Tumgik
c-urvatio-blog · 6 years
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Déménagement
Bonjour tout le monde *
Très fort contre mon gré je crois que je vais devoir abandonner cet endroit et me cacher ici ... Demandez-moi le mot de passe !
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c-urvatio-blog · 6 years
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11. Fantaisie en deux-deux
     Elle dit « Je le fais venir ce soir, et il ne dort pas dans la baignoire » -     elle parle encore mais je n'écoute plus, ça m'arrive souvent dans la vie de me noyer dans mon verre d'eau et d'écouter les clapotis plutôt que les gens autour de moi. « Je le fais venir ce soir, il ne dort pas dans la baignoire » ; si tu venais ce soir, tu dormirais dans la baignoire ?
    J'invente et je re-rêve : Bonsoir, bienvenue chez moi, tu ne dors pas dans la baignoire. (De toute façon la place est prise, j'y fais tremper les pierres que tu me jetais avant, je les mets dans mon cœur quand ça rentre – j'y dilue des peaux mortes, j'élève des poissons-pierres, j'y fais flotter les poils du chat, les cheveux que je perds par poignées, les tiens quand ils restent dans ma main.) Bonsoir, cette nuit déshabille-moi, et ne dors pas dans la baignoire. Mets du pain moussant dans mes flûtes et de l'eau chaude en-dessous de mes yeux, et fais déborder la baignoire, fais-moi oublier la baignoire, j'en ai assez d'être compliquée, j'en ai assez d'être pondérée, ponctuée, ne mets pas d'eau dans mon moulin mets-y un coup d'épée plutôt, fais-moi rire, hésiter, perdre pied. Mets-moi les plantes au-dessus de la tête pour faire des cheveux de sirène, joue-moi aux échecs, en cinq sec, raconte-moi des salades, sors-moi de ma baignoire, fais-moi coucher dehors, fais-moi dormir debout
    Ou bien dors-y dans ma baignoire, plonges-y un peu voir si j'y suis, si j'y clapote, dans ma baignoire – de toute façon ma baignoire c'est ma carapace à l'envers, ma tortue coincée sur le dos. Tu ne me trouverais pas si ce n’est dans ma baignoire, changée dans ma baignoire, gracile dans ma baignoire, prends-moi dans ma baignoire où les crapaudes deviennent – charmantes - comme tu les aimes      et charge-moi d’argent comme un crapaud de plumes      et jette-moi avec l'eau du bain
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c-urvatio-blog · 7 years
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10. Mon problème d’hippopotame
Le titre et l’idée de départ viennent du très chouette album jeunesse Mon problème d’hippopotame de Matthieu Agnus
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     D'aussi loin que je me souvienne il a toujours été là. Mon problème d'hippopotame.       La première fois que je l'ai rencontré il se penchait sur mon berceau. Il mettait de l'ombre dans mon berceau. C'était ma bonne fée des marais. C'est à lui que je faisais risette par-dessus l'épaule de ma mère.     C'est avec lui que je jouais, aux cubes avec ses grosses paluches et au trampoline sur son ventre. Je mettais mes menottes sur sa truffe (ce n'est pas comme ça qu'on dit, pour un hippopotame), j'ai barbouillé sa truffe de truffes en chocolat. J'ai aimé mon hippopotame jusqu'à ce qu'on me mette des mots dans la bouche.     Mon hippopotame parlait peu et personne ne semblait le voir, mais moi je commençais à comprendre : il laissait des creux sur le matelas ; il a cassé la balançoire, et la théière en porcelaine. Il était grognon le matin.     Un jour je l'ai laissé barboter dans mon bain et j'ai demandé à maman. «  Est-ce que tu m'aimerais plus si je tuais l'hippopotame ? - Quel hippopotame, ma chérie ? - Celui que tu as crié, qui a renversé la soupe, celui qui a mangé la boîte de chocolat - » Maman m'a dit de ne pas être bête, qu'elle m'aimait avec mes bêtises, qu'il n'y avait pas d'hippopotame, et que de toute façon on ne tuait pas les animaux. Maman commençait à me mentir. C'est l'hippopotame qui me l'a dit, en faisant des flaques sur le parquet. Il m'a dit de faire bien attention alors j'ai plissé fort les yeux. C'est là que j'ai commencé à la voir : la girafe cabossée derrière le dos de maman. Elle avait des nœuds dans les pattes et le cou qui faisait des zigzags pour rentrer dans la vie de maman.     Alors les années sont passées à ne plus croire ce que disait maman. J'étais une petite fille occupée. Je traînais mon hippopotame. Je laissais de la place pour son bidon entre moi et les autres enfants. J'étais de toute façon toujours prise à son ombre. Je marchais plus lentement que les autres, un hippopotame à la patte. Mais j'étais la seule petite fille à voir les autres imanimaux que les gens cachent derrière leur dos. Partout, à la piscine, à la récréation, il me les désignait des pattes : le serpent silencieux sur le cou de la maîtresse. Le loup blanc et argent aux genoux du voisin d'en face. Et l'ours mal léché derrière le boulanger.     Entre l'hippopotame et moi c'était le Syndrome de Stockholm. C'était l'amour-hippopotame. Il m'a toujours embarrassée. Ça doit dater des mirabelles. Je voulais croquer une mirabelle mais la mirabelle a gagné, elle m'a éclaté au visage, elle m'a couverte d'hippopotames. Les fruits ne voulaient plus de ma langue et j'aurais voulu vivre sans hippopotame. Avec lui dans mes jupes je renversais les objets. Il faisait trembler le plancher et tout le monde nous regardait. Il m'encombrait les joues de trombones et de fanfares désaccordées.  Je le trouvais trop lourd pour moi mais j'avais mis ma vie au bout de sa langue pâteuse.     Plus je grandissais et plus il prenait de la place. Il engloutissait le monde entier et les corps d'autres animaux morts. L'hippopotame mangeait et moi je tournais de l’œil. Je détournais l’œil. Je n'aimais pas la nourriture. Elle faisait des tâches sur les murs. Des moisissures. Et des odeurs. Je préférais manger du vide. Je me creusais la tête et le reste.     Mon imanimal idéal, il aurait été Disparu. J'ai souvent espéré que l'hippopotame disparaisse. Je me voyais vivre dans son squelette comme dans les os d'un dinosaure. J'en aurais taillé toutes les pierres. Tailleur de pierre, travail de femme : je rêvais d'avoir les mains blanches et il me traînait dans la boue. Je voulais la taille à la serpe avec des étoffes parfumées et toujours je revenais me coucher dans son marécage. C'était lui ou personne. C'était lui ; c'était compliqué.     Les choses se sont corsées plus tard, lorsque j'ai cessé de le voir. On m'avait pourtant prévenue. Mais j'étais bête comme une petite fille qui veut tuer l'hippopotame dont elle ne saurait pas se passer. J'étais au seuil d'être une jeune fille : j'étais la bru de l'hippopotame, imbroglio sentimental.
    On ne prêtait pas attention à mon problème d'hippopotame. On me disait tu verras, un homme te sauvera. On me disait : tu es comme tout le monde. Tu verras quand tu auras seize ans. Tu verras quand tu auras goûté.     J'ai goûté. J'ai recraché. Je ne veux pas de ce pain-là. Je ne veux pas d'un homme sur moi. J'ai en horreur leurs cheveux rêches et l'espèce de glue sur leurs lèvres. Je trouve qu'il y a quelque chose de sale dans leur regard, en-dessous de leurs yeux, en-dessous de leur ventre – quelque chose qui ne perce que rarement, lorsque leur fatuité laisse la place vacante (l'arrogance dans leurs mains, leur façon d'avancer, leur gros ventre en avant, leurs petits yeux gluants). Quelque chose dans leur voix suinte et salit le monde, dégouline sur le monde à chaque fois qu'ils prennent la parole. Leur quelque-chose-de-sale a fait fuir mon hippopotame.     Quand l’homme a mis ses mains sur moi les animaux ont disparu. Il a mis ses doigts potelés sur mon cou et ses grosses lunettes d'homme entre le monde et moi. Je vois le monde à travers ses mains lourdes, je vois le monde en balourd. Je vois le monde en homme : je ne vois plus rien du tout. A chaque pas que je fais je prie qu'on me sorte de là. Je prie qu'on me sorte de lui, et des tissus grossiers – je prie mes élucubrations de jeune fille, et mes bijoux imaginaires, et mes nuits blanches de pachyderme : qu'on me rende mon hippopotame.     Il me manque mon drôle de chaperon. Il me gênait mais c'était drôle. Il me tenait toujours la main, il jouait à la bobinette. Il ne me laissait jamais seule et il faisait du monde un dessin animé. Il avait ses colères. Et j'avais mes légendes.     Peut-être que j'étais loin des autres, peut-être que j'étais tiraillée – peut-être que j'étais compliquée, hippopotame alambiqué. Peut-être que j'étais folle, peut-être, mais je vivais dans des raretés. J'avais du goût dans mes démons. Et quand l'hippopotame ronflait je me relevais pour m'amincir, pour lire des livres d'images, grandir en soupe-à-l'art.     Maintenant je m'endors avant l'homme et j'ai perdu les animaux. Je suis papier-blanc, bouffie-ratée. Je reste à la surface. Loin des hippopotames. Je comprends mais trop tard le doux de ses dents sucre d'orge et sa couleur sirop d'orgeat. Je tuerais l'homme aux odeurs d'homme pour retrouver mon ogrelet.
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c-urvatio-blog · 7 years
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9. Les commencements
     Questions sans fond : - Combien de temps peut-on attendre quelqu'un ? - Combien de fois la vie peut-elle commencer ?
    Avant j'attendais que la vie commence. Je faisais la foire aux commencements comme une liste au Père Noël. Vie, ma chère vie ; âme, ma chère âme ; bientôt la vie commence, la vie commencera : quand j'aurais un métier, un homme entre mes mains, une porte à moi toute seule, une église le dimanche. Vie, ma chère âme, quand commencerai-je vraiment ? Quand porterai-je le nom de quelqu'un d'autre et quelqu'un d'autre dans mon ventre ? Il y a une vieille fille dans mes mots qui attend pour toujours ces charmes très exprimables. Il y a une petite fille dans mes mots qui attend que cela commence, tout comme au cinéma, quand est-ce que ça commence ? Il y a une grande fille dans mes mots qui attend que la Noël commence, qui bricole à la colle et aux papiers dorés des calendriers-qui-attendent, des calendriers-de-l'avant.
    Elles attendent comme ça, pour ne rien dire, comme le bitume attend la neige, elles attendent pour être moins laides. Elle attendent que ''ça'' commence comme si je savais commencer. Je n'ai jamais commencé qu'en rêve. Et je ne suis même pas sûre, à vrai dire, d'aimer ''ça''.
    Je n'aime pas prendre la parole, je n'aime pas faire les premiers pas. Je suis nulle en première impression, en première pierre en première fois. J'aime continuer. J'aime répondre. J'aime répondre de quelqu'un plutôt que commencer par moi, j'aime répondre à des grands silences, les politesses métaphysiques. Je ne suis pas très Libertés. J'aime être l'Obligée du monde. J'aime obéir : ob-audere. Je n'aime pas frôler, je creuse. Je n'aime que les choses qui ont une fin, parce que j'aime les choses qui ont un sens. Et puis je n'aime pas débuter. J'aime maîtriser. Les auteurs et les mouvements de danse.
    Mais on dit qu'il faut bien grandir alors je m'interroge. Je regarde, je cherche à comprendre : comment les auteurs commencent leurs histoires, et comment les saisons commencent, et quand ça commence à faire mal, et quand tu commences à gémir. Je me laisse prendre aux commencements. Au pluriel et superficiels. J'apprends à aller doucement, j'apprends à tracer légèrement : des mots crème-dessert ou guillemets, les allures flottantes des îles-était-une-fois. Les mots-mollets des commencements.      Je commence à croire aux secondes chances, aux espérances, au miel et jaune. Je commence à faire des bêtises, des garçons qu'on ne voit qu'une seule fois, des cafés juste pour passer le temps.     Je commence des conversations pour être polie ou pour vendre, et je sais qu'elles ne mènent à rien, qu'elles n'ont pas d'autre fin que les sons qui piaillent par-dessus le vide. Je commence à jouer les péronnelles. Je commence à bien faire. Et forcément je m'arrête.      Je commence des histoires et puis je perds la page. Je perds le fil dans mon sommeil. Je le balbutie aux peluches et je le perds à mon réveil. C'est l'histoire d'un garçon qui commence dans une ville et qui apprend à voir que c'est joli aussi, le soleil sur les barres d'immeubles. Qui commence à regarder avant de traverser, parce qu'écouter ne suffit plus. C'est l'histoire d'un monsieur qui commence un nouveau métier, qui renoue des gestes hésitants, qui pose à nouveau des questions. C'est l'histoire d'une fillette qui commence à parler, chaque fois c'est le jeu des petits chevaux pour mettre les syllabes à l'endroit. C'est l'histoire d'un garçon qui commence à courir pour ne plus s'arrêter, parce qu'il faut bien que son cœur se cogne à quelque chose, et ne serait-ce qu'à ses propres cotes, parce qu'il faut bien que son souffle vole plus loin que ses yeux, prenne plus loin que sa gorge. Parce qu'il faut bien que ses pieds se heurtent à quelque chose et que ses genoux se décollent du sol. C'est l'histoire d'une grande femme coincée dans un souvenir d'enfance, c'est l'histoire d'une grande femme coincée dans le commencement, une femme prise dans un sablier.     Ça commence bien, ça commence mal, pour moi c'est pareil, ça commence. Ça. Je n'aime pas Ça. Quelqu'un pour me faire table-rase?
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c-urvatio-blog · 7 years
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8. Le corps du poète
     Aujourd'hui je suis tombée amoureuse d'un acteur (pour de faux, pour de vrai, comme on se prend le vent en rafale dans les yeux). Il faut dire qu'on voyait ses os.       Il avait le visage coupé, les chevilles fines. Il avait des cheveux de loup et il avait des airs datés. Il a fait glisser les verres le long des tables et tomber la neige dans la nuit. Et il s'est accroupi sur l'épaule d'une Madone.     Il faut dire aussi qu'il a crié pour la faiblesse, et pour Dieu et pour la beauté. Et puis qu'il croyait aux fantômes et même qu'il avait des principes. Je vais toujours toute seule au théâtre, comme d'habitude j'étais toute seule, mais cette fois je l'ai moins senti. Je me suis sentie tout à côté.     Quand les lumières se sont allumées il a dansé sous les bravo. Il a cherché quelqu'un des yeux. Il a souri jusqu'aux oreilles. Il a eu cette petite mimique avec les yeux qui roulent au ciel, pour dire, allons, n'en jetez plus.     Et moi j'ai pleuré sur mon siège et après j'ai pleuré dans Lyon. (Les deux dernières fois que j'ai pleuré dans Lyon c'était il y a un an quand j'ai laissé mon chat chez May avant de partir en vacances ; et c'était il y a deux ans quand l'amoureux m'a brisé le cœur. Et maintenant c'est maintenant, quand la neige est tombée au-dessus des chants russes – il n'a pas lévité mais dans mes yeux c'était tout comme.)        J'ai fait des zigzags en rentrant sous ma petite robe en tartan. J'hésitais entre deux adresses. Je n'ai pas retrouvé la musique mais j'ai trouvé son épitaphe. C'est À celui qui a vu l'ange.
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c-urvatio-blog · 7 years
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7. Tu fais des phrases.
     « Non, je me dis que tu enjolives. C'est un truc de belle-plume. »     Belle-Plume comme tu disais Bas-Bleu. Comme tu disais Oie-Blanche. Comme me l'aurait dit Barbe-Bleue.
    J'ai encaissé la phrase et dégluti la phrase. J'ai fermé les yeux sur la phrase et fermé les poings sur la phrase. Tu as des enjambées d'avance, tu te retournes, tu en rajoutes : « Et puis tu vois, tu n'avances pas ! » Les feuillets d'automne nous séparent. « Si tu écris tu dois aller d'un point A à un point B. Avec toi on reste toujours englué au point A. C'est vrai que c'est ce qui te définit. »     Je trottine jusqu'à tes talons. Je t'écoute parler d'autre chose. Sais-tu que je n'ai jamais mis la main sur le point-A ? Ni la main, ni les mots. Je lui dégringole autour sans lui tomber dessus. Je fais des poèmes qui tournent à vide.
    Je tourne sur moi-même. J'ai dans les cheveux mes nuées d'idées fixes. Elles ne te racontent pas d'histoire ; je n'essaye pas non plus, tu vois. Je n'ai jamais su te faire rêver. Je ne suis ni de celles sur qui tu te retournes, ni celle sur laquelle tu t'arrêtes. Ni non plus de celles que tu lis. Je passe. Tu passes. Je marche à pas de lune dans les bibliothèques, à reculons jusqu'à ta couette. Je mets de la pluie dans mes yeux. J'ai des lourdeurs, j'ai des lenteurs. Je fais des détours et des phrases.
    J'ai le cœur qui fendille et j'ai le crâne ouvert, en coquille d’œuf, en coquille vide (comme la fille sous mes beaux habits, en courant d'air, en coquille vide), j'ai le crâne fêlé comme le cœur et moi je suis : juste à côté. De la plaque, de la vie, de la phrase, et après ? Je mets des mots comme des pansements, pour ne pas chuchoter après toi. Pas encore, pas tant que tu ne me lis pas, pas tant que tu ne me redresses pas, pas tant que tu ne me reprends pas. Tu vois j'écris des contes à rebours. Et je te parle à la bougie, là juste là, où tu n'écoutes pas.
    Je t'écris. Je fais des étuis de velours. Je te recouds au fil des phrases, j'en fais des caisses, des cartes à jouer, j'en fais des guirlandes de papier. Je t'écris et je t'étourdis. Je mets des étourneaux sur tes i. Je te fais une belle jambe, je t'écris et puis je m'efface. Tu passes. Tu me dépasses. Je me brûle en enlevant mon foulard. J'invente des filles aux noms de fleurs, des rose violette et capucine, pour mettre des fleurs sur tes yeux, juste là où tu n'écoutes pas.
    Je t'écris entre mes genoux glacés, d'où je mets chaque mot à sa place. J'aime réécrire et repasser, plier polir et corriger – jusqu'à ce que toute chose soit lisse. Et chaque mot à sa place. Et moi juste à côté. Je t'écris parce que tu as honte de marcher près de moi. Je t'écris parce que tu ne me vois qu'en cachette. Je n'écris que ce que je crois. Et je ne crois que ce que tu vois. ''Ah tu m'en as fait voir…''
    Je t'écris sur mes os qui tendent une toile d'araignée du cou jusqu’aux épaules. Parfois je prends des mots dedans. Mais tu n'aimes pas les araignées. Les rêveuses de bonne-aventure. Je t'écris toujours le même texte. Je l'écrirai jusqu'à ce qu'il te plaise.
    Je t'écris parce que tu me plais, c'est bête à dire, depuis tout ce temps. Et qu'est-ce que ça peut bien te faire, mes mots mes amours à l'envers. J'aurais beau les donner mes mots et j'aurais beau les aligner et j'aurais beau serrer les rangs et les déposer à tes pieds, chaque matin sous ton paillasson – je n'arrive pas te faire m'aimer avec mes mots. Je n'arrive pas te faire te regarder dans mes mots. Te choisir dans mes mots.
    Qu'est-ce que je peux t'offrir de plus que ces phrases, ces textes qui tournent autour de toi ? Depuis peu j'ai compris que Rien. Alors je ne t'offre plus rien. Je ne sais plus combien de fois je t'ai dit de ne pas me toucher ; pourtant c'est toi qui me repousse, et c'est moi qui te prends au mot.
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c-urvatio-blog · 7 years
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6. A l’improviste
« Je remarque que les enfants t'aiment bien. » L'air de rien. « Je les aime bien aussi. Je crois que j'aime bien voir les gens grandir. » Il envoie un clin d'oeil qui éclate sur le bout de son nez.
C'est nouveau, les clins d’œils, dans les fossettes de Jade. C'est comme les Pensées Profondes. Comprendre Profondément-Absconses : elle parle dans son sommeil. Elle ne le savait pas avant de le rencontrer. Elle les profère dans son sommeil : « Passe du miel des draps dans le bocal à confiture ». (Elle met des slogans dans des cadres. « Si vous aimez l'amour, vous adorerez le surréalisme. ») Pour lui ça veut dire « On se réveille ? ». Elle ne met plus de réveil-matin. L’appartement la réveille. Il y a du monde, le plancher craque, les arbres toquent à la fenêtre. Il y a de la musique dans la cuisine, et des bocaux à confiture. « Je t'ai dit des Pensées Profondes ? - ''C'est quoi ce truc carré sur ta tête ?'' » Elle fait craquer sa biscotte, « je dis vraiment n'importe quoi. C'est pas carré si tu es ange. » Il lui dit qu'elle ne tourne pas rond. Il lui dit : Tu veux une orange ?
La vie a déboulé quand elle a cessé de s’y attendre, dans les grands bras d'un garçon blond. Elle s'est accrochée à son bras. Et elle s'est décrochée du reste. Il met du vent dans ses papiers, et du bazar dans son placard. Des pulls Petit Bateau au bambin du voisin d'en face. Et de la musique dans la cuisine. Il aime la marmaille, il parle très doucement. Il met ses mains à la pâte plutôt que dans des dictionnaires. Et elle aime ça, la terre à sa fenêtre, la bouche sur son épaule, le trou dans son t-shirt, les insectes au plafond. Le pire c'est qu'il s'appelle Axel, et qu'il l'a prise A La Renverse. Il lui a remis la tête sur les épaules et les pendules à l'heure.
Maintenant elle prend de la place. Et c'est très bien comme ça. Elle s'étire, elle se cogne, elle fait du bruit et des sourires. Elle met des pierres sur son épaule et elle y fait glisser ses lèvres. Elle dérape, elle rattrape, elle vit dans les menus désagréments et les coups de théâtre : pour de vrai. Elle lui court sur le haricot. Elle l'aime cabossé, chatouillé, câliné (colorié, calciné, crapahuté, caressé, cafouillé). Elle l'aime avec une gratitude épuisante, des camions pleins de gratitude qu'elle ne sait plus où décharger. Alors, sa gratitude, elle lui en met plein les poches. Elle en éclabousse son sourire. Ça ne lui fait plus peur le bonheur, ni son grand rire dégingandé, ni son joli jeu de jambe, les mimiques quand elle se déhanche. Elle tire sur son pull quand elle danse, à gauche, à droite, elle fait des zigzags sous son pull, comme une petite fille, comme un petit chat.
Avant elle attendait, pour parler, qu'on lui donne la parole. Avant elle crochetait des petits bonhommes et les regardait se détricoter entre les griffes du chat. Elle les parsemait sur des meubles éteints. Elle transformait le monde en une jungle à jouets. Avant, ce drôle de temps d'Avant, Avant lorsqu'une autre portait son prénom (disgracieusement, timidement, une autre qui était elle aussi toujours repliée vers Avant), elle aimait sentir sa peau rouler contre ses cotes quand elle levait les bras. Il s'en souvient. Il dit : « Tu l'as échappé belle. » Elle lui répond « Chapeau l'artiste. »
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c-urvatio-blog · 7 years
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5. Fais ta panthère
Tu fais ta panthère. Qu'est-ce à dire ? Tu enfiles des bracelets dorés à ton poignet. Tu camoufles ta bouche sous un châle parfumé, imprimé léopard. Tu hisses tes collants noirs sur des talons vernis. Et après ? Tu fais ta panthère : des tâches d'encre. Tu fais œuvre de dentellière. Tu dessines le garçon que tu aimes. Tu mets ta vie sous muselière. Tu t'en fais des napperons, des films en noir et blanc, des dames aux camélias.
Tu promènes ta douceur. Tu avales des couleuvres. Tu fais des sourires tristes. Tu courbes gracieusement l'échine. Tu te fais toute petite, panthère rose. Tu marches sur les murs, tu glisses entre les ombres. Tu fais tes yeux de biche. Tu sursautes aux loupiotes qui se débattent sous tes griffes. Tu te fais de neige et d'esquives, tu te fais de fuites sous l'orage. Tu fais la panthère à l'envers, tu fais la panthère en hiver. Tu fais patte blanche. Je fais page blanche.
Tu quadrilles les rues de la ville, et les grilles bleues sur le papier, et ta poitrine sous les résilles. Tu fais patte de velours, tu marches sur des œufs, tu chéris les oiseaux. Tu fermes ton manteau. Tu cherches ton visage en-dessous d'un lac gelé.
Tu fais la panthère de Daudet, les cent pas entre quatre murs. Ton inquiétude me touche. Tes mains effarouchées sont belles. Tu parles d’Électricités, tu t'emberlificotes. Tu fais des ombres noires sur des Désastres Contemporains. Tu traces des périples pour moi dans des grands livres. Tu tires la Lune au jeu de tarot et la lune au bout d'une ficelle, comme font les enfants avec des jeux en bois. Je t'aime comme on aime une enfant. Je t'aime mais plus pour très longtemps.
Tu rougis et tu grondes, tu refermes mes mains sur toi. Tu me dessines un troisième œil, quelque part vraiment près du cœur. Mais tu m'as fermé les deux autres. Et tu as éteint la lumière. J'ai pitié, j'ai douceur, mais cette tendresse-là me passera. Cette tendresse-là te nourrit, cette tendresse-là me grandit ; mais elle ne me rassasie pas. Longtemps je t'ai prise sous mon aile. Mais toutes les amours battent de l'aile. Elles sont belles parce qu'elles peuvent s'enfuir. Elles prennent la poudre d'escampette, elles prennent la flûte traversière, elles découpent la panthère dans le livre d'image et vont la perdre on-ne-sait-où.
Je ne suis pas un équilibriste. Je n'ai jamais porté le monde. J'ai appris à dompter les fauves : c'est des crochets sous les gants blancs. Et je ne veux pas te faire de mal. Je ne veux pas me salir les mains. Je veux te voir ouvrir les bras, je veux te voir tendre les mains ; mais j'ai horreur des mains qui se ferment, horreur des pas derrière mes pas.
Je suis fatigué Joséphine. Tes larmes coulent jusqu'en dessous de ton pull sous le Requiem de Mozart et je ne serai pas toujours là pour siroter tes mailles pour te faire du goutte-à-goutte. Ni pour baisser la branche et te donner le fruit. Tu dis que tu ne reconnais que moi. Tu t'éclipses et tu baisses les yeux. Je voudrais vivre les yeux ouverts. Je tiens à toi mais tu me retiens. Tu sais que je marche plus vite que toi. Je veux te laisser derrière moi. Mais je veux t'y laisser heureuse.
Je veux tes yeux sous la bruyère, infuser tes herbes séchées. T'apprendre à marcher sur le fil et te lâcher doucement la main. Je voudrais te sourire de loin quand chacun connaîtra ton nom. Aucune clavicule n'est une vallée de larmes. Aucun dragon ne passe entre tes deux sourcils. Aucune de mes morsures n’entamera tes vertus. Ni tes nuances. Tes réticences. Je voudrais que tu tournes les pages. Je ne voudrais plus te voir empaillée sous les pages. Je voudrais te voir faire le gros dos. Je veux te confier à toi-même. Je te veux confiante et lumière. Je veux aimer plus grande que moi. Toi tu es courtoise, tu es passée. Je te tirerai ma révérence. Et tu diras, quelle bête sauvage.
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c-urvatio-blog · 7 years
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4. Histoire de fantôme décousu(e)
     Il faut commencer par une question. On dit que ça met les mots en jambe.     « Est-ce que je peux mâcher la bouche pleine ? » Je riais un peu nerveusement, « Non, non, c'est pas ce que je voulais dire ». Je chassais les miettes du clavier. Je mettais trois doigts devant ma bouche. J'aurais du le savoir pourtant : souvent des histoires se faufilent par des mots qu'on a confondus. Ça peut faire des jolis débuts.
*
    Qu'est-ce qui s'est passé entre nous ?     Il ne s'est rien passé entre nous. L'automne est passé entre nous. Des kilomètres et quelques mois. (Une fille aussi, comme une comète. Il me l'a dit des mois plus tard. Il a dit que ça n'était rien avec un petit sourire en coin.) Toujours est-il qu'il disparaît. Qu'il passe du bord-de-moi-qu'il-frôle, à je-ne-sais-où et très-longtemps. Il est dans le temps des contes de fée, il n'est pas dans ma tasse de thé. Ça arrive. Les sourires se couchent, les soleils tombent dans le vide et même les garçons bien élevés disparaissent sans qu'on ose leur demander pourquoi.     L'étonnant c’est quand nous repêchent.     Un beau jour il réapparaît. Il se prend les pieds traîne de papier. (C'est des feuilles de calendrier. Ce n'est pas parce que je n’y croyais plus que j’avais renoncé à me couper les doigts aux papiers des calendriers.) Un beau jour il réapparaît et prenait d'un coup toute la place entre le réverbère et le temple rose poussière. Il disait que c'était fou de se recroiser. Il jetait un œil railleur aux murs. « Ce doit être la Providence. »      J'aimais la lumière sur les murs quand il était juste à côté. J'aimais la lumière sur mes joues quand il prenait ce ton narquois ; parce que ses yeux restaient doux. Je mettais mes fossettes et mes regards dans le caniveau à ses pieds. « Tu peux rentrer aussi, tu sais. » Je mettais au fond du caniveau l'envie de me jeter sur sa clavicule et de refermer ses bras sur moi. « C'est rien que de la musique. » Devant un temple il se méfiait. Il disait qu'il ne préférait pas. Il disait : « Promis, je t'attends devant. »     Il m'avait retrouvée. À quoi est-ce que ça tenait ? Je pleurais aux petites ailes du hasard pendant que l'orgue ventripotait.
*
    L'orgue m'avait recrachée à ses pieds comme une poupée devant un chirurgien de poupées. Malgré mes genoux qui tremblaient, et mes dents qui s'entrechoquaient, j'étais, devant lui, paralysée. J'avais la langue engourdie. Une gourde, ça doit être le mot juste. J'avais l'air d'un petit robot, fermée, bloquée. Incapable de spontanéité. Mes pieds faisaient une croix de canard, sous mes bottines un pied grignotait l'autre pied. Je croisais mes mains sans qu'elles ne quittent mes poches. Ça faisait un V à mon gilet.     Il m'a emmenée manger et je n'ai rien mangé. Il m'a demandé de lui raconter, et mes filets de voix se perdaient sur les murs criards du restaurant, sur les reflets des cheveux des filles qui racontaient des choses aux tables d'à côté. Alors il a pris son parti. Et tous les mots sur ses épaules. J'ai bien vu qu'il était gêné, que j'étais pendue à ses lèvres et aux barreaux de sa fourchette. Il a fait silence, long et lourd. J'ai essayé de le libérer. J'avais besoin de le voir partir pour pouvoir retrouver mon geste : pour rageusement gifler mes larmes avec mon poing, et tourner les talons, et prendre la nuit sur moi. C'est un geste de comédienne ; seulement quand personne ne regarde.     Mais il a dit, très patiemment, « Tu veux qu'on aille marcher un peu ? », et j'ai dit oui sous mon armure. C'est drôle comme il savait s'y prendre. Pas à pas, mot à mot, il jouait à faire des court-circuits. Il me faisait surgir de mes gonds. Ça faisait des bulles d'air qui fuitent, et des rires qui déboulonnaient. Alors, lentement, lentement, j'ai retrouvé ma vraie voix, doucement (pas la voix micro-onde des patati et patata), sûrement (sans mutisme et sans honte de mes mots démodés). Alors, lentement, lentement, il a mis sa main sur mon dos. Et de l'huile sur le feu.     J'étais dans une citrouille. J'étais Aschenputtel. J'étais dans la nuit noire comme dans un cahier Moleskine. Sous sa main comme dans une portée.     Je ne voulais pas vider les lignes. Alors quand il s'est inquiété de la façon dont j'allais rentrer je lui ai demandé pourquoi on ne marchait pas jusqu'à chez lui. Calmement. Comme si j'étais devenue quelqu'un d'autre.     Il m'a semblé très étonné. Disons moitié éberlué et moitié amusé. Et puis moitié gêné tout de même. Ce qui nous faisait trois moitiés, mais j'avais fini de jeûner ; je me sentais d'humeur à en grignoter une pour lui, à nous faire retomber sur nos pieds. Il m'a demandé si j'étais sûre. J'ai dit qu'il n'allait pas me manger. Il a souri. « C'est que je ne suis pas chez moi, chez moi. » (J'ai souri aussi, c'était bête.) « Comme je viens à peine de revenir j'ai des amis qui me prêtent une chambre. On n'est pas à l'abri de tomber dans une soirée. » J'ai dit : « A mes risques et périls. Tant pis pour mes manteaux de chanoine. » « Tant pis pour quoi ? Viens, c'est par là. »
*
    Je m'étais un peu avancée. Avant de faire passer le chanoine dans le chas des bouteilles, des gens dont j'oubliais les noms et des odeurs d'herbe brûlée… il y en avait du rouge à mes joues, des  bras croisés sur ma poitrine. Je ne savais où poser mes pieds. Je ne savais où poser mes mains.  Pas sur ses bras, comme tout à l'heure : je ne voulais pas lui faire honte. Ses amis étaient crus pourtant. J'ai répondu : « Ah, non, c'est trop d'honneur. » Puis : « Pas du tout. » Puis : « Non merci. » J'ai cherché les fenêtres et les murs. J'ai fait tapisserie-rouge-aux-joues. Sous le robot, un autre robot. Des matriochkas d'embarras.     J'ai fini par trouver un coin et par plaquer mes mains sur la chaîne autour de mon cou. Et puis, allez comprendre, ses jambes sont venues contre mes jambes et ses bras autour de ma taille. Alors je me déridais. Je jouais avec mes doigts sur ses doigts. Je le touchais, je le regardais. Pour la première fois d'aussi près. Je m'effeuillait comme une Carmélite à la chaleur sous son t-shirt.     Vers minuit et demi ils partaient. Ils disaient « Venez avec nous les gars », « Faut être débile pour rater ça ! ». « Laisse-les, ils ont des trucs à faire. » Je retenais Romain par le bras. Je serpentais mes bras sur mon bras. Je tirais son bras contre mon ventre pendant qu'ils s'approchaient de la porte.     La porte a claqué. Je me suis prise penser n’avoir jamais touché Romain ailleurs que sur son bras. Ses doigts, sa paume, le creux de son poignet ; les veines sur ses avant-bras, les cachots secrets sous son bras. Pas plus : son épaule c’était la frontière. Au-delà de son épaule un homme entier me regardait et faisait un pas en arrière. Il me demandait si ça allait. Il jetait un œil aux débris dans le salon. « Je suis désolé pour ça. » « Ils ne sont pas méchants, tu sais. » Je savais. Je me taisais. J’avais l’appartement dans le ventre. Je ne répondais pas. Je le suivais. Il ne me touchait ni au bras ni ailleurs en ouvrant la porte de la chambre. Je fuyais vers des livres, des bibelots, des photos. Ça l'a fait rire. Il m’a dit: « Tu perds ton temps. Rien n'est à moi ici. Ni les meubles, ni rien. » Chaque fois que je m'approchais il disait « Non », il jouait comme il dirait « Tu brûles », comme au Petit Chaperon Rouge, « Le lit, tout de même, il est à toi ? - Non, même le lit n'est pas à moi », « Et ce manteau, il est à toi ? - Non, le manteau n'est pas à moi ». A chaque fois ça me faisait rire. À chaque fois il s'approchait de moi. « Juste la pile de vêtements sur la chaise et le bordel sur le bureau ». Il était à deux doigts maintenant. « Mais tu fais comme chez toi, Mona. »     J'avais un monde coincé dans la gorge. Je ne pouvais pas franchir les centimètres qui restaient. Je le lui ai dit très doucement : « Si je ne te plais pas, tu n'es pas obligé... » Il devint grave. « Tu me plais, Mona. C'est pas le problème. » Je n’ai pas demandé où était le problème. J'étais honnête dans mes laideurs. J'ai vraiment voulu le lui dire : ce n'est pas normal une fille comme moi, au bras d'un beau garçon comme toi. Ce n'est pas dans l'ordre des choses. Ce n'est pas dans l'ordre du monde. Mais personne n'entend ces phrases-là, personne n'entend les doutes, ni les renoncements. Il aurait cru que je me faisais prier. C'est lui que j'aurais voulu prier. Toujours ce désir d'implorer. Toujours ces hontes inavouées. Alors j'ai mâchonné mes mots, et j'ai joué au yo-yo des yeux, de ses avants-bras au plancher : j'avais le vertige de le regarder.     Jusqu'à ce qu'il mette ses mains sous ma chemise et qu'elle passe par-dessus ma tête et l'ordre du monde avec elle.
*
    Je ne concorde pas bien mes temps. La chemise s'est nichée dans ses draps. Je me suis nichée dans ses mains. Je n'étais plus tombée du nid. J'étais close dans les bras d'un homme. J'étais là où la vie commence, avec mes vingt-deux ans de retard et mes histoires mal bobinées. C'est difficile à raconter. Je ne saurais pas le dérouler. Et ce moment n’est jamais passé. Alors je raconte ce qui existe : des atmosphères. Des sentiments. Je cours l'intime. Pas l'aventure.     J'étais la photo en couleur ou les débuts du cinéma. Le tendre agacement dans sa voix quand il m'appelait Mona Lisa. « Arrête ton char, Mona Lisa », « Excusez-là, je suis désolé, c'est son côté Mona Lisa ». J'aimais bien qu'il se moque de moi. J'aimais ma vie déboussolée, perdre mes flanelles d'amoureuse dans ce quartier clinquant-bohème. C'était du beurre au cœur. Du baume aux épinards. Ou le contraire.     Les gens disaient que j'avais changé. Je ne trouvais pas. Je répondais que c’était comme dans les films où les jeunes filles apprennent à vivre. Ils rétorquaient que finalement, c'était tout moi. Je ne changeais pas. Je commençais.     Je m'émerveillais qu'il tienne à moi. Alors, bien sûr, je m'agrippais. Je me faisais légère, mais je m'agrippais. Je le glissais sous mes étiquettes. Je l'emportais dans les motifs de ma longue écharpe en cachemire. Je l'endormais entre mes bras. Je le berçais entre mes doigts. Je lui chantonnais des mobiles, des idées folles au-dessus de sa tête. Je faisais scintiller sous ses yeux – des mots-paperolles, des farandoles. Du tintamarre pour le voir heureux.     La sérénité de ses épaules ou ses mains qui s'enthousiasmaient : plus rien d'autre au monde ne comptait. Je m'asseyais entre ses genoux. Nous nous asseyions sur les puys ; et la vie s'escarpait enfin. Et entre mes côtes des vallées, et des aspérités rocheuses, des sillons sous son souffle rauque.     Il me rappelait mon ours en peluche. Je le lui avais présenté, « Biographe et dépositaire de moi-même. Il est temps qu'il passe le flambeau. » Il y eut une cérémonie. Un contrat écrit perdu depuis, et des prédictions au tarot, et des pop-corn au caramel. Deux jours plus tard il offrait à mon ours en peluche un nœud papillon en tartan. Nous avions tous trois fière allure.
*
    Il se piquait avec des épingles. C'était ma Belle au Bois Dormant. Je suçais le sang au bout de ses doigts. Il tiquait. Demandait pardon. Il disait être exténué. Je prenais ses épaules, ses bras sur le bureau. C'était drôle ces gros muscles avec autour d'eux des croquis, et des échantillons de tissu, et le grand livre de la soie. Il se perdait parfois dans des photos en grand format des ailes des papillons de nuit. Il se noyait dans des fonds de café. Il faisait rouler des matières sur le dos de sa main. Puis il les roulait sur ma joue. Il était tout sauf embrouillé, il ne jouait pas les compliqués ; pourtant je ne faisais pas le tour de ses paradoxes inconscients. Il avait le paradoxe pur : irréfléchi, il était très noir et tout blanc, très inclassable, indémêlable, et je coupais les cheveux en quatre pour essayer de cerner les douceurs qui grondaient en lui. Il se décourageait parfois. Il fronçait les sourcils, la tête entre ses mains. Il luttait contre des pendules. Mais il n'abandonnait jamais et l'emportait presque toujours. Il se savait follement aimé.
*
    Je laissais des mots doux dans sa corbeille à fruits.     « Choses faites quand tu es là : - Découvrir qu'on peut rire aux larmes. - Regarder un garçon dans les yeux. - Me hisser sur mes gros sabots alors que j'ai des courbatures. - Porter des traits noirs sur mes yeux et tant pis si ma tête me pique. - Relire tes projets sans comprendre et chasser les fautes d'orthographe. - Chasser les nuages dans tes yeux. - Chasser ton bassin de mes dossiers. - Chasser les feuilles mortes en basket et faire la course entre les quais. - Remplir les placards de guimauve et de crème chantilly et mettre un cacao suisse dans tes mains froides quand tu arrives.  - Prendre mes cliques et mes claques et te rejoindre à l'improviste. - Ne pas savoir où je vais dormir. - Traverser la ville en ciré et faire la risette aux flaques d'eau. - Mettre les pieds dans un lieu branché. - T'embrasser dans un lieu branché. - M'émerveiller que tu en saches long et apprendre à tire-larigot. - Porter des bodys en dentelle et dormir en chignon mouillé. - Prendre les escaliers quatre à quatre et mordre ton cou à pleines dents. - Tambouriner contre la porte et tomber tout droit dans tes bras. - Prendre une douche à la salle de sport car tu m'attends sous le réverbère. - Complexer sur tes parents riches. - Commencer mes histoires par « on ». - Porter du jaune moutarde. - Avoir une jolie peau. - Planter des secrets sous ta peau. - Croire en Dieu sous ta peau. - Chercher avec mes lèvres le son des soupirs sous ta peau. - Cacher tes beaux yeux sous mes mains. - Te laisser dévorer mes mains. - Parler à des inconnus. - Danser devant l'orchestre de rue. - Garder les yeux ouverts. - Mordre au bout de ta langue. - Être terriblement amoureuse. »     « Choses faites quand tu n'étais pas là : - Rester momifiée sous ma couette quand dehors il fait encore jour. - Ne pas dormir à la pleine lune. - Ne pas comprendre un texte faute d'avoir quelqu'un à qui essayer de l'expliquer. - Avoir peur de marcher la nuit. - Dormir entre des draps fripés. - Passer une journée sans parler. - Me cacher dans des bas de laine. - Me peser trois fois par jours. - Me plaindre du bitume de la ville. - Et des bâtiments en béton. - Ecrire « Je t'aime » sans jamais le dire. - Visiter les jésuites toute seule. - Ne pas oser appeler mon père. - Ne pas savoir quoi dire. - Ni par où commencer. - Grincer des dents contre le réveil. - Me lever du pied gauche. - Dégringoler de mois en mois. - Assommer des garçons à coups de métaphores. - Ne pas boire de café le soir. - Demander pardon pour un rien. - Cultiver des rancœurs en pot. - Ecrire des herbiers tristounets. - Et désherber sur un tableau. - Décliner des invitations. - Et des grammaires à la dérive. - Tourner trois fois ma langue. - Aimer les yeux fermés. - Être terriblement ennuyeuse. »
*
    Il demandait « A quoi tu joues ? » mais entrait toujours dans la danse. Il a mis des bottes à mes pieds et un chevreau sur mes genoux. De temps en temps vendredi soir il disait « Viens courir les routes », et « Fais-moi la lecture sur le siège passager. » Il voulait voir les bâtiments et dormir dans des vieux hangars. Nous roulions jusqu'aux bâtiments. Nous sonnions aux portes pour nous les faire ouvrir. Les gens ne lui résistaient pas. Il posait des questions que je ne comprenais pas. Nous déambulions dans les villes. Je regardais les fleurs, lui les arbres. Je ne lâchais jamais son bras. Je le traînais dans les musées, les emballages des confiseries. Il m'aimait à la belle étoile et nous courions vers la voiture. Je l'écoutais rire derrière mon livre. Je mordais ma queue pour le faire rire, j'étais le chat et la souris, malicieuse en vélin. Je faisais des pépinières.     C'est tout ce que je savais faire. L'amour en palimpseste. Des feuilles mortes sur le lit. Qui n'est même pas son lit ; mais je l'invente comme le reste.
*
    Il n'y a que le garçon qui soit vrai. Et mes deux mains sous son veston. Le reste, Romain, c'est du vent. Du vent coincé sous un boulet. Un fantôme pris à mes filets. Mona, l'automne. Monotone. J'ai encore écrit des fantômes. Des pages de nids imaginaires. J'ai toujours la même chose à dire. Peu importe le titre. Peu importe le thème. Je lasse jusqu'au garçon que j'écris. Mon deuxième nom : Répétitive.     Je le dis et pourtant je continue. Crochue, tortueuse, de guingois. Je passe mon fantôme à la plastifieuse. Je mets mon fantôme à la couvreuse. Je couve mon fantôme comme la mère que je ne serai sans doute jamais. Il doit y avoir un fantôme en-dessous de mes histoires de fantômes. Une jeune fille morte affamée en-dessous de mes histoires décousues. Et toujours elle hante mon stylo. Et toujours elle écrit dans le vide. Que quelqu'un l'écoute, mon fantôme. Que quelqu'un lui donne un lait chaud et un soupçon de rose aux joues. Qu'elle reprenne un peu de légèreté. Qu'elle me laisse écrire autre chose. Les marrons fumés qui grésillent et les loup-garous dans les bois.
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c-urvatio-blog · 7 years
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3. Désarçonnée
    Tu retiens ton souffle.      Bien sûr tu es gênée. Tu n'as pas confiance en toi. Tu n'as pas confiance en lui. Bien sûr tu es gênée, les mains crispées sur son désir. Tu ne sais pas ce qu'il veut en toi. Tu ne sais pas ce qu'il voit en toi. Cette énigme t'obsède : qui es-tu à ses yeux ? La fille des tapisseries et des calendriers de l'Avent. La fille facile. Celle qui se refuse. Tu enfiles dans ta tête des ribambelles de filles, et du velours noir sur ton cou, pour oublier que tu n'es personne pour lui. Il ne pense pas à toi. Il y pense quand tu es là. Ça ne l'empêche pas de penser à d'autres.
    C'est dommage, c'était beau, ce geste de baigneuse, sur son ventre à califourchon. Tu t'approches et puis tu recules. On dirait de l'encre qui cherche la toile. C'est délicat, c'est hésitant. Ça a quelque chose de raffiné. C'est une drôle de descente qui te plie sur ses lèvres. Une pluie qui n'ose pas sur ses lèvres. Tu as soif et tu as les deux doigts dans la source et tu ne veux pas boire. Tu te laisses faire. Tu es devant ton désir comme le lait sur le feu. Tu serpentes. Tu te terres. Frileuse. Doucereuse. Tu l'évites. Tu te déguises. Tu regardes ses cheveux. Tu t'approches de son cou. Et tu retiens ta langue.
    Tu fais la valse avec toi-même entre deux bras qui te retiennent. A genoux sur son corps qui t'attire tu es aimantée en arrière. Tu es aimantée en-dedans. Tu as une chape de fer dans le ventre et cette enclume c'est son silence. C'est une masse noire. C'est son silence. Son désir silencieux ça t'effraie encore plus. Tu ne comprends pas le désir sans nom. Tu ne veux pas d'un amour où ton nom n'est pour rien. Tu veux aimer avec des mots. Tu veux l'aimer comme un baptême. Mais ton nom n'a pas d'importance. Et ses jambes t'avalent à nouveau.
    Tes mots vous font du pelucheux. Des aspérités sous vos doigts. Tu as des cailloux dans la gorge. Tu ne devrais pas avoir mal. Alors tu te tais. Tu te reprends. Mais tu ne veux pas qu'il s'éloigne. Tu ne sais pas quoi faire de ton corps. Tu as le désir immobile. Son poids sur toi te paralyse. Tu as le désir au bout de la langue mais il ne veut pas te délier. Il ne veut délier que tes jambes.
    Tu te recouvres sous tes larmes. Tu te débrouilles pour qu'il ne les voit pas. Tu fermes ses yeux. Tu mords ses lèvres. Tu attends le dernier moment et la limite du supportable et tu prends tes jambes à ton cou. Il dit Caprice. Tu dis Scrupule. Il dit ''toujours tes vieilles rengaines'', tu te souviens d'anciens refrains. Alouette. Je te plumerai. Tu ne veux pas être une alouette. Tu n'es pas assez jolie pour ça.  Tu voudrais qu'on te parle doucement. Qu'on te réchauffe quand on te déshabille. Tu ne voudrais qu'un grand lit pour deux. Tu voudrais qu'on te fasse une promesse, des mots qui créent des lendemains. Mais tu es seule entre ses bras. Tu es stupéfiée sur ses lèvres.
    Tu ne dis mot quand tu te penches, tu sais qu’il ne veut rien entendre. Ce penchant-là – c'est compliqué. Quand tu te penches c'est recherché. ''Recherchée.'' Peut-être. Mais pas par lui. Tu aurais dit En Quête. Tu aurais dit Inquiète. Tu es à la limite de ton amour et de son désir. Tu mets l'amour en demi-teinte. Mais tu ne sais pas quoi faire de ces couleurs peu franches. Pourtant tu resserres ton étreinte et tu te caches pour faire grise mine. Le tête-à-tête te désarçonne. Il n'a pas besoin de ton amour. Ni de tes mots ni de ton nom ni de lingerie fine contre lui. Puisque ça pourrait être une autre. Puisque tu n'as pas d'importance. Il s'excède quand tu t’effarouches. Il dit respire un petit peu.     Et pourtant il – retient ton souffle.
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c-urvatio-blog · 7 years
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2. “Conte allégorique de la salle de bain.”
(Je ne sais pas raconter d’histoire mais j’avais envie de m’entraîner. Ce n’est pas moi qui l’ai inventée. Je l’ai piquée dans Vague à l’âme de Mari Okazaki, j’ai seulement transformé le manga en récit.)
« Je suis désolé, Iris. »
     Ses yeux l'étaient vraiment. Il eut un geste de la main, comme pour me prendre par l'épaule. Mais sa main rebroussa chemin. J'ai essayé de dire au revoir mais j'ai du manger une syllabe. Ou dégringoler d'une octave. Ou perdre mes mots derrière mes dents. Je parle toujours comme un ours. Je me dandine d'un mot sur l'autre et souvent je me prend les pattes et je m'étale de tout mon long. Il me comprend tout de même. Toujours il me démêle. Il a eu un sourire gêné et il a refermé la porte.
    J'ai ouvert le carton. Il a lavé tous les souvenirs que j'avais déposés chez lui. Même les bagues que laissais pousser sur sa table de chevet. Le livre entre ses draps. La robe qu'il préférait en flaque sur son plancher. Il a plié tous mes habits et rangé mon visage à plat dans la lessive. J'ai mon visage à rhabiller. J'ai toute ma vie à rhabiller.
*
    La dernière fois que j'ai vu Théo, il m'avait emmenée à la mer. Il m'a mis les chevilles dans l'eau et les cheveux dans les embruns. Il m'a dit : « Nous deux, c'est fini. » Et il a regardé les vagues.
    J'en suis restée les bras ballants. Notre amour dans un ciré jaune. Il a du trouver ça poli, l'horizon pour prendre le large. Je pense qu'il voulait cacher mes larmes sous le bruit des éclaboussures. Je pense qu'il ne voulait pas partir en me laissant les deux mains vides. Il a voulu mettre le grand air entre mes mains écarquillées.
    Mais j'ai mis l'air entre mes lèvres et j'ai brassé du vent comme un marin d'eau douce. J'ai laissé l'eau me cingler les jambes et les nœuds se moquer de mes cheveux, et son regard partir en biais. Mais je ne l'ai pas laissé partir. Je suis devenue volubile. J'ai porté la main à mon cœur et j'ai joué avec son couteau. J'avais de l'écume à la bouche et je suis devenue très bête. Je me débattais dans son silence. Et dans mon refus de l'entendre. « Dis-moi pourquoi, je t'en supplie, je t'en supplie, dis-moi pourquoi, parce que j'ai l'accent mosellan ? Parce que je suis têtue ? Parce que je suis soupe au lait ? C'est parce que je pleure tout le temps ? Mais tu vois bien, là, je ne pleure pas ! C'est parce que je dors la bouche ouverte ? C'est parce que je n'ai pas de poitrine ? C'est parce que je te parle trop, je sais -
- Je suis amoureux de quelqu'un d'autre. »
     Là la marée m'a emportée. Elle m'a déposée dans le carton. Dans l'odeur morte de la lessive.
*
    J'ai pris le livre, je me suis retournée, je ne savais plus bien ce que je faisais. Je me suis tournée sur personne et je suis tombée sur mes clefs qui pendaient à la porte. Les dents de la clé de chez Théo se sont refermées sur mes yeux. J'ai pris mon courage à deux mains et les escaliers quatre à quatre, j'avais envie, une dernière fois, de marcher juste derrière lui. J'avais besoin de lui courir après. Théo était venu en voiture. J'ai frappé à la vitre mais le temps qu'elle s'abaisse Théo n'était plus là. J'ai cru que la voiture était vide mais en un éclair j'ai compris. Il y avait un manchot sur la banquette avant. Mon cœur a fait le même bruit que mes bras ballants dans les vagues.
*
    J'ai trempé mes manches lourdes dans l'eau du bain. J'avais du mal à décrocher mon sourire affolé. Théo était dans ma baignoire, ses deux ailes noires sur le rebord et son bec par-dessus ses ailes. Moi je ruisselais sur le carrelage. J'ai dit au manchot : « Tu te sens bien ? » Il a dit oui, et puis plus rien. Je comprenais bien qu'il se taise. Ça en aurait soufflé plus d'un. Mais les cheveux mouillés dans mon dos me tiraient vers lui, mes avants-bras me tiraient vers lui. Ma jupe humide sur le carrelage. « Qu'est-ce qui t'est arrivé ? »      Il m'a répondu « Je ne sais pas » et je ne savais pas lire dans ces petits yeux noirs. Je savais lire les yeux de Théo et les arêtes de son visage comme dans les lignes de sa main, mais « je ne sais pas », je ne savais pas. Il me traitait de sorcière peut-être – ou il me remerciait de l'avoir reconnu. De l'avoir secouru. Il pouvait s'en passer des choses entre deux mots mâchés. (Entre deux naufragés.)
J'ai dit : « Pourtant... » (Pourquoi « pourtant »?) « Moi je t'ai reconnu tout de suite. » Silence. « « Ah, c'est Théo. » Immédiatement. » Silence. Du noir dans ses yeux de bille. « Pour moi ce n'était pas difficile. » Une goutte s'écoule du robinet sans faire déborder la baignoire. « Donc. Voilà, tu peux… rester aussi longtemps que tu veux. Théo. »
J'en avais oublié les vagues. J'avais encore les genoux qui tremblent. J'aurais bien voulu me réveiller. Retrouver des lignes qui tournent rond sans avoir à plisser les yeux.
« J'ai faim. » J'ai souri. « Il y a du poisson dans le frigo. Tu veux du poisson ? »
Les manchots ne savent pas sourire. Mais je connaissais trop bien Théo pour ne pas le déceler dans sa voix. Je l'ai regardé hésiter à le saisir dans ses nageoires. Il a mis des écailles et des arêtes dans l'eau douce que j'avais fait couler.
« Drôle de façon de manger... » Il avait les joues pleines. Il a dit : « J'ai pas l'habitude. - Si tu veux il en reste. Ce ne sont pas les poissons qui manquent. » Les manchots sourient quand ils veulent. Théo m'a souri du fond de l’œil.
    J'ai laissé la nuit se poser là. Je n'ai pas dormi dans la baignoire. J'ai dormi dans la veste de Théo que j'ai retrouvée dans la voiture. Elle me rappelait son corps d'avant et j'ai dormi entre ses manches.
    Une photo est tombée de sa poche à ma nuit. C'est une photo de « Quelqu'un d'Autre ». « Quelqu'un d'Autre » est aussi blonde que je suis brune. Elle a les cheveux sous les oreilles quand les miens m'enserrent à la taille.
    Je me suis relevée pour voir. Théo était sorti de la baignoire. Il regardait la lune depuis la fenêtre minuscule. « Sphenisciforme ». C'est joli. C'est plus joli qu'une petite blonde. Il ne faut pas qu'il soit trop triste. Je lui ferais manger des poissons. Je lui ferais bien manger des mollusques mais je n'oserais pas les toucher. Je lui donnerai mes tentacules. Je le laisserai me manger vive. Nulle petite blonde n'en ferait autant.
*
    J'ai toujours eu le goût du paradoxe. J'ai eu envie d'aller nager. J'ai mis des pinces dans mes cheveux et de l'eau dans mes courbatures. Je suis revenue en rêvant d'introduire Théo dans un bain aussi grand. Je pensais escalader les grilles, je pensais revenir la nuit, je ne pensais pas bien sérieusement, je pensais comme on pense avec des jambes bien fatiguées. J'avais les épaules qui tiraient et quatre poissons différents dans un sac isotherme en balançoire entre mes pas.
    J'entrais chez moi et dans le silence. Il n'y avait pas de barbotements. Je filais dans la salle de bain et ma gorge respira de travers – Théo gisait sur le carrelage. Il avait des tâches blanches partout sur ses plumes noires et son joli petit ventre blanc dessinait une équerre sue les joints de la salle de bain. Je me suis entendue hurler.
    Je me suis entendue pleurer sur le type de l'animalerie. Je me suis précipitée sur lui au moment même où il fermait. Il m'expliqua que ce n'était rien, la peau des poissons s’abîmait si on ne les habituait pas petit à petit à l'eau du robinet. (Je lui ai dit : « J'ai un poisson... ») Alors il faut jouer sur la dureté de l'eau. Moi je voulais lui faire l'eau douce, et mes vapeurs, douces et profondes… Il m'a donné des tas de produits. « Dites-donc, vous devez bien l'aimer, votre bête, pour être dans des états pareils. »
    J'ai mis les entrailles des produits et j'ai laissé les bouteilles vides à mes pieds nus sur le carrelage. Théo nageait dans la baignoire. Sa tête fendait la surface et l'angoisse dans les plis de mon cœur.
« Alors ? - Je me sens mieux, Iris. Merci. - Tu m'as fait tellement peur ! » J'ai mis ma main dans l'eau. « Je suis tellement soulagée. - Iris… (Je ne l'écoute pas.) - Le vendeur me disait - - Iris… (Je ne l'entend pas.) - Iris, écoute-moi ! » Je l'écoute alors il se tait. « Ta gentillesse… je ne la mérite pas. »
    Comment dit-on pour un manchot ? Il a une idée sous la palme ? Je n'écoute pas, je ne l'écoute pas. J'ai coupé la photo de la blonde et j'ai jeté tous les morceaux. J'ai pleuré dans l'eau minérale. J'ai mis du sel dans ma baignoire. J'effacerai les tâches blanches sur lui.
«Théo, ne dis pas ça. Tu sais, c'est naturel pour moi. Tu sais, restons-en là. La plage n'existe pas pour moi. Tu resteras toujours ici. Nous apprendrons à vivre heureux. S'il te plaît. »
    Le « s'il te plaît » m'a échappé. Il y a des clapotis là où la tête de Théo plonge. Les manchots ne sont pas bavards. Il doit bien le savoir pourtant qu'aucune blonde ne veillerait comme moi. Aucune n'éviderait des poissons ni ne jouerait pour lui dans l'eau. Tout à l'heure il voudra que je me déshabille dans l'eau. Je ne lui dis pas puisqu'il le sait. Les jeunes filles savent se taire aussi. Muettes les têtes de poissons décapitées dans les poubelles.
*
    Ses jours se tirent en m'attendant. Théo s'ennuie, je rentre tard. Je travaille en sortant de la fac et je reviens quand la nuit tombe. J'ouvre la fenêtre. Je fais des bulles. Je lui fais des poissons volants. J'ai mauvaise mine et des belles robes. Je me déguise dans la salle de bain. Je pavoise entre chaque carreau sous l’œil d'un manchot immobile. Je suis nue et je tire la robe comme une couverture :
« Tu te souviens de ma robe jaune ? C'est toi qui me l'avais offerte. Je préférais la bleue, mais tu voulais la jaune. Et tu avais raison. »
    Je sens qu'il va baisser la tête. Jadis quand il baissait la tête ses lèvres tombaient sur mon front. J'aimais quand il était plus grand. Je suis fatiguée de porter la salle de bain à bout de bras.
« Attends un peu, Théo, et ce collier, tu t'en souviens ? Tu me l'as offert pour Noël… Regarde les photos de notre voyage… C'était il y a plus d'un an… Nous étions si heureux à cette époque. Tu te rappelles des cierges magiques ? L'été dernier, on a vu un feu d'artifice. Et le lendemain, à l'épicerie, il vendaient plein de ces cierges magiques. Alors on s'est offert une deuxième nuit de feux d'artifices. Rien que pour nous. C'était amusant… C'était amusant, non, Théo? »
    Lentement le manchot baisse la tête. Il baisse la tête et je m'incline et toutes les perles tombent à mes pieds. Elles ne tenaient guère qu'à un fil. Elles tiennent à sa tête qui s'incline. Si sa tête s'incline j'ai perdu. Je m'éloigne et je ferme la porte derrière moi. En attendant que le temps revienne. Le temps des poissons à foison. Leurs yeux de verre et leur silence. Tes lèvres en branchies dans mon cou et le fond de l'eau comme la nuit noire.
*
    Trois silhouettes dans la rue se sont précipitées sur moi. J'ai reconnu un ami de Théo que j'avais déjà rencontré. Un autre garçon aux grandes épaules. Et derrière leur dos « Quelqu'un d'Autre ». « Iris ! Bonjour ! Tu te souviens de moi ? Est-ce que tu sais ce que Théo devient ? » La fille aux cheveux blonds et courts. « On n'arrive plus à le contacter. » Elle est encore plus belle en vrai. Elle a un visage de poupée et des yeux baissés maquillés. « Il ne répond même plus au téléphone... » Je suis prise dans ses yeux baissés. Je suis dans l'ombre de ses paupières. « Il n'a pas remis les pieds dans son studio, apparemment... » La fille aux cheveux courts lève les yeux. Ils deviennent d'un coup blancs et vides comme ceux de la mort ou du destin.
*
    Les yeux de Théo sont horrifiés même au-dessous de ses yeux de manchots. Il a l'air sur la défensive et ses plumes se hérissent comme s'il voulait se grossir.
« Me revoilà ! » J'ai l'accent sur mon « a » comme une clochette enrouée. J'ai dans la main le sac à poissons. « Désolée, je suis rentrée tard. - Iris… - Tu ne trouves pas que ça sent mauvais ? - Iris… - Comme une odeur putride… - Iris, tes cheveux. »
      J'arrête tout net mon numéro. Je relègue « Quelqu'un d'Autre » dans un faux-fond de ma tête et je mets ses mèches blondes avec. J'arrête les cliquetis des ciseaux du coiffeur. Je ne garde que le froid du métal qui me coupe comme elle, à ras la nuque. Je garde mes larmes aussi, j'essaye de les retenir. Mieux que les cheveux en serpents de mer qui nagent découpés à mes pieds.
« Tu te souviens, tu me disais que les cheveux courts ça m'allait bien... » Si j'arrête de sourire, je le perds. « Voilà. Tu avais bien raison. » Je ne dois pas cesser de sourire. Je m'entends babiller à travers mes oreilles bouchées. « Quelle sorte de boucles d'oreilles je pourrais mettre avec cette coiffure ? Allez, dis-moi, Théo... » Je m'accroche à mon sourire comme un poisson dans son bocal. Comme une demeurée. Je veux demeurer dans ses bras. Je veux la nuit dans son manteau vide. « Et puis ce serait pas mal aussi de changer de couleur de rouge à lèvres, qu'est-ce… - Iris. On arrête là. » J'ai continué de sourire mais j'ai des larmes jusqu'aux oreilles. Je respire discrètement. Je déglutis mes larmes. « Je vais mettre le poisson au réfrigérateur si pour l'instant tu n'as pas faim. - Iris… - Ou je t'en coupe un morceau ? Et tu en manges juste un petit peu ? C'est le même que celui que tu avais aimé l'autre jour… - Tu me fais perdre encore davantage les sentiments que j'avais pour toi. »
    L'eau me remonta à la gorge. L'eau s'engouffra dans mes oreilles. J'avais mis l'eau du robinet là où il m'avait laissée dans les vagues. J'ai pris la mouche. Pour les poissons.
« Mais je t'ai reconnu dès que tu es apparu ( - je suffoque - ), je t'ai reconnu sur-le-champ malgré ton étrange apparence ( - je crois que j'ai des poissons dans le ventre, ils me remontent en-dessous de la langue - ). Qui d'autre que moi te nourrirait ? ( - Théo veut me dire quelque chose - ) Qui d'autre que moi te comprendrait ? - Et me rendrait ma liberté... »
    Les poissons me sortent de la bouche au lieu du « non » que je veux crier. Mes larmes m'empêchent de respirer. Je me prends les pieds dans le nœud de mon ventre et je vomis de la buée les genoux à plat sur le carrelage. Je crois que je meure de chaud et je tremble. Je crois sentir la main de Théo caresser doucement mes cheveux. Je lève la tête. Théo est là.
    Théo est là dans son corps d'homme et dans ses grands yeux désolés. Ça fait comme cette plante qui se referme, je crois que je crie ou bien j'ai mal et je prends mes jambes à mon cou je claque la porte derrière moi. Je ne peux pas supporter son regard. Je ne supporte pas son visage. Je crois qu'entre les cotes j'explose, ou c'est ses poings contre la porte, ce sont ses poings qui tambourinent, pas pour sortir : il veut m'aider. Je l'entend crier, « Iris ! Ça va ? », j'entends qu'il pleure aussi et l'odeur perce mes tympans, j'entends partout l'odeur putride – une puanteur de pourriture.
    Je m'arrache le cœur pour voir. Des poissons pourris l'ont mangé. J'ai le cœur qui grouille de vers de terre et chaque œil vitreux qui marmonne, « pour Théo », « pour Théo », « pour Théo »…
    Voici mon propre cœur. Quelques flaques d'eau sur un carrelage. Des flots de poissons qui s'en échappent. Des bouches de poisson m'asphyxient, ils hurlent dans le vide, ça me terrifie.
    J'ai tenté quelques pas les pieds dans les poissons. J'ai posé mes mains sur le mur. J'ai posé mon front sur le mur. Théo traversa les poissons mais je ne me suis pas retournée. J'ai enlevé la mie de pain autour de mes arêtes.
    Je lui ai demandé de me pardonner. Et de ne pas me regarder. C'est exactement ce qu'il a fait. Il est parti sans dire un mot.
*
    Je voulais faire la mue comme on coupe ses cheveux. Faire peau neuve dans une queue de sirène. Mais les peaux mortes font de l'ammoniaque. L'amour mort me monte à la tête. Je dois mettre l'amour à la poubelle. Les queues de poisson à la poubelle. Éponger mon cœur qui dégorge et passer à la serpillière tous les Théo autour d'Iris. Je dois mettre les photos sous calque et sortir les cierges magiques.
    J'ai refermé la salle de bain. J'ai marché jusque sous les arbres. J'avais mes cierges entre mes doigts et mes larmes entre les cierges. J'avais le briquet de Théo, aussi. Mais les cierges ne s'allumaient pas. Je les ai craqués un à un. Je les craquerai jusqu'au dernier.
    Une fillette surprend mon manège. Elle met ses deux mains sur le banc comme deux nageoires sur la baignoire. Elle dit : « Maman ! Des cierges magiques ! » Maman s'approche. Sourire timide. « Ce sont ceux de l'année dernière. Je n'arrive pas les allumer. » Maman récupère sa petite fille : « C'est sans doute parce qu'ils sont humides. »
    Je ne savais pas que c'était fini une fois que les cierges étaient humides. Je ne sais pas d'où vient l’eau. Ni si mes mauvaises algues feront des boutures. Moi seule j'avais rêvé que je pouvais tout refleurir.
    La mèche a fait long feu entre mes doigts mouillés.
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c-urvatio-blog · 7 years
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1. L’Arche de Noé
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L’arche de Noé sur le Mont Ararat, Simon de Myle
     Marie-Céleste – épave errante. Tes doigts sont partis de mes doigts. L'écart entre mes doigts prend l'eau. Je dégouline. Je regarde l'homme qui m'abandonne. Je lui pleure des rigoles qui font des douves au lit. Et je repose éparpillée. J'ai les flancs en bateau blessé. De mes flancs brisés tout me quitte, ses mots d'amour et ses soupirs et mes araignées au plafond. Je le regarde partir : putréfiée.
    Je suis comme une bête qui met bas. Un navire qui met bas. Tout fuit d'entre mes chairs. Tout fuit d'entre mes cheveux. D'entre mes jambes, d'entre mes lèvres : des moisissures. L'amour me quitte. L'homme me quitte. Je suis l'arche de Noé déserte. Je suis une grande bête abattue. Pas comme une bête, comme un navire. Comme un navire sans voile qui quitte le lit du vent.
    C'est la débâcle.
    J'ai deux girafes au pas de la porte. L'une dans un sens, l'autre dans l'autre. J'ai leur deux cous qui s'entremêlent, comme mes pinceaux, comme mes bêtises. Comme mon cou que tes deux mains quittent. Il ne me reste que la rougeur. J'aimais mieux quand tu m'étranglais. L'ours de la Casserole me quitte. Il a mis dans ses pas les parois de la Préhistoire, pris avec lui ses grands chevaux. Les étalons me quittent, bêtes-à-Platon, concupiscents. La cavalerie du salut bat de l'aile. Et mes petits agneaux me quittent, mon innocence et ma douceur. Tu as tondu mes beaux agneaux, les peluches au bord de mon lit. Ne t'en fais pas trop grand mérite. C'est la seule créature à ne pas se débattre quand on l'abat. Je ne me débat pas quand tu me quittes. Je t'offre mes agneaux blessés dans les pattes mauvaises des autruches.
    J'enfonce ma tête sous mes cheveux. Je cache ton sexe en dessous des draps. Tu laisses aux draps une plume d'autruche, un oreiller cruel, désert. Tu laisses les pattes torves des autruches hanter mon matelas stérile. Mon corps d'autruche : désolation. Cloué et piqueté au sol sous les serres impures des autruches. Clouée comme la belette, la musaraigne, la bouche pleine de ténèbres et pleine de terre aveugle. Reviens mettre les doigts dans ma bouche. Reviens mettre tes doigts ou j'étouffe.
    J'étouffe, ils quittent le pont, ma ménagerie me quitte et l'homme chasse la vache loin de moi. Ma fidélité de bête : au bâton. Pour qu'elle me quitte plus vite. Pour que le lait s'assèche. Qui a donné le bâton à mon homme aux rubans ? L'a-t-il toujours porté, l'a-t-il toujours caché ? A qui sont les rubans sur les cornes des vaches, qui a jeté mes vaches droit dans la gueule du lion… ?
    Le lion qui m'a gardée trois jours morte contre lui me quitte et efface ses traces avec sa queue. La lionne lui met ma chair entre ses griffes. Un sanctuaire entre ses griffes. J'ai des éléphants qui me piétinent, des bêtes de somme qui me quittent, des rhinocéros en armure. Qu'est-ce que tu sais de ces bêtes là ? Sais-tu qu'elles meurent noyées sous les eaux du déluge ? Elles voguaient vers le pape et elle ont fait naufrage. Et coulé enchaînées. Sais-tu qu'elles déposent leur armure sur le sein nu des vierges folles ? Comprends-tu maintenant qu'elles me quittent, comprends-tu donc que tout me quitte ?
    Les yeux des bêtes me quittent et meurent. Elles font le gros dos, la ruade. Elles errent faméliques et désordonnées pour mieux se défausser de moi. Mon dromadaire bat la chamade et mon loup me voit le premier. Est-ce que tu connais la légende ? Si le loup voit la femme avant qu'elle le devine alors la femme devient muette. Deviendrais-je donc muette ? Me voudrais-tu muette ? Me voudrais-tu comme les renards feignant la mort pour que tu reviennes ? Me voudrais-tu comme les castors m'arrachant le sexe pour que tu m'aimes, me veux-tu en nuée d'oiseaux prenant la risée qui me quitte… ?
    Je n'avais pourtant qu'une seule fenêtre. J'avais pourtant si peu de lumière. Elle te suffit pour envoler de mes os tous les oiseaux du ciel ? Les gémissement des hirondelles, les cailles épileptiques. Tu as souillé les tourterelles, et les mouettes indécises. Les oies blanches et les pies bavardes. Le faulque qui demeure toujours aux eaux profondes, et qui me quitte, et qui t'attend. Les oiseaux qui n'existent plus, comme tes beaux oiseaux du Stymphale. Des oiseaux de rien. Des chardonnerets. Et des monstres anciens, et des griffons ailés. Mes vieux secrets, tu m'as tout pris. Et tout quitté. Tout déhalé.
    Je rappelle ma panthère, mes grues et mon ânesse, et mes enluminures. Je m'écoute me taire dans les fils du gopher. J'écris ''pourquoi'' encore, mais je sais bien pourquoi tout me quitte, et pourquoi nul ne se retourne. Pourquoi cette odeur de fumier et l'ombre des cerfs sur la poix.
    J'ai honte encore plus que j'ai mal. J'ai honte quand les eaux étaient grosses et d'avoir été le mât qui quête, qui incline vers l'arrière. J'ai honte d'être un bateau sans mât, bateau sans voile d'où tout me quitte. J'ai honte parce que tu m'as vue nue. J'ai honte parce que tu m'as vu ivre. Qu'est-ce que c'est que cette arche immobile ? Pourquoi les arbres survivent en-dessous ? Où vont les eaux qui se retirent ? Je ne cesserai de me dédire. Je ne cesserai de t'engloutir. Je pleurerai sur toi le déluge. Ce sont les seuls mots qu'il me reste. Le seul recours pour que tu reviennes.
    Je pleurerai sur toi le déluge. Je te prendrai au pot-au-noir. J'ai lu quelque part qu'être une femme c'est choisir son dieu. Faut-il être stupide tout de même, pour laisser dieu vous faire l'amour. Faut-il ne pas savoir ce que les dieux font de leur femme. Mais aucun dieu jamais n'extermina les eaux. Seulement ce que la chair a touché, l'homme et les bêtes qu'il a mangées. Mais jamais les abysses. Jamais les eaux instables.
    Alors je te ferai l'anguille sous roche. Je t'apprendrai des mots marins. L'oeuvre-morte c'est ce que tu fais de moi : une carcasse de bois à l'air libre et le cirque qui passe au travers. L'oeuvre-vive c'est l'anguille sous roche, c'est les pieuvres lorsque je replonge : c'est la part du bateau sous l'eau. Alors tu vois, dégât des eaux, je pleurerais jusqu'à ce que tu coules. J'ai mes humeurs et mes yeux-sel, j'ai besoin du rugueux de ta mâchoire et de tes rocailles sur mon ventre. J'ai le cœur qui vomit des vagues et quarante jours et quarante nuits, je pleurerai à l'infini, et si tu as vidé mon arche je t'avalerai comme la baleine, je t'avalerai mais tout entier…
    Je le crie à ma ménagerie qui s'englue les sabots dans les sables mouvants. Je le gicle à ton dos quand tu me quittes. Je le propage en boues humides ; tu n'entends pas, tu ne réponds pas. La porte entrebâillée répond. Tes omoplates en coque répondent : la pauvre se prend pour un bateau, et ta pitié pour le mot de dieu. La lune dans les volets le dit : il n'y a qu'une seule bête que Noé refusa de sauver. Il interdit l'entrée de l'arche à la licorne. Elle était seule et la dernière. A quoi bon sauver cette bête-là? Seule elle suivit l'arche à la nage et se noya dans le silence. Le froncement de tes sourcils me le dit, et la rudesse de tes syllabes, quand tu rejettes mes mains de ton poignet.
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c-urvatio-blog · 7 years
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Comment avez-vous vécu ce défi ? Que vous a-t-il apporté ? Que représente l’écriture pour vous ? Continuerez-vous à écrire ?
     Les mots n'étaient peut-être pas si importants. L'important était peut-être entre. L'important est entre les lignes et entre les lignes j'ai arrêté de pleurer. J'ai appris à ne pas attendre que tu relises. J'ai appris à ne plus compter sur toi. J'ai mis les points toute seule et respiré toute seule. Sans une de tes mains sur mon ventre sans une de tes mains sur mon cou. Je crois que c'est ça que j'en retiens, et tant pis si je sonne creux et lourd. J'ai toujours été creuse et lourde. Je ne me suis pas défaite de moi. Mais j'ai cessé de te grignoter. Et j'ai appris à qui demander. J'ai tiré par le bras, j'ai demandé, doucement, ''lis-moi''. Je l'ai demandé dans la rue entre deux peaux d'échappement.
     J'ai appris à écrire très vite entre mes livres, j'ai appris à écrire dans la rivière, j'ai écrit à la hâte au dos des feuilles de vente et sur le rebord des trottoirs. J'ai écrit dans l'autoradio qui serpentait dans la montagne, je me suis dandinée d'un mot sur l'autre, sur la plage, Coco Câline, ton corps scie les vagues, sous ce cœur que j'imagine, un baiser minois. Je n'ai pas pour autant appris à lever l'encre. Je n'ai pas élevé le ton. J'ai seulement changé de muse et j'ai continué à salir d'autres joues. J'ai toujours les doigts pleins de gestes avortés et des tâches sur tes lèvres que je n'ai pas mises au bout de ma langue. J'ai appris à écrire ce que je ne sais pas dire mais pas à écrire au revoir. Je n'ai pas arrêté de t'attendre. Il faudra donc écrire encore...
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c-urvatio-blog · 7 years
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La faim
Un petit creux – entre mes cotes. Un petit creux – entre mes cuisses. Un petit creux – sur mon épaule. (Tout juste de quoi t'accueillir.)
J'ai avalé ma vie de travers. Et j'ai vomi tous les oiseaux. On dit un appétit d'oiseau, on dit un estomac d'oiseau. Je veux devenir une cage à oiseaux. Et m'ouvrir et puis m'effondrer et les laisser tous s'envoler. Et me nourrir de miette en miette, de quoi mettre un pas après l'autre. Plus rien ne passe entre mes lèvres. Plus de mots. Plus de pain. Rien dans le ventre et rien dans la tête.
Je voudrais qu'on me calque à travers. J'ai la tenaille et je vacille. Je ne veux plus déglutir. Je ne veux plus engloutir. Je veux sortir, sortir, je veux sortir de moi – je veux m'étouffer dans un haut-le-coeur.
J'ai mes petites pilules. Je les laisse tomber. Cailloux du petit Poucet. Je les ai faites tomber.
Sur ta robe de panthère.
Tes grandes ailes de vautour.
Tu m'as vue charogne et tu veilles. Grain après grain tu moulines. Tu me remplumes.
Tu fais du xylophone, avec le vent, mes pas de danse. Et des flocons de neige sur mes lèvres. Un doigt entre mes dents, puis l'autre. Un peu de laine sur les courants d'air. Et des draps chauds. Des sucreries.
Je te regarde. Tu m'épaissis. J'ai appris la faim sur tes mains. Je l'ai d'abord lue sur tes lèvres. Je l'ai mangée à la becquée. Tu m'as donné faim de tes doigts. Tu m'as donné faim de soleil. Ta pomme d'Adam : l'appétit de vivre. Tu as mis dans mes reins
des bulles de limonade
et une faim de loup
entre tes bras.
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c-urvatio-blog · 7 years
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« Et seules les étoiles nous verraient, / Rien qu'une nuit, / Mais sans que jamais vienne l'aube... »
     Tu sais qu'il y a un fleuve du sommeil au sein des enfers grecs ? Quand je dors, tu sais forcément. Est-ce que tu crois à tes fantômes ? Qu'est-ce que je fais de toi quand je te rêve ? Qu'est-ce que je te fais quand je t'emmène, où l'on vit moins qu'un éphémère, moins qu'un ami imaginaire…
     Je me félicite d'être capable de rêver de toi avec une telle précision, des semaines après t'avoir vu. Mais je ne comprends pas vraiment. Pourquoi est-ce que je rêve de toi si souvent, pourquoi j'entends ta voix, pourquoi exactement – et cette ardeur soudaine de géomètre à ressusciter tes jambes, et, maladivement, la circonférence de tes bras ? Tout s'estompe et s'estampe sauf la fine pellicule praline où je t'agrippe dans mes rêves...
     Tu m'y prends dans les crinolines. Tu es entre mes mains pourtant. Entre la bordure de mes jambes. Entre les châssis de mon lit. Dans mes rêves je t'écoute et je te suis. Sans mot dire. Pourtant, tu vois, je t'hypnotise, et tu prends la poussière sous la membrane de mes paupières. Pourtant, je gagne, vieux loup de mer, je te prends dans ma houle quand c'est toi qui m'embrasse…
     Je gagne toujours aux nuits tombées. Je gagne toujours au roi du silence, je gagne toujours au jeu des ombres. Je te prends en rêve, rigoureusement, tu es le même, c'est effrayant, qu'est-ce que tu as bien pu me faire quand je te regardais d'en bas, qu'est-ce que j'ai bien pu faire de toi en me donnant la nuit la réplique… ? Pourquoi ai-je ainsi retenu chaque centimètre entre nous deux, pourquoi les dupliquer la nuit ? J'y fais pousser des champs de lavande et je te laisse m'allonger dedans…
     Il doit bien y avoir une légende où l'on punit les gens comme moi. Il doit être interdit de sucer les âmes comme cela. Est-ce que tu sais que les papillons de nuit chantent ? Trop bas pour qu'un homme les entende. C'est une chanson d'amour qui ressemble aux ultrasons des chauve-souris en guerre. Tu t'imagines ce qu'il leur faut de force ? Et pour ne pas être entendu, pas même des étoiles qui regardent et n'ont pas vu tes bras fermer ma taille – ni toi non plus, ni les miroirs. Sans que l'aube, et pour cause, jamais ne nous surprenne...
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c-urvatio-blog · 7 years
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La poésie
     Les poèmes baillent et tu surgis. Le vrai poème : tes phrases à toi. Tu m'érafles à chaque fois que tu parles. Tu m'écorches et je dois me refaire du néant. J'ai rencontré la poésie et elle n'était pas dans les livres.
     La poésie c'est tes bras brusques et ta voix quand tu dis : attends. Des triolets quand tu t'approches, à chaque pas que tu fais des griffes me serrent plus fort. Je dégouline entre les griffes, en sève, en lait, quand tu t'approches. La poésie c'est toi, tes épaules, télamon, on te donnerait le monde parce que tu as le cœur pur. Tu l'as caché le monde, tu l'as mis dans la poésie, tu l'as mis en-dessous de ton t-shirt, dans la chambre qui s'affaisse lorsque tu enlèves ton t-shirt. Tu l'as mis dans les grues, dans la paume de ta main, dans l'haleine qui trébuches lorsque tu cherches le bon mot. Tu me pends à tes lèvres en attendant le mot. Le poème a le souffle coupé et tu me mets le souffle court, tu es poème, tu es prouesse, tu me donnes à goûter le poème la bouche pleine.
     Des poésies je n'en sais plus depuis que j'ai l'odeur de tes cheveux. La poésie c'est des images, des images qu'on invente pour deviner le goût de ta langue. La poésie c'est sage, c'est sage comme des images, à quoi ça rime la poésie la ponctuation allusive, si j'ai tes poings dans mes cheveux ? Si j'ai ma joue contre ton dos. Si j'ai les forges moites qui hurlent sous tes cuisses.
     Tu as bâillonné tous les livres et j'ai compris les lettres mortes. Les poèmes c'est des dépôts de gens comme toi. Des gens comme toi sédimentés, que des filles-sonnées dans mon genre n'ont pas réussi à toucher. La preuve : je reste muette quand tu me demandes de réciter. Les vers de Mallarmé me sont revenus dans le bus qui m'éloignait de toi. La poésie s'éclipse devant les gens comme toi. La poésie s'incline devant les gens comme toi. Tu as tant d'ombres entre les veines et de feux follets sous les doigts que tu déchires tous les poèmes.
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c-urvatio-blog · 7 years
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« Les hommes ne nous font jamais tout le mal qu'ils pourraient. »
     Quand je parle de toi, tu vois, je sors les plaies. Je ne parle plus de toi aussi souvent qu'avant. Je le fais seulement pour expliquer, quand on me demande pour mes fossiles ou pour mes lèvres humiliées. Et j'explique moins que je n'élude. Alors, forcément, tu joues le mauvais rôle.
     Je parle mal de toi. Et j'écris mal sur toi. Je te rends responsable de tous les maux, des moutons noirs. Je me dis que ce n'est pas bien grave. Que de toute façon, tu ne lis pas. Que ça fait belle lurette que tu ne m'écoutes plus assez pour que je siffle à tes oreilles. Et puis, c'est plus facile pour moi… Mes yeux c'est des crapauds. Ils bavent dans mon stylo.
     Mais tu sais bien, au fond, je compose… Je tente de me ressaisir. J'essaye de faire tenir le mal dans les boucles des majuscules. Parce que, c'est vrai, tu me fais mal. Et le mal ça me rend friable, ça me rend pissenlit, poussière : un éternuement me dissiperait, si je ne traitais le mal par le mal. Mais tu sais, au fond, que je t'aime… Et j'aurais beau dire, médire, maudire – c'est la seule chose qui me reste à faire avec toute ma reconnaissance.
     Qu'est-ce que c'est, le mal que tu me fais ? Mais c'est rien, c'est des cendres, un liseré de cœur calciné. Les restes médusés de tout ce que je t'ai aimé. Tu ne m'as jamais fait tout le mal que tu pourrais. Tu m'as jetée dans la lumière et je pleure parce que mes yeux piquent. Tu m'as mise dans la gueule du loup et tu ne l'as – jamais – refermée. Ce n'est pas de ta faute si les crocs me donnent le vertige.
     Tu t'es seulement trompé lorsque tu es tombé sur moi. Tu aurais pu te détourner. N'importe qui d'autre l'aurait fait. Je crois que je suis tout ce que tu n'aimes pas chez une fille et pourtant tu m'as recueillie. Tu m'aurais facilement tuée. Tu m'as, scrupuleusement, incessamment, inexplicablement - épargnée. Et tu m'as fait danser, un pied sur ton respect, un pied sur ta pitié.
     Pourtant je t'ai vu faire du mal. Tordre les ailes des mouches. Je t'ai vu mépriser, je t'ai vu maugréer, ta fierté sur tes grands chevaux – mais je ne t'ai jamais vu me faire le moindre mal. Tu as la colère facile, et les mots plus encore, pourtant tu ne m'as pas dit un mot plus haut que l'autre. Tu as toujours été, pour moi, d'une pureté presque insurmontable. Inabordable. C'est pour cela, sans doute, que je t'ai aimé ; c'est cela aussi, sans doute, qui me laisse si désemparée. Tu partais sans arrêt. Tu revenais comme un enfant. Tu avais la même cruauté ; et le même boucan d'amour pur.
     Tout ce que tu n'as pas voulu de moi tu l'as sauvé. Tu l'as préservé, hors d'atteinte, tu l'as mis dans un autre monde dans lequel je n’arrive même plus entrer. Tout le vide que tu m'as mis, entre les os, entre les doigts, entre les yeux – c'est un don que tu me faisais encore. Je dis tu me brûles à petit feu. Ça me va bien, le petit feu. Tu m'as donné le plus précieux. Tu m'as donné le sens de la perte.
     J'ai de moins en moins de souvenirs d'avant t'avoir connu. J'ai un arrière-goût de pâte, quelque chose d'informe, de grossier. Tu as mis dans mes poumons tout l'Arche de Noé, tous les avions du Petit Prince. Tu ne m'as jamais fait de mal. Tu m'as seulement fait trop d'honneur. Je dis que tu te jouais de moi, que tu prenais une poupée laide pour en faire un pantin, pour tirer les ficelles, avant de laisser tomber. Mais c'est une manière de remercier. Merci pour les ficelles qui pendent de mes coudes, de mes genoux, qui tirent de la pointe de mes cheveux. Qui gémissent dans le vent, dans les mains de personne. Ces ficelles c'est mes lambeaux d'âme. C'est des cordes de contrebasse. Je te remercie pour les lambeaux.
     J'en ai assez de t'écrire. J'en ai assez de me plaindre. Mais il faudrait l'écrire, tout le mal que tu ne m'as pas fait. Et ta clémence, et ta patience. Ton intransigeance lorsqu'elle fondait dans un gloussement, et ton sourire en coin lorsque tu me disais, ''tu marches sur la tête''. Ta façon de dire ''viens dans mes bras'', de commencer tes phrases par ''toi''. Les bois dans tes yeux de criquet. Je les ai comptées, aussi, les heures passées à me rassurer, même longtemps, même après. Le son de ta voix quand tu te livrais, tu ne te livrais pas tu t'écorchais, tu répondais à tout et c'est moi qui pleurais quand j'avais ton sang sur les mains. J'avais la tête dans mon placard, ''est-ce que tu aimes mon collier pieuvre ?'', et te voilà sur l'arbre à chat, ''j'ai la réponse à ta question''. Et je savais bien quelle question. Que ce n'était pas celle du collier. C'était celle inquiète de la nuit à quatre heures vingt sur mon balcon.
     Je sens que c'est ça qui me manquait. De ne pas t'avoir dit tout ça, de ne pas dire que je t'aimais, que tu ne m'as jamais fait tout le mal que tu pourrais. Tu m'as toujours mise à l'abri, tu m'as toujours regardée à part, et quand tu me faisais du mal c'était moi qui me faisais du mal. C'est une grâce que je ne m'explique pas. Je ne saurais jamais ce qui te retenait, quels mortiers de douceur avaient fait ces remparts, ni pourquoi tu me protégeais. Je ne saurais jamais que t'en remercier.
     Je n'ai pas su te rendre la pareille. Mais qu'une femme t'en fasse, du mal, qu'elle essaye, elle verrait. Il faudrait qu'elle me déchiquette, et qu'elle me re-déchiquette morte, avant que je la laisse t'atteindre. Ne va pas me croire impuissante, parce que je ne me suis jamais défendue contre toi. Je te défendrais jusqu'à ce que je crève. ''L'amour est passé, Mitia ! Mais  ce qui est passé m'est cher jusqu'à la souffrance.'' Comme une plaie dans mon âme, scellé à sa blessure, tu te souviens des phrases ? Méfie-toi des jeunes filles, Mitia. Nous n'avons pas vos grandeurs d'âme. Nous te ferions sans doute tout le mal que nous pourrions.
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