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SÉANCE #13 | « Sur les réseaux sociaux, c’est la loi du plus fort qui s’applique »
Il existe différents phénomènes qui affectent les conditions de possibilité d’une discussion politique en ligne. Premièrement, les « fake news » diffusées via les réseaux sociaux. Ces fausses nouvelles s’inscrivent dans un phénomène historique et culturel désigné par le terme de « post-vérité » (Latzko-Toth & Rueff). Les « fake news » compromettent les discussions politiques en ligne. En effet, elles confortent les opinions des internautes au-delà de tout fondement factuel et surtout en créant des bulles informationnelles (ou « filter bubbles » en anglais). Selon ma traduction de la définition du phénomène dans le Cambridge Dictionary, il s’agit d’une « situation dans laquelle une personne entend ou voit seulement des nouvelles et des informations qui vont dans le sens de ce qu’elle croit déjà et de ce qu’elle aime. Il s’agit principalement d’une situation qui découle des algorithmes sur Internet qui déterminent l’orientation des recherches de la personne ».
Une telle perspective peut mener jusqu’à la polarisation des débats en ligne et à leur déplacement sur le terrain des affects et des émotions. Et c’est ce qui peut conduire à la brutalisation du débat public en ligne, qui se transformerait en lynchage, en insultes, en menaces ou encore en harcèlement. De ce fait, les espaces publics en ligne, présumés propices aux discussions politiques, se voient de plus en plus transformés en arènes où prévaut la loi du plus fort.
Dans le cadre de cette réflexion, il est particulièrement intéressant d’aborder le cas de la présidentielle française. Un article paru sur Euronews évoque ces campagnes connectées : « plus que jamais, la campagne présidentielle française se déroule sur les réseaux sociaux. Un espace idéal pour séduire les électeurs à moindre coût et sans limite de temps » (Euronews, 07.04.2022). Selon Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication à Science Po, on ne peut pas se fier aux RSN lorsqu’il s’agit d’élections. « Sur les réseaux sociaux, ce sont juste les plus radicaux qui s'expriment : ce n'est pas représentatif de la réalité ». Un article publié par France 24 fin mars va plus loin. Il associe les plateformes numériques à une manipulation de l’opinion au cours de laquelle « les règles du jeu démocratique sont bien souvent méprisées » (Abdelbost, 26.03.2022).
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https://twitter.com/France24_fr/status/1506322314983612428?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1506322314983612428%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.france24.com%2Ffr%2Ffrance%2F20220326-prC3A9sidentielle-quelles-manipulations-sur-les-rC3A9seaux-sociaux
Malgré ces perspectives peu encourageantes, deux chercheurs bruxellois font la constatation suivante en lien avec la formation de l’opinion et l’accès à l’information en ligne : « en considérant la porosité de nos “bulles” informationnelles […], nous pouvons constater que l’usage des réseaux sociaux permettant la personnalisation (humaine et algorithmique) du flux d’information ne nuit pas de façon uniforme et déterministe à la diversité des débats au sein de l’espace public » (Claes & Philippette 2021 : 12). On serait presque rassuré.
Bibliographie :
Abdelbost, A. (26.03.2022). Présidentielle : quelles manipulations sur les réseaux sociaux ? France 24.
Cambridge Dictionnary. (2022). Filter Bubble. Dans Dictionnaire.
Claes, A. & Philippette, T. (2021). Algorithmes et bulles de filtres : État des lieux. Algopinion.
Latzko-Toth, G. & Rueff, J. (2019). Médias sociaux et discussions politiques en ligne [Texte]. Site de cours. https://sitescours.monportail.ulaval.ca/contenu/sitescours/039/03907/202201/site140526/modules983354/module1238156/page3355859/bloccontenu3356083/201909_M09%20Latzko-Toth-Rueff_Medias%20sociaux%20et%20discussions.pdf?identifiant=65ec36fbe1f5d6b5d8df20f7693067144cb52b30.
s.n. (07.04.2022). Présidentielle française : la bataille des réseaux sociaux. Euronews.
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SÉANCE #12 | Les "click farms", où comment créer de fausses données sur Internet
Dans la dimension économique du numérique, lorsque je pense au digital labour, ce sont les fermes à clics, ou click farms en anglais, qui me viennent à l’esprit. Selon l’encyclopédie française, une ferme à clics est une « forme de fraude au clic, où un grand groupe de travailleurs peu rémunérés sont embauchés afin de cliquer sur des liens de publicité payants dans les sites web du fraudeur. »
D’après le sociologue Antonio Casilli, auteur de l’ouvrage « En attendant les robots, enquête sur le travail du clic », les progrès technologiques ont ouvert la porte à de nouveaux métiers. Ceux-ci sont directement en lien avec les plateformes numériques. Ils sont regroupés sous le nom digital labour car les tâches sont effectuées avec le doigt. Il s’agit de créer des données. Dans les fermes à clics, d’importants dispositifs technologiques sont déployés pour optimiser les activités des employés. Ces derniers sont chargés d’accroître l’audience d’un client sur les réseaux sociaux. Notamment grâce aux likes, aux partages et aux abonnements à des comptes sur les plateformes numériques. De telles activités ont lieu dans des pays émergents ou en développement car les revenus sont plus faibles. « Les personnes sont prêtes à réaliser des tâches faiblement rémunérées », assure Casilli. Le travail est payé à la pièce et est rarement encadré par un contrat.
Les gouvernements sont conscients de cette forme potentielle de précarité. La Fondation thaïlandaise pour la promotion de la santé et le ministère du Travail thaïlandais se sont récemment penchés sur la question du digital labour. Pour les organisations, il s’agit de récolter des informations sur les recherches menées sur les difficultés rencontrées par les travailleurs numériques. Selon un article paru dans le Bangkok Post le 25 mars dernier, il en ressort principalement que ces employés sont sous-payés et qu’ils n’ont pas accès aux prestations sociales du gouvernement.
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Cette vidéo du média digital français Brut montre les dessous d’une ferme à clics en Thaïlande. Brut définit l’endroit comme « un lieu où l’on booste la réputation numérique d’une entreprise ou d’un individu ». Le média rapporte qu’en 2016, environ la moitié de l’activité en ligne a été générée artificiellement. Quel est le but de tout cela ? Générer des revenus publicitaires en masse.
L’extrait de Today, une émission américaine de télévision diffusée sur NBC, vise les procédés pour gagner en nombre de vues sur une publication. L’animateur fait une mise en garde : « tout est faux ». Il est possible d’acheter des amis, des followers, des vues, des likes sur toutes les plateformes. Instagram, Facebook, Twitter et YouTube ont déclaré à NBC News que ce genre d’activité n’est pas autorisé. Ils continuent de développer des systèmes pour prévenir, détecter et supprimer les comptes qui violent les règles d’utilisation. Avec la quantité de données qui circulent chaque seconde sur les réseaux sociaux, une telle tâche de surveillance me paraît toutefois difficile à honorer.
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SÉANCE #10 | L’intelligence artificielle : « par des hommes pour des hommes »
L’intelligence artificielle (IA) fait partie de notre quotidien. Nous ne nous en rendons pas compte, mais elle influence notre opinion sur le monde. Elle entre en scène à chaque utilisation de notre téléphone intelligent. Les technologies accroissent les biais de genre. En effet, l’IA se base sur les données qui existent et elle produit ensuite des prédictions qui permettront de faire perdurer les biais de genre, voire de les renforcer.
Voici l’angle que j’ai choisi d’aborder : l’intelligence artificielle en tant que révélateur des rapports de domination dans la société. Pour creuser le sujet, je me suis penchée sur les réflexions d’Isabelle Collet, Professeure en Sciences de l’éducation à l’Université de Genève. Selon Isabelle Collet, « les algorithmes d’IA sont alimentés par des milliards de données dites ‘d’entraînement’ (voix, textes, images, vidéos…). L’essentiel des corpus d’entrainement […] est le miroir d’une société inégalitaire ». (Collet, 2021). Les femmes sont sous-représentées ou représentées dans des rôles qui correspondent à des stéréotypes sexués.
Les algorithmes portent les intentionnalités de leurs concepteurs. Et ce sont principalement des hommes. Un monde informatique investi en majorité par les hommes a-t-il des conséquences sur la société ? Selon Isabelle Collet, c’est incontestable. Pourquoi les femmes peinent-elles à entrer dans le milieu ? La Professeure aborde la question dans le podcast « Les couilles sur la table ».
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Isabelle Collet postule qu’« à mesure que les applications se diffusent, les biais de genre se font de plus en plus apparents » (Collet, 2020). La Professeure cite l’exemple des premières applications de santé apparues sur les téléphones intelligents. Ces interfaces permettaient de monitorer le poids, les battements cardiaques, les pas effectués en une journée, etc. Mais pas les cycles menstruels. Alors que cela concerne une grande partie de la population. Isabelle Collet a également identifié des biais dans les applications de coachs sportifs. Le corps présenté est celui de l’homme. Il ne prend pas en compte les différences physiologiques des femmes, comme la pression sanguine, les variations des constantes selon le moment du cycle, etc.
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A l’avenir, il s’agira de corriger les biais de l’intelligence artificielle pour ne pas perpétrer les stéréotypes que la société tente de plus en plus de combattre. Selon Isabelle Collet, la première étape est d’intégrer davantage de femmes dans les métiers du numérique.
Bibliographie :
Collet, I. (2020). Les algorithmes sont-ils sexistes ? (à moins qu’il ne s’ agisse de la société…). Blog Sarasvati.
Collet, I. (19.08.2021). L’intelligence artificielle a été conçue par des hommes pour des hommes. Le Temps.
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SÉANCE #09 | Et si l’on avait totalement perdu le contrôle des informations sur le Web?
Avec l’arrivée du numérique et la fuite de la publicité vers de nouveaux supports en ligne, les médias ont été contraints de se tourner vers le digital. La production de contenu journalistique se veut désormais multimédia puisqu’elle combine texte, son, vidéo, liens hypertextes et interactions avec les internautes. Internet a révolutionné la manière de produire et de diffuser l’actualité. Mais ce n’est pas tout. Internet favorise la multiplication des contenus. Sur la toile, on trouve une quantité d’informations qui ne sont pas toujours diffusées par une source sûre. Dans les médias traditionnels, la publication des nouvelles par les journalistes, basée sur l’intérêt général, s’appuyait sur une base solide.
Désormais, il n’est pas rare de tomber sur de fausses informations. Avec l’actuelle guerre en Ukraine, les fake news font partie de l’agenda. Mais côté occidental, ce n’est pas à cause de leur inexactitude. En effet, le gouvernement russe se « cache » derrière l’excuse des fausses informations pour discréditer des nouvelles sur les actions militaires russes. Cela explique le titre de l’article publié le 11 mars 2022 par le Washington Post: « Dans la Russie de Poutine, les ‘fake news’ veulent désormais dire vraies informations ».
Le danger, c’est que nous vivons actuellement « dans une culture de la communication où la désinformation, la mésinformation, le faux et l’usage de faux à des fins politique ou narcissique sont érigés en système » (Burger et al., 2017, 17). Il en va de la responsabilité de l’internaute de se poser les bonnes questions et de vérifier chaque source consultée. Car on sous-estime la force des fausses nouvelles, surtout en pleine période de conflit. De leur côté, les journalistes doivent soigner leur rôle de médiateur dans la diffusion des informations. Leur activité première est de sélectionner, donner sens à l’information et protéger les sources (Burger et al., 2017, 16).
Source:
Burger, M., Thornborrow, J. & Fitzgerald, R. (2017). Analyser les espaces interactifs des nouveaux médias et des réseaux sociaux. Dans : M. Burger (éd.), Discours des réseaux sociaux : enjeux publics, politiques et médiatiques (pp. 7-24). Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.
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SÉANCE #06 | Tous des pantins sur la scène du numérique
Ouvrir un compte sur les réseaux sociaux, c’est prolonger sa vie réelle de façon totalement virtuelle. L’image en ligne comporte ses particularités. Les plateformes web favorisent une vision de soi et des relations interpersonnelles qui correspondent au partage d’une image de marque. Certains utilisateurs connus soignent les détails qu’ils partagent, soucieux de parfaire leur « vitrine. »
D’autres, conscients que cela peut amener les utilisateurs plus fragiles à se comparer et à se dévaloriser, souhaitent désormais inverser la tendance. Ils partagent une vie, un corps, un quotidien sans filtre. C’est par exemple le cas de la star d’Instagram Danae Mercer qui prône l’amour de soi. Elle montre son corps sans retouche. Elle dénonce les injonctions faites aux femmes concernant leur physique ainsi que la pression sociale qui en découle. 
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Les publications de Danae Mercer sont commentées par des milliers de personnes qui se sentent aidées et rassurées. Mais les commentaires malveillants sont également de la partie. Sur la toile, les haters n’ont aucune limite. Protégés derrière leur écran, ils ont souvent des paroles très cruelles. Ces dernières ne sont pas sans impact pour la personne qui partage une image. Mais elles touchent aussi directement les autres utilisateurs. Une revue de la littérature effectuée par Revranche, Biscond et Husky a récemment mis en avant le poids de ces commentaires négatifs. Auprès du jeune public, l’internationalisation de l’idéal physique véhiculé sur internet, l’auto-objectification, les feedbacks de pairs et la comparaison sociale peuvent conduire à une vision négative de sa propre image corporelle.
Pour Christophe Alcantara, spécialiste de l’e-reputation, on ne peut pas prétendre avoir le contrôle de son image. On peut toutefois prétendre la soigner. Mais ce n’est pas parce qu’on agit dans ce sens que les autres vont le percevoir comme on le veut. C’est la base de la communication : ce n’est pas parce l’émission du message se fait dans un sens que la réception se fera nécessairement de la façon attendue.
Le mouvement d’acceptation de soi encouragé par Danae Mercer et d’autres influencers gagne du terrain. Tous encouragent à la diversité des représentations. L’utilisation collective des réseaux sociaux suivra-t-elle le courant?
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