Tumgik
#c'est beaucoup trop fun d'écrire cryda wtf
gerceval · 3 years
Text
Visions
1,234 mots, sur une demande de @19chloe96, sur Ygerne et Cryda à l’époque des événements de kv1
.
.
.
.
Au cri du coq, Cryda se retourna sur la paillasse grinçante. Ses articulations la faisaient déjà souffrir, et le jour se levait à peine, mais elle n’allait pas lambiner pour autant. Pas son genre. Dans l’autre petit lit, sa sœur avait plus de mal. Elle la comprenait parfaitement. Qu’est-ce qu’il faisait froid, dans ce pays de bouseux ; et puis, Ygerne était la plus âgée des deux, et celle qui avait eu la vie la plus difficile. Mais enfin, ce n’était quand même pas une raison pour se laisser aller, et, ces derniers temps, elle avait sérieusement l’air d’être sur le point de jeter le manche après la cognée. Cryda s’était pourtant dit, quelques mois plus tôt, au moment où elles avaient passé la barre des dix ans dans la ferme nordique où elles avaient trouvé refuge, que si elles avaient tenu le coup jusque là elles pourraient bien continuer à tenir le coup tout pareil. Mais la morosité silencieuse d’Ygerne n’avait fait que se durcir à partir de ce point. Ça ne lui ressemblait pas tellement, à la sœurette, de ruminer dans son coin, mais la situation était quelque peu inédite, et l’espoir d’en sortir se faisait de jour en jour plus mince.
Elle s’habilla rapidement dans le noir, une robe fruste et rugueuse qui lui filait des boutons, et sortit de la chambre qu’elles partageaient. Dans la cuisine, Élionne avait déjà commencé à faire cuire du lard. Leur hôtesse avait environ le même âge qu’elle, et tenait la ferme seule depuis que son neveu avait été enlevé et probablement exécuté par les soldats de Lancelot pour avoir défendu des paysans du voisinage contre des taxes étouffantes cinq ou six ans plus tôt. Ygerne et Cryda l’auraient bien aidée à faire tourner la boutique, mais elles n’étaient malheureusement pas qualifiées pour torcher le cul des cochons. Le neveu ne manquait pas tellement à Cryda (c’était le dernier des pégus), mais elle avait fini par se prendre d’affection pour Élionne, qui détestait tout le monde et ne cessait de leur répéter qu’elle les foutrait dehors à coups de pied dans l’oignon au premier faux pas, tout en leur préparant semaine après semaine les petits pains les plus moelleux de toute l’île de Bretagne.
- Elle est pas levée, votre sœur ?
- Je sais qu’on est chez les bouseux, mais on dit même plus bonjour, chez vous ? rétorqua Cryda d’un ton hautain.
- Si vous êtes pas contente vous pouvez toujours aller prendre le ptit déjeuner dans les geôles de Kaamelott, ils seront ptetre plus avenants.
- Oh vous savez, moi je dis ça c’est pour vous ma p’tite, le fiel ça vous fait un vilain teint.
Outre une cachette sûre, le gîte et le couvert, Élionne lui offrait de quoi garder son esprit vif et affûté, alors que les distractions ne se bousculaient pas au portillon. Sans aller jusqu’à se voir rester là jusqu’à la fin de ses jours – il ne fallait pas exagérer, elle était une princesse, et vivre les deux pieds dans la bouse portait quand même un sacré coup au standing – elle se disait parfois qu’elle garderait quelques souvenirs heureux dont elle pourrait à l’avenir se délecter sur un fauteuil tendu de riches étoffes, au coin d’un grand feu allumé par des grouillots, si les dieux voulaient bien se décider un jour à redresser la situation. Ça ne coûtait rien de rêver.
Après un rapide petit déjeuner, elle retourna dans la chambre pour jeter un coup d’œil à Ygerne. Celle-ci était toujours allongée, mais au-dessus des couvertures, les yeux exorbités.
- Ça va ?
- Cessez de me parler du froid qui continuera de s’abattre sur nos âmes et celles des générations à venir, car les dieux ne dorment jamais pour très longtemps.
Elle avait prononcé ces mots d’une voix caverneuse que Cryda lui avait déjà entendue plusieurs fois.
- Ah ben là ma poule je saurais pas vous dire, dit-elle en s’asseyant sur son propre lit, face à Ygerne.
- L’avenir et le passé ne forment pour vous qu’un serpent qui se mord la queue, et bientôt je pourrai vous rejoindre et vous comprendre et vous tenir sur mon sein. En attendant, guidez-moi… Guidez-moi vers les portes de ce qui n’est pas encore…
- Qu’est-ce que je fais du coup, je vous fais apporter le petit-déjeuner au lit ou… ?
Elle avait fini par s’habituer à ce genre de discours énigmatiques, souvent prononcés au cœur de la nuit, mais parfois aussi en plein milieu de la journée, faisant irruption au milieu de conversations et d’activités diverses. Ygerne avait commencé à avoir des visions alors qu’elles étaient toutes les deux adolescentes. La plupart du temps, c’était avec des morts qu’elle entrait en communication. Au début, Cryda évitait de se trouver dans la même pièce qu’elle dans ces moments là – les morts ne l’avaient jamais vraiment intéressée, ils étaient ailleurs, merci bonsoir. Et puis, la curiosité avait eu raison de son dédain. Les visions d’Ygerne étaient restées relativement rares, mais les gens la regardaient suffisamment bizarrement et avec suffisamment de dégoût dans les yeux pour que Cryda se trouve heureuse de ne pas être la sorcière d’entre les deux.
- Ouvrez-moi vos bras, si vous voulez ouvrir mes yeux. J’essaye, j’essaye, mais je n’entends pas votre présage. Les ruines sont tout autour de moi, répétez, répétez, montrez-moi votre visage, enfin ! Je suis là, faites de moi votre pythie, car je suis encore dans ce monde, et votre épouse soumise.
Ah. Encore lui. La majorité des visions d’Ygerne avaient été de Pendragon, depuis qu’il était mort. C’était celles qui mettaient Cryda le plus mal à l’aise, car si le bougre n’avait pas été très commode de son vivant, il était devenu carrément flippant en passant l’arme à gauche. Certaines fois, Ygerne avait l’air de lui parler, et d’autres fois…
- Qu’est-ce que c’est que cette ferme toute pourrie que vous avez dégottée ?
...D’autres fois, c’était Uther qui parlait par sa bouche.
- Qu’est-ce qu’elle a, celle-là, à nous regarder ?
Cryda resta silencieuse, préférant toujours agir comme si elle n’était pas là, comme si rien de ce que le fantôme disait ne pouvait l’atteindre.
- Bon, donc comme je disais on m’a dit de transmettre une prophétie, donc ouvrez bien les feuilles de chou parce que j’ai pas envie que ça prenne mille plombes. Alors. Laissez-moi me concentrer. Ils m’emmerdent, là-haut, avec leurs histoires.
Le corps inerte d’Ygerne semblait tendu et douloureux. Outre ses lèvres, seuls ses yeux bougeaient, animés d’une vie surnaturelle, presque malsaine.
- Ah oui voilà. Ça faisait comme ça : Les fils des hommes se prépareront à sa venue, car leurs pères ont abandonné l’espoir. La poussière tombera de leurs armes s’ils savent prêter ouïe, lui seul pouvant par ses mots les relever, et célébreront à travers Logres de l’Élu le retour.
Avec une grande inspiration, Ygerne se redressa sur le lit, prise d’un frisson. Cryda, les yeux écarquillés, vint s’asseoir à ses côtés.
- Vous avez entendu ça ?
- Bien sûr que j’ai entendu ça, c’est moi qui ai prononcé ces mots ! Vous savez ce que ça veut dire ?
- Votre fils…
- On quitte le bled des bouseux ma grande ! Commencez à mettre vos merdes dans un baluchon, l’héritier d’Uther est vivant, et il est en route ! Et il a intérêt à faire un bisou à môman !
24 notes · View notes