Ateliers d’écriture avec Laura Vazquez
(bienvenus contre les pages blanches et l’isolement)
Texte 1 : (Écrire une foule)
beaucoup de chaussures claquent au sol
la trajectoire du pigeon a l'air tout à fait aléatoire, il tente d'entrer dans le bureau de tabac, tourne sur lui-même, presse le pas, vers l'escalator des voies A et B il trouve un morceau de sandwich qu'il essaye de picorer mais projette toujours plus loin, ça me fait rire
le pigeon est maintenant vers la voie D comme Denis et tant d'autres
des valises à roulettes, des valises sans roulettes, des poussettes, des vélos, des fauteuils roulants, des trottinettes, des jambes se croisent et se décroisent
votre attention s'il vous plaît, en raison de difficultés d'acheminement du trafic,
j'ai perdu de vue le pigeon
des gens ne bougent pas devant les écrans, ne bougent pas sur les escalators
les machines à café ne prennent pas la monnaie et ma carte n'est pas sans contact
les bornes TER créent de petites files d'attente parmi d'autres files d'attente
devant les escalators
devant les écrans
devant les escaliers
devant les bureaux de tabac
devant les machines à café
on peut deviner qui est lié.e à qui et de plein de façons différentes, comme ces trois femmes sans doute amies sans doute sexagénaires ou plus qui discutent avec le robot Pepper en riant et le filmant
comme ce jeune homme qui m'entend lui demander un peu de monnaie car il m'en manque pour aller aux toilettes, ce qu'il accepte c'est sympa, je lui propose un ticket de transport en échange, il n'en a pas besoin et j'aurais dû m'en douter vu qu'il allait quitter la ville comme plein de gens ici
on peut aussi associer librement
les personnes qui parlent la même langue
les personnes qui sont au téléphone
les personnes qui lisent un livre
les personnes qui regardent les pigeons
les personnes qui ont les mêmes chaussures
les personnes qui ont un chien
Ici-même il y a peut-être 4 Béatrices, 6 pays différents, 7 paires d'Air Max, 259 étudiant.es, 5 pigeons, 15 retards, 2 fans d'Abba, 8 Marcs, 2 torticolis, 11 anniversaires, 7 enseignantes, 3 bègues, 59 comptes Twitter, 13 gauchers, 25 tatouages
peut-être qu'une Béatrice est fan d'Abba, a un torticolis et fête son anniversaire
Texte 2 : état de pré-endormissement, glissements de conscience, mouvements intérieur-extérieur
Prá entrar também no samba, no samba, no samba, ooo ganso. Poum, pouloum. Architecture moderniste et maillots de bain colorés, je dois faire une lessive demain mais si je rentre dans ce bar je peux peut-être voir un concert par exemple Astrud Gilberto en noir et blanc avec son chapeau.
« La musique ne fait pas du tout dormir » me dit le barman, ben ouais c'est clair j'ai juste envie de danser courir, mais tu vois même la musique qu'on dirait douce, comme Hiroshi Yoshimura, ça ne fait pas dormir, ça n'éteint pas le bruit de la tête au contraire, c'est parce que c'est instrumental, alors qu'entendre les gens parler ça ça ramollit efficacement, on peut se laisser aller au plaisir de ne pas les écouter et prendre des tangentes. Je parle d'écouter la radio sinon ce n'est pas très poli d'ailleurs je vais y aller, merci à la prochaine.
Ne pense à rien et surtout pas à l'insomnie. Dehors il y a du grain et une luminosité indécise, en tout cas avec les lunettes de soleil c'est un poil trop sombre, sans les lunettes de soleil c'est un peu trop blanc mais je crois que je préfère plisser les yeux. C'est une notification qui éclaire tout mon chevet, je regarderai ça demain, avec la lessive et les mails. I was raised, by, snakes. I lie all the time ! Toumdidoudidoudidoum, tidoudidoudidoum... Nan c'est pas le moment, j'en étais à ma bossa nova délavée sauf dans ses solos de flûte. Une image d'Épinal comme on dit, toucans et tout le tralala. Puis l'instrument qui fait des bruits de singe, un tambour qu'il faut pincer je crois, comment ça s'appelle. J'ai confondu la pince à linge avec mon cerf-volant, sur le fil, dehors au soleil. Les serviettes et les draps ondulent. D'un coup de pied je bouge la couette qui me tient trop chaud mais sans la couette c'est pas assez. Comme les lunettes. « C'est dans les interstices », me dit encore le barman. « Prends-ça », me servant un verre de mousse à raser. Je trempe mon doigt, « pas terrible ton truc ».
Ateliers 5 & 6 : personnage collectif + contraintes (dont celle du collage) :
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Exercice d'écriture n°3 : exercice de restitution du temps de l'action dans le temps de lecture
Un train passe, wagon wagon wagon wagon wagon wagon.
(Il faut bien commencer quelque part. L'intérêt de cet exercice est moindre pour les actions brèves ; ce sera sans doute plus intéressant de profiter d'une longue durée pour dire ce qui a lieu en dehors de ce qu'on élit, un peu comme une tentative d'épuisement.)
(Et là se pose la question de comment délimiter une action. Où commence-t-elle, où prend-elle fin ? Pour reprendre l'exemple du train, si l'on est dans un des wagons, et que ce n'est plus notre champ de vision qui prend les mesures, l'action du train qui passe peut se restituer en une ligne comme en cinq-cent vingt-sept pages. Alors, il faudra préciser : ''de la gare de Villefranche à la gare de Saint-Germain-au-Mont-d'Or'', ou bien, ''du moment où j'ai replacé une mèche de cheveux à celui où j'ai toussé'', ou encore, ''entre deux respirations, quand j'ai aperçu un lièvre dans un champ'', voire, pourquoi pas, ''pendant qu'en Pologne quelqu'un étendait son linge dans son jardin''. Tentons le relatif trajet de train, une tranche de train de quelques lignes.)
La fenêtre est sale, ça rajoute des nuages, et un grand ''issue de secours'' dans le ciel. Prendre le train c'est une non-action par excellence, tout ce qu'on a à faire c'est observer par la fenêtre, écouter de la musique, réfléchir, lire (c'est d'ailleurs curieux cette affiliation récurrente entre la lecture et les trajets, j'y reviendrai peut-être plus tard), échanger des messages – tout sauf prendre le train. Pendant ce temps, ça avance. Dans les virages parfois les wagons couinent. Souvent les bébés couinent aussi, pas que dans les virages par contre. On penserait que les remous pourraient les bercer et les endormir. La ventilation (enfin ces fines grilles qui soufflent doucement) près des fenêtres rafraîchit les doigts, quand on y a le bras posé comme sur un accoudoir. En levant les yeux sur les porte-bagages, si ceux-ci sont vitrés, on peut y voir le visage des gens assis devant soi. Un homme avec des écouteurs a l'air de regarder une série sur son PC portable. Il y avait un agréable rayon de soleil mais quelqu'un vient de tirer son rideau, faut faire avec. Une gare n'a pas encore été annoncée, le train ne s'est pas encore arrêté. On s'occupe facilement. Il y a toujours la moquette usée des sièges sous nos fesses, les rails sous les roues, la terre sous les rails.
(Voilà pour ce petit extrait de littérature de gare, sur une quarantaine de secondes de trajet.)
(Et là se pose la question du temps de l’action lecture. Quarante secondes, linéaires comme un train, peut-être. Mais si l'on compte les retours en arrière, les interruptions, c'est une autre affaire.)
Une activité bien répétitive, faite de gauche droite haut bas dans un ordre variable, c'est le brossage de dents. La main nettoie la bouche de tout ce qu'elle a avalé. La plupart des poils de plastique s'écrasent en surface, quelques uns vont dans les interstices, là où tout reste à creuser. La brosse à la tâche assignée glisse sur l'émail. Elle essaye de ne rien omettre, de suivre la symétrie des petits immeubles. Dans la main la brosse sur la brosse la pâte sur les dents la pâte la brosse le poing et le bras. Elle efface la saleté pour recommencer, elle efface la saleté pour effacer la saleté. Elle débarrasse les dents de la pâte de la brosse du poing et du bras, pour ne laisser que les dents. Elle répète les dents les dents, elles architecture sûre d'arches et de piliers. Elle en trace les contours, sans savoir par où commencer son travail. La plupart des poils de plastique s'écrasent en surface. Dans la voûte les mouvements d'abord hachurés s'arrondissent. Elle essaye de creuser les fondations des petits immeubles. À force les gencives saignent un peu. À la force du poignet de frictions en frictions vient le débordement de mousse blanche, ou bien s'épuise en salive.
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Quelques trucs qui font que l’été c’est très l’été
- en terrasse de café, les parasols Nestlé bleu turquoise à motif aquatique (comme les reflets de l’eau à la surface d’une piscine)
- les pare-soleil métallisés sur les pare-brise des voitures, et ceux en tête de panda ventousés aux vitres arrière
- les odeurs exacerbées : l’odeur des glycines, des acacias et des tilleuls encore en fleurs, l’odeur des thuyas qui suintent au soleil, l’odeur des platanes qui bavent, l’odeur de transpiration, l’odeur d’urine et de poubelle, l’odeur de la vase, l’odeur du foin, l’odeur de la crème solaire
- les fruits de la coupe qui pourrissent avant qu'on ne pense à les manger
- les foules, les cris et les bruits de plongeon qui nous narguent quand on ne peut sortir
- un kitsch assumé, des envies de disco et de décoration à thème tropical : coussin à imprimé toucan, carafe ananas, set de table imitant une feuille de philodendron, paille flamant rose, fauteuil en rotin arrondi comme un oeuf
- les hirondelles en fin d’après-midi, les grenouilles et les grillons la nuit
- la climatisation dans les commerces, les ventilateurs dans les maisons, la climatisation de la voiture qui refoule le moisi de l’hiver
Sans transition, voici un dessin de pin parasol au pastel gras avec un filtre grossier de téléphone portable mais dont j’aime bien le rendu
Ainsi qu’une photo d’un tronc d’arbre marqué de ses propres hiéroglyphes d’arbre
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