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#LaVieConneEtFineDeGustaveF.
lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 28]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27] Jour 28 : Résurrections en tous genres. Gustave écrivait des lettres qu’il déchirait, s’ajournait à des époques qu’il reculait. Souvent il se mettait en marche et traversait son couloir, dans le projet de tout oser ; mais cette résolution l’abandonnait bien vite à cause des erreurs de jugement liées au confinement. Alors il sentait son cœur lent se ralentir encore et l’emporter dans une mélancolie de vieux cheval mourant. Mais ce jour là, il voulut refuser son état. Il se força. Il se leva. Il but son caoua. Il fuma. Il médita. Il inspira. Il expira. Il respira. Il se lava. Il se rasa. Il se coupa. Il blasphéma. Il se désinfecta. Il mangea une demi-Wasa. Il l’apprécia. La digéra. Puis il se motiva. Il changea ses draps. Prépara un plat froid. Ne mangea presque pas. Soupira. Pensa. Rêvassa. Repensa. S’allongea. Déprima. Mais il se releva. Se reforça. Sifflota. Chantonna. S’arrêta. Tourna comme un rat. Puis il écrivit un long poème en vers plus ou moins blancs qui ne voulait rien dire, qu’il jeta, et recommença, trouva que c’était bon, même très bon, puis assez mauvais, et ainsi jusqu’au soir. Il devenait gaga. Le téléphone sonna. C’était Jérôme. Un sauveur. Un miracle. – Ça va être Pâques… rectionnel. – Quoi ? Pâques en correctionnelle ? – … rectionnel. – Quoi ? Mais sors sur ton balcon pour téléphoner si t’as pas de réseau ! – … rectionnel. – Hein ? Insurrectionnel ? Tu parles, une insurrection en pantoufles ! Personne ne peut sortir. – Non. Tu m’entends, là ? RÉSURRECTIONNEL ! – Ah, ça… Et Jérôme se lança dans une liste de morts-vivants récemment revenus à la vie, ou en voie de. Il avait coché plusieurs noms. Tout d’abord le pape, bien sûr, il était là pour ça ; il avait déjà donné une bénédiction urbi et orbi exceptionnelle, le 27 mars, tout seul, chevrotant sous son grand dais face à la place Saint-Pierre déserte et pluvieuse. Et il allait recommencer dimanche ! Ensuite le président allemand. Lui aussi innovait.  L’usage le limitait au discours de Noël ; la veille de Pâques serait le nouveau moment de cet homme symbolique. Il avait pris d’assaut le public télé du Samedi saint, à l’heure de grande écoute. Jérôme se demandait ce qui avait pu motiver cette propagande, et s’il y avait un message subliminal ; Steinmeier (c’était son nom) avait dit que la pandémie révélait notre vulnérabilité à tous, qui trop souvent nous croyions invulnérables (Jérôme, à vrai dire, en connaissait à la pelle, des vulnérables hors épidémie…). Puis le grand sachem allemand avait enchaîné sur la force et l’énergie de chacun ; il avait mis l’accent sur la grande idée du Changement : « Nous sommes à une bifurcation, le temps est venu du grand retournement ! » – Le retournement, Gustave ! tu te rends comptes ? – Quoi ? dit Gustave qui ne se rendait pas compte. On sentait que Jérôme était parti, alors Gustave avait mis le haut-parleur et posé son tèl sur la table, autant éplucher quelques patates en même temps. – Et puis et puis, Rilke a terminé un sonnet par ce vers célèbre (ça c’était tout Jérôme, brodant à l’infini car il avait des lettres, même teutoniques, à revendre), un vers qui disait : « Tu dois changer ta vie ! » ; eh bien, Steinmeier a déclaré que l’appel avait été entendu : « Chacun de vous a changé sa vie radicalement ! » et cette prouesse, a-t-il dit à la télé, le Steinmeier nouveau, la population l’a accomplie d’elle-même, aucun besoin d’un gant de fer pour l’y forcer. Formidable, hein ?… Et l’échevin germanique de pronostiquer que non, on ne reviendrait pas à l’ancienne normalité, non, le monde d’après serait un monde différent, qu’il nous appartenait de bâtir… Gustave coupait maintenant les patates en carrés pour les faire revenir après avec un oignon frais, c’est pas cher et c’est bon. – TU M’ENTENDS ? TU M’ENTENDS BIEN, LÀ ?... hurlait Jérôme par intermittences, feignant de prendre les silences gastronomiques de Gustave pour des coupures de réseau. Ce président vivant a aussi parlé d’Europe et on se demande s’il a voulu critiquer la montée des nationalismes et la division entre les sempiternels « Nord et Sud » ; il a parlé de l’obligation de l’Allemagne face à l’Europe… C’est quand même vague, non ?… Est-ce que c’est pour être un peu plus courageux que Merkel ? qui pour l’instant prône tout juste du bout des lèvres la relocalisation en Europe des usines de tenues de protection ? alors que les lobbies automobiles manœuvrent déjà en vautours pour qu’on freine les restrictions environnementales ? Na sowas ! – Je n’entends pas tout, tu dis quoi ? s’enquit Gustave effectivement parasité par le beau son de la friture d’oignons. Il disait, il disait, le Jérôme, qu’ailleurs en Europe il y avait eu une autre résurrection (en avance sur Pâques, oui, mais l’horloge de Greenwich connaît des distorsions locales liées à la gravité) : en cette semaine pascale, le papa du Premier ministre britiche avait donné des nouvelles de la santé de son petit : le Vendredi saint, il avait pu quitter la clinique, un peu pâle, certes, en fait une mine de déterré ; quoi qu’il en soit le blondinet ne reprendrait pas le travail tout de suite, il avait encore quelques jours de relâche, il avait recommencé à marcher sur deux pattes et passait le temps en regardant le Seigneur des anneaux ou en remplissant des sudokus ; et lui aussi, espérait-on, pouvait avoir eu l’illumination en découvrant l’intérêt du National Health Service. Après, Jérôme anticipa la résurrection d’un autre grand mort debout encore, lundi soir : celle de notre Jupiter national. Il imaginait que, le président se piquant de culture, il pourrait orner son allocution de ce genre de phrase qui ferait date dans les mémoires : « Nous ne mourrons pas tous, mais tous, nous sommes frappés »  – Ce serait une belle attaque, pas vrai ? l’ancien banquier résolument converti ! partisan nouveau des services publics ! touché par la grâce de la conscience de classe puisqu’il aurait compris, maintenant, à quoi servent les millions de « petites mains » du secteur public ou privé, entendant soudainement la voix de tous ces « riens » qui grondent depuis des mois et ne trouvent pas systématiquement les bonnes rues à traverser. Mais il y avait encore un quatrième ressuscité en embuscade, et il était bizarre, pour Jérôme, qu’il se manifestât pile à ce moment-là ; c’était l’Homme-Au-Regard-d’Acier-Dans-La-Tradition-Familiale, le sieur Roux de Bézieux qui, alors qu’il faisait la navette entre le siège parisien du MEDEF et son manoir de la côte Atlantique (c’était interdit, mais bon, pas pour lui apparemment) – Gustave cassait à ce moment précis du soliloque un œuf élevé en plein air au-dessus de sa fricassée de patates –, Roux donc, de Bézieux, venait tout juste de trouver la solution à la crise : il suffirait de travailler plus, en finir avec tout cet assistanat syndicalisé ; d’ailleurs d’autres montraient l’exemple : ainsi la ministre du Travail, qui charbonnait tellement qu’elle n’avait plus le temps d’aller chez le coiffeur ; un argument choc. – Bon dis donc, c’est plus Radio-Plouc, c’est carrément RFI ! – Ben moi aussi je peux changer ma vie, non ? D’ailleurs, ce que je voudrais, c’est la résurrection de l’insurrection ; je voudrais refonder le FHAR, « le Front Hospitalier d’Action Révolutionnaire », étendu à tous les services publics ! – Ah, ah, très bien, tu me tiendras au courant. Mais excuse-moi, on sonne. Il faut que j’aille voir. Le menteur ! Gustave coinçait un sopalin dans son col de t-shirt et regardait son assiette, il était très content. « J’ai faim », saliva-t-il. (À suivre).
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kiokacy · 4 years
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𝙼𝚎𝚛𝚌𝚒 𝚊̀ 𝙹𝚎́𝚛𝚘̂𝚖𝚎 𝚍𝚎 “𝙻𝚊 𝚟𝚒𝚎 𝚌𝚘𝚗𝚗𝚎 𝚎𝚝 𝚏𝚒𝚗𝚎 𝚍𝚎 𝙶𝚞𝚜𝚝𝚊𝚟𝚎 𝙵.” 𝙼𝚎́𝚖𝚘𝚒𝚛𝚎 𝚍'𝚞𝚗𝚎 𝚓𝚎𝚞𝚗𝚎 𝚕𝚎𝚌𝚝𝚛𝚒𝚌𝚎 あ
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🙏 #freud #lavenirduneillusion 
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(à Goult)
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 46]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45] Le jour 46, il sentit l’indépendance. Il reçut une lettre. C’était madame Fabre, la directrice de l’Ehpad. Il la connaissait très peu, il se souvenait d’un tailleur gris clair et de cheveux genre Isabelle Huppert. Recrutée pour son expérience managériale et son excellent relationnel, elle était ambassadrice de l’établissement, proactive pour mener à bien toutes les actions commerciales destinées à le promouvoir et le faire rayonner dans le respect des exigences qualité et des règles déontologiques du groupe, faisant preuve d’une forte appétence commerciale, d’un excellent relationnel et d’une grande capacité d’adaptation. C’était elle qui lui avait fait signer le dossier quand il était allé visiter l’établissement avant d’y mettre sa mère, « un cadre idéal, sécurisé et confortable, pour les seniors en recherche d'indépendance », avait-elle dit, ajoutant que l’indépendance était « bien plus qu’un élément de langage, une certaine conception de la relation à la personne ». Comme il essayait de se comporter en fils responsable sans avoir aucune idée de ce que ça voulait dire, elle le regardait, elle, droit dans les yeux, on aurait dit qu’elle voulait lui arracher la reconnaissance de son humanité et lui donner en même temps des garanties opérationnelles, combien faut-il d’années de management des organisations sanitaires et sociales pour parvenir à cette perfection ? « mais c’est aussi une conception du soin que je fais mienne, souriait-elle posément, une philosophie si vous voulez, je reconnais que de mot est un peu galvaudé », elle avait dit « galvaudé » sans parachute, ça tombait au sol, dans le froid venteux de cet automne pourri, elle était un oiseau boiteux et mouillé mais était-ce un moineau ou un passereau ? des grouillements de rires enfantins lui montaient dans les jambes, il sentait ses chaussures, deux enclumes neuves idéales pour marcher sur la lune mais il gardait le visage grave et distant, ce qu’il croyait être comme il faut quand on s’occupe d’un problème anxiogène, « au fond c’est peut-être une sagesse, que j’apprends lentement, comme s’apprend la sagesse ! », voilà une étrange directrice, s’était-il dit, puis s’était souvenu qu’il ne connaissait aucune autre directrice d’Ehpad et pas non plus de directeur d’Ehpad et que même, il ne connaissait aucun directeur de rien depuis longtemps et n’avait donc aucune sorte de savoir sur ce qui est étrange ou pas dans cette fonction, mais voilà qu’elle se levait et s’approchait trop de lui, et voilà qu’elle se baissait, et voilà qu’elle lui prenait la main, quelle gêne ! « L’indépendance vient de là », avait-elle dit en lui touchant des pouces le creux de la main gauche, « elle vient, voyez-vous, de cette peau à soi, dans la main, que les années ne changent presque pas, tenez, si vous touchez l’intérieur de votre main vous sentez que c’est vous, depuis la naissance, en toute indépendance. » Elle avait repris sa distance respectable pour ajouter, comme une chanson à l’humanité humaine dont elle connaîtrait les paroles ritournelles « c’est idiot n’est-ce-pas, ce n’est qu’une petite idée qui m’aide à comprendre ce qui fait des résidents des êtres indépendants… ». Il n’avait pas aimé cette explication, il n’aimait pas qu’on parle de sentiments à tort et à travers. Lynda Fabre. Lynda ? Oui c’était elle qui lui écrivait, sur le papier à en-tête, papier de lin, stylo-bille, faute de goût. Cher Monsieur F., Ce petit mot pour vous dire que j’aimais beaucoup votre mère, son visage aimable et ses idées légères. Elle pouvait à peine bouger et reprendre son souffle, elle a demandé qu’on la « laisse aller dans le froid de la mort ». Je n’ai pas même pu lui tenir la main. Cette maison est responsable de son agonie, ainsi le suis-je aussi, comme l’ensemble de ce groupe et ce gouvernement de menteurs et d’incapables. Je n’ai pas assez de mots pour vous dire ma peine. Avec toute ma sympathie, Lynda Fabre. Gustave, lisant et relisant, se touchait le creux de la main. (À suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 58]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57] Le jour 58, Gustave relut. Il lut. Il avait la tête un peu lourde, son cœur était lent. Il avait cette chance d’avoir le cœur lent. Il s’en était vanté, autrefois, auprès des collègues dans cette société de cadres dont il était parti avec une intolérance managériale dont il souffrait depuis de manière chronique. Il se roula un gros tas d’herbe fraîche, la fuma, se gratta le ventre, mangea deux tartines de camembert, ouvrit la fenêtre, se pencha de nouveau sur son journal en ligne et relut : « Nous rentrons dans un monde qui est nouveau, dans lequel il faut que nous apprenions à conjuguer activité économique, travail et circulation du virus, et le succès de ce défi que nous avons à relever, il dépendra de chacun d’entre nous ». Voici, ô damnés des paradis fiscaux, quels étaient les propos du ministre de l’Économie sur BFM  Business. « Ce n’est pas uniquement les chefs d’entreprise, ce n’est pas uniquement les responsables politiques, c’est chaque citoyen qui doit se sentir personnellement concerné », insistait-il en souhaitant « une reprise importante du travail » pour « remettre la France en état de marche ». Gustave, cousin de Bartleby, Would prefer not to ! Gustave, frère de Rabelais, Viens à Thélème et fais ce que voudras ! Gustave, fils de France Gall, Résiste, refuse ce monde égoïste ! Gustave, ami de La Boétie, Sois résolu à ne servir plus ! Gustave s’attarda comme ça encore un moment, l’œil rougi et exorbité tel celui d’un corvidé aux aguets, sur les actualités en ligne. En vrac, il était question bien sûr de la réouverture aujourd'hui de tous les commerces, d’une manifestation de retraités dans les Côtes d’Armor pour l’accès renouvelé aux plages, de la régénération du virus en Chine, et des berges de Seine à la capitale où la culture reprenait ses droits sous forme de Parisiens enragés chassant à grands coups de rires vineux, d’enfants précoces, de tongs obscènes et de déchets plastiques les canards et les ragondins provisoirement reparus. Gustave repensa à cette œuvre méconnue – Les Tréteaux – du vieux boulevardier Charles Monselet qu’il avait quelque part entre ses étagères. L’auteur mettait là-dedans en scène sous forme de satire ses contemporains Théophile Gautier, Feydeau et Flaubert préoccupés d’éradiquer l’humanité au profit des seules descriptions. « L’être humain gâte le paysage », affirmait Théophile Gautier. « Évidemment », disait Feydeau. « Il coupe désagréablement les lignes et il altère la suavité des horizons. L’homme est de trop dans la nature », continuait Théophile Gautier. « Parbleu ! » disait Flaubert. « Dans la nature, soit ; mais au théâtre ? », interrogeait Bernard Lopez tout interdit. « Au théâtre également. Il empêche de voir les toiles du fond », précisait Théophile Gautier. Satire, satire, se dit Gustave, faut voir. Sur le théâtre il n’avait certes pas d’avis. Mais pour ce qui est de la nature, il ne leur aurait pas donné entièrement tort... Son père téléphona. On s’entendait mal. Il déconfinait apparemment près d’une ambulance. « C’EST LE DEUX-TONS D’UNE DES SAFRANE DE LA FLOTTE PRÉSIDENTIELLE ! », hurlait le vieux au creux du tympan douloureux de Gustave. Mouais. La confiance de Gustave dans les explications de son père en avait pris un coup depuis leurs précédentes conversations, qui sait pourquoi. En tout cas il y avait de la friture sur la ligne. « Allez, allez, monsieur F., soyez gentil, descendez du capot et suivez-nous, on n’a pas envie de vous faire de mal… C’est vos voisins qu’ont encore appelé monsieur F., qu’est-ce qu’il y a ? vous prenez plus vos pilules ? » Là-dessus Gustave décida d’aller faire un tour, dans l’attente un peu obsédante de son rencard ce soir avec Katia – oui c’était son prénom, très beau, non ? – la douce voisine du 5e. Katia, ô Katia…
* Rodolphe sur son transat écrivait au même moment Katia dans sa grille de mots croisés (« petite Catherine de Russie », pff trop face ! «… avait une envie de neige et du gros manteau du Dr Jivago »). Il avait connu une Kate américaine sur la Côte, un jour il avait eu envie d’un nouveau maillot de bain, l’avait acheté, l'avait mis, ne la revit jamais. Demain Paris, se dit-il. On verra. * 11 mai, premier des saints de glace et il soufflait un vent gelé. De bon matin Jérôme cheminait avec sa mère vers le jardinet potager. Lui sous son vieux chapeau de paille, elle son panier à la main. Sans attestation. Sans smartphone. Sans l’ombre de la maréchaussée. Sa mère  Vers le sud vers le nord le vent souffle le vent tourne et revient sur ses pas Les plantations nouvelles n’avaient-elles pas souffert ? Y aurait-il de quoi passer en autarcie le reste du printemps et l’été ? À quand fraises et rhubarbe pour des confitures et des tartes ? Jérôme Comme chantent les broussailles brûlant sous le chaudron le rire idiot n’est que vent Le village était désert. On n’avait pas l’impression que la vie ait repris. Jérôme  Ce qui est courbe ne sera plus droit On était un peu sonné. Jérôme J’ai vu j’ai vu l’oppression sous le soleil j’ai vu pleurer les opprimés Une saison pour tout un temps pour tout désir sous le ciel Sa mère Ne dis pas Pourquoi les jours anciens étaient-ils meilleurs Rien n’est moins sage Rien n’est bon je le sais Que faire bon et se réjouir Ne t’abandonne pas au dépit * Voilà où on en était. Gustave F. se demanda pourquoi tout allait si mal même quand il allait bien. Pour le moment il rêvait d'un week-end à Paris avec sa douce, peut-être qu'elle serait d'accord même si c'était un peu tôt pour lui proposer, et puis c'était à plus de 100 km « à vol d'oiseau », et puis elle bossait même le samedi. Dommage, il s'y voyait déjà, bras dessus bras dessous à la tour Eiffel, les bateaux-mouches glissant le soir sur la Seine, les petits restaurants si typiques de la Huchette, et les indigènes pittoresques du canal Saint-Martin. Ah, et puis les beaux cimetières avec tous les grands écrivains ! le Père-Lachaise, le cimetière Montparnasse, celui de Montmartre, ça ce serait romantique ! Une anecdote assez précise lui revint de nulle part. Gustave avait dû lire ça dans un livre ou dans un vieux Marie-Claire chez le dentiste, il ne savait plus. Sous un caillou, quelqu’un avait posé une pile de feuilles, division 27 du cimetière Montmartre, sur la tombe de Heinrich Heine. Quelqu’un avait attendu un jour venteux avant de soulever le caillou et de le reposer près de la pile, les feuilles s’envolèrent, les unes par l’avenue Rachel, les autres allant joncher le pont Caulaincourt, avec ces mots de septembre 1842 : « Ici règne actuellement le plus grand calme. Tout est silencieux comme dans une nuit d’hiver enveloppée de neige. Rien qu’un petit bruit mystérieux et monotone, comme des gouttes qui tombent. Ce sont les rentes de capitaux, tombant dans les coffres-forts des capitalistes, et les faisant presque déborder. On entend distinctement la crue continuelle des richesses des riches. De temps en temps il se mêle à ce sourd clapotement quelque sanglot poussé à voix basse, le sanglot de l’indigence. Parfois aussi résonne un léger cliquetis, comme d’un couteau que l’on aiguise. » Où avait-il lu ça ? se grattait-il le menton sous le masque en descendant les escaliers. Il allait sans réponse. (Fin).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 57]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56] Jour 57 : Judith. Le sens des mots avait totalement disparu. Gustave examinait encore de temps à autre les journaux, les sites, les recommandations, les arrêtés, de moins en moins. Il s’en approchait avec des haut-le-cœur, des rages le secouaient. Bien sûr, tout cela avait commencé bien avant la nouvelle ère. La nouvelle ère pandémique était une nouvelle ère au carré. L’année précédente déjà, ceux qui faisaient profession de parler dans les conditions existantes péroraient sur « le grand débat » et l’inculture écologique des foules, pendant que chaque samedi des corps étaient mutilés dans les rues du pays par les Compagnies Républicaines de Sécurité, les Brigades Anti-Criminalité, les Brigades de Répression de l’Action Violente motorisées et d’autres milices irréprochables. Un principe nous guide pour définir nos actions, il nous guide depuis le début pour anticiper cette crise puis pour la gérer depuis plusieurs semaines, et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent. Gustave relut plusieurs fois, fuma les trois cigarettes qu’il avait roulées au préalable. Il ne savait plus qui l’avait dit. Cela importait peu. Un décideur. Sans doute celui qui se faisait appeler « le patron », le jeune psychopathe photogénique, celui que le père de Gustave désignait toujours un peu comiquement sous son nom de règne à l’antique comme « Emmanuel ». Gustave tremblait légèrement. Il avait arrêté de boire depuis cinq jours. Il avait énormément augmenté sa consommation de tabac. Il se sentait plus lucide. Ses doigts et ses dents viraient au jaune pâle chatoyant. Avait-il besoin d’une autorisation pour fumer ? La grosse mouche ignoble qui bourdonnait contre la vitre était-elle un drone chargée d’examiner la régularité de ses savonnages de mains ? Fallait-il respecter les règles de distanciation sociale avec soi-même ? Tout était confus. La sirène de police en bas de la rue retentissait-elle pour lui ? Il se gratta la barbe. Le virus étendait son règne, impalpable et omniscient. Les poils drus étaient-ils déjà contaminés ? Avait-il lu un article sérieux à ce sujet ? Sur les masques, je veux profondément démentir la chose, je comprends qu’on peut… euh… qu’on puisse s’étonner d’un changement de doctrine c’est le cas, mais là… euh… le changement de doctrine, il est pas politique, il est scientifique, les mêmes scientifiques qui nous disaient… euh… il y a deux mois ou qui ne parlaient pas, disaient que le… que le… qu’en tout cas le masque n’était pas quelque chose qui… qui… servait à… qui devait servir aux soignants mais pas au grand public, à l’heure actuelle ils nous disent plutôt l’inverse alors nous on s’adapte, on écoute le scien… les… le comité scientifique, on écoute l’Académie de médecine qui ne s’était pas prononcée et qui nous dit que les masques sont utiles. Gustave envisagea de traduire en langue rare la déclaration et de la recopier à la main, de se mettre tout nu et de chanter « Le temps des cerises » à la fenêtre, d’apprendre les paroles de « L’Internationale », de se préparer une dizaine de nouvelles roulées bien fines, d’appeler son service de livraison de weed. Il repensa à Themroc, ce merveilleux film avec Michel Piccoli qui ne parle que par grognements et mange des flics tout crus qu’il ramène la nuit dans son appartement muré. Se pendre était une autre option mais il n’avait pas le sens pratique et il entrevoyait la possibilité que cela pût faire mal au cœur de sa tendre voisine du cinquième. Apprendre le japonais ? Repeindre les murs ? Se manger un doigt ? Se trancher le nez ? S’inoculer le virus ? Alors il restait le sexe, le genre. C’était énormément débattu sur les graffiti des murs de la ville. On s’écharpait sur le sujet. Gustave n’avait pas d’opinion, suspendait son jugement par prudence ou veulerie. Mais au milieu de cette dislocation de tout, Gustave pensait qu’il aurait très bien pu être une femme, naître femme ou le devenir, s’il voulait, et qui l’en empêcherait ? qui ? certainement pas Rodolphe ni Jérôme ni son père, ni vous, lectrices, lecteurs, et comment le pourriez-vous ? Quitte à changer de sexe, autant changer aussi d’époque, se disait-il, s’encourageait-elle, et à force de volonté, non, pas même de volonté, d’enthousiasme soudain plutôt, Gustave devint, se sentit, fut Judith. C’était le premier prénom qui lui était venu, une femme de ce nom avait tranché la tête d’un tyran, d’un Holopherne, c’est tout ce dont il ou elle se souvenait, et d’un tableau qui représentait l’héroïne brandissant un glaive qui dégouttelait de sang, à moins qu’il ou elle confonde, mais peu importe, Judith lui allait comme un gant et Judith il serait. À part ce changement de sexe, peu de choses avaient changé autour d’elle, bien peu de choses. C’est du moins ce qu’elle croyait tout d’abord. Elle regarda autour d’elle, lentement, avec toute l’attention possible. Un insecte aux longues ailes transparentes tremblait contre la vitre de la cuisine, elle se pencha pour l’examiner, il avait disparu, elle était toujours aussi myope, bigleuse aurait dit son père, mais avait-elle bien toujours le même père ? Elle décida de plonger son passé très loin d’elle dans le noir, hors d’atteinte, pour ne plus être emmerdée. Hop, voilà. Tout allait plus vite dans la nouvelle ère au carré. Elle se doucherait plus tard, peu pressée d’examiner son corps et ses changements probables. Elle n’osait même pas toucher ses joues de crainte de sentir contre ses doigts des poils peu conformes. Elle décida de croire au Verbe et à ses vertus transformatrices. Si deux et deux faisaient cinq comme tentait de le faire admettre le gouvernement de France, elle-même serait femme jusqu’aux bout des ongles. Femme et porteuse d’un nom trancheur de tête. Elle enfila des vêtements amples, barra au stylo son prénom sur son passeport, écrivit le nouveau, secoua ses cheveux, sortit. (À suivre).
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lamergelee · 4 years
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“LA VIE CONNE ET FINE DE GUSTAVE F.” [ÉPISODE 40] [Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39] Jour 40 : interlude (lettre non répertoriée de Flaubert à Louise Colet).
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(À suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 54]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53] Jour 54 : Rodolphe ou l’avenir. Rodolphe, l’ancien camarade du Pôle Emploi que dépannait à l’occasion Gustave, reconverti depuis dans le conseil immobilier de standingue, Rodolphe demeurait toujours en son coquet domaine des environs de Paris. Arbres luxuriants, oiseaux frénétiques. Il fallait aimer la campagne. Il l’aimait. Elle était belle, elle était riche, elle était parcourue de petites routes sympas, d’environnements calmes et verdoyants, de situations privilégiées, d’écrins de verdure, de vues exceptionnelles, d’attractivité économique, de piscines sécurisées, de portails automatiques, de murets authentiques, de pierres du pays, de terrains arborés, de spacieuses dépendances, parsemée de biens immobiliers qui devaient rapporter un prestige facile et pas mal de thune. Cependant toute cette beauté n’était pas son terrain, ça le rendait maussade, l’herbe était verte, ok, mais pas tellement pour sa pomme. Les quelques sorties pour effectuer des achats de première nécessité n’étaient guère folichonnes et les établissements autorisés pas bien affriolants non plus ; la liste sur Gouvernement.fr ne connaissait pas d’évolution notable. Toutes les adresses un peu intéressantes qu’il avait dégottées restaient fermées. Le « donjon » de Maîtresse Léa par exemple, installé sous les toits d’ardoise au cœur de la vieille ville de T… Ou le club « Cupidon » que renfermait très librement un ancien moulin du XVIIIe dans la périphérie boisée de S… Sur la terrasse, le vieux Flaubert en poche était ouvert sur un tabouret près du transat, entre un double pastis bien frigorifié et un paquet de Tuc au romarin. Parce qu’il n’avait rien à penser d’important, et parce qu’il se voyait beau dans cette pose, Rodolphe en lisait des pages au hasard, les doigts pleins de sel, l’œil un peu vague derrière les sunglasses. La Luxure. Pourquoi donc, comme un autre homme, ne prendrais-tu pas une compagne ? L’Avarice. Une matrone soigneuse, qui ménagerait ton bien, qui rendrait propre ta maison ; l’argenterie serait claire, les buffets luisants. La Gourmandise. Dans des plats creux qu’on tient par des anneaux elle t’apporterait des tranches de viandes fumant au milieu d’une sauce épaisse. La Luxure. Elle serait à toi, à toi seul ; toujours vêtue pour les autres, elle se déshabillerait pour toi seul, vous ne craindriez personne... et tous les jours comme ça... dans votre petit lit. … L’Avarice. Oh ! Quelles insomnies ! Quels rêves ! Je ne mange pas, je ne bois pas, je ne dors plus, je trafique, je dérobe, j’assassine, et si quelqu’un veut de mon sang, qu’il l’achète ! J’ai retiré du trou mon argent, je l’ai caché dans mon matelas ; comme j’avais peur, je l’ai mis dans ma poche ; comme ma poche n’était pas sûre, je l’ai placé dans mon linge, je le sens là qui me touche la peau ; je voudrais l’y coudre, le faire entrer dans ma chair, l’encoffrer dans mon cœur, être argent moi-même ! Multiple comme l’action, je voudrais vivre en tout pour rapporter de chaque chose quelque chose. Que n’ai-je des facultés aspiratoires, afin de pomper à moi la substance et d’extraire de l’absolu même une valeur numérique ! Et ainsi de suite. Rodolphe n’y comprenait pas grand-chose, mais ça l’impressionnait quand même. Et puis ça remontait le moral de voir que lui, comparé à ça, il ne s’en sortait pas si mal côté placements et plans d’épargne. Il n’avait pas repris ses voyages à Paris pour les négo immobilières, mais, passé les deux dernières ventes du mois de mars, le patron de l’agence avait commencé à s’impatienter et mis à disposition de chacun de ses gagneurs de formidables joujoux pouvant transformer n’importe quel espace en un jumeau digital stupéfiant et immersif ; rien de tel pour de superbes visites virtuelles à 360°. Bien sûr, ce n’était plus comme en janvier ou février, quand 2020 s’annonçait comme l’année de tous les records : des appartements qui se bazardaient en une heure ! des fous furieux qui prenaient d’assaut le standard dès la mise en ligne d’une annonce ! des notaires à genoux de fatigue tellement les gens achetaient, vendaient, hypothéquaient, levaient des clauses suspensives !... Là, c’était plutôt le calme plat, mais Rodolphe ne craignait pas trop « l’après-11 mai », comme on disait désormais. Le credo restait exactement le même qu’avant : Paris était toujours une des villes les plus chères du monde, mais présentait encore de belles marges de progression sur le plan international. C’était jouissif… Au Panthéon, on se logeait à peine pour des vingt mille euros le mètre carré ! et la patronne de Paris, sainte Geneviève, depuis sa montagne, ferait le nécessaire pour que d’autres arrondissements suivent l’exemple – les grands hommes lui en seraient reconnaissants. En tout cas les plus gros d’entre eux… Il y avait bien sûr un risque de casse pour les petites agences de quartier et les indépendants. Tant mieux ! Car pour Rodolphe et son immobilier de classe américaine, pas de crainte à avoir ! et on récupérerait les dossiers dans le moyenne gamme pour se remettre vraiment en selle. D’ailleurs, les internationaux finiraient par revenir, et puis il y avait encore assez de Français pour se jeter sur les valeurs refuges, des qui payaient comptant ou qui empruntaient à des banques volant aux pauvres pour prêter aux riches… Ce qui chagrinait plus Rodolphe, c’était le manque de proximité avec la clientèle. Evelyne s’était cantonnée en Irlande. Il avait reçu aussi un mot de la femme du chirurgien de province qui venait régulièrement acheter des studios et des chambres de bonne de rapport : elle monterait à Paris dès la mi-mai, mais son message dénotait une froideur nouvelle : elle voulait s’assurer qu’on avait « élaboré un protocole rigoureux ». Du reste, c’était le cas ; le boss avait dit : le client ne fout pas un arpion à l’agence ! Rendez-vous à l’adresse. Visite avec masque, gants, tout le bastringue  ! En fin de visite, vous me récurez les poignées de portes à la javel , et vous serrez pas les paluches. – Ah ! les oaristys ! les premières maîtresses ! Ah les culbutes avec des femmes du monde ou de riches héritières dans un placard à balai, c’était à l’eau tout ça, à l’eau… Rodolphe en reversa justement de la plus fraîche dans son pastis. Il porta le glass à son front, puis à ses lèvres, claquant de la langue, il ouvrit un peu mieux le col de sa liquette Ralph Lauren, allongea les guiboles, repartit dans Flaubert. Elle serait à toi, à toi seul ; toujours vêtue pour les autres, elle se déshabillerait pour toi seul, vous ne craindriez personne... et tous les jours comme ça... dans votre petit lit… Tous les jours ? petit lit ? Il se dit que ce n’était pas à cette sauce que lui envisagerait de sitôt les choses. (À suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 25]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24] Le jour 25, Gustave tomba amoureux. Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? On sonne ? Chez lui ? Un employé du gaz ? Un livreur de colis ? La police ? Mais il est tout nu ! Vite, un slip ! Où est son slip ? Ah le voilà. Il est à l’envers ! Tant pis. J’arrive !  murmura-t-il, car il était poli. Un t-shirt ! 0ù est son t-shirt ? Le kimono ! Une seconde ! Gustave ouvrit tout doucement, il espérait entrevoir avant de voir, évaluer le risque avant de s’exposer mais dès l’entrebâillement sa porte subit la poussée d’un mae geri qui le fit reculer d’un bon mètre cinquante. – Ohayô, dit-elle. – Oui, répondit-il. – Beau kimono. Bandana sur le nez, durag sur la tête, on aurait dit un hold-up en sac poubelle et bottes de neige. – Ok j’y vais direct, est-ce que vous avez un masque ? – Pardon ? – Vous avez genre un masque ? Gustave la reconnut par la voix, c’était celle du rire qui tombait quelquefois du cinquième. C’était la femme qui rit ! Depuis qu’il avait entendu pour la première fois ce rire, c’était un soir d’été en 2018, il avait rêvé de ce moment où elle sonnerait chez lui pour demander n’importe quoi, un décapsuleur, de la farine ou une clé à molette, il l’aurait invitée à entrer, elle aurait souri, ils auraient bu un café ou une bière ou un rhum arrangé et auraient commencé une amitié faite de longues discussions très intéressantes, de rires chantants et d’amour inavoué, elle lui aurait parlé de son travail crevant et vachement pourri à Carrefour mais qu’elle aime bien parce qu’elle aime mieux les gens que les connards de la fac, lui de ses aspirations au bonheur et de ses lectures, elle lui aurait dit des compliments et de nombreux mots bleus qui rendent les gens heureux et lui aurait proposé une balade en forêt, à cheval, près d’une rivière et toute la scène du chapitre IX de la deuxième partie de Madame Bovary, il l’aurait écoutée la tête basse, elle lui aurait parlé de destinées communes et comme il aurait balbutié que c’était impossible, elle l’aurait saisi aux poignets et – Un masque digne de ce nom, je veux dire, parce que ça, ça va pas suffire. – Ah… Gustave était ému, il sentait son âme qui partait lentement, comme une vieille corneille dans le soleil horizontal, mais demeurait immobile et distant, conformément à l’étiquette heureusement imposée par l’urgence sanitaire. – Ma sœur est en train d’en fabriquer toute une série avec le pyjama Simpson de ce salaud d’Homay. – Qui ? – Mon ex, mais je préférerais un homologué. – Ah, redit-il dignement. – Parce que la vérité c’est qu’on va pas compter sur le gouvernement, et là elle rigola. Seigneur Jésus Marie… Gustave lui fit signe de rester sur le pallier, recula doucement, s’affola dans la chambre, revint, avoua ne posséder qu’un humble ouvrage confectionné dans les règles de l’art, lui montra son masque nippon, peu utilisé mais pas vraiment nickel. – Faites voir… Il tendit le masque à l’aide d’un parapluie qui n’avait pas servi depuis plusieurs années, mais le dérèglement climatique n’ayant aucune importance, cette remarque n’en a pas davantage, car le problème de toute l’humanité et d’abord de la France, en ce jour de soleil ultra chaud, c’était la pénurie de masques ou pire encore, la défectuosité de ceux dont quelques hôpitaux privilégiés avaient eu la primeur. Moisissures, déchirures, élastiques lâches ou détachés. – C’est vraiment des salopards, hein, des sales criminels. Et elle parla de Charenton, du Carrefour Bercy 2 où des collègues du rayon poissonnerie étaient morts, et d’Aïcha Issadounène, caissière à Saint-Denis, elle ajouta : – En fait ils disent tout et n’importe quoi mais moi ce que je vois, c’est qu’on peut crever, franchement monsieur c’est la vérité ! – Oui, dit Gustave. Il tenta de poursuivre l’analyse par des considérations élargies au plan mondial afin de donner à cet échange une tournure de longue discussion politique très intéressante, de rires chantants et d’amour inavoué, mentionna les chefs d’États incompétents et meurtriers, Trump en particulier, et Bolsonaro, souhaitait tout de même relancer sur une note optimiste, puisque l’Italie commençait à envisager le déconfinement, que l’Autriche rouvrait progressivement ses commerces, que l’Allemagne parvenait admirablement à contenir l’épidémie et que même en France, différentes stratégies de sortie de crise étaient déjà à l’étude, mais tout ce qu’il disait était plat et ennuyeux, il n’avait pas les mots, il ne parvenait pas à être intelligent, ce qui lui venait en tête, c’était l’image de Ying Ying et Le Le, ces deux pandas géants du zoo de Hong Kong, s'accouplant enfin de manière naturelle ; la poésie de ce passage à l'acte favorisé par l'absence de visiteurs, ne lui permettait pas d’organiser quoi que ce soit de pertinent. – Désolé je dois vous laisser monsieur, faut que j’aille à ma caisse. C’était brutal de la voir foutre le camp par l’escalier, et encore davantage de l’entendre remonter trois marches pour lui crier : – En attendant le jour où on pourra foutre une grosse branlée au gouvernement et à sa flicaille en roue libre, merci pour le masque, il est stylé ! La femme qui rit, rit. Lui, il était en morceaux. (À suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 55]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54] Jour 55 : dilemme. Le week-end s'annonçait triste, il faisait moche et ça sentait déjà le lundi. Les jours avaient de nouveau un nom et Gustave n’y pouvait rien. Il fallait se préparer à se déconfiner pour travailler et acheter des choses mais pas pour aller se promener dans les parcs. Or il n’avait pas de travail et il n’aimait pas les magasins. Il pourrait sortir pour prendre l’air sans attestation autant qu’il le voudrait mais est-ce que prendre l’air était bien raisonnable si le virus, comme on l’avait dit, se diffusait en aérosol moyenne portée ? Il devrait mettre un masque dans les transports en commun mais est-ce qu’il avait le droit de prendre le métro sans aller au boulot ? Est-ce qu’il avait le droit d’attester le caractère impérieux de ses déplacements inutiles ? Et son masque nippon ni papon était-il agréé par les milices de sécurité sanitaire recrutées par l’État ? Il crevait d’envie de continuer la lecture d’Hernani ou de n’importe quoi chez la môme échappée d’un Shonen pour lui tomber dans le cœur, mais est-ce qu’elle aurait encore envie de s’ambiancer à deux en dehors de la « life hyperspace en mode fucking confinement », selon son adorable expression si poétique qu’il se redisait mille fois par jour comme un mantra, car il était fou d’elle ? Reprendre comme avant, il n’était pas chaud. Passer au monde d’après, il ne voyait pas trop. La nature lui manquait mais le monde, pas du tout. L’appartement était un ventre. Il y flottait nickel. Il observait sur les toits les sauts gracieux d’une pie et son envol plus beau que celui des corbeaux, ému devant la perfection au passage éphémère, il pensait à sa mère, il irait bien porter un bouquet à madame Fabre, la directrice, l’EHPAD était à 100 km 500 d’après Google, alors n’était-ce pas jouer avec sa vie étant donné la nervosité des petits chasseurs Tie de la police volante ? Il se demanda comment faire, comment vivre, et comme il ne savait plus ce qu’il était juste de faire, déconfiner ou pas, il décida de ne rien décider. Il resterait chez lui. Comme avant, comme après. (À suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 39]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38] Le jour 39, Gustave imagina son déconfinement. Il est difficile d’être libre quand on est enfermé, mais il est impossible d’aller librement quand on met le nez dehors. Partout l’individu peut se faire houspiller par un drone, estropier par une porte de bagnole, poursuivre par des chiens, plaquer au sol par la BAC, même tout seul dans un bois vous pouvez prendre cher et sur la digue d’un petit port perdu tout pareil, et sur un chemin qui sent la violette, et dans la montagne innocente. C’est que la marche pour la marche est autorisée, mais marcher sans marcher tout à fait défendu, quant à rester sur place, quelle que soit la position choisie, assise, debout, couchée, c’est 135 euros, 200 en récidive. Le message est clair, non ?
RESTEZ CHEZ VOUS ! En même temps il faudrait penser à déconfiner. Oui, car l’Italie va déconfiner ! L’Autriche déconfine ! L’Allemagne déconfine ! La France déconfinera. Gustave, encore tout bouleversé par les événements de la veille, en plus du double tour de clé, avait poussé le verrou trois points à gros cylindre Leroy Merlin de sa porte d’entrée et se prit à rêver d’un entrebâilleur en titane, puis carrément d’un système d’alarme. Alors déconfiner, pas question. En l’état des choses, il ne descendrait plus la poubelle, n’irait pas chez Picard acheter sa barquette de brandade de morue surgelée, se contenterait de réchauffer le reste de coquillettes à l’œuf qu’il avait de la veille, se résoudrait à boire au goulot un vieux fond de Malibu presque préhistorique à la place de sa bière coutumière, fumerait des miettes et resterait planqué, le temps au moins que son affaire se tasse. Quelle affaire d’ailleurs ? Il ne savait plus, après une nuit de mauvais sommeil, si c’était l’investissement personnel du flic au chien teigneux ou les menaces du corbeau qui le terrorisaient le plus. Alors qu’il en avait une peur quasi métaphysique (n’ayant à l’affronter qu’en de rares et brèves occasions, et nous savons à quel point la métaphysique peut soulever l’âme à la limite de l’angoisse), un virus en pleine forme lui semblait bien moins menaçant que tout ce qui concernait son atténuation. Comment ça, il faudrait sortir ? Pourtant c’était dans les tuyaux. De grands principes devaient guider l’État dans l'élaboration d’une stratégie de déconfinement, les différents ministres concernés par la crise sanitaire, c’est-à-dire à peu près tout le gouvernement, devaient remettre au Premier ministre une ébauche de leurs plans sectoriels afin de constituer d'ici la fin du mois un projet global. Plusieurs options étaient à l'étude. C’était clair, une stratégie comme ça, ça sentait l’arnaque. Gustave se mit à y réfléchir, car il se doutait que le gouvernement n’aurait, le concernant, aucune intention particulière, mais se contenterait de le gérer par toutes sortes d’intrusions dans sa vie privée au moyen d’un dispositif hasardeux et contradictoire, évolutif et incertain, indiscutable et improvisé, donc fatalement répressif. Puisque la répression avait tenu lieu, jusqu’à présent, de politique sociale, puis de politique sanitaire, Gustave ne voyait pas comment la répression ne tiendrait pas lieu, ensuite, de politique tout court. Il résolut donc de prendre les devants et d’établir son propre plan de déconfinement. Pour qu’il n’ait pas à porter un masque obligatoire, il porterait un casque intégral de mobylette. Pour qu’il n’ait pas à faire la bise ni à serrer les mains, il s’inclinerait comme un moine tibétain. Pour qu’il n’ait pas à expliquer sa présence ici ou là, il remettrait en route son vieux Nokia pourri. Pour qu’il n’ait pas à s’adapter à une probable reconnaissance faciale, il suivrait des tutos de maquillage. Pour qu’il n’ait pas à subir les fouilles à l’entrée des magasins, il ferait ses courses en slip. Pour qu’il n’ait pas à craindre le retour à l’école de ses enfants, il n’en aurait plus. C’était évidemment, de toutes ses décisions, la plus douloureuse, mais il pourrait les faire revivre plus tard, vers 2030, en espérant que les choses aient cessé d’empirer. (À suivre).
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lamergelee · 4 years
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La musicienne japonaise ゆや (Yuya) donnait hier une performance live sur Youtube depuis le Japon. Une lecture en français et en japonais d'un épisode de notre "Vie fine et conne de Gustave F." était suivie d'un concert en solo de ゆや accompagnée à la concertina. Le livestream de la partie musicale peut être regardé ici.
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 23]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22] Jour 23 : Le chant du départ. Plutôt que de laisser tournoyer ses terreurs existentielles entre les angles désespérément droits de l'appartement, Jérôme aurait pu – songea-t-il dans un éclair de lucidité et de piété filiale – occuper différemment ces heures vespérales. Non seulement sa mère n’était pas une grande applaudisseuse (cœur simple à l’humeur peu expansive, elle dispensait sa sollicitude autrement), mais surtout, à 20h, pour rien au monde elle ne se fût mise au balcon, car enfin, 20h était l’heure du 20 Heures. Or le Directeur général de la Santé officiait chaque soir, et celui qu’on surnommait désormais le « Baromètre de la Pandémie » s’était soudain mis en tête de compter les morts des maisons de retraite (mais quelle idée ! Est-ce qu’il n’y en avait pas assez avec ceux des hostos ?). Jérôme, qui aurait bien voulu épargner à sa mère ce concentré de déluges paniques, aurait dû choisir précisément ce moment pour lui téléphoner (sa mère décrochait toujours si s’affichait le numéro du fils aimé, même pendant le sacrosaint 20 Heures). Cette invention scientifico-médiatique de l’Homme-Baromètre, géniale dans un comics des années 50 mais un peu has been au siècle de Fullmetal Alchemist, inquiétait fort Jérôme : sa mère était depuis longtemps une visiteuse assidue d’Ehpad ; deux de ses vieilles amies d’école s’y étaient installées presque de plein gré, et elle avait pris l’habitude de passer même un peu de temps avec des pensionnaires qu’elle savait plus esseulés encore que les autres. Cet Ehpad, c’était au « Jardin des Ramages », dans les faubourgs de la grande ville voisine. L’établissement n’était pas bien récent ; il avait, comme ses habitants, un caractère d’ancienneté qui n’était somme toute pas sans charme, à défaut de répondre parfaitement aux normes sanitaires. La maison de retraite disposait d’un « CANTOU ». On continuait d’employer ce mot même si ce n’était plus la dénomination administrative. À l’entendre, les pauvres vieux et leurs familles avaient d’abord des visions de soleil : les touffes de lavande, l’accent méridional, les veillées au coin du feu dans un mas aux épais murs de pierre, les couleurs vives et chaudes des vêtements, un jaune Van Gogh, un bleu méditerranéen ; ceux qui avaient un jour mis les pieds à la ville se voyaient déjà sous une de ces splendides parures de lit mimosa et citron ou dans un pyjama bien cher de chez Souleiado comme ils rêvaient d’en posséder. Mais on apprenait toujours trop tôt ce qu’était le CANTOU : un lieu où vieillards et vieillardes atteints de démence se trouvaient regroupés ; désormais commué sans effet de manche en « Unité Alzheimer », il s’agissait d’un étage ou d’un demi-étage à part de la résidence, pourvu d’une grande vitre pour faire de la lumière et offrir un ersatz de liberté ; mais ça tenait aussi du panoptique, ce bienveillant contrôle sécuritaire qui protégeait les résidents d’eux-mêmes, des autres et du monde des vivants. Et là, doux ou violents, selon les cas, selon les heures du jour et de la nuit, on leur faisait mener une vie de communauté ponctuée de stimuli destinés à leur conserver un orteil dans le réel. Un CANTOU, ce n’était rien qu’un « Centre d’Activités Naturelles Tirées d’Occupations Utiles » où il était question d’éplucher les pommes de terre, de trier les lentilles, de mettre le couvert, etc., etc., quand on en était encore capable. Au lieu de la distanciation sociale, on tentait jusque-là d’y inciter vaguement au rapprochement social, de contrer l’enfouissement dans les ténèbres inaccessibles du royaume intérieur et le silence des fantômes. La mère de Jérôme lui racontait parfois ses visites, les frasques de certains résidents – l’une, par exemple, qui l’accueillait avec un grand sourire, plantait ses yeux dans les siens et se mettait à chanter un tube des années cinquante ou soixante, une grande scène d’opéra ou une pièce du folklore ; les dernières semaines, impavide, elle entonnait d’une voix de stentor ces deux seuls vers révolutionnaires qu’elle répétait ensuite au moins dix fois : « Le Peuple souverain s’avance, / Tyrans descendez au cercueil. » On ne savait trop pour quelle raison ces paroles lui revenaient à l’esprit, elle ne répondait pas si on lui demandait, mais ce moment ne manquait pas d’allure, et les autres vieux assis côte à côte dans le hall n’avaient pas l’air de s’offusquer qu’on leur parlât sapin. Mais depuis une déclaration solennelle, début mars, du président de la République à l’Ehpad « Péan », situé face à l’hôpital Cochin, à cinq minutes de la prison de la Santé, il fallait s’abstenir d’aller voir les anciens, et bientôt toute visite fut carrément interdite. Au fin fond des Ehpad aussi, on instaura donc la distanciation sociale. La mère de Jérôme en était bouleversée : elle savait que huit résidents sur dix, même hors du CANTOU, n’étaient plus autonomes ni tout à fait lucides ; elle imaginait les vieillards désorientés, habitués à errer de chambre en chambre – pour ceux qui avaient encore des jambes –, soudain privés du moindre exercice, parfois attachés aux barreaux du lit. Elle imaginait un vieux couple (193 ans à eux deux) à l’isolement dans le peu d’espace de leur chambre double. Elle ne savait pas s’il fallait rire ou pleurer à la pensée d’une nonagénaire sénile devant qui on plaçait une tablette pour la forcer à « skyper » avec ses petits-enfants qu’elle ne reconnaissait pas même en chair et en os. La mère de Jérôme, tutrice légale d’une de ses deux amies, était élue au « Conseil de la Vie Sociale » de l’établissement. Elle savait qu’en temps normal, la « bientraitance » n’était pas le penchant spontané de la direction ; il fallait insister pour que le Conseil se réunisse vraiment trois fois par an, et réclamer sans arrêt qu’on arrête de servir une nourriture mixée insipide – quiche liquide en entrée, poulet basquaise en purée intégrale pour le plat, yaourt rose pour finir… Ces familles qui n’avaient plus le droit de venir, c’était à se demander si ça n’était pas, au fond, un soulagement pour la direction ; fini les arrière-petits-neveux qui rouspètent quand mémé n’est pas lavée ni même levée alors qu’il est onze heures du matin ! fini l’épouse qui vient chaque jour tenir la main du mari et voudrait siroter avec lui un café à une autre table et sur une autre nappe que celle salie du déjeuner ! Et puis le personnel soignant, épuisé mais le plus souvent souriant et dévoué, et à qui on ne donnait pas de masques ni pour les soins ni la toilette : désormais c’était pourtant lui, le grand risque, lui qu’on voyait comme risquant d’importer le virus… Somme toute, il avait du bon ce virus, car il n’y avait pas meilleure prétexte aux « gains de productivité » : on ne pouvait plus se permettre de perdre du temps à adresser deux mots gentils, à caresser une main, à masser la tête pendant un shampooing – tout ce luxe obscène et économiquement déplacé ! Le seul point qui réconfortait un peu la mère de Jérôme, c’était que le « modèle économique » de ces groupes de gestion des Ehpad pâtissait quand même aussi de la situation actuelle – plus de morts, moins de profit ! Une image assez dégradée, et du coup la confiance diminuée des marchés… Mais après tout, il suffisait de faire disparaître les cadavres en toute discrétion. La mère de Jérôme appelait quotidiennement l’Ehpad, mais il était rare qu’on réponde, et quand enfin ça décrochait, on rechignait à lui donner des informations. Que faire ? Que dire ? Si Jérôme révélait à sa mère, si pleine d’espoirs et de vie, ce qu’il avait lu dans les journaux sur ces familles auxquelles on avait dissimulé l’état sanitaire des résidents, s’il lui parlait de ces établissements où dix à vingt pensionnaires étaient morts, parfois sans assistance respiratoire ni sédatifs, elle perdrait son beau courage et peut-être même l’envie d’aller bien. Lui parlerait-il de « Voozanoo », utilisé depuis le 28 mars ? Jérôme avait cru comprendre que ça fonctionnait selon le principe du « bottom-up » (« de vous à nous ») ; mais ayant tenté de se renseigner en ligne, il était resté coi devant la vraie définition : « Voozano. Ce socle technique exclusif et personnalisable permet de collecter et de gérer les données en ligne au sein d’un environnement sécurisé. Hautement paramétrable et versatile, Voozanoo s’adapte à différents modes d’exploitation (sur un serveur au sein de son infrastructure ou en mode “Cloud” certifié “Hébergeur de données de santé à caractère personnel”), de développement (éditeur en ligne pour les utilisateurs confirmés) ou d’intégration des données. » En clair, Voozanoo faisait remonter les signalements de cas dans les Ehpad à des fins de statistiques nationales. D’où les propos vespéraux que tenait l’Homme-Baromètre Salomon, que Jérôme aurait bien voulu que sa mère ne connût jamais. (À suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 10]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9] Jour 10 : Quoi, les Bulgares ? On disait, au XVIe siècle, « tout vient à point qui sait attendre », formule qui signifiait « tout vient à point si l’on sait attendre ». On disait aussi, en sens comparable, « tout vient à point qui peut attendre ». L'emploi de qui dans le sens de « si l'on », très fréquent chez Montaigne, s’est progressivement éteint, comme les stégosaures, comme les abeilles, comme bientôt nous, l’Homme, parce qu’à la fin il ne devra rien rester sur la Terre qu’un manteau tellurique auréolé de gaz brillant dans l’infini à l'image de Mars ou Vénus, et la locution n'a plus été entendue du commun qu’au prix de l’insertion de la préposition à, entraînant une légère modification du sens (« c’est à celui qui sait attendre qu’échoit le moment venu ce qu’il espérait »). On trouve dans l’Ecclésiaste (III, 1) ces mots : « Omnibus ora certa est et tempus suum cuilibet caepto sub caelis ». Ils signifient : « Il y a pour tout un instant fixé et chaque entreprise a son temps marqué sous les cieux ». C’est une maxime à l’adresse de ces hommes qui manquent de fermeté dans leurs résolutions et qui compromettent le succès des meilleures affaires par l’avidité ou par l’impatience. Voici ce que disait Bossuet, au Grand Siècle, à ce sujet : « La science des occasions et des temps est la principale partie des affaires. Précipiter ses affaires, c’est le propre de la faiblesse qui est contrainte de s’empresser dans l’exécution de ses desseins, parce qu’elle dépend des occasions. » Faut-il convoquer aussi La Fontaine, un peu plus précoce dans l’Histoire, dont la ménagerie a convaincu pour jamais les foules de petits Français que : « Rien ne sert de courir ; / Il faut partir à point » ? « À qui sait attendre, le temple du temps ouvre ses portes de jade », abonde paraît-il le proverbe chinois – mais évitons d’introduire encore chez nous sans contrôle rien qui vienne aujourd’hui de Chine. Restons alors en France : il est écrit dans la nouvelle édition du Dictionnaire de l’Académie françoise, imprimée chez Pierre Beaume à Paris, près de l’Hôtel-de-Ville, en 1778, avec approbation et privilège du Roy, que l’ « On dit auſſi proverbialement, qu’Il faut attendre à cueillir la poire, qu’elle ſoit mûre, pour dire, qu’Il ne faut point précipiter une affaire, & qu’on doit attendre qu’elle ſoit en état d’être faite, d’être conclue, &c. » Enfin bref, tout cela pour dire que, le temps ne pressant pas tant que ça, Gustave avait remis au lendemain de téléphoner à Jérôme. Gustave, donc, voulut se rappeler au bon souvenir de Jérôme ; ou plutôt, il eut simplement envie d’entendre le son de sa voix. On lui avait inculqué qu’il y avait des heures pour téléphoner aux gens ; ni trop tôt le matin ni trop tard le soir, éviter les moments de repas. Mais Gustave savait bien que Jérôme, sur ce point aussi, était peu regardant sur la politesse conventionnelle. Et qu’il appelait n’importe quand, le jour ou la nuit, en se fichant bien d’interrompre une mastication ou de réveiller. Gustave prit son téléphone et composa le numéro, qui n’était pas enregistré. Il s’aperçut qu’il le connaissait encore par cœur. Il ne s’attendait pas vraiment que Jérôme décroche. Et pourtant si. Gustave entendit une voix à la fois sinistre et rieuse, un mélange qu’il n’avait jamais retrouvé ailleurs. Gustave, anticipant une pointe de gêne, avait un peu prévu ses phrases : « Alors, ça va ? Depuis tout ce temps, qu’est-ce que tu deviens ? » Mais point besoin. Jérôme en l’entendant se contenta d’un bref « Ah tiens, c’est toi », avant de se lancer dans une longue tirade comme si ses conversations avec Gustave avaient cessé la veille. Gustave, avec l’impression d’une complicité jamais perdue, ne s’en plaignit pas, car il avait en toutes situations horreur du small talk et ne se voyait pas échanger avec Jérôme des banalités sur la pluie et le beau temps. Et pourtant, c’était presque de météo que lui parlait Jérôme. Gustave avait eu la nostalgie de Radio-Ploucs, il fut servi. Jérôme ne sortait jamais, mais il semblait être au courant de tout par ses informateurs villageois ou par la presse locale. Ce jour-là, un discours ministériel avait provoqué son indignation sarcastique. Certes, Gustave avait entendu les propos du ministre de l’Agriculture, mais n’y avait prêté qu’une oreille. Jérôme lui en boucha un coin et, de toute façon, il ne le laissa pas en placer une. « Rejoignez la grande armée de l’agriculture française ! Il faut que les travaux des champs se fassent et, pour qu’ils se fassent, il faut de la main-d’œuvre... Aujourd’hui même, il y a la possibilité d’avoir 200 000 emplois directs dans les métiers de l’agriculture. Je veux lancer un grand appel à l’armée des ombres, un grand appel aux femmes et aux hommes qui aujourd’hui ne travaillent pas, un grand appel à celles et ceux qui sont confinés chez eux dans leur appartement, dans leur maison. À celles et ceux qui sont serveurs dans un restaurant, hôtesses d’accueil dans un hôtel, aux coiffeurs, à celles et ceux qui n’ont plus d’activité, je leur dis rejoignez la grande armée de l’agriculture française, rejoignez celles et ceux qui vont nous permettre de nous nourrir de façon propre, saine. » Jérôme singeait délicieusement les intonations ministérielles. Il se demandait si le ministre, en parlant d’armée des ombres, ne faisait pas tant référence à la Résistance qu’il ne trahissait sa vision du pays réel : du flou, des zombies. Il ajouta que la FNSEA semblait avoir inspiré directement ces propos, tandis que la Confédération paysanne mettait en doute la pertinence d’un tel appel. Tout ça était très bien sur le papier, s’énervait Jérôme, mais comment faire ? Affréter des cars pour débarquer coiffeurs et serveuses au bord des champs ? C’était imprudent en cette époque virale. On pourrait plutôt envoyer les lycéens et étudiants qui étaient rentrés chez leurs parents en province et mobiliser une jeunesse périburbaine qui s’ennuyait. Après tout, ça avait bien marché, en Chine, après la révolution culturelle et les zhiqing. Et tout d’un coup (sentant sûrement le côté bancal de sa proposition), Jérôme s’exclama : « Ah, et les Bulgares ! – Quoi, les Bulgares ? – Ils sont au chômage ou ils sont repartis ? » Gustave n’y comprenait plus grand-chose. Mine de rien, l’heure avait tourné. Il promit à Jérôme qu’ils se téléphoneraient bientôt. Ne serait-ce que pour élucider le cas bulgare... (A suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 49]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48] Le jour 49, un ange passa. Le 2 mai en début de soirée, Jérôme, le vieil ami de Gustave, rentrait d’une promenade illégalement longue mais légitimement saine dans les forêts environnantes où il n’avait croisé aucun de ses semblables potentiellement dangereux. Au moment où il plaçait la clé dans la serrure de son appartement, il aperçut un papier blanc retenu par un coin du paillasson. Bizarre, bizarre – un voisin vigilant et généreux voulait-il lui fournir quelques attestations d’avance ? Peu probable. De ses mains caoutchoutées, il ramassa le papier : Être un ange gardien, c’est faire une photocopie d’attestation quand son voisin de dispose pas d’imprimante. Voilà l’une des bonnes œuvres dont tu as bénéficié, ô citoyen, durant ces dernières semaines. Son auteur a bien agi. Il en sera récompensé. Mais toi ? Écoute. Mai arrive. Ne te découvre pas d’un fil. Écoute : Le soleil devint noir comme un sac de crin, la lune entière devint comme du sang, les étoiles tombèrent du ciel sur la terre comme un figuier secoué par grand vent jette ses figues, le ciel fut retiré comme un volume qu’on enroule, et toute montagne, toute île furent enlevées de leur lieu. Et voici un cheval verdâtre ; son cavalier se nommait la Mort, et l’Hadès le suivait. Et il leur fut donné pouvoir sur le quart de la terre de tuer par l’épée, par la famine, par la pestilence et par les bêtes sauvages de la terre. Écoute et, le 11 mai venu, chaque jour, répète ces mots le matin, le midi et le soir : Ange gardien, ami fidèle Sois près de nous à l’agonie : Alors surtout garde-nous bien ; Que nous sentions ta main bénie, Ange gardien ! Et le soir trois fois tu diras : Mon bon ange, compagnon, maître, gouverneur, seigneur, roi, prince chéri et bienfaisant, toi qui veilles sur moi avec tant de bonté, toi en qui j’ai tant de confiance et je n’en aurai jamais assez, toi qui me soutiens en tous les instants de la vie...   Signé : la brigade d’anges gardiens 👼 👼 👼 Jérôme éprouva un vent glacial et glissa le papier entièrement sous le paillasson. De qui cela venait-il ? Qui était l’ange ? Habitait-il l’immeuble ? Quel étage ? Entrait-il comme le souffle de l’esprit par la lucarne des combles ? (À suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 13]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12] Le jour 13, Gustave se sentit fort comme un Japonais. Le ciel était clair, quelques nuages au-dessus de la tôle, des aboiements au lointain, tiens, un bourdonnement, une abeille peut-être, il regardait la rue et les magasins fermés, la ville sans humains était une nature, ses pierres minérales dans le soleil oblique et les oisillons, quelque part, leur petit cri, il fumait sa première cigarette au balcon de la chambre-salon, se souvenait d’un haïku de Buson.
Rien d'autre aujourd'hui que d'aller dans le printemps rien de plus Aller dans le printemps. Rien de plus ? Il avait envie de rire, d’un rire social et pas fondamental, adressé aux éventuels complices de son deuxième degré, mais rien ne sortait, d’ailleurs il n’y avait personne (rires enregistrés), eh non ! personne à qui adresser son humour japonais ! (rires enregistrés 2) il était seul, solitaire complètement confiné (applaudissements), même si cet isolement n’était qu’une vaste blague, puisqu’il n’avait jamais autant été relié aux milliards d’humains dont il devait s’inquiéter ; il ne savait pas quoi faire de cette nouvelle conscience (éclats de rires en cascade). En tout cas il se sentait bien. Il avait pris sa douche, s’était frotté les dents au bicarbonate, avait changé ses draps, avait préparé un thé vert et enfilé un kimono très beau avec des hérons, c’était sa journée Japon. Rien d’autre aujourd’hui. Au large de Dieppe, des navires de l'Otan menaient une opération Historical Ordnance Disposal afin d’empêcher que se prolonge la liste des morts des deux derniers conflits mondiaux (bombes, obus concrétionnés, mines de fond), mais l’explosion de 930 kg d'équivalent TNT ne parvint pas à faire vaciller sa japanese attitude, pas plus que la réunion du président avec les partenaires sociaux en audioconférence pour discuter des moyens de concilier la poursuite de l’activité économique avec la protection des salariés, ni la prise de parole du Premier ministre devant la cellule interministérielle de crise installée au ministère de l’Intérieur, ni les housses mortuaires livrées aux Ehpad en attendant les masques FFP2, ni les décès d'une salariée de Carrefour à Saint-Denis, d'un intérimaire de Manpower en mission chez Fedex à Roissy, tout cela ne l’émut pas car il ne le sut pas, car il ne voulut pas le savoir, car il préférait, après son expérience de la veille sur le net, éviter toutes les horribles nouvelles du jour, c’est ainsi qu’il pouvait se sentir bien. Il se sentait bien. Assez bien. Pas mal. Pas très bien mais ça allait. Il se mit à genoux devant sa table basse, déplia une vieille polaire moche et un mouchoir en coton fin qui lui venait de sa mère, ancien mais très joli, avec des fleurs de cerisier, il sortit du tiroir les ciseaux et sa trousse à couture et entreprit de coudre son masque, un beau masque à lui, japonais, en écoutant un quatuor de Schubert, son préféré, le plus connu mais ce qu’on s’en fout d’être original, « La jeune fille et la mort ». Pouvait-il sentir en son bon cœur si lent les bondissements lyriques du drame à distance ? Allait-il échapper à la romantisation de la quarantaine internationale ? Oui, il y échapperait, car son Schubert à lui n’était pas romantique, il était japonais. Il chantonnait, coupait, cousait, chantonnait jusqu’au milieu du deuxième mouvement, lent et grave, cousait, cousait encore. Sans que rien de la catastrophe en cours soit venu troubler son ouvrage, mais comme ça, cousant toujours, soudain, comme un sabre lui sortant les tripes, Gustave fut atteint de gravité. Alors l’ironie, le second degré, le rire enregistré, le détachement du sage, tout ce qu’il s’était fabriqué, alors même qu’il ne savait presque rien de la mort qui s’approche, lui apparut honteux et pitoyable. La tragédie est, dit-on, un art samouraï, mais Gustave, malgré son kimono, était incapable de transformer le drame en cours dans une forme d’art, même une forme d’art aussi humble que la couture. Des larmes lui coulèrent tant et tant qu’il dut se moucher dans ce ridicule masque dont personne ne peut dire s’il est utile ou pas. (A suivre).
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lamergelee · 4 years
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“La vie conne et fine de Gustave F.” [épisode 45]
[Lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 4 bis, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44] Jour 45 : le 11 mai ? – Salut fils, alors, on oublie son vieux père ? – Tiens, bonjour papa. Non, j’ai appelé plusieurs fois je t’assure, c’est sans arrêt la messagerie, j’étais inquiet même… – Ah, oui, c’est vrai, on n’a pas beaucoup de réseau au bunker présidentiel. Tu sais, c’est vachement enterré. Y a que la ligne rouge avec Washington et le télescope Hubble qui passe bien, et encore. – Ah, d’accord. Parce que tu sais, depuis ton coup de fil, l’autre jour, j’étais vraiment pas bien. C’était quoi tous ces cris, là, autour de toi ? – Oh, ça ! non, rien du tout ! C’est l’équipe du porte-parolat au Palais qui devait faire les cons. Tu connais les énarques, toujours portés à la déconne ! Enfin, ça n’empêche qu’on bosse tous comme des dingues depuis deux semaines, hein. Tu sais, pour le discours de ce soir… Philippe va annoncer comment qu’on déconfine. T’es content, fils ? Tu vas pouvoir vadrouiller dehors à partir du 11 mai. Mais attention ! en masque de chantier, et pas plus loin que Rambouillet, t'es en zone rouge. – Ben, content, bof. Vu que y a ni vaccin ni traitement et qu’on atteindra jamais l’immunité de groupe, vaudrait mieux attendre encore un peu, non ? Au moins jusqu’à l’automne… – Gustave, tu dérailles ? L’économie doit repartir, mon petit. Et puis les Français n’en peuvent plus de rester au pieu ! Tout le monde n’a pas pris comme toi Proust au pied de la lettre. – Moui, peut-être… Mais au fait, pourquoi le 11 mai ? Pourquoi pas le 9, ou le 12 ? J’avais pas bien compris l’explication, quand Macron a dit la date, mi-avril… – Ah, ah ! Bonne question, fils ! Le 11 mai c’était mon idée bien sûr ! Et c’est là que j’ai encore marqué des points avec le Président. D’ailleurs tu sais, Philippe va sauter, et je suis officiellement pressenti pour la suite… Mais bon, je me tâte, tu me connais, j’ai toujours préféré œuvrer dans l’ombre pour le pays… – Oui... Et le 11 mai alors, pourquoi ? – Mais enfin, fils, le symbole ! – Le symbole ? – Eh bien, 1502 voyons ! – 1502… – Mais oui, 1502 !... Pff, Gustave tu me déçois ! Y a bien que toi pour pas repérer un machin aussi énorme ! 11 mai 1502 : quatrième et dernier voyage de Colomb vers le Nouveau Monde ! Vers le monde d’après, quoi ! Ah, ah ! Oh non mais fallait voir la tronche d’Alexis et Patrick quand j’ai dit « 11 mai » à la table ovale, complètement sciés ! Et Emmanuel qui me reluquait de tous ses petits yeux rapprochés en se passant le bout de la langue entre les incisives ! « Oh, bravo Charles, quelle trouvaille ! Ça, c’est du niveau du Maître des Horloges... » – Ah oui papa, vu comme ça, c’est bien trouvé. Et puis… bon… maintenant je comprends aussi le double sens… Le 11 mai ! La grande offensive des Alliés contre les forces de l'Axe le long de la ligne Gustave !... Ah ça me touche papa, ça me touche ! Vraiment que tu penses à moi dans des tels moments nationaux, ça me touche… – Heu, oui, oui, ça aussi... certainement. Bien, fils, je te laisse ! Je dois commencer à préparer mon futur discours d’investiture. J’ai peut-être un début mais faut peaufiner. « Messieurs, nous avons accepté d’être au gouvernement pour conduire la guerre avec un redoublement d’efforts en vue du meilleur rendement de toutes les énergies. Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une guerre intégrale !... » Hum, un peu martial, non ?... Ou alors : « J'invite tous les Français qui veulent rester libres à m'écouter et à me suivre. Vive la France dans l'honneur et l'indépendance !... » Ouais, ouais, pas mal ça, on le retient… « Soldats de ma vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l'honneur et de la gloire… » Bon enfin là, c’est plutôt pour le pot de départ, quand je claquerai ma dém… – Au revoir, papa. – « I have a dream ! » (À suivre).
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