Tumgik
nonoqu-blog · 6 years
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Vietnam
La vallée de Dien Bien Phu est embrumée, on distingue à peine les fameuses collines. Je visite des reconstitutions de bunkers et tranchées en plâtre, peu évocatrices. Dans le Musée de la Victoire, les mannequins qui représentent des soldats français ont des profils de perroquets : les vietnamiens appellent les européen "Longs Nez" plutôt que blancs. 
Je me farcis une nouvelle journée de bus interminable à 30 km/h sur des routes en lacets pour rejoindre la capitale. Je suis immédiatement à l'aise à Hanoï, c'est un grosse ville, grouillante comme une boite de pétri. Après les jours de chaleur caniculaire au Laos, le temps est agréablement printanier. L'alternance de boulevards et de rues étroites me rappelle Paris, ainsi que le nombre impressionnant de cafés. 
Les vietnamiens (pas les vietnamiennes) passent leurs journées sur le trottoir, assis sur de petits tabourets en plastique, à boire du café et à fumer du tabac dans de longues pipes à eau en grimaçant. Le café est sirupeux tant il est fort, il a presque un goût de cacao. Il est servi avec un verre de thé au jasmin pour adoucir. 
La circulation est infernale, je manque d'y passer vingt fois en traversant la rue. Une fin d'après midi, épuisé après une mauvaise nuit et une longue journée, je me prends pour Moïse et je crois pouvoir séparer en deux le flot de scooters et de motos par ma simple volonté. C'est risqué, je manque d'y perdre des orteils. Les conducteurs ignorent généralement les feux rouges et ne font aucun cas des piétons. Pour traverser il faut évaluer leurs trajectoires et se glisser entre eux, sachant qu'ils n'en dévieront pas d'un pouce. Marcher dans les petites rues est épuisant. Les trottoirs sont trop encombrés de marchandises, terrasses et scooters pour qu'on y pose le pied. Les piétons doivent batailler avec les deux-roues au milieu de la chaussée. 
L'ancienne prison Hoa Lo est glaçante : c'était un centre d'internement des révolutionnaires Vietminh du temps de l'Indochine. Les panneaux explicatifs rappellent sur un ton exalté la bravoure des prisonniers révolutionnaires face aux horreurs des colons français. Ils ont conservé la guillotine. La visite s'achève malgré tout sur une note optimiste avec des photos de la libération des pilotes américains détenus ici jusqu'en 1975 et de John McCain ému lorsqu'il est revenu dans le pays pour la première fois il y a dix ans.
La ville moderne de Hué ne m'a pas particulièrement plu. Elle est soit vivante mais touristique, soit morne et quelconque. En revanche la vieille cité impériale du XIXe est surprenante. Son architecture est différente de tout ce que je connais, c'est un modèle de raffinement subtil, de proportions harmonieuses, d'associations audacieuses de matériaux. Je n'ai pas d'autre choix que de me joindre à un tour pour visiter les tombeaux impériaux de la dynastie Nguyen dans les campagnes alentours. Passer la journée entouré d'autres touristes me hérisse mais c'est la seule option abordable. Les tombeaux sont de petits Versailles, disposés artistiquement au milieu de pièces d'eaux d'un naturel artificiel charmant. Ils servaient aux empereurs de résidences d'été de leur vivant. 
A quelques heures en bus au sud de Hué, la vieille ville d'Hoi An est pittoresque : elle arbore des rues de taille modeste, de belles maisons aux façades peintes dans  des tons jaunes ocres apaisants et une myriade de lanternes multicolores. C'est dommage que les boutiques de souvenirs soient si envahissantes. En marchant dans les rues, mon attention est sans cesse détournée et happée par leurs étals. Je profite d'une journée de soleil brillant pour aller à la plage redonner du peps à mon bronzage une dernière fois avant de rentrer. 
Je fais une dernière halte dans le centre du Vietnam à Da Nang, une grande métropole étendue sur une large péninsule jusqu'à la plage. Ses avenues sont propres et modernes, la troisième ville du Vietnam n'a pas à rougir de sa skyline illuminée le soir au néon. Un pont-dragon réunit les deux rives. Le souci de réalisme a été poussé loin : il crache littéralement du feu. Tous les soirs à 21 heures des giclées de flammes s'échappent de sa gueule suivies d'un nuage charbonneux, les habitants se massent sur la promenade pour profiter du spectacle. 
Je fais le tour des musées avant de prendre mon train. Celui d'art Cham est le meilleur. Les Chams étaient un peuple d'origine indonésienne qui peupla la région il y a un millier d'années. Les sculptures sont très finement exécutées, et souvent délirantes : seule une civilisation à l'imagination supérieure peut avoir eu l'idée de croiser éléphant et lion dans une créature mythique.
Je reprends le train de nuit pour Hanoï, mes deux derniers jours au Vietnam et mon vol retour.
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nonoqu-blog · 6 years
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Nord Laos
Contrairement à la capitale, Luang Prabang est vieille et pleine d'histoire. En contrepartie, elle est parfaitement muséifiée. Le centre serait un triste no man's land sans les touristes et leurs cafés, guesthouses et boutiques de souvenir. 
Je me pose un peu, en grande partie pour ne pas avoir à refaire mon sac pendant quelques jours. La petite auberge où je suis descendu est familiale, ses pensionnaires de tous âges se retrouvent le matin autour de la table du petit-déjeuner pour papoter.
Les Wat de la vieille ville éveillent mon intérêt. Jusqu'ici, les pagodes dorées aux murs couverts de dessins didactiques naïfs sur la vie de Bouddha m'avaient laissé assez indifférent mais celles de l'ancienne cité sont patinées par les années. Cela les rend plus solennelles que celles aux statues en plastique doré. Les terrasses des cafés en surplomb de la rivière sont généralement vides. J'en profite pour y passer de longues heures (celles brulantes en milieu de journée) avec de la musique, des cafés, de la limonade, des bières et des bouquins.
Je poursuit ma route vers les montages du nord-est. La petite ville de Nong Khiaw est lovée dans un cadre grandiose au bord de la rivière Ou et à l'ombre de hautes collines. La vue du balcon de la guesthouse la moins chère de la ville est parfaite, j'ai les montagnes pour moi. Le matin, elles sont obstruées par une chape de nuages qui s'évapore au fur et à mesure qu'elle est frappée par les rayons du soleil, découvrant graduellement le paysage. 
Je m'entasse dans un petit bateau inconfortable pendant une heure jusqu'à Muang Ngoi, un tout petit village sur les coteaux de la rivière. Il n'y a que des touristes mais ils sont suffisamment peu nombreux pour que ce ne soit pas gênant. Je me promène dans les rizières en jachère aménagées dans la vallée entre les colllines. Sur le chemin on peut entrer dans une grotte diaboliquement profonde. Après un premier corridor étroit et bas de plafond je débouche dans une vaste caverne où des formations rocheuses monumentales pendent du plafond. Le décor rappelle irrésistiblement l'entrée d'un royaume souterrain oublié dans un album de Blake et Mortimer. Je pourrais m'enfoncer bien plus profondément, la grotte se poursuit après un éboulis. Mais on m'a mis en garde à l'entrée sur le risque de se perdre et je me sens pris au piège quand je ne peux plus voir le point lumineux de l'entrée en me retournant. 
Le lendemain je remonte dans le bateau jusqu'à Muang Khua pour me rapprocher le plus possible de la frontière vietnamienne. Je suis réveillé dès 5h30 le matin par le son d'une radio. De la pop thaï, une interview, de la musique. J'enroule ma tête dans l'oreiller, je peste, mais je dois me lever tôt pour le bus de toute façon. En traversant le pont suspendu, la scène est irréelle, légèrement sinistre. Le village se réveille, les enfants en uniforme se dirigent vers l'école au son métallique et crachotant de cette radio émise par un haut-parleur de mauvaise qualité perché sur une antenne téléphonique.
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nonoqu-blog · 6 years
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Sud Laos
Je remonte lentement le Laos en direction du nord. Je découpe le trajet en faisant une première halte à Savannakhet, ancienne ville coloniale endormie au bord du fleuve. A l'exception de quelques bâtisses coloniales du temps du protectorat elle n'a pas de charme particulier. Le soleil est brutal, la chaleur diminue péniblement une fois la nuit tombée. Des clebs agressifs patrouillent les rues. Après m'être fait courser par ces bestioles pouilleuses une ou deux fois je me munis d'un bâton et j'évite les ruelles où ils sont en embuscade. Je n'ai pas envie de tester les limites de mon vaccin contre la rage. 
Je manque de perdre patience dans le minibus bricolé qui m'amène à Thakhek. Il attend une heure à la gare routière qu'il soit suffisamment rempli au goût du chauffeur, il s'arrête à plusieurs reprises en sortant de la ville pour ramasser d'autres passagers jusqu'à ce qu'on soit proprement entassés et après 20 misérables kilomètres il fait une demi-heure de pause déjeuner. J'en profite pour goûter une brochette de gros insectes (ils ressemblaient un peu à des petits cafards). Résultat, un mélange cacahuète/noisette un peu faisandé. Pas la découverte du siècle.
Peu après mon arrivée à Thakhek, l'orage éclate enfin. Je trouve une chambre dans l'auberge la plus miteuse que j'ai vue jusque là, une vraie cellule de prison. Tout est cassé, ébréché, noirci. Les néons déploient des efforts surhumains pour s'allumer, la plupart échouent piteusement et se contentent d'un grésillement et d'un flash intermittent. Je suis étonné de ne trouver qu'un seul cafard, touche pittoresque indispensable. Je m'assois à une terrasse pour écouter le tonnerre au dessus du Mékong, il frémit dans le soleil rasant qui lui donne la couleur d'un verre de rosé. 
Le lendemain j'embarque pour une journée de l'horreur en vélo. Je n'arrive à louer qu'une jolie bicyclette de ville, les VTT qu'on me présente sont dans un état trop lamentable pour que je les envisage sérieusement. Au premier chemin de terre, la boue rouge lourde et collante se prend dans la chaine. Elle saute. Je la remet en pestant et je porte mon mode de locomotion jusqu'à l'entrée du chemin. Je repars en direction des pains calcaires qui se détachent sur l'horizon. La route est correcte mais je ne fais pas le poids face aux lourds camions qui me doublent de près. Je serre à droite mais j'ai des frissons quand les mastodontes passent à un demi mètre de mes roues. J'insiste jusqu'à la première grotte, une grande cavité mystérieuse décorée de quelques Buddhas. Je pousse jusqu'à la seconde. Décevante, l'antre gigantesque a été bétonnée à tout va. Elle est remplie d'escaliers Poudlard et de lumières Disney. Demi-tour vers Thakhek. Nouveau déraillement. J'essaie de décoincer la chaine quand un gosse d'à peine dix ans, seul sur son scooter, s'arrête à ma hauteur, sors une pince de sous son siège et me fait signe de m'écarter du vélo. Après cinq minutes de lutte il parvient à remettre la chaine en place, sûrement grâce à mes encouragements fébriles. Soulagé je lui file un billet et remet les pieds sur les pédales avec circonspection, au pas, en prenant garde à ne pas les brusquer. Peine perdue. Je dois recommencer l'opération tous les quelques kilomètres, je ne prend même plus la peine de m'essuyer les mains. Je m'estime presque heureux qu'il ne se mette à flotter qu'à quelques kilomètres de la ville. 
Je suis à Vientiane 24 heures plus tard. La capitale du Laos est étonnamment propre et moderne, au point qu'elle manque cruellement de caractère. Pour un pauvre pays asiatique, elle est bizarrement riche et lisse. Les avenues sont larges et bien entretenues, parcourues presque exclusivement par de grosses voitures. Elle est résolument internationale, et d'autant plus fade : on peut y manger libanais, italien ou français, y boire de la bière belge, y lire Le Monde et y entendre la même soupe que partout ailleurs. On pourrait être n'importe où s'il n'y avait le marché bordélique, les pagodes et la chaleur. J'en ai retenu un petit musée qui sensibilise sur la tragédie des villageois qui sautent tous les ans sur des restes de bombes larguées par les américains pendant la guerre du Viet-Nam. L'Est du pays a été pilonné avec application pour couper les routes des Viet Congs.
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nonoqu-blog · 6 years
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4000 îles et un temple
Quelques heures de bus, une longue pause déjeuner, une route pourrie, patchwork de bitume et de caillasses et les pagodes kitschs du poste frontière Cambodge-Laos apparaissent dans la plaine. Les formalités sont expédiées rapidement à condition de s'acquitter de la taxe officieuse de quatre dollars (deux pour les cambodgiens, deux pour les laotiens). Ceux qui refusent sont priés de poireauter sur le côté, parfois des heures, sans être sûrs que le bus les attende. Après un petit bateau en bois nous conduit sur l'île de Don Khon, un des innombrables bouts de terre et de cailloux entre lesquels se faufile le Mékong juste avant de quitter le Laos. Le volant-gouvernail du bateau lâche en route et on finit le trajet dans un tuk-tuk/camion à bestiaux affrété pour l'occasion. 
Je parcours l'île le lendemain sur un vieux biclou dont la chaine fait un bruit de crécelle enrouée. L'île est sublime, la végétation tropicale, les seules constructions des maisons laotiennes en bois surélevées. Dans un détour du chemin j'arrive sur un pont suspendu au dessus d'une chute d'eau fracassante. Un peu plus loin la rivière fait une pause dans un petit lagon à l'eau turquoise. Les choses se compliquent peu après, le sentier de terre se mue en cailloux pointus qui me font craindre pour mes pneus puis il s'arrête net face à un pont à demi effondré. Je porte tant bien que mal mon vélo à travers, en équilibre sur des planches branlantes à peines maintenus par de vieux rails de chemin de fer. La fin de ma ballade est récompensée par un panorama sur de violentes chutes et le coucher de soleil qui illumine la rivière en contrebas de la gorge creusée profondément.  
Superbe tour en pirogue à moteur le samedi, nous ne somme que trois avec le guide laotien qui nous emmène dans des chutes désertes. On crapahute sur les rochers avant d'atteindre un petit bassin naturel dans lequel se tremper dans le courant puissant juste au dessus des cascades. 
Je passe un dîner marrant avec un assemblage hétéroclite de convives : Oliva la jeune suisse qui tient la guesthouse avec son compagnon thaï et nous régale d'anecdotes sur les exigences absurdes des touristes, Ingrid l'allemande aux 70 ans passés et ses souvenirs de voyage d'il y a 40 ans et Fatia la blogueuse bien-être de Montpellier venue pour une retraite yoga. 
J'atteins Champansak le dimanche. Plus qu'une ville, c'est une rangée de maisons coloniales patinées qui accompagne la rive du Mekong sur des kilomètres. Son atmosphères paisible est rendue soporifique par la chaleur abrutissante. Je la brave malgré tout sur une route dénuée d'arbres en pédalant jusqu'au temple de Wat Phou. Sa taille modeste comparée à l'exubérance d'Angkor est largement compensée par le paysage. Du flanc de la montagne sacrée coiffée d'un lingam naturel où il est installé, l'horizon s'emplit de la plaine du Mekong.
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nonoqu-blog · 6 years
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Angkor
Premier jour, je me laisse porter par un minibus afretté par l'auberge parmi les temples du grand circuit d'Angkor. Les tours de Preah Khan semblent des orgues minéraux, elles sont presque trop silencieuses. Malgré les autres touristes, des couloirs labyrinthiques à moitié effondrés offrent de brefs instants Indiana Jones quand je me trouve seul à sauter de bloc en bloc au détour d'un éboulement du mur d'enceinte. 
Les bassins du minuscule temple de Neak Pean se tiennent au milieu d'un réservoir, une étendue d'eau croupie à perte de vue parsemée d'arbres en train de se décomposer paresseusement.   
Le lendemain j'opte pour un VTT. Ras le bol de me déplacer en tuk-tuk. Assis sur la banquette derrière mon chauffeur particulier j'ai l'impression d'être un ministre ventripotent d'une république bananière. Le rythme du vélo s'accorde bien mieux avec l'atmosphère du lieu. La forêt est magnifique, plantée de grands arbres espacés elle s'étire majestueuse autour des temples là où la cité se tenait il y a des siècles. Les troncs énormes semblent millénaires alors qu'ils sont des siècles plus jeunes que les pierres. Les cités en bois qui la recouvraient ont disparu depuis des éons. 
A Angkor Wat on croirait qu'on a accumulé la pierre grise et sombre des stèles d'un million de tombes. Les piaillements des touristes résonnent dans les arcades étroites. Si je le pouvais, je referais la visite avec Shackleton dans un casque insonorisé. Sa musique mystique est orpheline d'une religion, elle mérite bien un temple qui en a accueilli plusieurs.
Au Bayon, les visages sculptés émergent des masses de pierre comme s'ils sortaient de la brume. 
Assommé par le soleil je déambule dans la forêt clairsemée qui se tient sur les terres de l'ancienne cité royale d'Angkor Thom. Les arbres sont les seuls êtres royaux restant, de leurs troncs titanesques partent des racines boursouflées qui mâchent les restes des remparts. Les ruines les plus décaties sont les plus évocatrices. Dans un recoin délaissé, face à un temple montagne au quart effondré et percé par la végétation, on ressent l'émoi des explorateurs du siècle passé face à leurs redécouvertes. La masse de grès anguleuse de Tad Keo m'évoque un immeuble brutaliste. Ses blocs géométriques dépourvus d'ornements se dressent avec orgueil au dessus de la cime des arbres. Je termine mon dernier jour à Angkor face à un coucher de soleil brulant sur les douves d'Angkor Wat. 
Le centre ville de Siem Reap, la voisine d'Angkor, est phagocyté par le tourisme. Les quartiers périphériques sont riches et presque déserts : de grosses maisons derrière des murs d'enceinte et des rues larges sillonnées par des pick-ups Toyota. La rivière moribonde coule entre deux rives vertes submergées pendant les pluies. A partir de la fin d'après midi le quartier de Pub Street et du Night Market s'échauffe. Parti à la recherche de street food, je dois esquiver les rabatteuses des salons de massage, ignorer les chauffeurs de tuk-tuk qui ne proposent pas que des courses, me concentrer pour rester poli en répondant aux incessantes sollicitations des vendeurs de souvenirs ou des boutiques proposant des "DrFish Massage 2$". Le bruit dans Pub Street augmente plus la soirée avance. Au milieu de la rue, les deux plus gros bars-boites de la ville sont engagées dans une battle de soundsystems perpétuelle. C'est toujours le même qui et noie son concurrent ainsi que toute la rue dans un déluge de soupe commerciale.
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nonoqu-blog · 6 years
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Battambang
J'ai mis plus de temps que prévu à quitter l'île de Koh Rong Samloem, la moitié des ferrys étaient annulés à cause du vent et leurs passagers (moi y compris) ont été reportés sur des bateaux d'autres compagnies. Le délai m'a contraint à passer la nuit à Sihanoukville, laide ville-casino en devenir.
Mercredi je traverse le pays de long en large, mon bus pour Battambang fait une escale à Phnom Penh le midi. Les onze heures se seraient écoulées plus sereinement si je n'avais pas été sardiné épaule contre épaule sur la banquette arrière des mini-vans qui ne sont certainement pas conçus pour caler quatre sièges par rangée.  
Battambang a tout d'une jolie ville de province somnolente. Dans l'inévitable marché central, au détour d'une échoppe de bibelots chinois, on tombe sur les ouvriers joailliers à l'oeuvre comme si on pénétrait dans leurs bureaux sans prévenir. Torses nus dans la chaleur pesante, ils manient fers à souder et marteaux de précisions pour malaxer et tordre en bijoux de petites pièces de métaux précieux. Les boutiques et cafés dans le centre ont des noms français, témoignant de l'implantation des expats dans la ville et de leurs choix de carrières. Le fait est qu'ils tiennent des établissements onéreux mais charmants. C'est agréable de pouvoir s'assoir à une terrasse pour boire son café plutôt qu'à la cambodgienne : sur une chaise de jardin pour enfant sur le trottoir à côté du stand. 
Je booke un tour en tuk-tuk à l'auberge l'après-midi pour pouvoir atteindre la campagne battambangaise. On aurait pu se passer du minuscule bamboo train, propulsé par un moteur de tondeuse à gazon. Mais c'est typique : il était utilisé par les locaux après la chute des khmers rouges alors que toutes les infrastructures étaient en ruine. Les killing caves où ces fanatiques assassinaient leurs opposants fantasmés sont glaçantes. Le gouffre noir béant a tout des portes de l'enfer. La colline est infestée de chauves-souris qui en sortent toutes en même temps à la tombée du jour. Pendant quinze minutes un flux continu de particules noires (on dirait de grosses mouches à cette distance) jaillit du flanc de la colline et se détache sur le ciel bleu. On croirait assister à la sortie de son antre d'un mythique serpent chinois. Une immense reptile dont le corps tubulaire s'élargit et se rétracte dans de mystérieuses pulsations.
Attablé devant moi poulet à l'ananas au dîner je discute avec un drôle d'expat autrichien qui vit depuis deux ans à Battambang. Il donne des cours d'anglais dans les écoles de la ville et réside à l'hôtel par horreur du ménage. Il vient tous les soirs au bar de l'auberge écluser des bières, blaguer avec le staff et parler avec les touristes de passage. La discussion s'est engagée sur une note assez perchée (le sens de l'histoire et la finalité de la science) avant qu'il ne dérive dans des eaux totalement ésotériques. Je décide de couper court avant qu'il n'entre dans les détails de ses histoires de spiritisme, j'aurais eu du mal à rester sérieux. 
La ballade en bateau pour Siem Reap le lendemain matin s'est avérée un poil moins sympathique que prévu, après huit heures le banc étroit et dur me martyrise les fesses. C'était une occasion d'être témoin de la vie dans les villages lacustres sans être (trop) voyeuriste. Les maisons simples d'une pièce flottent sur des bouées faites d'amalgames de bouteilles plastiques vides maintenues ensemble dans des filets. Elles donnent directement sur le passage, la rivière, où sont garées de longues barques effilées à fond plat qui fusent sur l'eau en pétaradant. Dans une zone confuse, on a quitté la rivière sa,s avoir atteint le lac du Tonlé Sap et le paysage devient désolé. A perte de vue, des étendues indéfinissables d'eau ou de terre sont recouvertes de hauts nénuphars, parsemées d'arbres peut-être morts sur lesquels pendent des filets d'algues et de plantes mortes.
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nonoqu-blog · 6 years
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Phnom Penh
Les rues sont encombrées de motos et de tuk-tuk mais tellement plus plaisantes que celles des grandes villes indiennes. Elles ont des trottoirs sur lesquels on peut même parfois marcher en se faufilant un minimum entre les devantures de restaus et les véhicules garés, certaines sont plantées d'arbres et peu d'entre elles sont insalubres. Des câbles électriques sont jetés comme des filets de pêche au dessus des rues et se regroupent en grappes et en boucles sur les poteaux.
A tous les coins de rue, les chauffeurs de tuk tuk stationnés hèlent les touristes de passage quand ils ne font pas la sieste avachis sur la banquette arrière de leur carriole. Plutôt que les oeufs jaunes à l'indienne, les tuk-tuk sont de petites remorques dotées de deux banquettes face à face surmontées d'un toit et arrimées à un scooter. Cela leur donne un côté désuet, on a un peu l'impression de prendre place dans une chaise à porteurs. 
Le marché s'étend en quatre bras sous une coupole jaune. Les étals de nourriture autour desquels flotte une odeur aigre attirent sans cesse l'œil. Les produits de la mer sont les plus exotiques, des poissons sont pendus à sécher, d'une couleur variant du rose au brun foncé, allant du poisson entier à des morceaux indéfinis ou à des monticules de petites crevettes. Dans des bassines des poissons exotiques (leur peau est quadrillée de points turquoises) barbotent entassés les uns sur les autres aux côtés d'écrevisses grasses et de gros mollusques. Des poissons agonisent lentement, leur queue s'agite de battements sporadiques. Peu d'épices mais quelques étals ont diverses variétés de poivres. En guise de viande des saucissons visiblement saturés de graisse, des poulets vivants, des pieds de volaille ou des morceaux de barbaque suspendus à des crocs de boucher. Dans une section on peut manger des bols de soupe assis sur de minuscules tabourets face aux stands. Je grignote des bananes grillées (bonne trouvaille) et du durian. On peut en acheter des lobes détachés, l'odeur n'est pas si pestilentielle et le goût agréable un peu écœurant.
Je décide de m'alléger pour mieux supporter la chaleur humide qui pèse sur la ville et m'arrête insouciant au premier coiffeur de rue que je croise. J'ai rarement pris décision aussi malheureuse. Avant que j'ai le temps de crier, les flancs de mon crâne sont rasés nets. Je me maudits en silence sans remarquer que le démoniaque coiffeur s'applique à les délimiter chacun d'une ligne rasée à blanc, là où ils joignent la touffe au sommet du crâne. Il m'aurait laissé avec la même longueur dessus si je ne lui avait pas demandé d'en éliminer un peu tant qu'à faire. Je ressemble à un volatile déplumé par la maladie. Je fuis les miroirs, apercevoir mon reflet me met dans une humeur massacrante. Je ne vois plus chez les passants que leurs coupes banales que j'admire avec envie. 
Incapable de supporter plus longtemps ma coupe hideuse, je retourne dès le lendemain dans la rue des coiffeurs pour me faire arranger par une paire de ciseaux mieux avisée. Il rattrape le coup comme il peut en raccourcissant drastiquement l'arrière et le dessus, me laissant avec deux lignes de crâne blanc comme souvenir de ma décision malheureuse. 
Les touristes sexuels ne s'en cachent pas. Sûrs d'eux, de vieux blancs déambulent déambulent au bras de pimpantes jeunes filles. Ils paradent avec elles dans un silence gêné n'ayant visiblement que peu de sujets de conversation en commun.
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nonoqu-blog · 6 years
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Hampi
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nonoqu-blog · 6 years
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Hampi
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nonoqu-blog · 6 years
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Cérémonie à la gloire de feu le père Varanashi
Tous les ans, la famille Varanashi se réunit à la ferme, ses quartiers historiques, pour célébrer la vie de ses aïeux, le père et la mère de Krishnamurti. La célébration a lieu le jour de leur mort, où leur âme a quitté son enveloppe terrestre. Satia, le beau-frère, m'a expliqué que l'âme demeure dans les lieux où elle a vécu après la mort et qu'il faut l'honorer annuellement. L'architecte de Bangalore semble réjoui de discuter et de partager sa culture avec moi. Et la réincarnation ? J'ai senti un petit flottement chez mon interlocuteur quand il m'a affirmé que ceci n'interférai pas avec cela et que l'âme se réincarnait également. L'âme est multitâche ?       L'assemblée compte les enfants du défunt accompagnés de leurs épouses et époux, enfants et petits enfants. Avec une douzaine de personnes ils sont presque au complet. Les lourds saris sont de rigueur pour les femmes. Les hommes torses nus ne portent qu'un lungi (draperie nouée autour de la taille) blanc. Cela leur donne l'air d'être surpris tout juste sortis de la douche.     Avant le déjeuner, les enfants du défunt se livrent à un rituel compliqué sous la direction de deux prêtres. Leur présence n'est pas obligatoire mais Satia m'a dit qu'ils ne connaissaient pas le rituel suffisamment bien pour le pratiquer eux-mêmes sans hésitations. Le rituel dure près d'une heure pleine de gestes solennels. Je ne me souviens pas de la séquence des étapes mais il impliquait des offrandes de nourriture, une psalmodie récitée par un prêtre, l'apposition d'eau bénite sur les mains des membres de la famille et des prosternations de groupe à des moments clés. On souffle dans une conche pour s'attirer de bons auspices et communiquer avec les dieux. Le gros coquillage vibre comme un cor de chasse, le son puissant m'a fait sursauter la première fois. Chacun reçoit une fleur portée à l'oreille (pour les hommes) ou dans les cheveux (pour les femmes).       Ce jour là, tous les repas sont pris de façon traditionnelle, assis en tailleur au sol, une feuille de bananier servant d'assiette. Le festin est riche et raffiné, on sert une multitude de plats en toutes petites quantités (environ sept salés, trois sucrés et trois petites bouchées à la banane et au sésame). Une partie de l'assemblée mange pendant que les autres servent, puis on inverse. Les préparations de légumes à la noix de coco sont disposées sur la feuille de bananier, le riz au centre. On sépare de petites quantités de riz et on les mélange tour à tour avec les autres plats. En principe on ne mélange pas les plats entre eux. On a essayé de m'apprendre un mouvement compliqué de la main pour nettoyer la sauce restante sur la feuille de bananier, je n'y suis parvenu que très maladroitement. Les plats sont délicieux, légèrement épicés et contiennent presque tous de la noix de coco (ingrédient emblématique dans la région). Parmi les desserts, j'aime particulièrement une crème à la banane et des galettes fourrées au sucre qu'on mange avec du beurre clarifié. Elles me font l'effet de Madeleines et me rappellent les crêpes bretonnes bourrées de sucre et de beurre préparées par Mamie Thérèse.
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nonoqu-blog · 6 years
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Faune/flore
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Festival
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Faune/flore
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Varanashi farm life
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nonoqu-blog · 6 years
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Marrée haute, pleine lune
Je quitte l'auberge en début de soirée avec un groupe melting pot : trois allemands qui profitent de vacances de fin d'année, deux frères d'Oxford, je ne sais plus ce qu'ils font là, leur accent épais noie leurs histoires, un couple de néo-zélandais au milieu d'un grand périple couvrant le nord et le sud du pays, un réalisateur et un comptable de Mumbai, un étudiant de Delhi et deux internes en médecine argentins. Seul le continent africain fait défaut ! En sortant du restaurant, deux des indiens se font verbaliser pour clopes sur la voie publique, relançant le débat sur la discrimination subie par les locaux à Goa.     
La soirée est avancée quand on parvient à l'extrémité nord de la plage, on doit la descendre en entier pour trouver le club qu'on nous a conseillé. Cela s'avère plus aventureux que prévu. C'est grande marée et les vaguelettes claquent contre nos chevilles. Elles nous éclaboussent les mollets quand on contourne les terrasses de bars. Une bière à la main, mes chaussures dans l'autre j'avance d'un pas léger, ravi de passer le nouvel an en short. Dans un passage compliqué l'eau nous grimpe jusqu'aux cuisses et ceux en jean rigolent moins. L'un d'eux perd même une chaussure emportée par une vague. Excédé, il peste, trépigne et jette l'autre aux flots. La chaussure-projectile vient tout juste d'atteindre l'eau qu'on lui signale que la première est réapparue toute proche, à portée de main. Un voile de lassitude couvre son visage, il tend à quelqu'une le contenu de ses poches et s'avance vers l'eau dans un mélange de dépit et de résolution.     
La progression se fait cahin-cahan mais on entend finalement les roulements frénétiques et les synthés extraterrestres de la Goa trance. Le dancefloor est en sable, le décor kitscho-psychédélique de rigueur assez réussi. Les fêtards sont principalement des indiens (masculins) dans leur vingtaine. L'ambiance est chaleureuse, on nous fait des accolades à tout va et on nous entraine dans des pas de danse tortueux. 2018 est annoncée par les coups de boutoirs des feux d'artifice tirés de la plage juste devant nous. Les fusées sont toutes proches, elle illuminent l'eau quand elles explosent. Elles partent à un rythme erratique et prennent feu précipitamment, comme si elles craignaient de trop s'éloigner. Je sursaute au son d'une explosion plus forte, un faux départ, la fusée a explosé au niveau du sol et a projeté des filaments enflammés sur la foule massée dangereusement près sur la plage. Je danse un long moment, gentiment éméché, tchatche avec les néo-zélandais sur la plage. De retour face au DJ j'ai perdu le fil du rythme épuisant de la musique qui n'a pas fléchi depuis notre arrivée. Cela n'a pas l'air d'affecter les allemands, je ne les ai pas vu hors de portée des basses de la nuit. J'étouffe un bâillement et me retourne vers la lune. Presque pleine, elle projette un large rai de lumière blanche sur la mer. J'ai un léger pincement au cœur en réalisant qu'il est 4h30 et que minuit sonne à Paris. Je suis des yeux la course des lanternes lancées depuis la plage en sirotant ma dernière bière, les encourageant silencieusement à poursuivre leur ascension jusqu'à la lune. Elles s'arrêtent toutes à mi-chemin, dérivent et disparaissent, hors de vue où consumées.      
Mardi, pour ma dernière journée à Goa, je choisis la plage de Palolem. Elle est grandiose : une longue courbe régulière, un cours d'eau qui a creusé son lit dans le sable, des dents rocheuses massives et polies. Des bungalows touristiques sur pilotis pointent timidement leurs façades à la lisière de la forêt de cocotiers. J'entraperçois une chaîne de grosses collines au loin dans les terres. Les autres touristes sont suffisamment peu nombreux pour en faire abstraction et je m'absorbe dans un Asimov en me baignant dans le soleil mielleux de la fin d'après-midi. Une indienne me demande mon âge, elle pose quelques questions. Je ressemble à son fils qui va partir étudier à Londres. Elle ne cache pas la légère appréhension dans sa voix à cette idée. Au dîner, j'achève de me convaincre que la combinaison massala/chapati représente l'apogée de la cuisine indienne avec une recette de poisson à tomber.     
Le trajet du retour ressemblait de si près à celui qui m'a ramené du Kerala qu'une description serait superflue.
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nonoqu-blog · 6 years
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Eglises et palmiers
Arrivé à Madgaon en début de soirée je m'installe dans la gesthouse simple et proprète. Dans un court-circuit de ma mémoire, un déjà-vu tenace s'installe et m'entraine plusieurs années en arrière, dans une chambre comparable à Grenoble, un soir de juin, la veille d'un concours de Science-Po que j'allais rater.
Samedi j'enchaine les petits bus locaux jusqu'à Anjuna. A peine descendu du dernier, je me paume. L'auberge m'esquive. Sur l'écran de mon téléphone, le point bleu se rapproche et s'éloigne inlassablement du triangle blanc. La carte ne reprend pas l'entrelacs de chemins de terre parsemé de maisons au milieu de laquelle l'auberge est plantée. Appliquant à la lettre la technique de l'homme ivre et du réverbère, je parcours de long en large la seule route qui figure sur le plan. Je suis de plus en plus moite et agacé par la tonalité vide qui résonne quand je compose le numéro de l'auberge. Je m'aventure sur un semblant de chemin entre deux maisons et je suis secouru par un père de famille qui me trouve égaré dans son jardin. Très aimable, il me mène jusqu'à la belle bâtisse en pierres rouges et au patio à colonnes. Le propriétaire m'expliquera avoir enlevé toutes les flèches et pancartes pour éviter d'attirer les intrus. C'est réussi.
Un café et je marche jusqu'à Anjuna. La longue route en direction de la plage est bordée d'échoppes touristiques. Juste avant d'atteindre la mer, elle bifurque sur d'autre vendeurs de babioles et des bars puis débouche à l'extrémité nord d'une longue plage. Elle est à moitié pleine de plaisanciers mais on ne s'y presse pas. les indiens sont largement majoritaires. C'est une bonne surprise, on m'avait préparé à une marée de visages blancs comme neige. Ou rouges pivoine, le coin étant prisé des russes et des anglais. D'un bar au dessus des rochers j'ai une vue de bout du monde sur le coucher de soleil. Il disparait dans une brume bleutée dans les derniers centimètres de sa course, juste avant de plonger.
Il semble approprié d'aller à l'église pour le dernier dimanche de l'année. Je me mets en route à la mi-journée en direction d'Old Goa. Je commence à prendre le coup de main avec les bus, c'est opportun puisqu'il m'en faut trois différents pour m'y rendre. J'en hèle un au passage, il ralentit à ma hauteur et repars de plus belle dès que je suis sur le marchepied. Les gares routières sont de grands parkings tumultueux. Leur apparente anarchie est trompeuse : chaque destination a une place attitrée et les bus respectent un semblant d'horaire. Les pancartes derrière les pare-brises ne sont pas en anglais, on m'a de toute façon déconseillé de m'y fier. Les bus boys sont les conducteurs du balais, ils scandent la destination de leur engin dans une litanie rythmée. Les noms des villes déservies deviennent de mystérieux mantras : "Palolemcanconacanconalolemlolem". Les passagers sont pressés de monter à renfort de grands mouvements de bras. Trouver la bonne ligne est l'affaire de plusieurs minutes, je me rapproche progressivement du bon bus en suivant les indications vagues qu'on me donne. Les bons jours elles s'affinent à chaque itération, les mauvais elles sont contradictoires. Le bus boy s'emploie à remplir son bus, il fait signe au chauffeur d'attendre un peu plus longtemps en gare s'il juge qu'il y a encore des passagers potentiels dans les parages. Le bus démarre et négocie les rues invariablement embouteillée. Perché sur le trépied, le bus boy continue sa récitation et siffle l'arrêt quand de nouveaux passagers se présentent. Toutes les places assises sont occupées, on se presse debout dans la rangée centrale, le bus boy place les nouveaux venus en intimant aux autres de se déplacer et de se serrer. Le véhicule plein, il fait sa tournée. L'exercice est une combinaison exigeante de souplesse, d'équilibre et de mémoire. Il se tortille entre les passagers pour collecter les quelque dizaines de roupies du billet. Il se maintient miraculeusement stable dans les pires virages et soubresauts alors que je peine à garder l'équilibre, agrippé si fermement à la barre que j'en ai l'épaule endolorie. Peu importe le nombre de personnes qui montent et descendent, il se souvient toujours précisément de qui a payé et pour quelle destination.
D'Old Goa il ne reste que quelques grosses églises blanches, des monastères et portes pompeuses laissés par les portugais. Les touristes avancent en masse compacte dans la basilique du Bom Jésus et laissent le reste du site au calme et au soleil. Les vues les plus saisissantes sont celles qui font ressortir le caractère incongru des bâtisses européennes au milieu de la végétation tropicale : les portes mangées par les lianes ou la colline du sommet de laquelle on voit les clochers blancs dépassant des palmiers.
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nonoqu-blog · 6 years
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Train/Kochi/Train
Dès avant mon départ, je savais que sur quatre jours à ma disposition pour mon week-end à Kochi, deux allaient être mangées substantiellement par de longs trajets en train. Je n’imaginais pas à quel point. Impossible en effet de prendre des trains de nuit, sauf si on est disposé à faire un changement à 2 heures du matin et à arriver à destination à 4 heures pétantes. Inutile à ce stade de préciser pourquoi je n'ai même pas considéré un trajet en bus. Malgré l'inconfort d'un lever aux aurores, le trajet aller se déroule sans anicroche. Les fauteuils du wagon climatisé sont corrects sans être des plus confortables. A 6 € les huit heures de trajet, je n'allais pas faire le difficile.     
L'extrémité de la péninsule de Kochi est touristique. Ce n'est qu'à quelque centaines de mètres de l'auberge que l'apparence des devantures change. Avant, c'est la même rimbambelle de commerces indiens que partout ailleurs : des enseignes colorées, les étals qui s'étendraient sur toute la largeur du trottoir s'il y en avait un. Une combinaison de vendeurs de fruits et légumes, de pâtisseries, de vendeurs de chaussures, de restaurants dont l'enseigne indique "Hotel" pour une raison qui m'échappe et qui précise toujours Veg et/ou Non-Veg, de bazars devant lesquels pendent des gadgets en plastique multicolores. Au contraire, les rues à l'emplacement de l'ancien fort sont entièrement tournées vers la clientèle étrangère. La circulation y est plus rare et les routes sont mieux entretenues. Loin de l'Inde typique mais c'est un changement appréciable pour le pauvre occidental éreinté qui grogne un bonjour aux backpackers réunis dans le salon de l'auberge et se rue sous la douche.     
Délassé, j'accompagne le petit groupe dans un restaurant dont les tables sont dans l'ombre d'un des grands filets de pêche chinois. Il poursuit son lent mouvement de balancier pendant notre dîner. C'est relaxant mais il remonte vide, invariablement.      
Je dévoue ma mâtinée du lendemain au sommeil et à l'Assommoir de Zola avant de suivre tranquillement la rue qui longe les entrepôts où on chargeait autrefois les bateaux d'épices. Dans une galerie/atelier d'art contemporain, un artiste m'expose les motivations politiques de son travail. Il s'insurge contre le conglomérat Tata qui financerait des milices pour déloger des villageois dans le nord du pays, tout en pointant du doigt le malaise né du fait que l'entreprise est le premier mécène du sous-continent. J'esquive l'attention des marchands de bibelots touristiques et j'arrive au palais hollandais. C'est en fait une grosse maison cossue dont les fresques sont surchargées, délirantes et psychédéliques. On peut s'y perdre longuement dans les détails entrelacés pour en déchiffrer les symboles. Des scènes du Ramayana et des déités sont représentées.     
En fin d'après-midi, j'assiste à un spectacle de Khatakali, pièce de théâtre dansée traditionnelle. Les acteurs sont lourdement grimés et maquillés, pas une parole n'est prononcée et toute l'histoire doit être déduite de leurs gestes et mimiques. Ils commencent par une démonstration de leurs prouesses ophtalmiques : l'acteur n'esquisse pas un mouvement et bouge les pupilles au rythme de la musique. C'est à la fois comique, impressionnant de maîtrise et un peu dérangeant. Bien que la signification des principaux gestes ait été expliquée au départ, la pièce elle-même est impossible à suivre. La musique constante de deux tambours un d'une paire de petites cymbales est taillée pour donner un début de mal de crâne.      
Le lendemain je me fait conduire hors de la ville pour un tour organisé sur les backwaters. Les canaux sont beaux et paisibles. Je glisse sur l'eau dans la petite barque propulsée par une longue tige en discutant poliment avec ma voisine. J'ai l'impression d'être un anglais dilettante en goguette (ma lecture assidue de Pride & Prejudice n'y est certainement pas pour rien).      
Le trajet retour commence tôt, c'est la condition pour arriver à Kasaragod à temps, avoir un bus et éviter une longue course en rickshaw. Je suis soulagé de constater que le train n'a qu'une demi-heure de retard. Affalé sur une banquette dure de seconde classe je somnole et lis jusqu'à Khozikode.      "Chaichaichaichaichaichai !" "Samosamosamosamosa !" Brianibrianibrianibriani !" Les vendeurs à la sauvette de la compagnie de chemin de fer me réveillent à chaque gare. Ils se signalent par leur litanie ininterrompue qui fait office de menu. Rassasié de beignets à la banane je m'étends sur la banquette vide et j'attends. Le train reste immobile de minutes en quart d'heures et en demi-heures, on n'entend pas une annonce. J'étudie l'intérieur du wagon dépouillé, peint dans des tons bleu gris dignes de la marine. La peinture bave et s'écaille, les rangées de ventilos fixés au plafond ont des airs de torpilles. La fenêtre sans verre mais pourvue de barreaux apporte une touche cellule à l'ensemble. Le tortillard ne reprend sa route poussive que 2h30 plus tard. Je souffle en me disant qu'au moins j'arriverais.Mais la machine me laisse peu de répit, elle se languit en chemin et s'arrête régulièrement. J'enrage sans un mot, sans un geste, tant les indiens autour de moi sont impassibles. Beaucoup dorment dans des positions acrobatiques. Les 4h30 de retard avec lesquelles j'atteins finalement ma destination sont routinières sur le rail indien. Mais le dernier bus est parti il y a bien longtemps. Dépité, je me cale à l'arrière d'un rickshaw pour deux dernières heures de trajet. Le chauffeur fait des embardées à travers la chaussée pour contourner les nids de poule, son pote serré sur le siège de devant avec lui chante des chansons traditionnelles et du RnB dans son téléphone.     
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