Tumgik
#àtravers
histoire-glitchienne · 8 months
Text
Petite réflexion sur le cannibalisme…
Tumblr media
Chapitre 1 : Qu’est-ce que le cannibalisme ?
Le phénomène du cannibalisme semble extrêmement tabou notamment au sein des milieux académiques occidentaux. Eneffet, la problématique est davantage traitée sur la forme que sur le fond, comme s’il y avait une volonté, consciente ouinconsciente, d’éviter d’analyser le sujet en profondeur[1].
En effet, si l’on se penche sur les recherches anthropologiques : « Lévi-Strauss, tout comme Freud, soutient l’équivalencequasi universelle entre manger et copuler ; la sexualité et la nourriture seraient partout objets d’interdictions. Lecannibalisme, cet acte au cours duquel s’accomplit l’union la plus intime qui soit (…) se lie d’emblée à la sexualité. Laseule autre expérience offrant une rencontre fusionnelle de ce type est celle que vivent la mère et l’enfant[2]. » Ce genrede théorie n’explique en rien le phénomène en lui-même. De plus les anthropologues s’intéressent davantage auxpratiques cannibales, remontant principalement au XVIIème siècle, des tribus dites « primitives ». L’intérêt est dedémontrer que cette pratique doit être considérée comme étant culturelle ou religieuse. Néanmoins, dans cette dernièreperspective, la question du goût de la chair est rarement considérée comme un élément pertinent[3].
Par ailleurs, la plupart des anthropologues se cachent bien de mentionner cet aspect qui assombrirait quelque peu letableau. À l’exception de Mondher Kilani qui a effectué un travail colossal sur les différentes formes de cannibalisme àtravers le monde, incluant le cannibalisme occidental.
En effet, bien qu’il soit important de comprendre le fonctionnement d’un « cannibalisme culturel », il serait égalementpertinent de savoir si les membres de ces tribus, ou du moins quelques-uns d’entre elles ressentent un certain plaisirgustatif en consommant de la chair humaine. Toutefois, ce genre d’informations doit impérativement être analysée avecprudence. Jean de Léry écrit au XVIème siècle à propos des Iroquois : « Tous confessent cette chair être merveilleusementbonne et délicate[4] ». Bien que la pratique cannibale au sein de cette tribu ait été avérée exacte par des anthropologuescontemporains : « De telles questions m’étaient passées par la tête mais une longue ingestion de documents publiés sur lesIroquois et d’autres Iroquoiens, tant d’études savantes que de sources primaires, m’avait convaincu que le cannibalismeétait un fait (chez les Iroquois)[5] » En outre, dans les années 1950, l’ethnologue Ronald M. Berndt rapporte les proposque des membres de tribus dans le Fore de Nouvelle-Guinée auraient eu : «Voici de la bonne nourriture et nous l’avonstoujours négligée ! Désormais nous mangerons toujours les morts, hommes, femmes et enfants. Pourquoi jetterions-nousde la bonne viande ? Ce n’est pas bien ![6] » En ce qui concerne la période contemporaine, Mondher Kilani évoque lesdifférentes tribus telles que les Guayaki et les Tupi-Guarani connus pour avoir des pratiques cannibales[7].
Quant à nos cannibales occidentaux, certains d’entre eux ont décrit le goût de la chair humaine. Le cannibale deRothenburg, dont nous reparlerons plus tard, prétend que la viande a : « un goût de porc, en un peu plus amer, un peu plusfort[8]» Néanmoins, dans les années 1920, un journaliste américain du New-York Time ayant été tenté par l’expériencecannibale, s’est procuré un morceau de chair par le biais d’un contact travaillant à la Sorbonne. Ce journaliste livre sonexpérience gustative : « Cela ressemblait à de la bonne viande de veau bien développée, pas trop jeune mais pas encore unbœuf[9]. »
-
Notons encore une fois que, de manière générale, les anthropologues montrent d’avantage d’intérêt pour les pratiquescannibales dans un ailleurs lointain : soit dans les récits mythiques soit dans les peuplades géographiquement éloignées del’Occident[10]. Cet état de fait démontre clairement qu’il existe un tabou lié au cannibalisme occidental : le cannibale,c’est l’Autre. Celui qui est différent par ses origines et ses pratiques religieuses et culturelles. Notons également quelorsque les historiens se penchent sur la question du cannibalisme occidental, il s’agit pour la plupart, d’analyser des faits« circonstanciels » liés à la famine, aux guerres de religions, aux révolutions etc...
Néanmoins, Angelica Montanari, dans sa monographie Cannibales – histoire de l’anthropophagie en Occident,s’intéresseaux pratiques cannibales ordinaires et occidentales pratiquées au Moyen-âge. Elle démontre que les faits de cannibalismesont bel et bien présents et pas uniquement durant les périodes de crises. Ces faits ne sont plus uniquement, l’apanage de «tueurs en série » [11] mais également de rois, de chevaliers et de gens du peuple « lambda »[12] Malgré le manque desources, nous pouvons émettre l’hypothèse que ces pratiques n’ont pas totalement disparu…
Les anthropologues du macabre :
 Il apparaît alors évident que les anthropologues spécialisés dans la culture trash, aussi peu nombreux qu’ils soient,sont confrontés à une pénurie de sources fiables. En effet, les témoignages et les biographies prétendument « sérieux » serévèlent souvent être le fruit d’une imagination débordante. Sans parler des charlatans tels que Stéphane Bourguoinprétendant être de « véritables spécialistes » alors qu’il n’en est rien… Il s’agit également d’un cercle vicieux puisque, demanière logique, plus les « sources » se révèleront tronquées moins les anthropologues développeront un intérêt pour lesujet. Néanmoins, si l’intérêt des anthropologues pour le cannibalisme occidental s’avérait plus prononcé, l’état de larecherche académique serait bien plus abondant. Cet état de fait nous empêche d’établir une étude comparative entre lecannibalisme occidental contemporain « réel » et le cannibalisme que l’on trouve dans les mythes, par exemple[13]. Nouspourrions également envisager, à l’instar de l’ouvrage de Mondher Kilani d’approfondir la comparaison entre les diversesformes de cannibalisme. Notons que la notion du goût pourrait être un point pertinent et intéressant à développer…
 Il serait également intéressant de s’interroger sur les croyances des tueurs en série, l’exemple le plus probantsemble être celui de Jeffrey Dahmer. En effet, ce dernier pourrait avoir eu un intérêt spécifique pour Anton LaVey et sabible satanique. A contrario, lors de son incarcération, il semble s’être rapproché du christianisme, allant jusqu’à se fairebaptiser. Il est évident que nous ne pouvons interpréter ses penchants religieux qu’à la lumière de son parcours de vie.Néanmoins, une interrogation demeure ; il est quasiment certain que son intérêt pour le christianisme ne peut être dissociéd’un espoir d’avoir accès à une rédemption. Nous pouvons également nous demander si la lecture de la bible satanique l’aréellement influencé lors de ses actes cannibales ? Si oui, de quelle manière ? Notons que, contrairement à  RichardRamirez, Jeffrey Dahmer ne signe jamais ses crimes à l'aide de symbole satanique. En outre, dans le cas de Ramirez, ils'agit davantage d'une volonté d'afficher un "anti-conformisme" que d'une réelle adhésion pour le satanisme. Est-ceégalement le cas pour Dahmer? (CF: Veronique Campion-Vincent, " Description du sabbat et des rites dans les peursantistatiques contemporaines")
Chapitre 2 : Mange-moi mais ne me tue pas…
 En réalité, dans la plupart des pays occidentaux, l’acte cannibale n’est puni par la loi que s’il engendre la mort ouinflige des blessures graves sans le consentement d’autrui. Par ailleurs la mention de « cannibalisme » n’apparaît pas dansle Code Pénal français, seul l’article 222-1 peut y faire référence de manière très subjective :
Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusioncriminelle[14].
Par conséquent, l’acte cannibale en tant que tel n’est pas interdit, seules les potentielles conséquences qui en découlentpeuvent l’être[15]. Il semble que ce soit le cas également en Allemagne.
C’est notamment pour cette raison que l’affaire du Cannibal café en 1999, a suscité autant de polémiques et de débats. Eneffet, si le meurtre et les actes cannibales post-mortem commis par Armin Meiwes sur la personne de Bernd ArmandoBrandes ont été punis par la justice, les actes de cannibalisme ante-mortem n’ont, eux, pas été jugés puisqu’il a été établiqu’il y avait consentement de la part des deux parties[16] :
En 1999, Armin Meiwes publie une annonce sur internet afin de trouver un homme qui se laisserait manger et tuer demanière consentie. Bernd Armando Brandes accepte l’invitation. Les deux protagonistes d’un commun accord,commencent leur scénario macabre. Armin Meiwes entreprend de trancher le pénis de son partenaire tout en filmant lascène. Ensuite, ils dégustent ensemble le morceau de chair. (Il paraît que ce n’était pas bon…). Finalement, BerndArmando Brandes se fait trancher la gorge jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le criminel congèle ensuite les morceaux ducorps en prévision de ses prochains repas… [17]
Les charges retenues par la Cour fédéral contre Armin Meiwes sont : « qualifications d’assassinat et atteinte à latranquillité des morts[18]». En d’autres termes, ce n’est que l’acte cannibale post-mortem qui a été jugé condamnable.Soulignons, encore une fois, que le terme « cannibalisme » n’apparaît pas, il est simplement sous-entendu par un termequelque peu abstrait, voire poétique : « tranquillité des morts » Ce fait peut s’expliquer par le nombre infime de cas decannibalisme enregistré dans les annales judiciaires. De manière générale, bien que ce ne soit apparemment pas le caspour l’affaire Meiwes, les cas de cannibalisme entrainant la mort sont souvent associés aux crimes sexuels[19].
Maintenant que nous avons pu établir que l’acte cannibale, en tant que tel, n’est pas condamnable par la loi, d’autrespistes de réflexion s’offrent à nous : Doit-on, de manière absolue, considérer le cannibalisme occidental comme étant unacte de perversité sexuelle ? Afin de tenter de répondre à cette question, il est nécessaire de faire le point.
Pistes de réflexion sur la notion de « perversité sexuelle »
D’un point de vue psychanalytique, le cannibalisme, le sadisme ou encore la nécrophilie sont considérés comme étant desperversions sexuelles. Néanmoins, de nos jours, ce terme pose quelques sérieux problèmes. En effet, tout d’abord, il a étéproposé en fonction d’une « norme » bien précise. D’après Laplanche et Pontalis il s’agirait d’ « une déviation par rapportà l’acte sexuel normal, définie comme coït visant à  obtenir l’orgasme par pénétration génitale, avec une personne du sexeopposé[20].» Plus loin, dans le même ouvrage, nous pouvons lire : « On dit qu'il y a perversion : quand l'orgasme estobtenu avec d'autres objets sexuels (homosexualité, pédophilie, bestialité, etc.), ou par d'autres zones corporelles (coïtanal par exemple) ; quand l'orgasme est subordonné de façon impérieuse à certaines conditions extrinsèques (fétichisme,travestisme, voyeurisme et exhibitionnisme, sado-masochisme) ; celles-ci peuvent même apporter à elles seules le plaisirsexuel62. »
Inutile de préciser, je pense, que nous ne nous retiendrons pas cette approche tant elle transpire l’homophobie (assimilée àla pédophilie, qui plus est !)  Et l’intolérance envers les différentes formes de sexualités et préférences sexuelles. Notonstout de même, par honnêteté intellectuelle, que cet ouvrage a été publié initialement, en 1967.  Heureusement, ce genre dedéfinition ne fait pas l’unanimité chez les psychanalystes qui l’estiment péjorative et non-pertinente. McDougall proposeplutôt le terme de solution néosexuelle afin d’éviter de stigmatiser certaines pratiques. Il soutient que le terme «perversion » convient uniquement aux pratiques non-consenties telles que pédophilie, viol, voyeurisme,exhibitionnisme… [21]
Balier quant à lui parle de « perversion au premier degré » : « La pathologie que je décris [...] est caractérisée par uneévidente dominance de la violence destructrice par rapport au plaisir érotique. C'est en fait une perversité sexuelle [...].Les sujets de ce groupe présentant des manifestations de perversité sexuelle seraient inscrits dans un scénariocomportemental, dont ils seraient un rouage plutôt qu'un élément de représentation[22]. »
Cette dernière définition pourrait correspondre aux individus s’adonnant au cannibalisme puisqu’elle mentionne une «violence destructrice » qui pourrait bien correspondre à cet acte si particulier. Néanmoins, notons que nous sommes ànouveau confrontés à la pauvreté des recherches concernant ce sujet : Il faut bien l’avouer, fort heureusement, lescannibales ne courent pas les rues[23]. Du moins, ceux qui ont des tendances criminelles et vont jusqu’au bout de l’actecriminel tel Jeffrey Dahmer ou Edmund Kemper. De ce fait, nous pouvons nous demander si toutes les formes decannibalisme présentes en Occident sont accompagnées d’une perversité sexuelle ?
En outre, d’un point de vue anthropologique, certaines interrogations restent en suspens. Néanmoins, Karine Hubertpropose quelques pistes de réflexion : Peut- on émettre un lien entre cannibalisme occidental et création artistique ?[24]
Chapitre 3 : Œuvre cannibale ?
 Tout d’abord, il est nécessaire de préciser de quelle manière nous employons le terme de « création » : « Il fautd'abord entendre le terme de création à partir de sa filière moderne, c'est-à-dire autour d'une théorie du sujet. On sepenchera sur le sujet qui, préoccupé de réaliser sa propre mise en scène, recourt au cannibalisme avec le dessein avoué defaire acte de création[25]. »
 Ce qui nous intéresse, dans cette partie, est davantage le processus de création que la réalisation finale (le produit).En effet : « C’est par le biais de l’acte créateur que parvient à s’affirmer la subjectivité (de l’artiste), une subjectivitéinscrite à même l’œuvre et qui participe à son élaboration. Ainsi l’acte créateur cherche à faire advenir le sujet (dansl’œuvre). Le créateur cannibale dont il est ici question considère ses actions - criminelles, artistiques - comme l’œuvre desa vie[26]. »
 Par ailleurs, McDougall tente de faire le rapprochement entre les actes d’un pervers sexuel et la démarcheartistique. Nous pouvons effectivement relever plusieurs points tels que : « les heures de préparation rituelle et laréalisation d’un scénario, le désir d’atteindre son partenaire/public pour lui faire éprouver sa vision, l’objectif d’imposer lajouissance sexuelle selon sa création personnelle[27] » du moins, pour certains artistes. Notons, tout de même, qu’il existeune différence majeure entre le pervers sexuel et l’artiste, ce dernier évoluant au fil du temps. Il essaye différentestechniques, change de modèles, s’ouvre souvent à d’autres perspectives… Alors que le pervers sexuel tente deperfectionner la même œuvre de manière obsessionnelle. Selon McDougall, il s’agirait, pour le pervers, de revivreinlassablement son fantasme à travers un rituel macabre donnant naissance à sa création[28]. Par ailleurs, le criminologueet profiler, John Douglas, affirme qu’il est impossible d’apprécier ou de comprendre un artiste tel que Picasso sans étudierson œuvre dans les moindres recoins. Pour lui, il est nécessaire d’adopter la même logique afin de comprendre l’ « œuvre» d’un tueur en série : If you want to understand the artist, look at his work[29].
Bibliographie :
Monographie :
Mondher Kilani, Du goût de l’autre- fragments d’un discours cannibale, édition Seuil, Paris, 2018.
Thèse :
Karine Hubert, « La création cannibale- cas de figure chez Jan Svanmajer, le comte de Lautréamont, et Edmund Kemper-une approche interdisciplinaire de la perversion », Université de Québec, 2010
Article juridique :
Leblois-Happe, Jocelyne, Xavier Pin, et Julien Walther. « Chronique de droit pénal allemand. (Période du 1er Janvier 2005 au 31 décembre 2005) », Revue internationale de droit pénal, vol. 76, no. 3-4, 2005.
Thomas S. Abler, « Iroquois Cannibalism: Fact Not Fiction” in Ethnohistory vol. 27, No. 4, 1980.
Article non-académique (source) :
https://www.letemps.ch/societe/cannibale-victime-consentante-crime-plonge-lallemagne-leffroi.
[1] Karine Hubert, « La création cannibale- cas de figure chez Jan Svanmajer, le comte de Lautréamont, et Edmund Kemper- une approche interdisciplinaire de la perversion », Université de Québec, 2010, pp 10-11. [2] Ibidem, p.11. [3] Ibidem, p. 14. [4] Jean Léry, in Karine Hubert, « La création cannibale- cas de figure chez Jan Svanmajer, le comte de Lautréamont, et Edmund Kemper- une approche interdisciplinaire de la perversion », Université de Québec, 2010, p.14. [5] Thomas S. Abler, « Iroquois Cannibalism: Fact Not Fiction” in Ethnohistory vol. 27, No. 4, 1980, p.311. [6] Mondher Kilani, Du goût de l’autre- fragments d’un discours cannibale, édition Seuil, Paris, 2018, p.147 [7] Ibidem, p.155. [8] Ibidem, p.147. [9] Ibid. [10] Karine Hubert, op.cit., p.25. [11] Il s’agit d’un anachronisme pour la période du Moyen-Âge. [12] CF : Angelica Montanari, Cannibales – histoire de l’anthropophagie en Occident, éditions Arkhe, 2018. [13]Ibidem, p.26. [14] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417593/ [15] Karine Hubert, op.cit., p.26. [16] Leblois-Happe, Jocelyne, Xavier Pin, et Julien Walther. « Chronique de droit pénal allemand. (Période du 1er Janvier 2005 au 31 décembre 2005) », Revue internationale de droit pénal, vol. 76, no. 3-4, 2005, p.521. [17] https://www.letemps.ch/societe/cannibale-victime-consentante-crime-plonge-lallemagne-leffroi [18] Leblois-Happe, Jocelyne, Xavier Pin, et Julien Walther, op.cit., p.521. [19] Karine Hubert, op.cit., p.27. [20] Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, in Karine Hubert, op.cit., p.31. [21] Karine Hubert, op.cit., p.33. [22] Claude Balier, in Karine Hubert, p.33. [23] Ibidem, p.34. [24] Karine Hubert, op.cit., p.1. [25] Ibid. [26] Ibid. [27] Ibidem, p.2. [28] Ibid. [29] Ibidem, p.3.
Tumblr media
Chapitre 1 : Qu’est-ce que le cannibalisme ?
Le phénomène du cannibalisme semble extrêmement tabou notamment au sein des milieux académiques occidentaux. Eneffet, la problématique est davantage traitée sur la forme que sur le fond, comme s’il y avait une volonté, consciente ouinconsciente, d’éviter d’analyser le sujet en profondeur[1].
En effet, si l’on se penche sur les recherches anthropologiques : « Lévi-Strauss, tout comme Freud, soutient l’équivalencequasi universelle entre manger et copuler ; la sexualité et la nourriture seraient partout objets d’interdictions. Lecannibalisme, cet acte au cours duquel s’accomplit l’union la plus intime qui soit (…) se lie d’emblée à la sexualité. Laseule autre expérience offrant une rencontre fusionnelle de ce type est celle que vivent la mère et l’enfant[2]. » Ce genrede théorie n’explique en rien le phénomène en lui-même. De plus les anthropologues s’intéressent davantage auxpratiques cannibales, remontant principalement au XVIIème siècle, des tribus dites « primitives ». L’intérêt est dedémontrer que cette pratique doit être considérée comme étant culturelle ou religieuse. Néanmoins, dans cette dernièreperspective, la question du goût de la chair est rarement considérée comme un élément pertinent[3].
Par ailleurs, la plupart des anthropologues se cachent bien de mentionner cet aspect qui assombrirait quelque peu letableau. À l’exception de Mondher Kilani qui a effectué un travail colossal sur les différentes formes de cannibalisme àtravers le monde, incluant le cannibalisme occidental.
En effet, bien qu’il soit important de comprendre le fonctionnement d’un « cannibalisme culturel », il serait égalementpertinent de savoir si les membres de ces tribus, ou du moins quelques-uns d’entre elles ressentent un certain plaisirgustatif en consommant de la chair humaine. Toutefois, ce genre d’informations doit impérativement être analysée avecprudence. Jean de Léry écrit au XVIème siècle à propos des Iroquois : « Tous confessent cette chair être merveilleusementbonne et délicate[4] ». Bien que la pratique cannibale au sein de cette tribu ait été avérée exacte par des anthropologuescontemporains : « De telles questions m’étaient passées par la tête mais une longue ingestion de documents publiés sur lesIroquois et d’autres Iroquoiens, tant d’études savantes que de sources primaires, m’avait convaincu que le cannibalismeétait un fait (chez les Iroquois)[5] » En outre, dans les années 1950, l’ethnologue Ronald M. Berndt rapporte les proposque des membres de tribus dans le Fore de Nouvelle-Guinée auraient eu : «Voici de la bonne nourriture et nous l’avonstoujours négligée ! Désormais nous mangerons toujours les morts, hommes, femmes et enfants. Pourquoi jetterions-nousde la bonne viande ? Ce n’est pas bien ![6] » En ce qui concerne la période contemporaine, Mondher Kilani évoque lesdifférentes tribus telles que les Guayaki et les Tupi-Guarani connus pour avoir des pratiques cannibales[7].
Quant à nos cannibales occidentaux, certains d’entre eux ont décrit le goût de la chair humaine. Le cannibale deRothenburg, dont nous reparlerons plus tard, prétend que la viande a : « un goût de porc, en un peu plus amer, un peu plusfort[8]» Néanmoins, dans les années 1920, un journaliste américain du New-York Time ayant été tenté par l’expériencecannibale, s’est procuré un morceau de chair par le biais d’un contact travaillant à la Sorbonne. Ce journaliste livre sonexpérience gustative : « Cela ressemblait à de la bonne viande de veau bien développée, pas trop jeune mais pas encore unbœuf[9]. »
-
Notons encore une fois que, de manière générale, les anthropologues montrent d’avantage d’intérêt pour les pratiquescannibales dans un ailleurs lointain : soit dans les récits mythiques soit dans les peuplades géographiquement éloignées del’Occident[10]. Cet état de fait démontre clairement qu’il existe un tabou lié au cannibalisme occidental : le cannibale,c’est l’Autre. Celui qui est différent par ses origines et ses pratiques religieuses et culturelles. Notons également quelorsque les historiens se penchent sur la question du cannibalisme occidental, il s’agit pour la plupart, d’analyser des faits« circonstanciels » liés à la famine, aux guerres de religions, aux révolutions etc...
Néanmoins, Angelica Montanari, dans sa monographie Cannibales – histoire de l’anthropophagie en Occident,s’intéresseaux pratiques cannibales ordinaires et occidentales pratiquées au Moyen-âge. Elle démontre que les faits de cannibalismesont bel et bien présents et pas uniquement durant les périodes de crises. Ces faits ne sont plus uniquement, l’apanage de «tueurs en série » [11] mais également de rois, de chevaliers et de gens du peuple « lambda »[12] Malgré le manque desources, nous pouvons émettre l’hypothèse que ces pratiques n’ont pas totalement disparu…
Les anthropologues du macabre :
 Il apparaît alors évident que les anthropologues spécialisés dans la culture trash, aussi peu nombreux qu’ils soient,sont confrontés à une pénurie de sources fiables. En effet, les témoignages et les biographies prétendument « sérieux » serévèlent souvent être le fruit d’une imagination débordante. Sans parler des charlatans tels que Stéphane Bourguoinprétendant être de « véritables spécialistes » alors qu’il n’en est rien… Il s’agit également d’un cercle vicieux puisque, demanière logique, plus les « sources » se révèleront tronquées moins les anthropologues développeront un intérêt pour lesujet. Néanmoins, si l’intérêt des anthropologues pour le cannibalisme occidental s’avérait plus prononcé, l’état de larecherche académique serait bien plus abondant. Cet état de fait nous empêche d’établir une étude comparative entre lecannibalisme occidental contemporain « réel » et le cannibalisme que l’on trouve dans les mythes, par exemple[13]. Nouspourrions également envisager, à l’instar de l’ouvrage de Mondher Kilani d’approfondir la comparaison entre les diversesformes de cannibalisme. Notons que la notion du goût pourrait être un point pertinent et intéressant à développer…
 Il serait également intéressant de s’interroger sur les croyances des tueurs en série, l’exemple le plus probantsemble être celui de Jeffrey Dahmer. En effet, ce dernier pourrait avoir eu un intérêt spécifique pour Anton LaVey et sabible satanique. A contrario, lors de son incarcération, il semble s’être rapproché du christianisme, allant jusqu’à se fairebaptiser. Il est évident que nous ne pouvons interpréter ses penchants religieux qu’à la lumière de son parcours de vie.Néanmoins, une interrogation demeure ; il est quasiment certain que son intérêt pour le christianisme ne peut être dissociéd’un espoir d’avoir accès à une rédemption. Nous pouvons également nous demander si la lecture de la bible satanique l’aréellement influencé lors de ses actes cannibales ? Si oui, de quelle manière ? Notons que, contrairement à  RichardRamirez, Jeffrey Dahmer ne signe jamais ses crimes à l'aide de symbole satanique. En outre, dans le cas de Ramirez, ils'agit davantage d'une volonté d'afficher un "anti-conformisme" que d'une réelle adhésion pour le satanisme. Est-ceégalement le cas pour Dahmer? (CF: Veronique Campion-Vincent, " Description du sabbat et des rites dans les peursantistatiques contemporaines")
Chapitre 2 : Mange-moi mais ne me tue pas…
 En réalité, dans la plupart des pays occidentaux, l’acte cannibale n’est puni par la loi que s’il engendre la mort ouinflige des blessures graves sans le consentement d’autrui. Par ailleurs la mention de « cannibalisme » n’apparaît pas dansle Code Pénal français, seul l’article 222-1 peut y faire référence de manière très subjective :
Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusioncriminelle[14].
Par conséquent, l’acte cannibale en tant que tel n’est pas interdit, seules les potentielles conséquences qui en découlentpeuvent l’être[15]. Il semble que ce soit le cas également en Allemagne.
C’est notamment pour cette raison que l’affaire du Cannibal café en 1999, a suscité autant de polémiques et de débats. Eneffet, si le meurtre et les actes cannibales post-mortem commis par Armin Meiwes sur la personne de Bernd ArmandoBrandes ont été punis par la justice, les actes de cannibalisme ante-mortem n’ont, eux, pas été jugés puisqu’il a été établiqu’il y avait consentement de la part des deux parties[16] :
En 1999, Armin Meiwes publie une annonce sur internet afin de trouver un homme qui se laisserait manger et tuer demanière consentie. Bernd Armando Brandes accepte l’invitation. Les deux protagonistes d’un commun accord,commencent leur scénario macabre. Armin Meiwes entreprend de trancher le pénis de son partenaire tout en filmant lascène. Ensuite, ils dégustent ensemble le morceau de chair. (Il paraît que ce n’était pas bon…). Finalement, BerndArmando Brandes se fait trancher la gorge jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le criminel congèle ensuite les morceaux ducorps en prévision de ses prochains repas… [17]
Les charges retenues par la Cour fédéral contre Armin Meiwes sont : « qualifications d’assassinat et atteinte à latranquillité des morts[18]». En d’autres termes, ce n’est que l’acte cannibale post-mortem qui a été jugé condamnable.Soulignons, encore une fois, que le terme « cannibalisme » n’apparaît pas, il est simplement sous-entendu par un termequelque peu abstrait, voire poétique : « tranquillité des morts » Ce fait peut s’expliquer par le nombre infime de cas decannibalisme enregistré dans les annales judiciaires. De manière générale, bien que ce ne soit apparemment pas le caspour l’affaire Meiwes, les cas de cannibalisme entrainant la mort sont souvent associés aux crimes sexuels[19].
Maintenant que nous avons pu établir que l’acte cannibale, en tant que tel, n’est pas condamnable par la loi, d’autrespistes de réflexion s’offrent à nous : Doit-on, de manière absolue, considérer le cannibalisme occidental comme étant unacte de perversité sexuelle ? Afin de tenter de répondre à cette question, il est nécessaire de faire le point.
Pistes de réflexion sur la notion de « perversité sexuelle »
D’un point de vue psychanalytique, le cannibalisme, le sadisme ou encore la nécrophilie sont considérés comme étant desperversions sexuelles. Néanmoins, de nos jours, ce terme pose quelques sérieux problèmes. En effet, tout d’abord, il a étéproposé en fonction d’une « norme » bien précise. D’après Laplanche et Pontalis il s’agirait d’ « une déviation par rapportà l’acte sexuel normal, définie comme coït visant à  obtenir l’orgasme par pénétration génitale, avec une personne du sexeopposé[20].» Plus loin, dans le même ouvrage, nous pouvons lire : « On dit qu'il y a perversion : quand l'orgasme estobtenu avec d'autres objets sexuels (homosexualité, pédophilie, bestialité, etc.), ou par d'autres zones corporelles (coïtanal par exemple) ; quand l'orgasme est subordonné de façon impérieuse à certaines conditions extrinsèques (fétichisme,travestisme, voyeurisme et exhibitionnisme, sado-masochisme) ; celles-ci peuvent même apporter à elles seules le plaisirsexuel62. »
Inutile de préciser, je pense, que nous ne nous retiendrons pas cette approche tant elle transpire l’homophobie (assimilée àla pédophilie, qui plus est !)  Et l’intolérance envers les différentes formes de sexualités et préférences sexuelles. Notonstout de même, par honnêteté intellectuelle, que cet ouvrage a été publié initialement, en 1967.  Heureusement, ce genre dedéfinition ne fait pas l’unanimité chez les psychanalystes qui l’estiment péjorative et non-pertinente. McDougall proposeplutôt le terme de solution néosexuelle afin d’éviter de stigmatiser certaines pratiques. Il soutient que le terme «perversion » convient uniquement aux pratiques non-consenties telles que pédophilie, viol, voyeurisme,exhibitionnisme… [21]
Balier quant à lui parle de « perversion au premier degré » : « La pathologie que je décris [...] est caractérisée par uneévidente dominance de la violence destructrice par rapport au plaisir érotique. C'est en fait une perversité sexuelle [...].Les sujets de ce groupe présentant des manifestations de perversité sexuelle seraient inscrits dans un scénariocomportemental, dont ils seraient un rouage plutôt qu'un élément de représentation[22]. »
Cette dernière définition pourrait correspondre aux individus s’adonnant au cannibalisme puisqu’elle mentionne une «violence destructrice » qui pourrait bien correspondre à cet acte si particulier. Néanmoins, notons que nous sommes ànouveau confrontés à la pauvreté des recherches concernant ce sujet : Il faut bien l’avouer, fort heureusement, lescannibales ne courent pas les rues[23]. Du moins, ceux qui ont des tendances criminelles et vont jusqu’au bout de l’actecriminel tel Jeffrey Dahmer ou Edmund Kemper. De ce fait, nous pouvons nous demander si toutes les formes decannibalisme présentes en Occident sont accompagnées d’une perversité sexuelle ?
En outre, d’un point de vue anthropologique, certaines interrogations restent en suspens. Néanmoins, Karine Hubertpropose quelques pistes de réflexion : Peut- on émettre un lien entre cannibalisme occidental et création artistique ?[24]
Chapitre 3 : Œuvre cannibale ?
 Tout d’abord, il est nécessaire de préciser de quelle manière nous employons le terme de « création » : « Il fautd'abord entendre le terme de création à partir de sa filière moderne, c'est-à-dire autour d'une théorie du sujet. On sepenchera sur le sujet qui, préoccupé de réaliser sa propre mise en scène, recourt au cannibalisme avec le dessein avoué defaire acte de création[25]. »
 Ce qui nous intéresse, dans cette partie, est davantage le processus de création que la réalisation finale (le produit).En effet : « C’est par le biais de l’acte créateur que parvient à s’affirmer la subjectivité (de l’artiste), une subjectivitéinscrite à même l’œuvre et qui participe à son élaboration. Ainsi l’acte créateur cherche à faire advenir le sujet (dansl’œuvre). Le créateur cannibale dont il est ici question considère ses actions - criminelles, artistiques - comme l’œuvre desa vie[26]. »
 Par ailleurs, McDougall tente de faire le rapprochement entre les actes d’un pervers sexuel et la démarcheartistique. Nous pouvons effectivement relever plusieurs points tels que : « les heures de préparation rituelle et laréalisation d’un scénario, le désir d’atteindre son partenaire/public pour lui faire éprouver sa vision, l’objectif d’imposer lajouissance sexuelle selon sa création personnelle[27] » du moins, pour certains artistes. Notons, tout de même, qu’il existeune différence majeure entre le pervers sexuel et l’artiste, ce dernier évoluant au fil du temps. Il essaye différentestechniques, change de modèles, s’ouvre souvent à d’autres perspectives… Alors que le pervers sexuel tente deperfectionner la même œuvre de manière obsessionnelle. Selon McDougall, il s’agirait, pour le pervers, de revivreinlassablement son fantasme à travers un rituel macabre donnant naissance à sa création[28]. Par ailleurs, le criminologueet profiler, John Douglas, affirme qu’il est impossible d’apprécier ou de comprendre un artiste tel que Picasso sans étudierson œuvre dans les moindres recoins. Pour lui, il est nécessaire d’adopter la même logique afin de comprendre l’ « œuvre» d’un tueur en série : If you want to understand the artist, look at his work[29].
Bibliographie :
Monographie :
Mondher Kilani, Du goût de l’autre- fragments d’un discours cannibale, édition Seuil, Paris, 2018.
Thèse :
Karine Hubert, « La création cannibale- cas de figure chez Jan Svanmajer, le comte de Lautréamont, et Edmund Kemper-une approche interdisciplinaire de la perversion », Université de Québec, 2010
Article juridique :
Leblois-Happe, Jocelyne, Xavier Pin, et Julien Walther. « Chronique de droit pénal allemand. (Période du 1er Janvier 2005 au 31 décembre 2005) », Revue internationale de droit pénal, vol. 76, no. 3-4, 2005.
Thomas S. Abler, « Iroquois Cannibalism: Fact Not Fiction” in Ethnohistory vol. 27, No. 4, 1980.
Article non-académique (source) :
https://www.letemps.ch/societe/cannibale-victime-consentante-crime-plonge-lallemagne-leffroi.
[1] Karine Hubert, « La création cannibale- cas de figure chez Jan Svanmajer, le comte de Lautréamont, et Edmund Kemper- une approche interdisciplinaire de la perversion », Université de Québec, 2010, pp 10-11. [2] Ibidem, p.11. [3] Ibidem, p. 14. [4] Jean Léry, in Karine Hubert, « La création cannibale- cas de figure chez Jan Svanmajer, le comte de Lautréamont, et Edmund Kemper- une approche interdisciplinaire de la perversion », Université de Québec, 2010, p.14. [5] Thomas S. Abler, « Iroquois Cannibalism: Fact Not Fiction” in Ethnohistory vol. 27, No. 4, 1980, p.311. [6] Mondher Kilani, Du goût de l’autre- fragments d’un discours cannibale, édition Seuil, Paris, 2018, p.147 [7] Ibidem, p.155. [8] Ibidem, p.147. [9] Ibid. [10] Karine Hubert, op.cit., p.25. [11] Il s’agit d’un anachronisme pour la période du Moyen-Âge. [12] CF : Angelica Montanari, Cannibales – histoire de l’anthropophagie en Occident, éditions Arkhe, 2018. [13]Ibidem, p.26. [14] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417593/ [15] Karine Hubert, op.cit., p.26. [16] Leblois-Happe, Jocelyne, Xavier Pin, et Julien Walther. « Chronique de droit pénal allemand. (Période du 1er Janvier 2005 au 31 décembre 2005) », Revue internationale de droit pénal, vol. 76, no. 3-4, 2005, p.521. [17] https://www.letemps.ch/societe/cannibale-victime-consentante-crime-plonge-lallemagne-leffroi [18] Leblois-Happe, Jocelyne, Xavier Pin, et Julien Walther, op.cit., p.521. [19] Karine Hubert, op.cit., p.27. [20] Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, in Karine Hubert, op.cit., p.31. [21] Karine Hubert, op.cit., p.33. [22] Claude Balier, in Karine Hubert, p.33. [23] Ibidem, p.34. [24] Karine Hubert, op.cit., p.1. [25] Ibid. [26] Ibid. [27] Ibidem, p.2. [28] Ibid. [29] Ibidem, p.3.
0 notes
terrykownack · 1 year
Link
0 notes
leonmarie · 4 years
Photo
Tumblr media
jour de pluie,
mine de plomb, criterium 
21x29,7cm
2020
Marie Léon
65 notes · View notes
m4rg0txb3n0i7 · 4 years
Text
Tumblr media
1 note · View note
Text
Jour 4 - Chapitre 4
Chapitre Quatre
Le comte Raoul s’était marié jeune et avait épousé une fille de la noblesse qui, bien que sans fortune, le rendit fort heureux. 
Pendant les douze années qui suivirent leur union, la comtesse Paula donna à son mari vingt-quatre filles, celles-ci étant toujours venues deux par deux. Satisfaite, la comtesse trouvait sa famille assez nombreuse et n’eût pas mieux demandé que d’en rester là, quoiqu’elle eût à peine trente ans, lorsqu’un an après lui survint encore une fille, seule cette fois-ci. Ses parents, qui n’étaient pas riches, accueillirent la pauvre petite avec un peu d’humeur et de chagrin, par la raison qu’ils ne l’avaient pas vraiment désirée.
C’était un fait que la petite Eudoxie était d’ailleurs moins forte et moins belle que ses sœurs. Sa mère l’éleva pourtant avec le même soin que ses autres enfants, si ce n’est tout à fait avec la même tendresse.
Les dépenses multipliées qu’exigeait une aussi nombreuse famille avaient fini par diminuer considérablement la grande fortune du comte. Ne sachant plus comment subvenir aux besoins croissants de cette énorme lignée, il tint un jour conseil avec sa femme et lui proposa de se retirer dans un vieux château presque ruiné, qui lui venait de ses pères et auquel attenait un immense parc, traversé par une rivière.
— Là, dit-il, je pourrai sans déroger me livrer utilement à la chasse et à la pêche. Vous, madame, vous mettrez de côté vos brillantes parures et vous habituerez vos filles, si nobles qu’elles soient, aux soins de la ferme et du ménage. Le nom du comte Raoul doit rester pur de toute souillure et nous saurons supporter notre pauvreté sans rien devoir àpersonne.
La comtesse ne fit aucune objection à ce dessein qui lui parut fort raisonnable. Elle était habituée à une soumission complète aux volontés de son mari et d’ailleurs, ne lui ayant apporté aucune dot, elle croyait de son devoir de vivre comme il l’entendait et le laissait gouverner sa maison à sa guise.
Ils rassemblèrent donc les restes de leur fortune et se rendirent, accompagnés de leurs enfants, dans leur vieux château.
Leur genre de vie y changea du tout au tout. Au lieu des fêtes et autres tournois, la comtesse n’eut plus d’autres distractions que les soins de sa maison, l’éducation de ses filles et de longues promenades qu’elle faisait avec celles-ci àtravers son parc. Elle ne souffrit pourtant pas d’ennui : c’était une femme sérieuse, toute consacrée à ses devoirs et désirant dédommager son mari du peu de fortune qu’elle lui avait apporté, ce dont celui-ci ne lui avait cependant jamais fait le moindre reproche.
Le château tombait en ruines. Il y avait pourtant encore quelques pièces en état d’être habitées. La plus grande était occupée par les vingt-cinq jeunes filles, dont les lits étaient rangés le long du mur. Chacune faisait le sien en se levant, et la petite Eudoxie rangeait tout le reste. Le comte et sa femme logeaient dans une chambre voisine, dont les fenêtres ouvraient sur le parc. Chaque jeune fille apprêtait à son tour les mets dont se composaient leur repas. Le père allait à la chasse ou à la pêche et ramenait de quoi concocter divers plats. Le temps s’écoulait ainsi, rapide, car il était bien rempli et non sans douceur, car l’union régnait dans la famille. 
Eudoxie semblait s’oublier elle-même pour s’occuper de tous ceux qu’elle chérissait : c’était elle qui faisait les travaux les plus rudes, malgré sa délicatesse, et sa mère, habituée à la voir, sans qu’on l’y invitât, se livrer aux pénibles détails du ménage, la laissait faire, heureuse, à son insu, de les épargner à ses filles favorites qui, elles aussi, s’accoutumèrent à voir Eudoxie prévenir leurs désirs, chercher à satisfaire leurs goûts et aller au-devant de toutes leurs volontés. 
Eudoxie était d’ailleurs la plus fine, la plus adroite et la plus vive de toutes : sa figure, qui n’était pas régulièrement belle comme celle de ses sœurs, avait cependant plus de charme. Ses yeux noirs, pétillants de malice et d’esprit, lui prêtaient une expression qui manquait aux autres filles du comte. La bonté de son cœur se reflétait sur ses traits, et la douceur et l’intelligence se lisaient sur sa physionomie piquante et animée. Malgré son jeune âge, elle savait sans cesse se rendre utile, et il semblait que la dernière venue, accueillie avec si peu de plaisir, fût la providence et le bonheur de la maison, où elle apportait la gaieté, le mouvement et l’oubli des soucis quotidiens.
Aliénor, l’aînée des jeunes filles, et sa sœur jumelle Béatrice atteignaient déjà vingt-quatre ans sans qu’un seul chevalier fût venu rechercher en mariage aucune des sœurs. On vantait pourtant beaucoup leur beauté dans le pays, et àplusieurs lieues à la ronde il n’était question que des vingt-quatre belles filles du comte Raoul. Personne ne songeait àEudoxie, qui n’avait encore que douze ans et qui, tout occupée de ses travaux continuels, ne cherchait point à se montrer ni à faire parler d’elle.
Le jour vint, pourtant, où l’on annonça un grand tournoi qui devait avoir lieu à la ville voisine, et le comte prit encore sa femme à part pour la consulter.
— Ne pensez-vous pas, madame, lui dit-il, que nous ferions bien de conduire nos filles à cette fête ? Elles vivent trop retirées et nous devons désirer de les établir, pour assurer leur avenir d’abord, et aussi, je l’avoue, pour diminuer les charges qui pèsent sur nous et que j’ai peine à supporter, malgré l’économie apportée dans nos dépenses par notre séjour dans ce château retiré. Elles sont belles et quelques chevaliers courtois pourront les prendre sans dot, ainsi que je l’ai fait pour vous, chère Paula, quand je vous épousai, il y a vingt-cinq ans, vous trouvant assez pourvue par votre noblesse et votre beauté. Ne me suis-je pas toujours estimé heureux de mon choix ? Et n’ai-je pas trouvé en vous mille qualités et mille vertus préférables à une grande fortune ? Si vous m’en croyez, vous parerez vos filles de votre mieux, et elles paraîtront à nos côtés à ce tournoi, qu’on dit devoir être si pompeux et attirer tant de monde. Eudoxie gardera la maison ; elle est trop jeune pour nous accompagner et elle préparera tout pour nous recevoir à notre retour.
Paula, comme à son ordinaire, approuva tout ce que désirait son époux et commença ses préparatifs.
Eudoxie était la plus habile à faire quelque chose de rien ; elle ne contribua pas peu à la parure de la comtesse et de ses filles ; d’ailleurs, celles-ci étaient si belles qu’avec la simple gaze brodée par leur mère et des couronnes tressées par leur jeune sœur, elles pouvaient lutter avec des reines dans tout leur éclat. Elles partirent donc sous la conduite de leur mère, guidées par le comte Raoul.
La petite Eudoxie, restée seule au château, commença bien par s’ennuyer un peu ; elle essuya même une larme furtive au moment où s’éloignaient toutes ses brillantes sœurs ; elle regrettait d’être la dernière venue ; elle regrettait surtout, hélas, d’être la moins aimée. Mais appelant sa gaieté habituelle à son secours, elle secoua cet accès de découragement et de tristesse et après avoir donné les soins nécessaires au ménage, elle s’en alla dans le parc faiblement éclairé encore par les derniers rayons du soleil couchant.
Les merles faisaient entendre leur chant du soir dans la feuillée humide ; les fleurs se fermaient doucement ; tout se disposait pour le repos de la nuit. La jeune fille marchait le long d’une muraille garnie de lierre lorsque tout à coup, elle s’arrêta, surprise par une bizarre apparition. Auprès d’une tourelle lézardée se tenait une belle petite vieille, qui n’avait pas plus de deux pieds de haut et qui paraissait décrépite. Son dos était tout voûté, mais malgré son grand âge et ses rides, elle n’était pas exempte d’une certaine coquetterie. Ses haillons la paraient et une couronne de ces giroflées, aux parfums si pénétrants qui croissent dans les ruines, ceignait sa chevelure argentée. Son front était empreint d’une majesté mêlée de tristesse. Tout en elle inspirait le respect et malgré sa petite taille, elle avait une dignité telle qu’on l’eût prise pour une reine déchue. 
Sur le sol à ses côtés, occupés à jacasser entre eux, deux jeunes corbeaux ne perdaient pourtant rien de la scène, c’était sous cette forme que le conte avait choisi de faire participer Pile et Face. 
Eudoxie surprit la gracieuse vieille fort occupée à ramasser des pierres détachées du mur et à les remettre en place aussi bien qu’elle le pouvait faire ; mais en apercevant Eudoxie, elle tourna vers elle, ses yeux remplis d’une douceur mélancolique.
— N’ayez pas peur, ma belle enfant, lui dit-elle avec douceur, je suis la fée des Ruines et c’est moi qui ai présidéaux destinées de vos ancêtres. Aujourd’hui, il est vrai, votre famille est tombée dans la pauvreté, et aucun héritier mâle n’existe pour lui refaire une fortune. C’est pourquoi je cherche, autant que je puis le faire, à conserver et à embellir cette habitation, jadis si brillante et désormais vieille et flétrie comme moi. C’est moi qui jette toutes ces fleurs sur vos murs décrépits ; c’est moi encore qui entoure de vertes guirlandes ce château qui s’écroule ; c’est moi enfin qui prête un charme mystérieux à cette antique demeure, bien qu’elle ait perdu l’éclat de ses beaux jours. J’ai su vous garder un asile dans le malheur, et c’est par mes soins continuels que la partie du château où vous vous trouvez est encore habitable. Quand les pierres veulent tomber, je le leur défends et elles se le tiennent pour dit.
— Je ne croyais pas, madame, répondit timidement la jeune fille, que nous vous eussions tant d’obligations. Je n’avais jamais entendu parler de vous et je ne connaissais pas votre existence en ces lieux.
— En effet, personne ne sait que j’y suis, reprit la fée, j’ai toujours aimé votre famille, sans le lui faire savoir. Je me plais dans ces vieux murs qui me rappellent le passé, dans cette habitation où j’ai vu se succéder tant de générations auxquelles je donnais un appui qu’elles ignoraient. Je suivais vos aïeux dans les combats, je prêtais de la force à leurs bras et du courage à leurs cœurs. Que de fois j’ai détourné le coup qui allait les frapper ! Que de fois aussi j’ai apporté de mystérieuses consolations à leurs épouses privées de leur présence ! Je suis souvent venue, dans un rêve heureux, leur annoncer le retour de l’absent. Je berçais dans leurs bras l’enfant nouveau-né, duquel j’éloignais la souffrance et la maladie. Aujourd’hui, je suis vieille, j’ai perdu ma force et mon pouvoir. Après avoir été riche et puissante, je ne suis plus que la fée des Ruines, mais je vous aime toujours, et ne pouvant plus jouir de vos triomphes et de vos fêtes, je console vos revers et j’adoucis vos misères autant que je le puis. 
Je vous connais, mon enfant, je vous ai observée, J’ai su apprécier votre dévouement à votre famille, votre infatigable amitié pour vos sœurs, votre respect pour vos parents, et j’ai trouvé bon de me révéler à vous. Je serai pour vous une amie et une protectrice au besoin.
— Merci, madame ! reprit Eudoxie, qui commençait à se rassurer et, s’asseyant sur une pierre verdie par la mousse, elle prêta une oreille attentive aux longs récits de la fée.
Celle-ci lui raconta les gloires de sa famille, les hauts faits de ses pères, la beauté de ses aïeules. Elle lui peignit les grandes cours, désertes aujourd’hui, jadis remplies de valets empressés et resplendissantes de lumières.
La petite vieille parlait avec tant de feu qu’Eudoxie croyait encore entendre la musique qui résonnait autrefois dans les vastes salles et assister à ces fêtes splendides dont le souvenir était encore si palpitant pour la fée des Ruines.
La nuit survint sans qu’elle s’en aperçût et la lune était déjà bien haute sur l’horizon quand Eudoxie se leva enfin pour regagner sa couchette.
Le temps de l’absence de ses parents s’écoula rapidement auprès de sa nouvelle amie et elle ne songea plus àregretter le tournoi auquel on n’avait pas jugé à propos de la conduire.
Cependant, les vingt-quatre sœurs s’y trouvaient fort contentes et admirées par tout le monde. La belle Aliénor y était toute vêtue d’une gaze fine et légère, blanche comme de la neige. Ses cheveux noirs étaient ornés de narcisses, et le second jour du tournoi parut un chevalier, couvert d’une armure blanche avec un bouquet de narcisses attaché à son casque. La jeune fille sourit en voyant qu’on avait choisi ses couleurs.
Le chevalier blanc se distingua parmi tous les autres et remporta le prix du combat, qui se trouva être un vase d’argent d’un travail merveilleux. Il accourut l’offrir à sa dame, mettant un genou à terre devant elle.
Aliénor consulta sa mère du regard et accepta le riche présent en rougissant.
Le comte Raoul vint lui-même remercier le chevalier courtois et lui offrit l’hospitalité dans son château.
Celui-ci n’eut garde de refuser, il demanda même la permission d’emmener avec lui son page et son chapelain qui l’avaient accompagné. C’est ainsi que les trois hommes suivirent la famille quand celle-ci reprit la route de ses domaines.
0 notes
abhisaranyoga · 5 years
Text
Yoga Sutra III.28-38 Les experiences avec Samyama II
Yoga Sutra III.28-38 Les experiences avec Samyama II
La voie du Yoga a des obstacles et certains de cesobstacles viennent des pouvoir que l’on peut acquérir sur la voie. Dans les Sutras qui suivent, Patanjali décrit les expériences que l’on peut acquérir àtravers Samyama. Mais est-ce que ces expériences sont une aide ? Ou des obstacles ?
28-38 : Les expériences avec Samyama ध्रुवे तद्गतिज्ञानम्॥२८॥ dhruve tadgati-jñānam ॥28॥(A travers…
View On WordPress
0 notes
coiffuresb-blog · 7 years
Text
Retour Des Coiffures, De La Fleur De Tirer À Travers Le Côté De La Tresse
New Post has been published on http://coiffuresbouclees.com/retour-des-coiffures-de-la-fleur-de-tirer-a-travers-le-cote-de-la-tresse/
Retour Des Coiffures, De La Fleur De Tirer À Travers Le Côté De La Tresse
Vous cherchez une coiffure pour les Retrouvailles? Vous aimerez ce beau côté tirer-à travers la tresse style tressé rose accents! Cette coiffure peut même être assez facile de le faire sur vous-même comme un BRICOLAGE de Retour ou d’Prom coiffure! Nous savons que vous serez nombreux à aller le Retour à la maison de la danse dans un avenir proche, donc nous avons pensé qu’il serait amusant de faire un formel coiffure tutoriel de cette semaine. Si vous êtes à la recherche pour plus de Retour à la maison des idées de coiffure, nous avons montré que plusieurs de fantaisie chignons et la moitié des styles dans le passé. N’hésitez pas à regarder nos coiffures de Bal pour plus d’idées!
Fleur Pull-through Côté de la Tresse Tutoriel Vidéo (Cliquez ici pour voir la vidéo directement sur YouTube.)
youtube
Nous sommes tombés en amour avec le look, toujours aussi populaire, tirez à travers la tresse, et surtout l’amour qu’il a balayé vaguement sur le côté avec les bords tendus voluminously. Nous avons décidé de prendre ce style glamour au prochain niveau en ajoutant quelques laminé fleur tresse accents du centre de la tresse. Bien sûr, vous pouvez ajouter autant d’tressé roses comme vous le souhaitez. Si tu voulais encore plus glam, vous pouvez incorporer des bijoux, d’autres bijoux de cheveux, des accessoires à la fin de la tresse, ou dans le centre de votre rosettes.
Cette coiffure s’est avéré tellement beau et serait magnifique avec une fantaisie robe de Retour, pour le Bal, ou d’autres événements tels qu’un mariage (pour la mariée, les demoiselles d’honneur, demoiselles ou des invités.) Bien que ce style est assez simple, je pense que c’est vraiment magnifique et resterait en place par le biais de la danse et de l’allure dans les photos!
Les fournitures nécessaires pour recréer cette coiffure:
Plusieurs de petite taille ou de taille moyenne, clair élastiques. (La quantité dépendra de votre longueur de cheveux et l’épaisseur des sections.)
Des épingles à cheveux. Nous préférons utiliser miniature broches (affilié) où l’on crée de la rosettes car ils sont plus faciles à cacher.
La finition de la laque à cheveux.
Ce style fonctionne le mieux avec les cheveux longs, ou au moins de longueur moyenne. Si vos cheveux sont sur le petit côté, vous pourriez peut-être opter pour un demi variation du style.
#ÀTravers, #Cheveux, #Coiffure, #Coiffures, #Côté, #Fleur, #RetourÀLaMaison, #Tirez, #Tressé
0 notes