des casquettes à l’envers et des souliers de skateur. C’est peut-être pour ça que, lorsqu’il est entré dans le gymnase bleu et blanc vêtu d’un pantalon de costume, d’une chemise blanche et d’un nœud papillon avec les cheveux coiffés en arrière avec du gel, toutes les filles – même celles qui n’avaient jamais regardé un garçon autrement qu’en ami – ont eu leurs premiers papillons.
- Est-ce que c’est Julien Langlois? m’a demandé Camille.
J’ai hoché la tête, incapable de détacher mes yeux du nœud papillon. Personne ne s’était habillé aussi chic que lui. La plupart des garçons portaient un t-shirt et quelques-uns une chemise ouverte sur un t-shirt, mais aucun n’avait opté pour le costume, pas même Yohan ou Emeric, les meilleurs amis de Julien. Marjolaine Dubuc et ses amies se sont immédiatement dirigées vers lui, me faisant perdre mon point d’observation et mon espoir qu’il remarque ma robe bleue et ses fleurs jaunes qui allaient si bien avec la couleur de son nœud papillon.
- Allez viens, on va aller se chercher quelque chose à manger avant de danser.
Je n’ai plus pensé à Julien Langlois, assis à une table derrière la mienne, tout le temps où je me suis nourrie de petits fours aux épinards de chez Costco – un choix audacieux pour des jeunes de douze ans – et de crudités trempées dans la trempette mayo-ketchup trop forte en ketchup à mon goût. De temps en temps, on entendait Marjolaine rire trop fort pour un gymnase aussi écho, mais nous aussi on riait donc on l’oubliait assez vite surtout que, comme elle aimait s’en vanter, elle déménageait à Terrebonne au courant de l’été pour aller étudier au Collège Saint-Sacrement. Dans deux petites semaines, on n’allait plus jamais entendre parler de Marjolaine Dubuc et c’était parfait comme ça. Camille et moi étions inscrites à la polyvalente dans la concentration science et on était très excitées. Il y avait de l’action dans les polyvalentes contrairement aux collèges privés : des deals de drogues, des frenchs sur les casiers, des bagarres dans le stationnement, un coin pour les fumeurs au coin de la rue, un dépanneur avec, s'il vous plaît, un autre Carl, et la nouvelle concentration basket qui, nous l’espérions beaucoup, nous amènerait de beaux spécimens à étudier.
- Je vais aller me chercher des guimauves dans le chocolat, j’ai annoncé à ma tablée composée de Camille, Joanie, Sarah et Kim, toutes inscrites dans la même concentration à la polyvalente.
Elles ont toutes hoché la tête et demandé que je leur en rapporte. La table des desserts était beaucoup plus fournie que la table des repas principaux : des fruits de toutes sortes des fraises aux ananas en passant par les kiwis et les bananes, des guimauves et même des bonbons et des jujubes accompagnaient la fontaine de chocolat qui avait gobé environ la moitié du budget. Comme tout le monde mangeait encore des crudités ou passait le temps en « dansant » c’était le moment d’avoir la sélection de dessert que je voulais. J’ai toujours été plus sucrée que salée, mangeant des brownies avec les points de couleurs sur le dessus à la tonne, mais délaissant les chips et le popcorn. Je suis passée devant les bananes et les kiwis, j’ai pris quelques fraises et j’ai vidé presque la moitié du sac de guimauves dans mon assiette avec cinq bâtons en bois.
- Tu vas tout manger ça?
La voix venait de derrière. J’en étais sûre, une fois qu’une personne est allée à la table des desserts, tout le monde y va. Les humains sont comme des petits agneaux qui fuient le chien berger. Mais il n’y avait qu’une personne derrière moi quand je me suis retournée : Julien Langlois et son nœud papillon bleu. Il me souriait me montrant ses dents qui seront habillées de broches pendant les cinq prochaines années. Il avait beaucoup changé depuis que je lui avais montré la différence entre « à » et « a ». Plus grand, mais toujours aussi maigre, plus mature, mais toujours aussi espiègle. Est-ce qu’il se souvenait du truc que je lui avais montré pour conjuguer ses verbes en « er » ? Est-ce qu’il pensait à moi dès qu’il se demandait si c’était mordre ou mordu? Ou est-ce qu’il avait changé pour bâti et bâtir?
- Tu penses que je suis pas capable?
Je ne sais pas pourquoi je ne lui ai pas dit qu’elles étaient aussi pour mes amies, mais j’étais fière de moi quand il a posé son coude près des kiwis et a dit qu’il me mettait au défi. Ma mère m’avait préparé pour ça, des centaines de samedis soir devant la télé à regarder tous les Harry Potter ou une saison complète de Grey’s Anatomy, soirées où manger des guimauves, du popcorn et des jujubes trempés dans le chocolat remplaçaient le souper à la perfection.
- Il faut faire des brochettes avant. Guimauve, fraise, guimauve et on la trempe dans le chocolat. Là on peut les manger.
- OK, je t’aide et après on les mange le plus vite possible.
Son bras est passé devant moi pour prendre les bâtonnets de bois dans mon assiette, laissant une odeur de parfum que j’avais déjà sentie de loin. C’était une marque très populaire chez les garçons et tous en portaient une variante, mais les touches de lavande dans celle de Julien étaient mes préférées. Il était drôle, en essayant de mettre plus de guimauve ou de glisser une banane dans sa brochette.
- Mais si moi j’aime plus les bananes que les fraises?  
- Alors t’es bizarre. Et les bizarres ne mangent pas de brochettes trempées dans le chocolat avec moi.
C’était une blague risquée pour deux jeunes de douze ans. Le sarcasme n’est pas très développé à cet âge-là, mais Julien, en riant, s’est contenté de reposer la banane où il l’avait prise. Ça m’a fait drôle de penser qu’il voulait vraiment passer du temps avec moi au point de laisser tomber son fruit préféré.
- Les enfants, allez manger à la table, s'il vous plaît, les autres ont droit de prendre du chocolat eux aussi, a chuchoté madame Simone, mon enseignante.
Julien a attrapé l’assiette maintenant remplie de brochettes trempées dans le chocolat jusqu’à une table vide. En marchant, j’ai vu ma mère me regarder puis détourner les yeux quand nos regards se sont croisés. Elle souriait, je l’ai vue, et ça m’a fait sourire moi aussi. Je me suis assise en premier et il s’est assis à côté de moi et non en face. Si je bougeais ma jambe vers la droite, ma cuisse touchait la sienne. Je sentais mes joues bouillir simplement en y pensant. Est-ce que Camille me voyait, assise avec Julien Langlois en train de nous séparer les brochettes de guimauves en deux piles égales? Est-ce qu’elle était fière, étonnée, jalouse? Elle l’avait toujours trouvé beau et elle lui avait parlé plus que moi comme ils ont été dans la même classe en quatrième et cinquième année et qu’ils prennaient le même autobus. Je n’osais pas lever les yeux vers notre table. Voir mes amies me regarder m’auraient rendue encore plus timide. Je n’avais jamais eu de kicksur Julien, ou sur qui que ce soit d’ailleurs, excepté Carl le caissier qui ne comptait pas vraiment, mais être assise aussi près de lui faisait battre mon cœur aussi vite qu’avant une présentation orale – ça devait bien vouloir dire quelque chose.
- T’es prête? Celui qui mange ses brochettes le plus vite doit une danse à l’autre.
Pardon? Le calcul s’est fait très rapidement dans ma tête, comme tous les calculs, peu importe qui gagnait, nous allions danser ensemble.
- O… OK.
C’est peut-être parce que je ne pouvais m’enlever de la tête le fait que j’allais bientôt devoir tenir la main de Julien Langlois ou que sa main allait se poser sur ma taille, mais je n’ai jamais été aussi mauvaise pour manger des trucs trempés dans le chocolat. Il avait fini ses brochettes alors qu’il m’en restait trois. La bouche encore pleine de guimauve, il a levé les bras en l’air, déclenchant une nouvelle vague de parfum, et a balancé ses poings en cercle dans une étrange danse de la victoire qui m’a fait éclater de rire.
- J’ai gagné! Tu me dois une danse! Allez, viens.
Il était déjà debout au milieu du gymnase entouré d’autres « couples » qui, eux, étaient venus ensemble : Tristan Gagné et Méli Nadeau, Josiane Tremblay et Jean-Philippe Ferland et Raphaël Riendeau et Sophie Bélanger et d’amies qui se déhanchaient ensemble sur une chanson de Justin Bieber. Justin chantait quelque chose à propos d’un Noël non joyeux quand Julien Langlois a attrapé ma main et m’a fait tourner sur moi-même. Son parfum ne viennait plus en vague quand il bougeait, le bois et la lavande étaient omniprésents, comme une aura autour de lui. J’ai regretté ne pas en avoir mis moi aussi, ma mère me l’avait suggéré, mais comme ce qui était en train de se produire n’était pas prévu, j’avais dit non.
- Tu vas aller à quelle école l’an prochain?
Je lui ai répondu ce que je disais à tous ceux qui me la posaient.
- T’es chanceuse, moi mes parents m’envoient à l’école privée pour me séparer de mes amis. Pour me redresser.
Je n’ai pas compris le sens de sa phrase avant plusieurs années. Quels parents pourraient vouloir séparer leur fils de ses amis? Je ne comprenais pas, mais je voyais que Julien était triste.
- Ça fait chier.
Je n’utilisais pas de gros mots souvent. Pas parce que ma mère les avait banni, juste parce que je n’aimais pas comment je me sentais après les avoir prononcés. Mais, ici, ça semblait approprié et c’était le genre de vocabulaire que devait utiliser Julien souvent de toute façon pour que ses parents ressentent le besoin de « le redresser. »
- T’es intelligente, j’aurais pensé que tes parents allaient vouloir t’envoyer là toi aussi.
Donc il s’en souvenait. Il se souvenait de la fille de neuf ans qui lui avait montré comment additionner et soustraire de gros chiffres.
- Ma mère m’a laissé choisir. De toute façon, je pense pas qu’on ait les moyens pour que j’aille à l’école privée.
On était passés de Justin Bieber à Beyonce, mais Julien tenait toujours mes mains. Les siennes étaient chaudes et avaient des égratignures dues à ses nombreuses chutes de skateboard sur l’asphalte. Les miennes étaient froides, comme d’habitude, et la seule marque dessus était les grains de beauté sur mon index droit et mon annulaire gauche. Deux petits points bruns qui se multiplieraient par cent plus je passerais du temps dehors cet été.
- Oh, t’es chanceuse en tout cas. Moi aussi j’aurais aimé aller à la polyvalente.
Aucun de nous n’a prononcé un mot jusqu’à la fin de la chanson de Beyonce. Il tenait mes mains et les faisait tournoyer en riant.
- Si tu veux, on pourrait aller se balancer dehors.
- Mais on est pas censés sortir. Ils vont nous avertir et les portes doivent être barrées de toute façon.
- Pas celle des vestiaires, j’ai vu Hubert et Florence sortir tantôt.
- OK.
Je l’ai suivi, ma main droite toujours dans la sienne jusque dans le vestiaire des gars qui avait une porte qui donnait sur la cour arrière. Mon cœur qui s’était calmé s’est remis à battre encore plus vite. On était tous seuls dehors, Florence et Hubert devaient être rentrés. Le soleil se couchait, nous laissant des teintes d’oranges et de roses pour accompagner le bleu de ma robe et de son nœud papillon. On a couru jusqu’aux balançoires toujours en se tenant la main. Il ne l’a lâchée que pour qu’on puisse s’installer.
- Je pense que Marjolaine a un kick sur toi, je lui ai dit quand j’ai eu atteint mon altitude de croisière.
- Peut-être, mais elle me gosse.
Et ça a été tout. Je n’ai plus parlé de Marjolaine Dubuc et lui non plus. Il m’a parlé de sa passion pour le skate – ce qu’il voulait faire plus tard – et je lui ai parlé de ma vie avec ma mère et de nos soirées guimauves du samedi. Il m’enviait ma relation avec elle et je l’enviais parce qu’il savait ce qu’il voulait faire de sa vie.
- Est-ce que je peux t’embrasser?
On avait abandonné les balançoires et on s’était installés dans l’araignée, tout en haut, les deux sur le même bout de corde qui commençait à me faire mal aux fesses. Le ciel était plus bleu marine que clair et on ne voyait plus le soleil.
- Pourquoi?
Il a haussé les épaules, mais il n’a pas regardé ailleurs.
- Parce que ça me tente.
Marjolaine Dubuc n’aurait pas hésité, ses lèvres seraient déjà posées sur celle de Julien. Peut-être même qu’elle avait déjà embrassé quelqu'un. Je voulais avoir le courage de Marjolaine. C’était peut-être ma dernière chance d’embrasser le garçon le plus cool de mon école. Qui sait ce qui m’attendait à la polyvalente? Alors j’ai dit oui. En fait, j’ai dit OK. Julien a souri et moi aussi. Il s’est rapproché de moi sur la corde tendue de l’araignée, sa cuisse était collée sur la mienne. La lavande est entrée dans mon nez et j’étais fière d’avoir dit oui.
Ses lèvres avaient un arrière-goût de chocolat et de guimauve, une saveur qui restera gravée dans ma mémoire pour toujours comme celle de mon premier baiser. Julien Langlois, même si ses lèvres n’avaient été sur les miennes que quelques secondes, avait laissé en moi toute une trace. Tout espoir n’était pas perdu. Je n’étais peut-être pas Marjolaine Dubus, mais ce ne sont pas tous les garçons qui ont un kick sur elle. Certains aiment bien les brochettes de guimauves enrobées d’un léger souvenir de tables d’additions et d’homophones.
Je n’ai jamais revu Julien Langlois. Ses parents ont fait plus que l’envoyer dans un collège privé quand, à peine une heure après notre escapade sur l’araignée, il s’est fait prendre à écrire son nom au crayon permanent sur le mur du gymnase avec Yohan et Emeric, ils ont déménagés à Brossard pour l’envoyer à l’école pour délinquants.
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alexesworld · 3 years
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Ceux qui partent et ceux qui restent
Chapitre 2: Maman
Le lendemain de mon premier examen de mathématique dans la classe de madame Sylvie, maman a été convoquée au bureau du directeur à la fin de la journée. Elle était nerveuse et ça m’a angoissé.
- Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal, maman? Est-ce qu’il va falloir que je change d’école encore? Parce que Camille m’a invité à sa fête le huit novembre et j’aimerais beaucoup y aller.
Maman n’avait pas pris le temps de se changer. Le mardi, comme elle n’avait pas de cours, elle travaillait à l’épicerie, son deuxième emploi, comme travailler à la garderie où j’allais plus jeune à temps partiel n’était plus suffisant, et elle portait encore son uniforme beige et son bandeau carreautée dans les cheveux. Souvent, les gens prenaient ma mère pour ma gardienne, ils trouvaient qu’on ne se ressemblaient pas, mais c’était faux. J’avais les mêmes yeux et les mêmes oreilles qu’elle, mamie me le disait souvent. Mais ce n’était pas une question de ressemblance, mais d’âge et ça, ça ne s’explique pas à une enfant de sept ans, peu importe à quel point elle sait compter. C’est beaucoup trop illogique pour un cerveau qui n’est fait que de ça.
- Ben non mon amour, tu vas continuer à venir ici, je suis sûre que c’est rien. Veux-tu m’attendre ici pendant que je parle avec monsieur Girard? Tu peux lire ton livre.
- OK.
Je me suis assise dans une chaise un peu trop haute pour moi, mes pieds pendaient dans le vide alors j’ai commencé à les balancer de haut en bas. La secrétaire, Claudine, me regardait en souriant. Maman est entrée dans le bureau du directeur et ils ont fermé la porte derrière elle. Au début, je n’entendais rien, mais après cinq minutes, maman a élevé la voix.
- Non. Je n’enverrai pas ma fille en cinquième année. Elle a sept ans presque huit et vous voulez l’envoyer avec des enfants de onze ans? Comment est-ce que ça peut être bon pour elle?
- Madame, votre fille est capable d’effectuer des calculs et d’écrire à un niveau d’école secondaire et de lire à un niveau collégial. Elle s’ennuie en classe, ce serait lui nuire de la laisser là où elle est.
- Je ne suis pas d’accord. Peut-être qu’elle est plus avancée que les autres, mais savez-vous où elle a de la difficulté? Avec les autres, monsieur Girard. À son ancienne école, il a fallu aller la chercher tous les midis parce que personne ne voulait manger avec elle. Ils la trouvaient bizarre. Mais ici, c’est différent, elle a des amis, elle a été invité à sa première fête d’anniversaire. Et la changer de niveau ça va gâcher ça.
Je n’aimais pas entendre maman crier, ça n’arrivait pas souvent, mais quand ça arrivait ça faisait toujours peur.
- Vous allez lui nuire, madame.
- Non, c’est lui enlever tout espoir d’avoir une vie normale qui va lui nuire. C’est si vous l’isolez, si vous la traitez différemment que vous allez lui nuire. Je ne veux pas que ma fille soit mise de côté, monsieur Girard. S’il faut laisser des traces de ses calculs demandez-lui de le faire, elle est capable, s’il faut lire un conte de cent mots ne lui en donnez pas un de huit cents. Ce n’est pas parce qu’elle peut vous faire une présentation détaillée sur toutes les guerres du monde qu’il faut lui demander. Il n’y a pas que l’école dans la vie, et mon but est qu’elle ait une vie remplie, entière.
Il y a eu un silence que le directeur a fini par briser.
- Qui lui a appris à compter comme ça?
- Son père. Il est pareil comme elle là-dessus.
- Est-ce qu’on peut lui parler, avoir son opinion sur le sujet?
- Si vous le trouvez, lâchez-vous. Moi ça fait presqu’un an que je le cherche. Ma fille s’est assez fait niaiser dans la dernière année, elle a pas besoin de perdre ce qu’elle vient de trouver. Mettez une note à son dossier si vous voulez, mais ma fille ne deviendra pas une bête de cirque. Bonne journée.
Sans attendre de réponse, maman est sortie du bureau, a pris ma main et m’a traînée jusqu’à la voiture.
- Tu fais tes démarches, tu fais ce que la prof te demande, OK, chaton? Tu apprendras de la nouvelle matière à la maison.
- Oui, maman.
Grâce à ma mère, j’ai pu aller à l’anniversaire de Camille et à plusieurs autres fêtes par la suite. Personne ne m’a plus jamais traitée spécialement et je n’ai jamais été mise à l’écart. Ce qui avait été un handicap à mon ancienne école est devenu un atout. Tout le monde voulait être dans l’équipe de celle qui se souvient de tout. Ce jour-là, maman m’a sauvé la vie. En me donnant un avenir typique, un cheminement normal, elle m’a permis de vivre tout ce qu’il y a de plus beau et de plus laid dans le monde.
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alexesworld · 3 years
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Ceux qui partent et ceux qui restent
Chapitre 1: Examen
~ 7 ans ~
L’examen avait commencé il y a quinze minutes, ça en faisait dix que j’avais terminé et deux que ma main était levée vers le ciel. Mon bras picotait, mais je ne le descendais pas. Madame Sylvie avait été claire, personne ne se lève avant qu’elle ne nous en donne la permission, mais je m’ennuyais et je savais que l’examen durerait encore longtemps. Je n’étais pas la seule à avoir terminé, à ma droite, une fillette d’origine asiatique me regardait en riant. Camille. Nous avions été jumelées au début de l’année pour « m’aider à m’intégrer » à ma nouvelle école, mais on nous avait séparé parce que nous « dérangions la classe. » Maman et moi avions déménagé au cours de l’été et j’avais dû changer d’école, mais ça allait, les enfants étaient plus gentils. Je voulais seulement avoir la permission de prendre mon livre au fond de mon sac pour ne pas continuer à perdre mon temps. En soupirant, madame Sylvie s’est levée et a marché vers moi. Une odeur de parfum de fleurs fanées et d’une herbe que je n’arrivais pas à identifier, mais qui chatouillait mon nez longtemps après qu’elle soit partie l’a suivie jusqu’à mon bureau.
- Il reste encore quinze minutes avant que je commence à ramasser les copies, révise tes réponses.
- Mais j’ai fini et je sais que j’ai tout bon. Regardez.
C’était beaucoup trop facile, placer en ordre croissant, décroissant, l’addition et la soustraction. Il n’y avait même pas de gros nombres, de décimales ou de fractions!
Tu n’as pas laissé de traces de tes démarches, ça va t’occuper.
Madame Sylvie roulait ses « r » et ça me faisait beaucoup rire. Chaque fois qu’elle me parlait, je devais me retenir.
- J’en ai pas besoin. Je vois les chiffres dans ma tête. Le calcul se fait tout seul. Mon père dit que j’ai une calculatrice dans la tête, comme lui.
Tout à coup, madame Sylvie s’intéressait à ce que j’avais à lui dire.
- OK, écoute-moi. Au dos de ta copie, tu vas m’écrire avec des chiffres, le nombre quatre mille trois cent vingt-six. Parfait, maintenant, ajoute dix mille deux cent cinquante-huit.
- Quatorze mille cinq cent quatre-vingt-quatre. J’ai pas besoin de l’écrire.
Les yeux de madame Sylvie sortaient de sa tête. Ça aussi ça me faisait rire.
- Est-ce que tu peux le multiplier par six?
- Quatre-vingt-sept mille cinq cent quatre. Je peux vous le diviser aussi si vous voulez. Par onze, c’est mon chiffre préféré parce que c’est ma fête, ça fait sept mille neuf cent cinquante-quatre virgule neuf zéro neuf zéro neuf zéro à l’infini.
- OK, ma chouette, tu peux prendre ton livre.
- Merci!
Je me suis penchée derrière moi pour prendre le plus long roman que j’avais jamais vu. Ça parlait d’une baleine et d’un monsieur qui souhaitait qu’on l’appelle Ismaël qui voulait attraper la baleine. Maman n’avait pas voulu que je le lise tout de suite parce que j’étais trop jeune, mais je l’avais caché dans mon sac d’école pour le lire en cachette. Elle disait que c’était trop triste la chasse à la baleine pour une enfant de sept ans, mais j’avais confiance en la baleine, elle était plus forte qu’Ismaël.
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