Tumgik
phchue · 7 years
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“Chère Lou,
Cela me touche étrangement qu’il y ait maintenant une patrie autour de toi, une maison remplie de ta présence, un jardin qui vit de toi, un espace qui t’appartient ; oui, je comprends que tout cela ait été et n’ait pu qu’être lent à advenir : car ton univers exige la réalité et a la force de l’exiger ; le premier et lointain Loufried était presque comme un rêve, légèrement fragile et plein de choses anticipées ; mais il tenait à toi, et quand tu venais, la maison était grande et le jardin sans fin. C’est ce que j’éprouvais alors, et je sais aujourd’hui que c’est justement l’infinie réalité qui t’entourait qui constitua pour moi l’événement le plus profond de cette époque indiciblement bonne, grande et généreuse ; le processus de métamorphose qui s’empara alors de moi en mille endroits à la fois émanait de ton existence indiciblement réelle. Jamais, dans mes timides tâtonnements, je n’avais autant senti l’être, autant cru à la présence et autant admis l’avenir ; tu étais l’antithèse de tous les doutes et pour moi une preuve que tout ce que tu touches, atteins et regardes existe. Le monde perdit pour moi son caractère nébuleux, cette façon flottante de se former et de se décomposer qui fut la manière et la pauvreté de mes premiers vers ; des choses advinrent, des bêtes que l’on discernait, des fleurs qui existaient ; j’appris une simplicité, j’appris avec lenteur et difficulté que tout est simple, et j’acquis la maturité pour parler des choses simples.
Et tout cela se produisit parce qu’il m’a été accordé de te rencontrer à un moment pour la première fois je courais le danger de m’abandonner à l’informe. Et si ce danger ne cesse de revenir d’une façon ou d’une autre et sous une forme de plus en plus adulte, le souvenir de toi, la conscience de toi grandissent cependant en moi au point de devenir immenses. A Paris, pendant ces journées extrêmement difficiles où toutes les choses se retiraient de moi comme d’un homme devenant aveugle, où je tremblais de l’angoisse de ne plus reconnaitre le visage de mon prochain, je me raccrochais au fait que toi, je te reconnaissais encore en mon for intérieur, que ton image ne m’était pas devenue étrangère, qu’elle ne s’était pas éloignée comme tout le reste, mais se maintenait seule dans le vide étranger où j’étais contraint de vivre.
Et ici aussi, au milieu du déchirement avec lequel j’ai renoué, tu as été le lieu sûr auquel mon regard est resté fixé.
Je comprends si bien que les choses viennent à toi comme les oiseaux retournent au nid lointain quand le soir tombe. Mille lois, grandes et petites, se sont accomplies avec la maison qui s’est construite autour de toi. Je suis si heureux qu’elle existe, et j’ai l’impression que ses effets bienfaisants me parviennent jusqu’ici.
Mon combat, Lou, et mon péril consistent en ceci que je ne puis devenir réel, qu’il y a toujours des choses qui me nient, des événements qui me traversent, plus réels que moi, comme si je n’existais pas. Autrefois, j’ai cru qu’un mieux surgirait le jour où j’aurais une maison, une femme et un enfant, toutes choses réelles et irréfutables ; j’ai cru que cela me rendrait plus visible, plus tangible, plus concret. Tu vois, Westerwede existait, était réel : car j’ai construit moi-même la maison et tout fait à l’intérieur. Mais c’était une réalité en dehors de moi, je n’étais ni intégré à elle ni confondu avec elle. Et maintenant que cette petite maison avec ses belles chambres silencieuses n’existe plus, le fait de savoir qu’il existe encore un être lié à moi et quelque part un petit enfant qui n’a rien de plus proche dans la vie que cet être et moi – cela me donne sans doute une certaine sécurité et l’expérience de beaucoup de choses simples et profondes -, mais cela ne m’aide pas à parvenir à ce sentiment de réalité, à cette égalité de condition à laquelle j’aspire tant : être quelqu’un de réel au milieu du réel.
C’est seulement pendant mes journées de travail (fort rares) que je deviens réel, que j’existe, que j’occupe l’espace comme une chose, pesant, gisant, tombant, et puis une main vient me relever. Inséré dans l’édifice d’une grande réalité, j’ai alors le sentiment d’être un élément important, posé sur des fondations profondes, encadré à droite et à gauche par d’autres portants. Mais chaque fois, après ces moments d’insertion, je redeviens la pierre rejetée au loin, si inerte que l’herbe de l’inaction a le temps de pousser sur elle. Et le fait que ces moments de rejet ne se fassent pas plus rares, mais soient au contraire quasi constants, ne doit-il pas m’angoisser ? Si je gis ainsi, complètement enseveli, qui me retrouvera sous tout ce qui me recouvre ? Et n’est-il pas possible que je me sois depuis longtemps effrité, presque pareil à la terre, presque aplani, si bien qu’il y a toujours un morne chemin de traverse pour me passer dessus ?
Il y a donc constamment devant moi cette unique tâche à laquelle je ne m’attèle toujours pas, bien que je doive le faire : trouver le chemin, la possibilité d’une réalité quotidienne…
J’écris cela, chère Lou, comme dans un journal intime, tout cela parce que je ne peux pas écrire de lettre maintenant mais n’en suis pas moins désireux de te parler. J’ai presque perdu l’habitude d’écrire, aussi pardonne-moi si cette manière de lettre est détestable et désordonnée. Peut-être n’y voit-on même pas qu’elle est emplie de joie à la pensée de ta maison et y apporte mille voeux. Mille. Tous.
Rainer.”
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phchue · 7 years
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“On n’écrit pas avec du donné ou des données. La matière première, la chose même trouvée telle quelle, le cru* est mythe. On l’évoque soit par vantardise, soit à des fins d’intimidation. Ce dont la fiction a besoin c’est d’un matériau de construction spécifique : des boules de sensations-pensées-formes. Des calculs, des nids d’hirondelles.
*Au mythe du cru, répond, à l’autre bout, le mythe de la surcuisson préalable, de la marinade mentale, de la macération du bécu. Les deux ont en commun l’idée d’une littérature organique, qui se passerait de toute technique.”
— Pierre Alferi et Olivier Cadiot,”La Mécanique Lyrique”, Revue de littérature générale
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phchue · 7 years
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“Hijakata cherchait son inspiration partout. Il a observé une poule sans tête qui continue à courir acéphale pendant quelques secondes, pour bien comprendre la possibilité du mouvement dans un corps sans cerveau.”
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phchue · 7 years
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“2 (suite du 2 du §60) Le paradoxe de Goodman est un paradoxe de sceptique
Le paradoxe de Goodman est un paradoxe de sceptique. Il utilise la certitude inscrite dans la langue pour la mettre en contradiction avec elle-même. La “solution” linguistique elle aussi, n’efface le doute qu’a posteriori jusqu’à l’instant où les yeux s’ouvrent, ils peuvent encore être “vvreux” (donc en cas, bleus) ou bruns, ou encore “bbruns”, ou encore “vvreux”.
L’instant franchi, le vreux cesse d’être possible. Le bbrun et le vvreux demeurent, mais restent toujours futurs. La réfutation est en fait une réfutation sceptique. Elle ne restitue nullement la certitude première de l’induction, mais seulement une certitude à la Merlin : la vérité de ses “obscures paroles” ne se connaît comme telle que quand les choses prédites sont “advenues”. Il faut remarquer que ce n’est que parce qu’elle introduit une dissymétrie qu’elle peut parvenir à ses fins.
Le paradoxe construit le vreux en parallèle avec le brun. Le bbrun est bâti de même : sont bbruns les yeux qui, demain, vérifiés par le regard auront été bruns. Mais le vvreux, comment se dit-il? Certainement pas comme la couleur d’yeux qui, une fois vus, auront été verts, car cette couleur là n’est jamais apparue, et l’induction ne peut la confirmer. Sont vreux les yeux qui, demain, auront été vreux. Et la certitude inductive de cette couleur-là est toujours rejetée vers le futur.
Les yeux plus tard, auront été vreux aussi.”
Jacques Roubaud, La Boucle
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phchue · 7 years
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“Goodman avait eu une jeune femme, qu’il aimait beaucoup. Tous les matins en s’éveillant (il s’éveillait tôt) il la regardait dormir, et, plus tard, quand elle s’éveillait à son tour, il lui disait : “Ce que j’aime par dessus tout ce sont tes yeux; tes beaux yeux bruns.” Elle souriait et ne disait rien. Un matin, Goodman se sentit troublé. Sa jeune femme dormait, sous ses paupières ses yeux n’étaient pas visibles et il se dit : ” Et s’il se trouvait que ses yeux fussent verts, ou bleus je ne pourrais le supporter.” Elle s’éveilla, lui sourit, ses yeux étaient bruns comme tous les autres matins, mais il ne fut pas rassuré. “Qu’as tu?” lui dit-elle à quelque temps de là; car le trouble de Goddman n’avait pas cessé : il était devenu une angoisse qui ne lui laissait pas de repos. “Je t’aime, lui dit-il. J’aime particulièrement tes yeux quand tu t’éveilles et que je les regarde pour la pemière fois de la journée. J’aime tes yeux parce qu’ils sont bruns. Mais comment puis-je être sûr qu’ils le sont. Je n’aimerais pas découvrir qu’ils sont bleus, ou verts.” “J’étais sûr, reprit Goodman, que tes yeux sont bruns parce que tous les matins, depuis que nous dormons ensemble, je les ai regardés et ils ont été bruns. Mais si vreuse  était leur couleur?”
“Vreuse?” dit-elle.
“Je dirai que leur couleur est le vreux dans les deux cas suivants : il s’agit d’un matin passé, où j’ai vu tes yeux, et c’est alors la couleur brune; ou bien il s’agit de demain et c’est le vert, ou le bleu. Tous les jours jusqu’à aujourd’hui, plus d’un millier, tes yeux ont été bruns, donc “vreux” : ils seront donc vreux encore demain; c’est-à-dire verts, ou bleus. Je ne peux donc plus être sûr de cela, leur couleur. Voilà ce qui me trouble. Mme Goodman ne dit rien encore, mais cette nuit-là, le regardant à la dérobée, vit qu’il pleurait. “Mes yeux, lui dit-elle le lendemain au réveil, chaque fois que tu les as regardés, ont été bruns; tout ce qu’il te faut, tout ce dont tu as besoin d’être certain, c’est que demain, quand tu les auras regardés, ils auront été bruns. Appelons bbrune, si tu le veux bien, cette qualité de mes yeux. Appelons vvreuse cette autre qualité, celle que tu redoutes : que mes yeux ont été bruns ou que demain, quand tu les auras regardés, ils auront été verts, ou bleus. Mes yeux, tu en conviendras, ont toujours été “bbruns”. Ils le seront encore demain. Ils ont aussi été “vvreux”; ils le seront encore demain, cela veut dire que demain, quand tu les auras regardés, ils auront été bruns, et que le jour suivant, après-demain, ils auront été verts ou bleus. Mais qu’importe? “Mes yeux, peut-être, quand je dors sont bleus, ou verts, ou d’une autre couleur, ou d’aucune, comme les objets, qui sont apatrides. Mais, sois-en sûr, toujours, quand je m’éveillerai pour toi, quand tu auras regardé mes yeux, ils auront été bruns.” Ainsi parla la femme de Goodman, née Hume. Et il en fut ainsi : tous les matins, tant qu’elle vécut encore, il regarda ses yeux au moment de son réveil, et ils furent bruns.”
Jacques Roubaud, La Boucle
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phchue · 7 years
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“Le grand Incendie de Londres, tel qu’il s’écrit, est fortement influencé par le peri ideon d’Hermogène le Rhéteur. Il serait plus exact de dire que c’est moi qui ai choisi “l’Idée” hermogénienne de vitesse (aussi qualifiée de “vélocité”, “rapidity“, celeritas, “vivacité”, ou “presstezza” par les différents commentateurs de la Renaissance), pour lui faire jouer un rôle central dans ma stratégie rhétorique. En premier lieu, c’est vrai, par curiosité, parce qu’elle est selon toute vraisemblance une innovation d’Hermogène, un de ses apports les plus marquants à la tradition, ce qui lui donne l’attrait indéniable de la rareté. Mais aussi, mais surtout parce qu’elle a été sentie telle à la Renaissance, dans la poésie anglaise et italienne où j’ai d’abord (dans mon ignorance honteuse de l’Antiquité gréco-latine) découvert son existence (et en premier lieu chez Giulio Camillo Delminio, auteur d’un traité sur le “théâtre de la mémoire”). La place de cette Idée, d’ailleurs centrale aussi dans la géométrie de l’exposition rhétorique puisque, quatrième des sept Idées, elle est flanquée de deux triples : Clarté, Grandeur et Beauté à l’avant – Ethos, Vérité, et Gravité en arrière). Une “vie brève” et fabuleuse d’Hermogène (genre par excellence du style de la vélocité), due Philostrate (que j’accélère encore, et compactifie, tout en négligeant le fait qu’elle parle peut-être d’un autre Thermogène, dit le Sophiste, que M. Patillon ne veut pas confondre avec le Rhéteur) constitue une illustration de cette interprétation, et pleine de “suavité” (ou “dolcezza”, ou “saveur” : une autre belle “idée” du peri ideon. Je m’autorise du traité pour la faire servir à l’ethos de mon ouvrage, comme “composant” de la véridicité) : Hermogène, né à Tarse, avait à quinze ans une si grande réputation de sophiste que l’empereur Marc-Aurèle se déplaça pour l’entendre. Mais à vingt ans, il perdit d’un coup son don, en apparence de manière naturelle. “Où sont donc, lui disait-on, tous tes discours ailés? Ne sont-ils pas envolés de toi à la vitesse des oiseaux?” Il mourut âgé, pauvre, inconnu, car on cessa de penser à lui dès que son art le quitta. Quand on ouvrit son cadavre, on vit qu’il avait le coeur plus gros que la normale, et couvert de poils.” Sturm, traduisant Hermogène en latin en 1571, parle de l’idée de vitesse en des termes qui évoquent le courant impétueux du fleuve, et ses eaux “froides” (comme on dit dans le “Lancelot en prose”). C’est une qualité qui rend vivantes les eaux de la parole qui sans elle se transformeraient en mare stagnante. Mais comme il suffit parfois de regarder fixement le fleuve pour empêcher son image de couler, comme le courant, même rapide, fuyant trop glissement, à la longue, semble lent et presque immobile, il faut l’interrompre par quelque interpolation d'”hirsutes“, les mots et les sons par excellence de la vélocitas.”
J. Roubaud, La Boucle
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phchue · 7 years
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“Auntie is falling to pieces. But inside her is another Auntie. She is like the nesting wooden mosaic box she bought me when I was a kid. I found a box inside the box, and I found another as I opened it, and yet another smaller box inside that … Auntie exposes what she has been hiding one after another, but unlike a box, she never becomes empty. It is silly to ask which the real Auntie is. Contradictions and confusions are Auntie herself. But I sometimes find such an excessively honest Auntie terribly hateful. Because it’s me that she exposes.”
Shuntaro Tanikawa, from Coca-Cola Lesson: DIARY OF AUNTIE
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phchue · 7 years
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“Le XVIe siècle y a vu le style du temps. Minturno, dans son Arte poetica cite un vers du “Triomphe du Temps” de Pétrarque comme son emblème, un vers qui, selon lui, dit avec une rapidité extrême la précipitation irrépressible de ce dont il parle : “per la mirabil sua velocitate”. Andrew Marvell signale à sa fuyante, réticente et phobique maîtresse, “his coy mistresse“, le chariot précipité du temps, “Time’s winged charriot hurrying near“. Et plus intimement encore s’accorde à l’esprit de l’Idée hermogénienne l’apostrophe du Faust de Marlowe aux chevaux de la nuit : “Lente, lente, currite noctis equi” Chaque mot de ce vers est un mot de la vitesse, car dans la classification hermogénienne le mètre par excellence de cette Idée est le trochée, la succession trochaïque (la dipodie trochaïque particulièrement) qui sans cesse tombe de son haut (ici d’une auteur accentuelle : c’est un vers latin, lui même dit en anglais) et précipite la voix. Mais le redoublement de l’effet, son accélération, résulte d’un précipice sémantique aux deux premiers pieds, où se répète l’adverbe, comme expressément inventé pour un “paradoxe de Grelling” du temps : “lente”, “lente”. (Tout cela a un sens très net en anglais où il s’agit de mettre en déséquilibre le déroulement du vers par rapport à l’environnement rythmique ïambique ambiant. De la même manière le “vers libre international”, le “vli” contemporain, pris aux Anglo-Saxons obtient l’effet voulu par enjambement perpétuel (voyez là une hypothèse sur l’origine du “vli”  : importance de l’instabilité métrique).”
Jacques Roubaud, La Boucle
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phchue · 7 years
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“Tribe, an organism, one flesh, breathing joy as the stars breathe destiny down on us, get going, join hands, see to business, thousands of sons will see to it when you fall, you will grow a thousand times in the bellies of your sisters.”
Diane de Prima, Revolutionary letters #2
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phchue · 7 years
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”La théorisation culturelle et sociale a trop souvent procédé comme des questions étaient un point de départ raisonnable. Il y a ceux qui examinent d’abord l’individu et s’arrêtent aux plumes. Lorsque des notions telles que fonction, échange, contrat ou raison sont utilisées pour expliquer la constitution de la société, l’individu est la poule. Le geste inaugural fait disparaître la société en évoquant un troupeau atomisé d’individus qui fabriquent des relations les uns avec les autres sur la base d’une reconnaissance normative des besoin partagés et des biens communs.  Ces approches “fondationnelles” ont fait l’objet d’une critique sans pitié, en particulier avec les théoriciens de la déconstruction, parce qu’elles renvoient plus ou moins explicitement à un mythe des origines. Mais ce que l’on n’a pas assez souvent remarqué et que les approches qui se définissent contre le “parti des poules” sont, sur leur mode propre, tout autant fondationalistes. Les approches qui privilégient les notions comme la structure, le symbolique, le système sémiotique regardent d’abord ce que les autres mettent en second  : le cadre intersubjectif. La société prend maintenant la place d’un a priori, d’un principe d’intersubjectivité qui fait éclore des oeufs-sujets. Le “fondement” dans ce cas n’est pas une origine mythique, mais c’st tout aussi bien un fondement.  Il traduit une inversion du premier type de fondamentalisme. Le geste original, cette fois, fait disparaître l’individu, de telle sorte qu’il revienne en tant que déterminé par la société et non plus en position de la déterminer. L’individu est défini par sa “place” dans le cadre intersubjectif. Le fondement est transposé d’un axe temporel vers un axe spatial, il devient topographique, configuration du paysage social : nous ne sommes plus dans le “il était une fois” mais au royaume du “toujours déjà”. Selon cette approche, en effet, l’individu est en un sens pré-éclos, puisque la topographie qui le détermine est elle-même prédéteriminée par une logique planifiée en termes de positions de base, de leurs combinaisons et de leur permutation. Arriva un troisième parti mutant, qui considéra cette querelle comme à peu près aussi intéressante que la controverse swiftienne quant à la meilleur manière d’attaquer un oeuf, par le gros ou par le petit bout. Pourquoi ne peuvent-il pas voir que le mieux est de le prendre par le milieu? Des théories récentes privilégient les notions d’hybride, de culture frontalière (“border culture”) ou de socialité “perverse” revalorisée (“queer theory”). Ces théories cherchent à désamorcer le scénario de la poule et de l’oeuf en valorisant l’intermédiaire. Le but ultime est de retrouver une place pour le changement, pour l’innovation sociale, qui ont été expulsés du nid par le mouvement en pince, d’une part par la détermination d’une norme de droit et de l’autre par la détermination topographique d’un positionnement constituant. Mais dans le mesure où l’intermédiaire est conçu comme une space d’interaction d’individus et de sociétés déjà constituées, le part du milieu est reconduit à la carte des positions. Il a tendance à décrire l’intermédiaire comme mélange ou comme parodie du toujours déjà positionné.” Brian Massumi, “Économie politique de l’appartenance et logique de la relation”
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phchue · 7 years
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La mort est venue à l'improviste, car je l'ai voulue. Je me suis dit que je ne voulais plus vivre. Je n'ai vécu que six mois. On m'a dit que j'étais fou. Je croyais que j'étais vivant. On ne me laissait pas tranquille. Je vivais dans la joie, mais les gens disaient que j'étais méchant. J'ai compris que les gens avaient besoin de la mort, et j'ai décidé de ne plus rien faire, mais je ne pouvais pas. J'ai décidé d'écrire sur la mort. Je pleure de chagrin. je suis très affligé. Je m’ennuie, car tout est vide autour de moi. Je me suis vidé. Je sais que Louise, la servante, pleurera demain, car elle sera désolée de voir cette dévastation. J’ai enlevé tous les dessins et les tableaux que j’ai faits au cours de ces six mois.
Vaslav Nijinski, Cahiers, 1918-1919
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phchue · 7 years
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“Notre vertige devant le monde irrationnel des Prisons est fait, non du manque de mesures (car jamais Piranèse ne fut plus géomètre), mais de la multiplicité de calculs qu’on sait exacts et qui portent sur des proportions qu’on sait fausses. Pour que ces personnages situés dans une galerie au fond de la salle aient ces dimensions de fétus de paille, il faut que ce balcon, que prolongent d’autres corniches plus inaccessibles encore, soit séparé de nous par des heures de marche, et ceci, qui suffit à prouver que ce sombre palais n’est qu’un songe nous emplit d’une angoisse analogue à ce que serait celle d‘un ver de terre s’efforçant d’arpenter les murs de cathédrale. Souvent, la retombée d’une arche couvre au haut de l’image les degrés supérieurs d’un escalier ou d’une échelle, suggérant des altitudes encore plus élevées que celles des échelons et des paliers visibles; l’indication d’un autre escalier plongeant plus bas que le niveau où nous somes nous avertit que ce gouffre se creuse aussi par-delà la marge inférieure; la suggestion se précise encore quand une lanterne suspendue presque au ras de la même marge confirme l’hypothèse de noires profondeurs invisibles”
Marguerite Yourcenar, Sous bénéfice d’inventaire
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phchue · 7 years
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Homme je fus mis sur terre non pour être, mais pour mimer le trou qui est. Il m’a voulu pour son pantin. Il a dû penser que la chose était bonne. Si j’approchais de ma tête par derrière en penchant, je reconnaîtrais par-derrière ma pensée, non comme un être étant dedans, mais comme celle qui danse toujours comme sa vaine ombre par derrière ma pensée. Ainsi sommes-nous. Plus j’avais de mal à penser, plus je croyais que c’était elle qui parlait à ma place. Le discours aux animaux, V. Novarina, éd. P.O.L., 1987.
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phchue · 7 years
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Et l’avantage que de telles poupées posséderaient sur des danseurs vivants ? Celui de ne jamais être affecté. Car l’affectation apparaît dès que l’âme se trouve en un autre point qu’au centre de gravité du mouvement. (Kleist)
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phchue · 7 years
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“J’ai élaboré une théorie, celle de la goutte de trop ou de pas assez qui fait basculer le supportable dans l’insupportable. En me séchant j’ai étendu ma théorie au sucre dans le café, là aussi un grain de sucre en trop suffit à rendre le café imbuvable”
E. Hocquard, Ma haie
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phchue · 7 years
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Le tremblement de terre de Lisbonne, en 1755, avait détérioré plusieurs panneaux allégoriques en azuleijos qui décorent la terrasse du palais de la Frontera. Notammentcelui qui représente l’Astronomie. Un certaine nombre de carreaux du bas avaient été descellés et étaient tombés par terre. Un maçon “idiot”, qui n’avait pas accès à la représentation, les avait recollés à la hâte (comme il convient d’ailleurs de le faire pour ne pas fragiliser davantage l’ensemble), mais n’importe comment, sans s’être soucié de la cohérence du décor d’origine. De sorte que, depuis cette restauration sauvage et discontinue, l’Anatomie a les pieds dans un chaos de lignes et de couleurs. Or, cette incohérence, qui n’est pas sans intérêt ni sans charme, produit à son tour une forme fixe à l’intérieur du panneau. Si bien qu’on n’en sort pas. (Hocquard, Cette histoire est la mienne (petit dictionnaire autobiographique de l’élégie)
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phchue · 7 years
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