Tumgik
#Jacqueline Ribeaucourt
selidren · 23 days
Text
Tumblr media Tumblr media Tumblr media
Printemps 1919 - Champs-les-Sims
4/4
Par ailleurs, je tenais à vous entretenir d'une affaire qui me touche énormément ces derniers temps, et j'espère que je trouverai en vous une oreille attentive. Vous seriez presque la seule dans mon entourage.
Je ne sais si Jules vous en avait parlé, mais quand ma chère Marie est morte, elle venait de mettre au monde la petite Jeanne, et laissait également derrière elle (en plus de son fils), deux autres filles : Emma et Anne. Adelphe était alors encore hospitalisé à Compiègne et il était si bouleversé qu'à son retour, il est revenu habiter à la Butte-aux-Chênes. Ses filles résident chez leur tante Jacqueline, la soeur de Marie. Quand à Alexandre, il s'est aménagé un appartement dans le petit théâtre où il vit presque comme un reclus. Cet arrangement m'est apparu naturel pendant un temps, sans compter que dès qu'Adelphe et son fils sont dans la même pièce, le ton monte très rapidement. Récemment, les nouvelles rancunes d'Alexandre envers son père sont que ce dernier ne visite pas assez leurs soeurs. Lui-même est à cet égard un frère modèle, et ses soeurs sont la prunelle de ses yeux. Je n'y ai d'abord pas cru, car Adelphe est parti régulièrement de la maison pour les voir, et ce n'est pas son genre de mentir. Mais Jacqueline a pu certifier à Madame Eugénie que cela fait à ce jour des mois qu'Adelphe n'est plus assidu, qu'il manque de nombreuses visites chez ses filles.
Selon Madame Eugénie, Adelphe ne supporte pas de poser les yeux sur la petite Jeanne. Non pas qu'il lui reproche la mort de sa mère, mais plutôt que la petite ressemble tellement à Marie qu'il en a pleuré à plusieurs reprises. Notre matriarche accueille cette situation avec un fatalisme qui est apparemment une sorte d'habitude chez elle. Elle trouve tout cela regrettable, mais gare à qui oserais critiquer Adelphe !
Je pense très sincèrement qu'elle n'en a pas forcément conscience, mais qu'Adelphe est son préféré parmi ses petits-enfants, et au vu de son histoire, c'est compréhensible. Je comprends également que tout cela ait été très dur pour mon beau-frère, et que les expériences qu'il a vécues suffisent à changer un homme, mais je ne reconnais pas le père affectueux qu'il était, celui qui s'asseyait avec son fils pour l'aider à faire ses calculs, qui lui ébouriffait les cheveux avec affection, et qui regardait chacun de ses enfants comme si ils étaient les merveilles qui illuminent son existence. Je suis d'autant plus affligée que personne ne lui dit quoi que ce soit, et qu'en plus, il ne s'agirait pas de le remettre sur le droit chemin. A ce titre, même si je n'ai pas son caractère impulsif et colérique, je rejoins le point de vue d'Alexandre. Peu importe à quel point c'est difficile, les filles ont besoin de leur père. La petite Jeanne a à peine deux ans, et elle ne le voit presque jamais ! J'ai donc adopté une certaines distance et un ton assez froid quand je m'adresse à mon beau-frère, afin de lui faire connaître ma désapprobation. Constantin ne l'a bien entendu pas compris (il ne voit même pas en quoi la situation est problématique), mais j'ai enfin réussi à lui faire comprendre qu'il s'agit là de mes rapports avec Adelphe et que cela ne le concerne pas. Quand à Adelphe, il s'est montré blessé par mon comportement, ce qui était le but de la manoeuvre, mais il lui reste assez de dignité pour me le reprocher. Son visage se pare toujours d'un air profondément honteux quand je m'adresse à lui, et j'espère qu'ainsi, j'arriverai à le faire revenir à la raison.
J'ai conscience que cette situation vous parait bien complexe. Figurez vous par exemple que j'ai songé à plusieurs reprises à écrire une lettre à Alexandre pour lui faire savoir que j'étais d'accord avec lui, mais j'ai finalement renoncé, de crainte que Madame Eugénie n'en entende parler. Je ne tiens pas à ce qu'elle me mène la vie dure au nom de ce qu'elle considère comme un tabou. C'est sans doute à ce moment que j'ai définitivement fait le deuil de l'idée que je serai un jour maîtresse en ma propre maison.
Avec l'assurance de toute mon affection,
Albertine Le Bris
Eugénie « Oh comme elle a grandit ! C’est incroyable ! Bonjour Jeanne, reconnais-tu ton arrière-grand-mère ? »
Jacqueline « Cela fait plaisir de vous voir Madame Le Bris. »
Eugénie « De même Jacqueline, vous ne savez pas à quel point je vous suis reconnaissante de vous occuper des petites. Je ne suis plus de première jeunesse et Albertine est dans la période caporal de la maternité. »
Jacqueline « La période cap… ? »
Eugénie « Oui, vous savez. Ce moment où une mère doit régler les conflits entre un groupe d’adolescents geignards et les mettre au pas comme un sergent chef. Comme tu es mignonne Jeanne ! Tu m’appelleras Grand-Mère, ce sera plus simple. »
Eugénie « Quelle adorable petite. Elle ressemble tant à sa Maman... »
Jacqueline « C’est vrai… C’est parfois difficile de la regarder sans voir Marie dans ses yeux. »
Eugénie « Vous savez Jacqueline, si notre petite Jeanne ressemble tant à votre sœur, c’est de famille ! J’ai pleuré tant de fois en voyant le visage de sa mère dans celui d’Adelphe, tant celui-ci ressemble à ma Lazarine. »
Jacqueline « Adelphe oui… Dites-moi Madame Le Bris, quand Adelphe a t-il prévu de venir voir ses filles ? Je sais que ses relations avec Alexandre sont… quelques peu tendues, mais Anne et Emma n’ont pas vu leur Papa depuis longtemps, et elles le réclament. »
Jeanne « Papa ? »
Eugénie « Je ne comprends pas. N’est-il pas venu vous voir la semaine dernière ? »
Jacqueline « Pour être honnête avec vous Madame Le Bris, cela fait presque un mois que je ne l’ai pas vu. »
Eugénie « Un mois ? Mais c’est bien trop longtemps ! Il a du être pris par les affaires du domaine, je ne vois que cela. Adelphe a toujours été un père exemplaire, et je suis bien placée pour le savoir, c’est moi qui l’ai élevé ! »
Jacqueline « Ecoutez. Avant le décès de Marie, j’étais de votre avis. Mais cet événement l’a profondément changé. Lui plus que tous les autres voit Marie en Jeanne, et à chaque visite, c’est comme si il tentait de toutes ses forces de ne pas la regarder. Il n’a pas levé les yeux sur sa fille de deux ans depuis une éternité Madame ! Il vous a toujours écoutée, je vous en prie... »
Eugénie « Je pense que vous me prêtez un pouvoir que je n’ai sans doute pas. Je… je ne savais pas la situation si grave. Mais cette petite n’a déjà pas connu sa mère, elle a besoin de son Papa. Je ferai ce que je peux. »
Jeanne « Papa ? »
Eugénie « Oui, ma petite chérie. Ta Grand-Mère va te ramener ton Papa... »
10 notes · View notes
selidren · 3 months
Text
Tumblr media
Automne 1917 - Champs-les-Sims
1/4
Très cher cousin,
C'est un bref courrier que je vous adresse, adjoint à celui de ma belle-soeur Albertine. Néanmoins, cela me semblait important de vous écrire.
J'ai quitté l'hôpital il y a de cela quelques mois, et j'ai bien entendu été réformé. Je n'ai conservé aucune séquelle réelle, mis à part une cicatrice bien laide qui marque ma joue et déforme ma paupière droite. Par miracle, je n'ai pas perdu mon oeil. Il me semblait pourtant, quand j'ai perdu connaissance ce jour là sous les balles boches que s'en était fini de moi. Constantin est toujours là-bas. Aux dernières nouvelles, ils l'ont affecté à la boulangerie, près d'Arcis-le-Ponsart (non loin de Reims). Cela me semble absurde, mais au moins le voici le plus loin possible des combats. Ma blessure l'a dévasté, et ses lettres me prouvent que depuis mon départ, il est plus désemparé que jamais. Je prie pour qu'il s'en sorte sans moi et qu'il me revienne en un seul morceau. Il en va de même pour mon fils, mais je n'en dirai pas plus car je risque à nouveau de sombrer dans un accès de panique.
Vous savez bien sur également ce qui est arrivé à ma chère Marie. Je m'en voudrait toujours de ne pas avoir été là en cette funeste nuit à ses côtés. Je ne me fais pas d'illusions, je ne suis pas médecin et je pense que cela m'aurait encore davantage dévasté. Mais au moins ne serait-elle pas partie seule. Encore aujourd'hui, bien que je sache pertinemment qu'elle n'y est pour rien, j'ai du mal à fixer le regard de ma petite Jeanne. Ma belle-soeur Jacqueline a gardé les filles chez elle, je ne suis pas encore capable d'en assumer la charge et je réside ainsi à la Butte-aux-Chênes, le temps que cela sera nécessaire.
Je sais que vous espérez de moi mon récit du front, afin que nous puissions échanger nos impressions et peut-être apaiser le souvenir qu'il nous en reste et qui nous torture parfois dans notre sommeil, quand il ne nous saute pas à la gorge sans prévenir jusque dans nos activités diurnes les plus banales. Je ne m'en sens pas encore capable. Je sens mon esprit encore trop fragile pour une telle épreuve, alors même que je n'ai jamais senti une telle faiblesse. Un jour, quand ces blessures auront commencé à cicatriser, je serai très heureux de m'en ouvrir à vous. En attendant, le récit de vos déboires domestiques me ravit à un point que je n'aurai jamais cru avant le début de la guerre. Vous savoir vivant et en bonne santé me procure toujours un certain soulagement pendant mes accès de panique.
Votre ami,
Adelphe
7 notes · View notes
selidren · 3 months
Text
Tumblr media Tumblr media
Printemps 1917 - Champs-les-Sims
2/7
Je ne peux m'empêcher de penser à Marie nuit après nuit en me retournant dans mon lit. Elle n'était en définitive pas tant plus âgée que moi (une dizaine d'années il me semble), et la savoir partie si brutalement nous a tous fait un horrible choc. Le seul réconfort que nous puissions avoir est que la petite Jeanne lui a survécut et se porte comme un charme. Elle et ses soeurs ont été recueillies par Jacqueline, la soeur de Marie, qui est elle aussi seule avec une fille depuis que son mari et son fils sont partis au front.
Pour tromper l'ambiance morose nous avons fait l'acquisition d'un gramophone. Les filles en particulier l'adorent, mais avec ce qui vient de se passer, cela a ravivé l'inquiétude des enfants pour leur père. Même Jean-François, qui va avoir six ans cette année (Seigneur que le temps fuit !), sent sans vraiment comprendre le danger et se réveille la nuit après avoir fait des cauchemars.
7 notes · View notes
selidren · 1 year
Photo
Tumblr media Tumblr media
Eté 1901 - Champs-les-Sims
16/25
Quand j’étais plus jeune, il m’est apparu évident que je devais reprendre le flambeau familial à sa place. Il me semblait impensable de vouloir imposer cela à mon cher Constantin qui avait déjà le nez dans les livres et l’oeil brillant de la soif de savoir qui caractérise les érudits. Rien qu’à l’imaginer négocier des contrats, ne serait-ce que rencontrer des clients, j’en avais des sueurs froides. Il va de soi que si il advient qu’il ait jamais des enfants (ce dont je doute car les femmes semblent bien peu l’intéresser), l’héritage familial ira à n’importe lequel d’entre eux qui voudra assumer la charge. Mais moi, de mon côté, que vais-je laisser à mon fils ? 
Marie m’a déjà assuré qu’elle comptait répondre elle-même à cette question. La vie domestique l’intéressant peu, elle s’est mise à écrire dans la presse, comme votre mère en son temps. Rien d’aussi érudit bien sûr, mon épouse n’est pas une grande intellectuelle, mais elle rédige des articles sur l’actualité locale dans la gazette du village. Elle est assez ambitieuse, car elle projette de racheter le journal et souhaite investir dans une attraction de forains appelée le cinématographe. Je vais sans doute vous paraître misogyne et passablement ingrat, mais malgré la grande admiration que je ressent pour elle, j’aurai préféré transmettre à Alexandre une chose que j’aurai bâtie moi-même, de mes propres mains. J’ai toujours pensé que cela était le rôle du père et non de la mère. 
Transcription :
Constantin : C’est tout de même dommage qu’Adelphe n’ait pas pu venir, il aurai appris beaucoup de choses ce soir. Il ne comprend presque rien quand je lui parle de mon travail.
Jeanne : Ton cousin est loin d’être idiot Constantin.
Constantin : Ce n’est pas ce que je voulais dire Cousine. Je voudrais simplement pouvoir en parler avec lui aussi, mais je reconnais qu’il a ses propres champs de compétences. Et je ne le remercierai jamais assez pour avoir repris l’affaire familiale. Père ne s’est jamais rendu compte à quel point cela m’ennuyait.
Jeanne : Il pensait faire ton bien, et d’ailleurs il a fini par se tourner vers Adelphe. Tu sais, ta grand-mère ne l’admettra jamais, mais il arrive que des parents fassent des erreurs en pensant garantir le bien-être de leur enfant.
Constantin : En tous cas, vous êtes bien la seule à le reconnaître. Cela vous est déjà arrivé ? 
Jeanne : Bien entendu, c’est loin d’être aussi peu répandu que tu le penses.
Constantin : Qu’avez-vous fait ?
Jeanne : Quand il était tout petit, j’ai cause sans le savoir beaucoup de tord à mon fils Thomas. Il était mon premier né et mon mari a insisté pour...
Martial : Ah Le Bris ! Vous voilà !
9 notes · View notes