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#fire emblem 4 mariages et 1 enterrement
ladyniniane · 2 years
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Enid arrive au monastère
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J’aurais au moins réussi à finir ça ce mois-ci ! Et c’est un peu plus long que mes autres chapitres. J’espère que ça te plaira @lilias42 !
Si jamais vous tombez là-dessus et que vous voulez en savoir plus sur le contexte etc. vous trouverez toutes les infos dans mon tag “Fire Emblem 4 mariages et 1 enterrement”.
En franchissant la porte, Enid leva les yeux vers la cathédrale de Garreg Mach, dont les hautes tours tutoyaient le ciel.
Son impatience croissait à chaque pas, chaque allée franchie. Des gens en armes se bousculaient autour d’elle, l’on s’apostrophait, se rendait prestement au terrain d’entraînement. Beaucoup de rumeurs  lui étaient parvenues : l’armée royale était affamée, dirigée par un fou. Pourtant, elle ne vit pas de régiments d’ombres mais des guerriers déterminés, comme autant de graines prêtes à croître et à pulvériser la couche de givre.
Son œil entraîné vit également les laissés-pour-compte, les civils, jeunes et vieux, à l’air inquiet qui tentaient de se rendre utiles, ployant sous le poids de leurs charges. Des silhouettes fantomatiques se traînaient sous les arcades, figées par l’attente. Des infirmes déambulaient, le désespoir au fond des yeux, serrant leurs moignons, regrettant peut-être de ne plus pouvoir prendre leurs armes.
C’était l’un des derniers bastions pour  les miséreux, les fugitifs, les déshérités. L’empire promettait à chacun un statut égal à son mérite, mais que pouvait offrir ce système à ces gens ? Devaient-ils mourir gentiment dans leur coin ?
Enid se savait impuissante à améliorer leur sort : elle n’avait plus de victuailles et à peine de quoi entretenir son équipement. La seule manière dont elle pouvait leur être utile était de se battre.
Lorsqu’elle trouva Léoba, cette dernière soignait les blessures d’un magicien dont la main était noyée sous une marée sanglante, un chemin de gouttes derrière lui. Un accident d’entraînement, très certainement. Dents serrées, livides, il ne cessait de murmurer :
-Mon doigt n’est pas tranché, ça ira, n’est-ce pas ?
La guerrière contempla la scène avec détachement, trop habituée à ce genre de tableaux. La lumière des doigts de l’évêque s’éteignit alors et le flot se tarit. L’homme était en effet passé à côté du pire. Avec un peu de travail, il parviendrait à conserver une partie de la mobilité de son doigt, à défaut de pouvoir la retrouver entièrement. Une telle blessure laissait en effet des séquelles indélébiles.
-Vous êtes tiré d’affaire maintenant, consola Leoba, nous allons laver et bander ça et vous allez vous reposer. D’accord ?
Elle fit signe à un infirmier de s’occuper du blessé.
La femme d’église se releva alors et apperçu Enid. Toutes deux échangèrent alors un signe de tête.
-Pardonnez-moi de vous arracher à vos devoirs, votre excellence, commença Enid, pourrions nous converser en privé ?
-Bien entendu. Suivez-moi, offrit alors cette dernière.
Enid se précipita à sa suite. Elle était plus proche que jamais de son objectif. La jeune femme prit une grande inspiration : elle verrait le prince Dimitri et la générale Byleth. Quoi qu’il en coûte.
*
L’évêque était semblable à son souvenir : une physionomie qui respirait le calme et la bienveillance, ses cheveux noirs tirés en arrière. Des ombres dévoraient néanmoins désormais ses traits.
-La Déesse soit remerciée, vous êtes en vie et bien portante, s’exclama alors l’éclésiastique, dîtes-moi tout.
Son aspect austère et ses yeux froids conféraient à première vue à Enid une allure de sicaire. Mais Leoba connaissait sa vraie valeur. Cette combattante lui avait sauvé la vie. Bien que l’église de Seiros ait été chassée de l’empire un siècle auparavant, la foi y restait présente. Leoba s’y était aventurée afin de venir en aide à ses coreligionnaires persécutés par le nouveau régime. Enid lui avait, par son sang-froid, son jeu d’épée et ses talents de dissimulation, permis de sortir de ce bourbier avec un groupe de prêtres.
La résistante s’approcha alors et glissa dans un murmure de brise :
-Je dois voir son altesse et la générale. J’ai obtenu des informations d’une importance capitale concernant la nature de notre ennemi. L’empire coopère avec une société secrète de mages noirs.
La jeune femme en livra suffisamment pour que Léoba comprenne la gravité du problème, sans pour autant tout déverser d’un seul coup.
Bien que soufflés, les mots restaient clairs et distincts, décochés comme des flèches.Toute l’attitude d’Enid était impérieuse, une rivière dont on ne saurait dévier le cours. La fatigue du voyage avait glissé sur elle, son ardeur demeurait intacte et éclairait son regard minéral. Du sang avait été versé, des vies immolées pour ces informations. Enid se devait de terminer la mission pour eux.
Leoba comprit tout cela par le poids de ses mots et de son regard. Elle se changea en acier et approuva :
-Je m’occupe du nécessaire. Je ne vous cache pas que son Altesse et la générale sont très occupés, mais je ferai en sorte qu’ils vous reçoivent au plus vite.
Enid approuva vivement de la tête, elle se trouvait dans l’antichambre maintenant. La vraie bataille débuterait bientôt. Elle se tourna vers la pièce autour d’elle.
-Installez-vous, mettez-vous à l’aise en attendant, l’écclesiastique lui désigna une chaise, vous pouvez aussi vous rendre au réfectoire, si vous demandez autour de vous, on vous montrera le chemin.
-Soyez mille fois remerciée pour votre aide. Que la Déesse vous bénisse, lança alors Enid, les yeux emplis de gratitude, avant que Leoba ne quitte la pièce.
Elle prit alors sa place sur la chaise, mains posées le long du corps, droite, immobile comme une sentinelle, une statue.
*
A son retour, Leoba trouva Enid, dans la même position. Un frisson de malaise la traversa : était-elle restée ainsi figée, à regarder le vide sans ciller ? Son invitée tourna alors lentement la tête vers elle en une oeillade lourde d’expectative.
-J’ai réussi, se reprit alors Léoba, la générale et son altesse vont vous recevoir. Messire Seteth, le plus haut dignitaire de l’église après l’archevêque Rhéa, sera aussi présent.
Enid bondit alors de sa chaise. Une puissante vague d’adrénaline déferla sur son corps crispé par l’attente.
-Eh bien, on peut dire que vous avez ramené un sacré comité d’accueil, ironisa-t-elle alors, je vous remercie de nouveau, votre excellence, vous allez sans doute contribuer à sauver des vies.
Le trajet fut à la fois long et  bref, comme un rêve fiévreux. Enid apprivoisait le lieu du regard, mais le poids se massait sur ses épaules. La pensée des enfants morts, des sacrifiés ne la quittait pas un seul instant. La guerrière était prête à tout pour eux, pour que nul n’ait plus à subir ce tourment. L’épreuve à venir testerait les limites de son courage, elle devrait sans doute se dévoiler devant des inconnus. Il lui faudrait convaincre, car la méfiance restait vivace en tant de guerre. Et comment les blâmer ? C’était le bouclier qui protégeait des coups en traître.
Enid s’y préparait comme à un long combat,  de ceux dont on ignorait si l’on verrait encore le soleil se lever. Elle consentait à mettre son ego et ses douleurs de côté. Il le fallait. Mais c’était une chose de le dire avant les hostilités, restait encore à s’y tenir. Surtout quand il s’agissait de réflexes qui la poussaient à mordre comme une bête acculée. Enid grimaça, ses dents serrées presque douloureuses.
La chevaleresse de Seiros à l’entrée lui demanda ses armes. Elle força ses doigts à se décrisper et lui tendit son épée et son poignard avant de se soumettre à une rapide fouille. Relâchée, Enid se sentit aussitôt légère, vulnérable, comme délestée d’une partie d’elle-même.
Mais Leoba l’encourageait déjà d’un signe de tête. Elle prit alors une grande goulée d’air et  se drapa dans sa conviction comme une armure.
Tête haute, hiératique, elle entra alors.
La triade l’attendait devant un bureau recouvert de paperasse. L’ensemble était spartiate et les armes alignées sur un râtelier au fond donnaient le ton.
L’emblème sur la vêture du grand jeune homme revêtu de bleu et d’argent lui indiqua que ce dernier ne pouvait qu’être ne pouvait qu’être le prince Dimitri. Concentré, maître de lui, il paraissait être l’inverse des racontars qui le dépeignaient comme une bête.
La générale Byleth aurait pu paraître minuscule à ses côtés. Pourtant, ses traits sereins et sa manière d’occuper l’espace étaient ceux d’une femme habituée à se faire obéir. Comme l’on s’y attendait de la part de celle qui avait défait l’impératrice et le grand duc de l’alliance. Il se murmurait qu’elle était une envoyée de la Déesse, une nouvelle Seiros. Ses cheveux probablement coupés avec une dague, et la sobriété de sa mise, un pantalon sombre et une tunique assortie, trahissaient son passé mercenaire. Sa légendaire épée veillait à son côté, prête à s’embraser sous ses doigts. Une désagréable impression de familiarité la submergea en croisant son regard. Les yeux de Byleth étaient deux puits sans fond : ils paraissaient avoir déjà tout vu, contemplé la mort et la naissance des étoiles.
Le dernier homme ne pouvait donc être que Seteth. Son apparence était surprenante avec des yeux et des cheveux du même vert intense. Son expression était sévère, il la jaugeait d’ores et déjà. Enid fut bien incapable d’estimer son âge : quelques années de plus que Dimitri ? Ses traits creusés et la gravité de son regard racontaient une tout autre histoire. La guerrière songea alors qu’elle devait renvoyer aux autres la même impression. Elle comprit également à sa silhouette qu’il ne s’agissait pas d’un simple bureaucrate, mais d’un combattant aguerri. Il était le porteur de l’emblème majeur de Cichol après tout, celui qui protégeait l’église avec la redoutable lance d’Assal. La noblesse de son visage et la sévérité de son expression correspondaient d’ailleurs bien à l’image qu’elle se faisait de ce saint guerrier. Sa vêture somptueuse le paraît par ailleurs d’une grandeur princière.
Enid s’inclina alors dans une révérence impeccable. Nemain lui avait appris à faire face à toutes les situations.
-Votre altesse, générale, votre excellence, salua-t-elle alors, mon nom est Enid Fresnay et je vous remercie de me recevoir.
Sa voix lui parut étrangère, un peu sèche, comme sous le coup d’un essoufflement. Elle prit alors une grande inspiration, la sentit gonfler ses poumons. Il ne fallait pas céder sous le poids de l’urgence.
-Relevez-vous, l’invita alors Dimitri, nous vous écoutons.
Elle encaissa l’assaut de leur trois regards sur elle, consciente du pouvoir qu’ils détenaient en cet instant. Mais Enid avait déjà traversé de terribles épreuves et se raccrocha à cette certitude. Lorsqu’elle reprit la parole, ce fut d’un ton plus assuré :
-Comme vous le savez sans doute, les habitants de l’empire sont loin de suivre aveuglément l’impératrice. Nombreux sont les opposants qui travaillent en secret à sa chute, comme le seigneur Ferdinand von Aegir.
Enid n’avait jamais eu personnellement affaire à lui, seulement par le truchement de contacts interposés. Ce noble s’employait à lutter avec une petite troupe et l’armée impériale n’avait pas encore réussi à mettre la main sur lui. Il s’agissait sans doute d’un nom que ses interlocuteurs connaissaient et leur intérêt fut en effet piqué.
-Je fais moi-même partie d’un semblable groupe, continua-t-elle alors, je suis née dans l’empire mais j’ai passé une bonne partie de ma vie dans le royaume. J’ai subi, sa trachée se resserra mais elle se fit violence pour continuer, et j’ai été témoin de la brutalité des troupes impériales et de ceux qui coopèrent avec eux. C’est pour cela que j’ai juré de me dévouer corps et âme à les combattre.
Elle assena ces dernières lignes avec le grondement d’une tempête dans la voix. Ses interlocuteurs notèrent alors, sans nécessairement être persuadés de sa sincérité, combien sa rage était convaincante. Elle évoquait en effet la fureur du brasier, d’un flambeau qui  jamais ne s’éteindrait. Sûre de sa mission, elle brandissait haut l’étendard de la vengeance.
-L’un des agents de notre groupe a réussi à mettre la main sur ces documents, elle tendit alors ses feuillets vers l’avant, ils avaient été saisis par l’administration impériale sous le contrôle d’Hubert von Vestra qui les considérait comme dangereux. Et vous penserez sans doute la même chose lorsque vous les aurez lus. Vous avez eu affaire sur le champ de bataille aux mages masqués, tout de noirs vêtus. Les seuls à savoir contrôler et donner naissance aux bêtes démoniaques. Ils ne font pas partie d’une unité spéciale, comme nous étions nombreux à le penser. En réalité, il s’agit d’une société secrète bien plus ancienne, avec qui l’empire s’est allié.
L’envie de détailler l’ensemble de leurs exactions lui brûlait les lèvres, mais elle leur laissa le temps d'assimiler ses révélations. C’était le cap à franchir. Peut-être refuseraient-ils de la croire. Dimitri s’empara alors des documents et ses deux acolytes le rejoignirent et ils parcoururent avec un front plissé et soucieux. Enid resta immobile pendant tout le temps que cela dura, poings serrés si fort qu’elle crut que ses os allaient cisailler sa peau.
Les enfants morts, cadavres entassés aux bras ballants, leurs yeux comme des billes de verre…
Les bêtes qui ne retrouvaient leur humanité que dans la mort…
Se réveiller avec cette douleur, inconcevable, insoutenable qui calcinait les nerfs, incapable de crier…
Elle glissa de nouveau, spectatrice en retrait. Non, elle ne pouvait pas se le permettre, il fallait rester présente et concentrée. Elle se débattit, but la tasse, mais garda la tête hors de cette marée infernale.
Un détail capta alors son attention. Les trois dignitaires échangèrent un regard, suivi d’un hochement de tête complice. Comme s’ils pensaient tous à la même chose. Enid se tendit alors, attendit leur réponse.
-Nous prenons bonne note de ces informations, Seteth s’exprima alors mais elle sentit qu’il s’agissait surtout d’une formalité, vous dîtes que vous avez pu observer plusieurs fois les agissements de ce groupe, pourriez-vous nous en dire plus ?
La vraie épreuve commençait. Ils allaient bien entendu la questionner, tenter de déceler les failles de son discours. Enid se prépara alors à plonger dans l’eau glacée. Quoi qu’il arrive, elle devait l’endurer.
-Ces mages noirs étaient déjà présents dans le royaume lorsque Cornelia Arnim a pris le pouvoir. Ils sont venus réquisitionner la maison de ma famille, qui a refusé d’obéir à leurs ordres et en a payé le prix.
“Et moi je n’ai pas pu les sauver”. Sa tête commença alors à tourner, sa bouche devint pâteuse. L’engourdissement gagna Enid, comme si elle peinait à se mouvoir, que l’air autour d’elle s’épaississait et que le temps suspendait son cours. Le froid referma alors ses doigts autour de son cœur et elle eut soudain l’impression que tout ceci n’était qu’un cauchemar qui arrivait à une autre.
-Mon groupe les a affrontés plusieurs fois, il nous est arrivé d’intercepter leurs “livraisons” “d’atouts stratégiques” au front…j’ai aussi appris que ces gens travaillent en étroite collaboration avec Volkhard von Arundel, elle vit Dimitri serrer les dents, sa bouche devenue une simple et fine ligne, mais surtout…ils mènent des expériences sur les êtres humains. Pour créer les bêtes démoniaques, mais aussi pour des tentatives d'implantations d’emblèmes ou de modifications diverses. Dans l’empire, et sans doute aussi dans le royaume maintenant, des enfants, des gens que personne ne viendra jamais réclamer, disparaissent.
Elle réussit à terminer sans trembler, par chance, sa voix était restée claire. C’était comme si malgré tout la force de l’impératif la tenait à bras le corps, la tirait encore et encore vers le haut.
D’autres questions suivirent et elle perdit le fil. Ils traquaient méthodiquement les incohérences dans son parcours. Enid répondit seulement la vérité, détailla la manière dont elle obtenait ses informations. Par chance, elle n’eut pas à remonter vingt ans en arrière, son enquête lui avait fourni d’autres manières d’étayer ses dires. Lorsqu’une accalmie vint, elle en tremblait presque de soulagement.
-Que comptez-vous faire désormais ? Byleth s’adressa alors à elle, allez-vous retourner dans l’Empire ? Ou souhaiteriez-vous rester ici ?
-Si je suis venue ici, c’est parce que j’aimerais me battre pour libérer le Royaume, Enid se retrancha derrière sa fierté ombrageuse, afin de préserver la face malgré cette épreuve.
-Nous ne connaissons pas vos antécédents et nous n’avons pour l’instant aucune preuve concrète de vos dires. Il vaudrait donc mieux que vous retourniez dans l’empire, ordonna alors Seteth comme si l’affaire était close.
La douleur de cette inconnue était presque palpable, ses propos correspondaient aux maigres informations qu’ils possédaient. Pourtant, il ne pouvait se laisser guider par sa compassion. Léoba prétendait que cette Enid lui avait sauvé la vie et assurait qu’elle était digne de confiance. Mais l’évêque avait toujours été d’une nature confiante, généreuse, frôlant parfois l’inconscience. Peut-être cette femme était-elle en réalité un agent double en pleine tentative d’infiltration du monastère, leur donnant des informations en apparence fiables pour mieux gagner leur confiance et les attirer ensuite dans un piège. Ou pire, une envoyée de ces individus aux doubles visages qui étaient derrière l’enlèvement de Flayn et Remire…
Une étincelle de fureur jaillit alors dans le regard de l’intéressée. Des yeux singuliers qui lui rappelaient douloureusement ceux qui étincelaient autrefois à Zanado. Sa rancœur était compréhensible. Mais elle représentait l’inconnu, l’imprévisible. Et il ne pouvait pas prendre ce risque, pas après avoir vu ce dont leurs ennemis étaient capables.
L’orgueil d’Enid rua alors. Un frisson d’urgence la parcourut en entendant cet homme parler comme si tout était acté. Ses espoirs étaient en train de brûler devant elle. La frustration l’étouffa : bien entendu qu’ils n’allaient pas l’accueillir à bras ouverts. Elle avait aussi dû faire ses preuves chez les résistants. Tout avait cependant été plus simple car elle avait les bons contacts. C’était cependant une chose que de l’anticiper et une autre que de le vivre. Une part d’elle ne supportait pas d’être traitée comme une espionne potentielle, jetée à la porte. Pas après tout ce qu’elle avait traversé ! Nourrie par l’impuissance, la colère monta alors en flèche : Enid ne comptait pas repartir et manquer les prochaines batailles. Les mots devancèrent alors toutes ses résolutions.
-Je ne suis pas venue ici pour cela, cracha-t-elle alors, je ne veux plus d’une lutte souterraine mais combattre ouvertement l’empire en tant que soldat. J’ai traversé nombre de situations difficiles avant de venir ici, mon bras ne tremble pas. J’excelle à l’épée et je tire bien à l’arc. Ne vous privez pas d’un tel atout.
Elle se maudit aussitôt le dernier mot lâché. Il avait été si aisé, si rapide de trébucher ! Sans la pression accumulée lors des dernières minutes avait-elle mis ses nerfs à rude épreuve, brouillant son jugement. Lorsqu’on cherchait à l’écraser, la riposte suivait aussitôt. Quoi qu’il en fut, le mal était fait. Sans doute cette marque d’arrogance leur déplairait-elle. Enid chercha aussitôt comment se rattraper. “Même s’ils me chassent, je trouverai un moyen de revenir” se promit-elle.
Mais Byleth crut reconnaître en elle une personne de son âge, luttant pour être prise au sérieux. Elle s’empara d’une lame et la lança à Enid avant de s’armer également :
-Dans ce cas, voyons ce que vous valez.
Enid attrapa l’arme au vol, trop heureuse de se voir offrir cette chance. Elle était prête, la sensation familière du pommeau entre ses doigts chassait les doutes. La jeune femme y revenait toujours lorsque les ombres s’agitaient. Ne comptait alors plus que l’art de la lame.
Elle laissa le premier coup à Byleth afin de la jauger. La générale était rapide, brutale et efficace. Son style n’était qu’économie de mouvements, taillé pour se débarrasser au plus vite de ses opposants. Enid avait beau la dépasser de quelques centimètres, elle n’en tirerait aucun avantage. La mercenaire s’était toute sa vie entraînée à affronter des adversaires plus grands qu’elle.
Mais Enid avait été entraînée par Nemain pour qui la mort était un art. Sa persévérance avait fait d’elle l’égale de son instructrice. Elle restait d’ailleurs plus expérimentée que son adversaire. Aussi vint-elle à sa rencontre en égale.
Byleth fondit sur elle comme un rapace. Enid esquiva d’un bon liquide. Avec une célérité redoutable, elle repoussa la générale de la pointe de sa lame et la contraignit au recul. Ce fut un échange incertain, fluctuant. Quand l’une semblait prendre le dessus, l’autre retournait aussitôt la situation. Les deux femmes dévoilèrent toute la mesure de leur dangerosité, car là où elles allaient, le combat changeait de nature.
Enfin, la commandante se figea et rengaina.
-Votre place est sur le champ de bataille, déclara-t-elle sans se départir de sa tranquilité, vous serez la bienvenue dans mes troupes. Nous avons besoin de tous les soldats compétents que nous pouvons trouver. Qu’en pensez-vous votre altesse ?
-J’approuve votre décision, générale, acta fermement Dimitri, avec la prestance que l’on attendait d’un monarque, les derniers affrontements nous ont grandement éprouvés et un combat tout aussi rude nous attend. Nous avons besoin de tous les bras que nous pouvons trouver. Je vous laisse décider de son affectation, ordonna-t-il alors.
Le prince comprenait les doutes de Seteth mais connaissait aussi la férocité de leur ennemi. De plus, il serait toujours possible de demander à un informateur ou à son responsable de troupe de garder un oeil sur cette femme.
L’éclésiastique pivota alors vers eux, les foudroyant du regard.
-N’avez-vous pas appris des événements de votre scolarité ? S’exclama-t-il alors.
Byleth s’avança alors jusqu’à lui, yeux comme la lisse surface d’un lac.
-J’ai pris ma décision, trancha-t-elle alors, sans hausser le ton.
Sans plus lui accorder un regard, elle se tourna vers Enid et lui détailla toutes les informations afférentes à son nouveau statut.
-Et vous garderez le silence sur vos origines impériales afin d’éviter de créer des suspicions inutiles et d’ébrécher la cohésion de votre troupe, conclut Byleth.
Elle respectait Seteth pour sa droiture et sa bienveillance. Cependant, la décision finale lui revenait. Elle connaissait les risques, avait pesé le pour et le contre. Byleth se devait de se faire respecter et ce quel que soit l’interlocuteur. Autrement, plus personne ne la prendrait au sérieux. Et il n’avait pas été aisé de se faire obéir des nobles, des dignitaires lorsque l’on était qu’une ancienne mercenaire. ll fallait pour cela se doter d’une poigne de fer.
-Je vous remercie d’accéder à mon désir, Enid s’inclina, posa la main sur sa poitrine.
Le poids s’était levé dans ses épaules, elle se trouvait désormais au bon endroit pour réaliser ses ambitions.
La sombre détermination, presque fiévreuse, avec laquelle elle insista sur le mot “désir” fit naître un frisson glacé chez Dimitri. Brûlant de venger ses proches, toute vêtue de noir…était-elle fiancée au trépas et venue pour s’unir à son promis ? Il fut tenté de faire marche arrière, de se ranger derrière l’avis de Seteth, ou de proposer un juste milieu en offrant à cette guerrière un poste de garde. Le jeune homme se souvint néanmoins qu’il ne pouvait se laisser gouverner uniquement par sa sensibilité. Un roi se devait de prendre des décisions difficiles.
Lorsqu’Enid se fut éclipsée, Seteth laissa éclater ses reproches :
-Je désapprouve toujours et vous le savez. Il faudra garder un œil sur elle, décida-t-il avec fermeté.
-Mieux vaut en effet rester prudents, confirma Dimitri, cependant, j’ai quelques doutes de mon côté. Une espionne aurait plus intérêt à se fondre dans la masse et à ne pas se faire repérer qu’à se signaler ainsi. L’Empire a peut-être déjà des agents parmi nous et nous devons nous y préparer.
Seteth se détendit un peu en voyant que ses acolytes partageaient son avis sur ce point. Il y avait dans l’ordre de Seiros des agents de confiance qui pourraient s’en charger et il y veillerait.
-J’ai immédiatement pensé à Solon à Kronya et à cet homme que nous avons vu converser avec Edelgard, rebondit alors Byleth, abimée dans sa réflexion.
L’identité de ces gens, la raison de leur apparence restaient un mystère. La scène se rejoua dans son esprit, les couleurs et les sensations encore vives, comme des coups de poignard dans ses entrailles. Le sourire sadique de Kronya, la dague qui s’enfonçait dans le dos de Jeralt…le magicien drapé de noir, corbeau funeste, qui venait emporter sa protégée, laissant le cadavre de son père dans son sillage. Son état d’épuisement général l’avait empêchée de faire de nouveau appel à l’impulsion divine. Occire Kronya n’avait rien changé, seul le temps éroderait peut-être la peine.
Elle maudissait parfois ce pouvoir, les espoirs qu’il faisait naître avant de les lui arracher. Byleth avait reçu la force de Sothis, mais cela ne faisait pas d’elle une déesse pour autant. Vidée de son énergie par les combats de Gronder où elle s’était démenée à coup de lame et de sortilèges, elle n’avait pu sauver messire Rodrigue. La générale s’en était de plus servie auparavant afin de sauver Dimitri. Ses réserves brûlées, elles n’avaient eu dans les mains que des cendres. La seule chose qu’elle pouvait faire était continuer tant bien que mal, préserver ce monde de l’effondrement afin que la mort du duc ne soit pas vaine.
“Où es-tu Sothis ? Se demandait-elle parfois, j’ai tant de questions, tant de choses que je ne comprends pas…”
-Surtout lorsque l’on pense aux exactions auxquelles se sont livrés ces gens, compléta Seteth, d’abord l’enlèvement de Flayn et ensuite Remire. Ces gens possédaient une magie et un équipement qui nous étaient inconnus. Tout est dans la même lignée que ce qu’elle vient de nous décrire.
Son attitude résolue était celle du guerrier prêt à abattre ses ennemis. Cependant, les deux autres décelèrent sous l’armure l’inquiétude d’un père meurtri, désireux que sa fille puisse vivre sans jamais plus être inquiétée.
Des transformations, des expériences basées sur le sang, un savoir que nul autre ne possédait…de vieux souvenirs remontaient à la surface. Les parallèles avec ce peuple dont l’arrogance avait transformé Ailell en enfer s’imposèrent à lui.
Mais la Déesse avait châtié leur fol orgueil. Mais une question le hantait depuis toujours : qui avait octroyé les emblèmes et les “reliques” à Némésis et ses compagnons ?
Une société secrète traversant les siècles dans l’obscurité…Il se devait de faire le jour sur cette affaire. Cependant, il était encore trop tôt pour en tirer des conclusions. Aussi garda-t-il ses craintes pour lui. Un verrou de fer scellait ses lèvres lorsqu’il s’agissait du massacre. Dimitri et Byleth étaient intègres, mais la vérité portait des conséquences trop terribles pour être révélée à la légère. Ce silence avait protégé ce qu’il restait de son peuple. L’horreur des siècles passait le hantait encore, les mots recelaient le pouvoir de la ramener.
Aussi continuerait-il à préserver son masque, comme il l’avait toujours fait, tout en ignorant les reliques que brandissaient leurs meneurs, d’obscènes restes de ceux qui avaient autrefois été ses frères et sœurs, incapables de reposer en paix. Seteth endurait le dégoût viscéral qu’elles lui inspiraient, jouait le jeu nécessaire de la dissimulation. Mais il les voyait pour ce qu’elles étaient : des morceaux de cadavres, la moisson du massacre. Il se souvenait des noms associés à ces emblèmes, comme un chapelet. Les siens avaient presque disparu sous les dents de l’avidité. Ne restaient que des larmes, emportées par les vents salés de Rhodos.
-Je pense aussi au changement de comportement chez le seigneur Arundel et à celui de Cornelia…et on retrouve ces mages à leur côté, nota Dimitri, il faudra être particulièrement vigilants lorsque nous reprendrons la capitale.
-Je suis du même avis, s’il s’avère bien que nous n’affrontons pas une seule mais deux menaces, alors nous ne devons pas laisser la seconde replonger hors d’atteinte, promit alors Seteth.
Il s’y tiendrait. Pour Flayn. Pour empêcher que de nouvelles atrocités ne se produisent.
*
Enid se dirigea vers les bains. La fatigue n’était qu’une sensation lointaine, bien trop familière. Sa réussite occupait le premier plan de son esprit. Peut-être était-ce enfin le début d’une avancée significative, la roue de fortune tournerait alors, laissant les tortionnaires connaître enfin l’effroi. Elle s’en assurerait personnellement lors de l’assaut de Firdhiad.
La fraîcheur du soir chatouilla alors son épiderme. L’atmosphère était paisible, un silence à peine troublé par les clapotis de l’eau et des conversations feutrées. Mais cette quiétude ne l’atteignait pas. Elle ne se connaissait que trop bien et observa sa propre méfiance avec une lassitude blasée. Se retrouver dans un tel état de vulnérabilité en compagnie d’inconnus la mettait toujours sur le qui-vive. Rien ne changeait malgré les années. Debout sur le bord, elle avait le sentiment d’être une cible désignée. Des picotements remontèrent le long de son dos, se répandirent dans tout son épiderme.
Allons bon. Ne restait-elle pas une arme, même dans cet état ? N’avait-elle pas veillé à le devenir ? Certes, le poignard était demeuré avec son pourpoint, mais il lui restait toujours ses membres et ses dents.
Sans plus tergiverser, elle s’enfonça dans l’eau, la laissa la submerger jusqu’au cou. Le sortilège de l’onde fit progressivement effet et ses muscles se délassèrent suffisamment pour rendre l’expérience supportable. Sa vigilance ne s’assoupit cependant pas, mais les autres femmes, sans doute absorbées par leurs propres balafres, ne se souciaient guère d’elle.
Son regard s’égara sur les hautes voûtes du plafond et les nuages de vapeur qui saturaient l’air. Ce monastère serait sa nouvelle base pour toutes les opérations à venir. Enid savait déjà qu’elle se l’approprierait : elle était une graine tenace, de ces herbes qui se plantaient où elles le désiraient, qu’importait l’avis du jardinier, et poussaient sur tous les sols, même les moins cléments. Il en était ainsi depuis son enfance, elle était passée d’une main à l’autre comme une balle. La guerrière n’avait pas d’endroit vers lequel se retourner. Et savait qu’elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. La coupe pleine de cendres et de larmes devait être bue jusqu’à la lie.
Elle se ramassa un peu sur elle-même, assise en chien de fusil. L’épuisement la rattrapa et elle s’accorda alors un instant de plus. Qu’avait-elle d’autre à faire ? Son instinct de préservation lui ordonnait de sortir, mais ses cris n’étaient plus qu’étouffés. Le contact de l’eau sur son corps fourbu était comme un baume miraculeux.
C’était de nouveau cette grâce salvatrice, la prêtresse qui humidifiait  son front fiévreux, régénérait corps embrasé. La fin de la douleur. Elle se pencha alors et vit, comme une fresque, les bleus et les cicatrices plus ou moins récentes, la suite logique de son existence. Mais rien qui ne l’empêcherait de combattre.
*
L’intégration d’Enid à son unité se déroula sans encombres. Elle était professionnelle, travailleuse et il lui fut aisé de faire accepter son histoire de volontaire venue du royaume pour soutenir le monarque légitime.
Sa session d’entraînement terminée, elle en profita pour faire un peu de repérage. Enid avait vu le réfectoire, mais fit un détour par les cuisines. On lui avait expliqué que si elle manquait le repas, elle pourrait toujours venir y demander quelque chose. Le personnel allait et venait sans lui accorder un regard.
Elle repéra alors par la porte ouverte une salle plus petite, un lieu où les étudiants préparaient autrefois des repas ? Une jeune fille y regardait ses ingrédients d’un air hésitant. L’habit sous son tablier était rehaussé d’or et le personnel l’ignorait, ce qui laissait supposer qu’elle n’en faisait pas partie. Elle commença alors à touiller maladroitement sa préparation.
Enid n’avait aucune idée de ce qu’elle était en train de cuisiner, mais c’était très mal parti. Cependant, la couleur de cheveux de l’inconnu l’interpella. Bien que d’un vert plus clair, ils lui rappelèrent aussitôt ceux de Seteth. ��taient-ils de la même famille ? Sans doute
n’apprécierait-il pas qu’elle s’approche ainsi. Mais Enid n’était pas du genre à se faire inutilement petite et elle avait en outre la générale et le prince de son côté.
Ce fut alors que l’apprentie cuisinière commença à débiter ses légumes d’une main malhabile. Le couteau passa bien trop près de ses petits doigts fins.
Elle soupira, hors de question de la laisser se mettre en danger et  gaspiller cette nourriture. Maugréant intérieurement, elle s’approcha alors lentement pour ne pas la surprendre.
-Attention avec le couteau, l’avertit-elle alors, il vaudrait mieux le tenir autrement. Je peux ?
-Bien entendu, s’exclama en retour l’intéressée, montrez-moi s’il vous plaît.
La guerrière prit doucement ses mains lisses et fines dans les siennes et ajusta leur prise. Elle la guida et le mouvement de coupe se fit plus assuré. Des étoiles s’allumèrent alors dans les étoiles de la jeune fille et l’expression d’Enid s’adoucit.
Les étapes s’enchaînèrent alors, elles passèrent à l’assaisonnement et mirent le tout sur le feu. Enid se laissa porter par la simplicité des actions, l’enchaînement des étapes. Désireuse de ne dépendre de personne pour sa subsistance, elle avait veillé à acquérir un niveau suffisant en cuisine. Son élève était tout heureuse de voir sa préparation hasardeuse se transformer en un véritable repas. Expressive, elle ne cachait pas sa joie, riant et souriant devant ses progrès. Bien qu’il tentât de garder ses distances, son allégresse réchauffait Enid comme les rayons du soleil matinal.
-Merci beaucoup, je suis sûre que mon frère va beaucoup apprécier, s’exclama la plus jeune une fois qu’elles eurent terminé, il travaille beaucoup et je voulais le soutenir en lui préparant quelque chose. Je m’appelle Flayn, et vous ?
Seteth était donc son aîné. Il y avait un certain écart d’âge entre les deux, mais c’était après tout des choses qui arrivaient.
-Enid, répondit-elle alors, vous devriez vite  aller le lui porter avant que ça ne refroidisse.
-J’y cours, Flayn prit alors le plat et le posa sur un plateau, merci encore pour votre aide ! Je suis une magicienne et une guérisseuse, annonça-t-elle fièrement, si jamais vous avez besoin que je soigne vos blessures. Oh ! Et si je vous revois, accepteriez-vous de me montrer de nouveaux plats ?
Enid fut tentée de répondre par la négative. Mais les manières, l'espièglerie de Flayn et son attendrissante joliesse l’en empêchaient. Elle ne devait pas s’attacher, elle le savait. Cela ne serait bon ni pour elle, ni pour la jeune fille.
-Je ne connais pas beaucoup de recettes et je m’entraîne souvent, objecta-t-elle alors, mais nous verrons si nous nous croisons de nouveau.
-Avec plaisir, Flayn n’avait retenu que le positif, j’y vais maintenant. A très bientôt !
Restée seule, Enid s’adossa à la table. Dans quoi venait-elle de se mettre ? Mais il aurait été inconcevable de ne pas lui venir en aide…
Un goût amer emplit sa bouche et elle comprit. Enid avait retrouvé l’espace d’un instant, un écho lointain, déformé, de la joie des instants passés avec Maeve.
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ladyniniane · 2 years
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Felix et Vigdis sont sur un bateau
(Si ça c’est pas du titre)
Et voilà le retour de notre petit énergumène préféré @lilias42, j’espère que ça te plaira ! Je me rends compte que ça fait longtemps que je n’ai pas écrit sur ces deux là alors que j’ai l’impression que ça date d’hier.
Si jamais vous tombez sur ce billet que vous vous demandez quel est le contexte, cliquez sur le tag “Fire Emblem 4 mariages et 1 enterrement” et vous aurez les passages précédents. 
Les vêpres avaient sonné. Occupé à répéter ses mouvements, Felix laissait parfois son regard s’égarer vers l’entrée. Son impatience grandissait à chaque seconde malgré l’indifférence dans laquelle il tentait de la noyer. Il n’aimait en effet guère attendre et avait plusieurs fois rejoué le duel en esprit.
La journée s’était déroulée sans trop d’accrocs. Dimitri paraissait enfin déterminé à assurer son rôle. Quel soulagement ! Felix ne savait pas encore combien de temps il aurait pu supporter de voir la charogne qu’était devenu leur meneur. Leur première campagne avait brutalement tranché leur lien. Felix saignait alors encore de la perte de Glenn, mais l’horreur avait revêtu un nouveau visage. Il avait vu mourir le Dimitri de son enfance, remplacé par une brute assoiffée de sang et de vengeance.
Pourtant, il croyait désormais presque retrouver son ami d’avant la chute. Le jeune homme serra les dents : il était trop tôt pour crier victoire. L’image de son père surgit et avec elle un flot d’amers regrets. Dévoué comme il l’avait été, Rodrigue se réjouirait sans doute de voir qu’il ne s’était pas sacrifié en vain. Dimitri était leur futur roi, il ne pouvait s’égarer de nouveau. Felix se promit de le remettre à sa place si besoin.
Ce fut alors qu’il la vit le rejoindre avec détachement, comme si le reste n’était que des formes, un théâtre d’ombres autour d’elle. Un peu exaspéré, le jeune homme ne put s’empêcher de se demander ce qu’elle dissimulait au fond. Était-elle blasée, indifférente à tout ?
-J’espère ne pas vous avoir fait attendre, le salua-t-elle, nous pouvons reprendre notre duel si vous le souhaitez.
Sa voix était comme l’eau cristalline mais froide des montagnes.
Il hocha alors la tête :
-Allons-y.
Il n’y eut pas de salut ou de fioritures car l’on ne s’en embarrassait pas sur le champ de bataille. Les lames s’exprimèrent de nouveau, rien n’existait à part leur confrontation.
Coups, parades, ruses, esquives… le ballet se prolongea tandis que le jour déclinait.
*
Hors d’haleine, gorge incendiée, Felix s’appuya contre le mur. L’emblème lui avait offert la victoire in extremis. C’était un triomphe sans feu, une coupe fade. La lame de son adversaire avait plusieurs fois frôlé ses points faibles. Elle avait réfléchi et appris de leur précédente rencontre. Le jeune homme avait rêvé de prendre le dessus par le seul mérite de ses capacités, de la technique qu’il avait passé tant de temps à aiguiser. Oui, sa bénédiction lui offrait un redoutable avantage, mais seuls les fats et les fainéants se reposaient uniquement sur les leurs. Il arriverait toujours un moment où sa fortune le déserterait. Et Felix se devait d’être capable de gagner quand même.
De son côté, Vigdis isolait chaque échange, réfléchissait à la manière dont elle aurait pu les retourner en sa faveur. C’était la première fois qu’elle affrontait un adversaire doté d’un emblème. Si l’on ôtait ce facteur, sa performance n’avait pas été mauvaise. Par chance, il ne s’agissait que d’un entraînement. Elle devait saisir cette opportunité pour s’améliorer et rebondir. C’était en s’adaptant, en changeant toujours, qu’elle parviendrait à survivre. Son ancien métier lui avait appris à travailler dur, à viser la perfection jusque dans les détails. Tout n’était que partie remise, une affaire de persévérance. Ainsi, elle ne ferait plus jamais défaut à qui que ce soit.
Elle trouverait comment faire la prochaine fois et espérait qu’il y en aurait une. Affronter de nouvelles personnes était essentiel lorsque l’on arpentait la voie de l’épée.
Trop fourbus pour reprendre la lutte, un accord tacite s’établit alors entre eux. Ne sachant comment combler ce vide, Vigdis réfléchit alors.
-Vous vous débrouillez bien, à sa grande surprise, ce fut lui qui rompit le silence, qui vous a entraînée ?
Ces pieds lestes, ces poignets vifs, ces gestes aboutis, ce mélange éclectique mais cohérent de techniques résultaient forcément de l’enseignement d’un talentueux professeur particulier. Sans doute venait-elle d’une famille militaire et avait ainsi bénéficié de toute l’attention nécessaire au développement de son talent.
Elle riva ses prunelles azurées aux siennes. Son regard était impérieux comme une lame. Il se contraignit à ne pas battre en retraite. Les encouragements patients et chaleureux de son père lui revinrent : “Felix, n’aie pas peur de regarder les autres dans les yeux”. Le jeune homme se crispa alors. Pourquoi était-ce si difficile ? Un tel contact se révélait trop direct, intime, le ramenait à sa vulnérabilité, à sa sensibilité autrefois à vif. C’était donner aux autres trop de pouvoir sur lui, leur offrir la clef de son âme.
Ce moment de recul, cette fuite, n’échappa alors pas à Vigdis. Elle reporta alors son attention sur ses bottes, prétendant n’avoir rien remarqué. Elle savait combien il était parfois difficile de se sentir à l’aise avec un inconnu.
Cette réserve la surprenait néanmoins. Sa première impression de Felix n’avait guère été positive. Il lui dévoilait désormais une facette plus appréciable. Loin de pérorer sur sa victoire, il reconnaissait sa valeur tout en abonnant le tutoiement abrupt pour un vouvoiement plus respectueux.
Elle serra les dents, agacée. Face à un égal, elle se serait contentée d’éluder : “mon père adoptif qui était mercenaire. J’ai ensuite été garde de convois”. Les choses en restaient généralement là, cette muraille de glace dissuadait les curieux. Felix ne se contenterait sans doute pas de ces demi-vérités et elle n’avait pas l’aisance ni le talent d’improvisation de Gladys. Autant parler de sa propre initiative que de subir un siège et échouer à broder autour de la carrière de son instructeur. Elle se prépara alors, comme pour sauter dans une rivière glacée.
-Maître Jaufré Auber, un temps meneur de la troupe de mercenaire des Lames-Tempêtes, expliqua-t-elle alors, ensuite directeur de la troupe de danseurs à l’épée Stella Maris.
Elle n’occulta aucune de ses facettes. Son mentor avait toujours été fier des deux
-Un mercenaire devenu saltimbanque ? Laissa échapper Felix qui s’attendait à tout sauf cela.
Vigdis retint une grimace exaspérée. Elle s’appuya contre le mur, l’air de dire “et alors ?”. Voilà pourquoi elle préférait le silence. Elle s’imaginait déjà les réactions de ses camarades : “Quoi, la froide Vigdis a été danseuse ? Personne ne l’aurait jamais cru ! Allez, montre-nous quelque chose ! Pourquoi tu as arrêté au fait ?” et s’armait déjà en réponse. Elle se promit que toutes les remarques désobligeantes glisseraient sur son armure. Par chance, elle avait souvent entendu son professeur répondre à ce genre d’interrogations. La riposte lui vint alors.
-La danse à l’épée est souvent pratiquée par des escrimeurs. Si jamais le public compte des amateurs ou des militaires, il faut que ces derniers puissent s’y retrouver.
Felix hocha la tête, c’était après tout logique. Sa mère avait apprécié ce genre de performances, s’il se souvenait bien. Ses craintes remuèrent maintenant que la fraîcheur de la nuit s’installait. Allons bon, ce n’était qu’un rêve stupide et elle allait le laisser tranquille maintenant.
-Une telle troupe est venue danser à Garreg Mach quand j’y étudiais, c’était effectivement leur cas, admit-il simplement.
-C’était la mienne, répondit alors aussitôt Vigdis.
La réponse s’était imposée comme une évidence. Elle était allée trop loin pour revenir en arrière. Leur meneur avait tiré tant de fierté de cette réussite ! Impossible de laisser planer l'ambiguïté et de faire croire que ce succès était celui d’un autre.
Felix la fixa, incrédule, puis toutes les pièces s’assemblèrent alors. L’archevêque Rhéa en avait pris cette décision afin de distraire les élèves dont les mois s’assombrissaient sous les événements inquiétants. “Certains s’interrogeront peut-être sur la venue d’une troupe d’artistes dans le monastère, mais la Déesse aime ce qui est beau. Les arts et la liesse lui sont agréables”avait-elle expliqué.
L’intérêt de Felix avait été piqué, il gardait une certaine curiosité pour les arts même si l’épée lui demandait désormais tout son temps. Pensé pour les étudiants d’une académie militaire, le spectacle rejouait les vies de grands héros et s’inspirait d’illustres batailles tout en intercalant des tableaux plus calmes. Secondés par leurs musiciens, les danseurs avaient fait montre de tout leur art à grand renfort de puissance et de souplesse, de précision et de grâce.
Il revit alors l’une d’entre eux, une grande jeune femme aux cheveux dorés. Elle était dans son souvenir vêtue d’une tunique à col montant, fendue après la taille, et qui s’arrêtait à ses genoux. Son pantalon et ses bottes montantes soulignaient sa silhouette élancée lorsqu’elle bondissait. Son habit était rehaussé aux épaules et à la poitrine de broderies rappelant une côte de maille. Une ceinture à l’éclat métallique marquait sa taille et une rangée de disques argentés ornait son front, comme autant de lunes. C’était son interlocutrice actuelle, il n’y avait pas de doute à avoir.
Un passage l’avait particulièrement marqué. La danseuse et un interprète plus âgé, avaient simulé un duel accompagnés d’un tonnerre de percussions. L’ensemble était enjolivé de poses théâtrales et d'acrobaties pour accentuer l’aspect dramatique, mais il lui était clairement apparu que les deux artistes maîtrisaient leur art dans tous les sens du terme.
La complicité entre les deux partenaires, leur absolue confiance l’un envers l’autre, l’avaient subjugué. Leurs lames, de véritables armes, s’étaient entrecroisées avec telle une célérité qu’elles en étaient devenues des traits de lumière
Un tonnerre d’applaudissements avait alors conclu leur partie et Felix s’y était joint de bon cœur. Trop absorbés par le spectacle, ses amis n’avaient heureusement pas remarqué sa mine émerveillée. L’homme avait alors pris la main de sa jeune protégée et l’avait levée très haut, la couvant d’un regard plein de fierté.
Le jeune homme se les était aussitôt imaginés père et fille, en dépit de leur absence de ressemblance. Une douleur lancinante s’était alors installée, un regret d’une complicité passée. De quelque chose qu’il n’aurait jamais plus. Une fois la représentation terminée, il s’était précipité au terrain d’entraînement pour s’en purger.
Cette guerrière glaciale était donc la danseuse entrevue cinq ans auparavant. L’idée lui paraissait presque incongrue. Tout en elle trahissait la soldate de métier, il avait cru qu’elle avait passé son existence à se battre. L’idée qu’il se faisait d’une artiste était tout autre : une diva  théâtrale, flamboyante, cherchant l’attention des autres. Il n’y avait qu’à voir la professeure Manuela et Dorothea Arnault.
Felix sentit alors le givre dans sa poitrine et l’amertume l’envahit, comme un brouillard pensée. Une image le hantait :  elle et lui, dans cette salle, sans se voir ni se connaître mais dans la même situation, ignorant que leur univers était sur le point de basculer.
Ce changement de vie et d’habit s’expliquait en un mot : la guerre. Comment une troupe d’artistes pouvait-elle survivre, trouver des mécènes, se déplacer dans un continent en guerre ? Non, il leur avait fallu passer à de véritables affrontements.
Et cet homme, ce père qui ne l’était peut-être pas, la soutenait-il encore sous son regard protecteur ? Ou bien avait-il payé le prix du conflit ? Était-elle orpheline comme lui ? Les autres artistes étaient-ils toujours en vie ?
-J’ai assisté à ce spectacle, annonça-t-il alors pour meubler ce silence, et j’en garde un bon souvenir.
Qu’elle ne s’attende pas à ce qu’il développe ses impressions. Il n’était pas non plus un esthète à se répandre en un long discours et à analyser les moindres détails.
La glace fondit alors un peu. Vigdis apprécia qu’il n’en demande pas plus et ne fasse. Elle sentit alors poindre une poussée de nostalgie. Comme cela il l’avait vue avant le cataclysme, lorsqu’elle portait un autre nom. Les eaux du hasard avaient ballottés et ramenés l’un vers l’autre.
Le souvenir de cette époque éveillait ses vieilles douleurs. Sa plus grande crainte restait de croiser le fer avec l’un des membres de sa troupe ou pire de l’occire par mégarde. Celle-ci avait accueilli des personnes de tout Fodlan, les frontières et préjugés y étaient abolis. La guerre avait pulvérisé leur entente. Désireux d’être réunis avec leurs familles et d’être du bon côté, les impériaux avaient fait voile vers leur terre natale. D’autres s’étaient faits sédentaires, s’abritant dans l’Alliance. Plus personne n’était en sécurité dans ce continent à feu et à sang et certainement pas des voyageurs comme eux.
N’étaient restés qu’un petit noyau, avec en son centre Vigdis et son professeur, et leur route les avait ramenés vers Faerghus.
Oui, elle affronterait peut-être un jour un ancien compagnon de route, mais n’arrivait pas à s’y préparer autrement qu’avec des phrases toutes faîtes, des “il faudra faire avec”, comme des bandages pour masquer l’inquiétude.
Que cette vie d’artiste était simple au fond ! Enfant trouvée, Vigdis n’avait pas commencé avec les meilleures cartes en main. Par chance, les artistes lui avaient offert une famille aimante et elle n’avait jamais connu la solitude et la négligence. Sa nature introvertie lui demandait certes parfois de s’isoler après l’agitation des représentations, mais elle parvenait bien à jongler entre ses responsabilités et ses envies. Les répétitions étaient exigeantes mais elle s’y pliait de bon cœur. Leur quotidien n’était bien entendu pas une balade idyllique, il leur fallait trouver des soutiens, marcher longtemps. Si certains mois étaient plus prospères que d’autres, ils n’avaient jamais connu de véritables périodes de disette. Toutes ces difficultés lui semblaient désormais dérisoires face à ses mains rougies de sang.
Pourtant, cette rude existence de guerrière lui convenait mieux. C’était ainsi qu’elle se sentait le plus utile : sur le champ de bataille à protéger ce qui lui était cher. Vigdis avait trouvé ce pourquoi elle était faîte. Sa valeur était dans sa lame et elle taillerait son chemin en ce monde à la force de son bras.
Néanmoins,  entendre que son art avait apporté un peu de joie à quelqu’un alluma une lueur en son cœur. Le givre dans ses yeux fondit et le coin de sa bouche se releva légèrement.
-Merci, je suis heureuse que vous ayez apprécié cette représentation.
Son élocution n’était plus aussi expéditive, il y sentait une certaine douceur, comme la caresse d’un rayon de lune.
Elle essayait toujours de transmettre les choses de la plus simple possible, mais les émotions étaient toujours difficiles à attraper et les mots traîtres.
“Qu’il ne me demande pas de danser, pria-t-elle intérieurement, je ne le fais que quand je veux et pour qui je veux”.
Mais il ne posa plus aucune question.
-Je vais devoir partir, ma dame m’attend, merci pour ce duel, Vigdis eut une inclinaison élégante de la tête, ce fut très instructif.
-Attendez, Felix la retint alors, vous ne m’avez toujours pas dit comment vous vous appelez.
Son regard dériva de nouveau vers le mur. Cette marque de timidité surprit de nouveau Vigdis. Peut-être comprenait-elle un peu mieux ce loup solitaire. Mais elle n’était pas Maeve, qui déchiffrait sans mal les partitions des uns et des autres.
Elle le contempla alors tête relevée, avec une assurance qui proclamait :” mais vous ne me l’avez pas demandé”.
-Je m’appelle Vigdis Auber, je suis spadassin au service de la dame Gladys de la maison Eilyn.
Elle fut tentée d’ajouter quelque chose au sujet de son service à la maison Fraldarius mais garda le silence. La question était visiblement compliquée et elle avait entendu Gladys s’en plaindre. Il se racontait que messire Rodrigue et son fils n’avaient jamais été vus ensemble. Aussi mieux valait-il ne pas mettre les pieds là-dedans.
Des vassaux de sa maison…il sentit de nouveau l’ombre de son père planer au-dessus de lui, lui demandant quand il allait enfin prendre sa décision. En tout cas, son impression était confirmée : elle était bien la fille de cet homme.
-Vous savez où me trouver si vous souhaitez vous mesurer de nouveau à moi, conclut-il alors.
Une platitude car son esprit était déjà bien occupé.
Il se séparèrent peu après. Vigdis le quitta avec une impression étrange, peu habituée à en dire autant à une personne qu’elle venait à peine de rencontrer. Mais tant pis, il ne savait pas non plus tout. Maintenant qu’il n’était plus possible de revenir en arrière, elle devait juste composer avec.
Bien que mordant, Felix apparaissait néanmoins capable de se tempérer et n’était pas imbus de son rang. Si cette impression était juste, elle plaçait leur futurs entraînements sous de bons auspices. Car Vigdis comptait bien obtenir sa victoire.
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ladyniniane · 2 years
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Sur les ailes de la colère (Fire emblem Three houses)
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Et me voici de retour avec un nouveau chapitre sur ce jeu. L’occasion pour moi d’introduire une nouvelle héroïne : Mencia (ce qui nous fait 5 OCs pour cette histoire, je ne suis pas raisonnable. Du coup est-ce que l’histoire devrait maintenant être surnommée “5 mariages et 1 enterrement” ? ). Cette dernière nous permettra de suivre les événements du point de vue de l’Alliance.
Une fois de plus, tout cela ne tient pas compte de 3 Nopes. Il y un petit bonus à la suite de ce chapitre.
Bonne lecture, j’espère que ça te plaira @lilias42​.
La douleur était une lame chauffée à blanc, sans cesse retournée dans la plaie.
Tout se résumait pour Mencia à ce gouffre béant d’où jaillissait le flot vermeil. Il lui semblait que sa peau allait se déchirer à chaque respiration, que sa mâchoire allait se briser à force d’être serrée. Sa gorge n’était plus qu’un désert brûlant. Impossible d’hurler ou même de gémir. 
Il y avait du sang sur elle, le sien et celui des autres, et dans ses narines l’odeur de la mort. Le fluide, épais et chaud, s’était répandu sur son épiderme, dans ses cheveux. Ses dents étaient rougies et palais saturé de ce goût de fer et de violence. Sa force s’écoulait avec lui. Un froid terrible la gagnait peu à peu, alors même que ses blessures continuaient de brûler. 
Le spectre des lames ennemies ne cessait de la tourmenter. Elle tremblait, yeux injectés de sang, doigts agrippant sa chair. Impossible de s’évanouir, le mal la maintenait éveillée. Il y avait d’autres meurtrissures, une à son bras et à sa jambe, semblait-il. Tout son corps n’était qu’un amas indistinct de souffrance. La lutte recommençait à chaque seconde : subir encore un peu, ne pas sombrer. 
Tout c’était passé si vite ! Mencia était prisonnière d’un délire fait de vagues formes noires sur fond rouge, une grande tapisserie mouvante et ardente. Elle ne savait parfois plus si elle était encore sur le champ de bataille ou à attendre. 
“Concentre-toi” s’admonesta-t-elle. Son souffle écorcha sa trachée. A côté d’elle, quelqu’un se mit à pleurer, à réclamer de l’eau. Les blessés avaient été rassemblés, attendant la venue d’un guérisseur. Mencia avait déjà reçu quelques soins sommaires mais ce n’était bien entendu pas suffisant.
Elle ignorait depuis combien de temps elle était là. Peut-être ne s’agissait-il en réalité que de quelques minutes, mais tout cela lui avait paru une éternité. La pénombre autour d’elle se faisait mouvante, un prédateur prêt à l’avaler. Que se passerait-il si personne ne venait ? Son imagination comblait les trous. Ses plaies ne risquaient-elles pas de se gangrèner sans les soins appropriés ? Y avait-il encore seulement assez de médecins ? Viendrait-on ? 
“Je n’en peux plus. ça…ça n’était pas censé se passer comme ça”, l’aveu fatal lui vint. Les armées de l’Alliance avaient fui devant l’empire. Cette issue inadmissible la sidérait. Si seulement il était possible de revenir en arrière ! De tuer avant de recevoir les coups ! Elle trouva tout au fond du gouffre une énergie féroce, désespérée, sa meilleure alliée. La jeune femme laissa alors la rage se répandre dans tout son être, empoigner la douleur. 
“Personne n’avait le droit de me faire ça”, ses pupilles se dilatèrent, “je vais revenir. Vous ne perdez rien pour attendre, vous allez voir”. Elle se le répéta encore et encore, comme pour s’en persuader, pour survivre aux vagues ardentes. 
La nuit était emplie d’un concert de lamentations et de gémissements. Vivants ou esprits ? Elle l’ignorait.
Ce fut alors qu’une guerrière apparut, encore sanglée dans sa cuirasse, Freikrugel à la main, comme une torche de la nuit. Mencia rassembla alors ses dernières forces, y voyant une chance de salut.
-Hilda, croassa-t-elle alors tandis que les flammes s’emparaient de ses muscles, que le fer transperçait sa chair.
Mais cela ne fut pas suffisant. Alors elle appela encore, de toute la force de son désir de vivre. Qu’importait si elle voyait blanc, sentait encore la balafre sur son visage s’étirer. Sa volonté triompha et elle s’accrocha à cette chance, quitte à y planter ses dents.
A son grand soulagement, Hilda l’entendit et la reconnut. Elle fit alors signe à une personne au loin. Mencia se laissa alors retomber. Enfin, la délivrance ! Des goûtes poisseuses roulaient sur son front. 
Une jeune femme dont les cheveux bleutés étaient réunis en une couronne tressée s’agenouilla alors devant elle. Elle portait elle aussi une armure de plates et avait à la ceinture un cimeterre dont le pommeau ne paraissait fait d’aucune matière connue. 
Un souffle rauque lui échappa alors tandis qu’elle tendait les mains vers l’avant, front plissé sous l’effort. La blessée remarqua combien elle était pâle, comme prête à défaillir. La magie jaillit alors des mains de la guérisseuse, lumineuse et surtout fraîche. Mencia la sentit se répandre dans ses plaies, d’abord picotement, puis glace, puis onguent…La sensation n’était ni agréable, ni désagréable, cela restait une présence étrangère qui s’emparait soudain d’elle, se glissait dans les fibres de son être. Mais rien ne pouvait de toute manière être pire que ce qu’elle venait d’endurer. 
Le saignement se tarit alors enfin. 
*
On lui avait donné quelque chose pour la faire dormir. Mencia rejoignit les profondeurs en une longue chute sans fin. Elle resta pendant des heures à rôtir sur sa couche. 
Lorsqu’elle ouvrit les paupières, la fièvre la ravageait encore, noircissait ses os. La jeune femme les referma alors, dériva de nouveau comme une barque face à un puissant courant. 
La bataille continua dans ses rêves. Elle sentit brièvement une sensation de fraîcheur, une main fugitive sur son front. 
Quand la guerrière reprit pied, elle chercha furieusement une arme à ses côtés. Une respiration sifflante lui échappa tandis qu’elle se redressait d’un seul coup. Elle était dans une tente, allongée sur un lit sommaire. D’autres blessés gisaient à ses côtés et des médecins déambulaient entre les lits. Elle tenta alors de se redresser un peu.
La réalité la rattrapa néanmoins, ses blessures la tiraillèrent violemment et tout se mit alors à gamberger, comme un bateau pris dans la tempête. Mencia ferma aussitôt les yeux et se rallongea, craignant de vomir. Un  immonde  goût pâteux emplissait sa bouche, l’odeur aigre de sa sueur la révulsait. La soif était un mal terrible à elle seule, comme si elle était restée des heures en plein soleil. Tout son corps était crispé, ses muscles tendus à l’extrême comme pris dans un étau. 
L’ayant vue remuer, un guérisseur lui apporta alors de l’eau, du bouillon et un peu de pain, puis humecta son front. Mencia n’avait pas faim, mais se força à avaler. Elle avait besoin de force. La cicatrice rappelait sa présence à chaque mouvement. Manger fut un combat, mais elle lutta férocement jusqu’à la dernière bouchée. 
Gisant de nouveau, elle laissa alors ses mains dériver. Il avait un bandage serré sur son avant-bras, un autre sur sa jambe. Elle tâta ensuite sa joue, mais ne parvint pas à en saisir la géographie sous les bandes. 
Que penserait Père lorsqu’il la verrait rentrer ainsi ? Les nouvelles iraient vite, il saurait bientôt. Mencia sentit la tristesse se masser en elle, incapable de la laisser couler. Il devait se ronger les sangs à l’heure qu’il était, regarder par la fenêtre en faisant rouler les perles du chapelet. C’était comme si sa fille avait elle-même porté ce coup meurtrier. Rien ne parviendrait jamais à dissimuler la réalité. Il ne restait plus qu’à continuer en portant le fardeau de son choix. 
La blessée ferma les yeux. Aussi abject que cela fut, il n’y avait plus rien d’autre à faire qu’attendre. Elle voulait retrouver son pégase, s’envoler et se préparer pour la prochaine offensive. Mais pour cela il lui faudrait tout d’abord guérir. La soldate se promit de se relever et de revenir plus forte. Des images lui revenaient parfois, pleines de bruit et de fureur. Elles se déposaient devant ses rétines, occultaient la réalité. Rien ne pouvait les chasser. 
Elle se souvenait désormais, revoyait les évènements avec plus de clarté, des images, des fragments s’imposaient, tranchants comme des poignards.
*
Les troupes de l’Alliance étaient prêtes, étendards dorés claquant au vent. L’empire avait pris le pont de Myrrdinn mais l’heure de la revanche avait sonné. Claude von Riegan était visible parmi les troupes, juché sur sa wyverne blanche. Le vent était favorable, Mencia était prête. Son entraînement avait fait d’elle la mort venue des cieux, celle qui frappait la première. Ce n’était que le début de son histoire. Les éclaireurs avaient rapporté que l’armée du royaume serait aussi du combat, créant une inconnue supplémentaire. 
L’assaut vint, la soldate se précipita aussitôt. Son pégase déploya ses ailes, le vent siffla à ses oreilles. En dessous, la charge de la cavalerie et des fantassins ébranlait le sol. Elle en oublia la présence des tapis brumes épars, comme autant de linceuls fantomatiques.
Mencia s’était préparée à affronter les Almyrois. Aussi ne craignait-elle pas les mâchoires des wyvernes. Lance en avant, elle s’abattit sur un cavalier impérial et le jeta à bas de sa monture. Agile, elle évita la riposte de son camarade. Fine et rapide, sa monture ne se laissait jamais surprendre. Sa détermination brûlait sans faille, la portant toujours vers les sommets. Elle allait les chasser une bonne fois pour toutes, restaurer son prestige et son rang. 
Soudain, elle que son unité était isolée. Un grand brouillard s’était levé sans prévenir, les environnant d’une épaisse prison. Leurs effectifs avaient fondu, comme si certains s’étaient perdus. Mais elle n’eut pas eu le temps de paniquer. Le sinistre battement d’ailes de la mort se fit entendre lorsqu’une troupe plus nombreuse surgit alors devant eux. 
La formation se brisa et la curée commença alors. 
Des étincelles de rage jaillirent : elle n’était pas une proie ! Mencia se précipita vers l’un d’entre eux, comptant bien profiter de la confusion ainsi générée. Elle taillada de toutes ses forces, visage déformé en un masque démoniaque, sentit sa lame déchirer la chair. Le piège se refermait hélas sur elle. S’en suivit une tornade de coups elle ne parvint pas tous à éviter. Il y eut alors la morsure soudaine de la lame, la douleur qui jaillissait soudain, presque aveuglante, et la chaleur du sang. 
La fureur de Mencia atteignit alors son zénith. Elle ouvrit son chemin à la force de son poignet, fendant leur peau, répandant à son tour leurs vies. Son état l’indifférait. Seule comptait sa survie. Voyant une interstice, elle s’y engouffra aussitôt, disparut derrière la nuée. 
Elle émergea seule, d’abord, prête à voir surgir de nouveau l’ennemi. Sa vigilance était un son paroxysme, son coeur affolé. Jetant des regards éperdus autour d’elle, Mencia aperçut alors une autre escouade de cavaliers pégases. Les signes qu’ils lui adressèrent étaient sans équivoque : il fallait se retirer, vite.
Son sang  se glaça : tout était fini. Impossible ! Son visage détruit lui rappela pourtant qu’elle devait se tirer de là si elle voulait sauver sa peau. Le reste se déroula comme dans un cauchemar, à tomber sur des unités isolées, à montrer son dos à l’ennemi. Des éclairs de magie transperçaient la brume. Elle s’accrochait de toutes ses forces aux rênes, malgré le froid qui la gagnait. Le vent griffait ses joues et sa plaie. La douleur la creusait son chemin dans sa chair, mais elle n’était que secondaire devant l’impératif. L’un de ses derniers souvenirs du combat fut Claude von Riegan, dirigeant la retraite de ses troupes, son arc étincelant comme un repère dans le brouillard. Mencia le dépassa alors, se demandant s’il serait le dernier à partir. 
*
La magicienne qui l’avait soignée revint, retira les bandes. Le contact de l’air frais sur la chair meurtrie fit frissonner Mencia. Sa main se leva d’elle-même, incapable de résister à la tentation de palper, de savoir.
-S’il vous plaît, la pria alors la guérisseuse d’une voix douce, il ne faut pas que la touchiez.
Mencia abandonna alors, retenant une grimace furieuse. Bien entendu, c’était stupide. Elle la laissa alors laver sa blessure, appliquer un peu de magie, puis les envelopper de nouveau. 
-Jusqu’à quand vais-je devoir garder ces bandages ? Apostropha la blessée, l’aigreur en bouche. 
Son état émoussait sa perception de la réalité. Seules les préoccupations les plus urgentes parvenaient à faire surface.
-Hem…, je ne pourrais pas vous le dire tout de suite, tout va dépendre de l’évolution de votre plaie. Je vous le dirai dès que possible. Mais vous êtes en bonne voie…elle n’est pas infectée. 
Sa remarque paraissait avoir éveillée une certaine timidité chez la femme aux cheveux bleutés. Bien qu’elle tentait de rendre sa voix la plus assurée possible, une certaine réserve demeurait un peu. Mencia se vit alors pour ce qu’elle était : complètement embrumée et surtout bien trop brusque.
-C’est tout à fait normal, se reprit-elle alors, je vous remercie de vous être occupée de moi ma dame…?
-Marianne von Edmund, se présenta alors son interlocutrice avec un sourire discret et malhabile. 
*
Le reste de la retraite passa alors en un étrange rêve fiévreux. Comme elle ne pouvait pas marcher, quelqu’un la porta sur son cheval. Tout ce dont elle eut souvenir fut du paysage qui défilait et de sa tête qui dodelinait. Les soldats rentraient bel et bien chez eux. 
La fièvre retomba et les sables mouvants firent place à un univers solide. Ce fut alors qu’elle reçut la visite d’Hilda :
-Contente de voir que tu reprends un peu du poil de la bête, la congratula cette dernière. 
-Je suis heureuse que tu t’en sois sortie, offrit alors Mencia.
Elle tenta un sourire mais renonça. 
-Dis-moi, reprit alors la cavalière pégase, je sais qu’on a perdu mais, qu’elle est l’ampleur de nos pertes ? Est-ce que l’Empire nous poursuit ? 
 La jeune femme avait entendu toutes sortes de choses : certains racontaient que le meneur avait été gravement blessé, voire qu’il était à l’article de la mort. Mieux valait se préparer au pire. Rien d’autre ne pouvait en effet correspondre à ce chaos indescriptible.
Hilda haussa pourtant les sourcils et eut une moue agacée :
-Ne sois pas si pessimiste enfin ! Les impériaux ont été vaincus par l’armée du royaume, ils ne risquent pas de revenir de sitôt. Quant à nos pertes, Claude a su les limiter au minimum en supervisant la retraite lui-même…il n’était pas possible que nous continuions à nous battre avec le brouillard et la confusion créée par l’empire. C’était la meilleure chose à faire. Nous rentrons pour reconstituer notre défense et mieux nous préparer à faire face. Et il est vivant bien sûr, il ne va pas se laisser abattre comme ça. 
Mencia assimila lentement toutes ces informations. Hilda avait beau se donner des apparences futiles, elle n’en demeurait pas moins particulièrement perceptive. Ainsi donc, il restait une lueur d’espoir, une possibilité de combattre. La sidération de Gronder s’estompait, elle commençait à mieux appréhender les choses.
-Je vois, c’est déjà une bonne chose si l’impératrice s’est pris une dérouillée…et le Royaume n’a aucune hostilité envers nous, conclut Mencia.
-Tout à fait, elle et ses soldats auraient pu rester chez eux plutôt que de nous faire travailler, Hilda reprit son rôle d’ingénue, d’ailleurs ça m’a surprise de te retrouver là, tu es vraiment courageuse. 
Toutes deux s’étaient en effet rencontrées bien avant leur arrivée sous les drapeaux, lorsque la mère de Mencia avait fait affaire avec la famille Goneril. Le temps avait passé et elles s’étaient retrouvées avec surprise, en armes toutes deux. Hilda ne lui avait pas posé de questions sur la disgrâce de sa famille ni semblé en tenir compte. Mencia lui en était reconnaissante. 
Elle déglutit. Hilda faisait référence à une personne qui n’existait plus. A une fille qui marchait en permanence sur des braises, apprêtée avec une robe et des bijoux choisis pour elle, restreinte, étouffée. 
-Mais tout comme toi, Hilda, riposta-t-elle, caustique, tu as bien plus de ressources que ce que tu ne laisses voir. 
Les gens voyaient peut-être au premier abord en elles de délicates demoiselles, mais c’était sans compter leurs crocs et leurs griffes. Toutes deux savaient se changer en fauves. 
*
Dans son rêve, Mencia se tint devant la porte. Les ténèbres s’étaient répandues tout autour. Il n’y avait plus que la silhouette du linteau et nulle part où aller. L’air était bloqué dans sa poitrine, la lourdeur de l'atmosphère compressait sa cage thoracique. Elle savait ce qui allait arriver et l’attente était une torture. La jeune femme rua, tenta de se réveiller, de dévier le cours du rêve. Mais celui-ci l’emporta de nouveau. 
Il lui fallut une éternité pour lever la main. Un geste si lourd de conséquences. Terrifiée parce qu’il y avait derrière, elle voulut s’enfuir, mais ses pieds restaient rivés au sol. Contre sa volonté, la rêveuse s’avança alors.
Mencia vit d’abord les pieds pâles fouetter l’air, suspendus en hauteur. Sa mère se balançait au-dessus du tabouret jeté à terre, comme une araignée au bout de son fil. La nuque brisée tressaillit, la tête bleuie remua et le cadavre parla.
Mencia sentit son âme se décomposer lentement sous l’effet de la terreur. Celle-ci la réduisit à néant, broya toute capacité de résistance. Il n’y avait plus d’armes, plus d’armure. Elle n’était plus qu’une enfant blessée à vif.
-Pathétique petite Mencia, rit alors sa mère, tu croyais que tu allais devenir une grande guerrière ? Qu’est-ce que c’était déjà ? Ah, oui. Tu voulais devenir forte, ne plus subir et frapper la première.  Regarde-toi. Tu n’es qu’un échec, incapable de réussir. Que vas-tu devenir, maintenant ? Tu es incapable de te débrouiller sans moi et tu le sais. 
Mencia toucha alors la partie gauche de son visage et rencontra le vide. Il n’y avait plus rien. Simplement le sourire du néant. 
*
La jeune femme retint un sanglot. Une envie meurtrière la traversa, elle crispa ses doigts, agrippa l’air. Encore ! Cette enfoirée était morte ! Cela faisait cinq ans ! Pourquoi en rêvait-elle toujours ? Pourquoi se retrouvait-elle incapable de répliquer ? Devrait-elle passer sa vie ainsi ? Elle n’avait pas le droit de la poursuivre comme cela. Qu’elle regrettait que sa mère ne soit pas devant elle en chair afin de pouvoir prendre sa revanche ! Mencia en bouillait, tourmentée par une fièvre nouvelle. “La prochaine fois qu’elle revient, je la forcerai à fermer son clapet. Je la tuerai. Et nous verrons alors qui est la plus forte”. Mais les mots de l’apparition demeuraient et leur lent venin faisait son office. 
*
Les jours passèrent et la guerrière fut capable de se relever seule, de marcher de plus en plus loin. Son visage restait encore occulté. Elle leva la main et nota que le rouge sur sa peau avait disparu. Il n’aurait pas dû pouvoir s’enlever…Elle songea qu’il était simplement allé là où elle ne pouvait plus le voir, incrusté sous sa peau, dans les fibres de son être. 
La jeune femme put enfin retrouver son pégase. Lorsqu’elle le vit, elle enroula ses deux bras autour de son cou et nicha sa tête dans son pelage. L’animal émit un doux bruit en réponse. Elle se laissa alors envelopper dans sa force et sa chaleur. Ensemble, ils pourraient vaincre, s’envoler loin des épreuves et du mal. 
*
Les cerfs d’or se retrouvèrent au coin du feu. Le camp commençait doucement à reprendre vie. Une planche calée sur ses genoux, Ignatz scrutait ses camarades. Hilda bavardait pour tromper l’attente, Raphaël s’empiffrait avec voracité, Marianne les regardait, rassurée par leur proximité, et Léonie entretenait ses armes. Ses souvenirs de guerre s’emparaient parfois de ses mains, comme pour exorciser ce qu’il avait vu, mais il tentait de revenir à quelque chose de lumineux, de familier. Cela ne servirait sans doute à rien, cette esquisse ne serait jamais qu’une parmi tant d’autres, remisée dans un coffre, mais au moins garderait-il un souvenir de la force de ses amis. Le peintre n’avait jamais demandé à être là, mais consentait à rester pour eux.
Il vit alors Hilda faire signe à quelqu’un et l’inviter à les rejoindre. Une femme de leur âge s’approcha alors et vint s’assoir avec eux. 
-Je suis Mencia Ordelaffi, se présenta alors l’intéressée, enchantée.
-Une vraie dure à cuire ! Compléta alors Hilda. 
La nouvelle venue s’était exprimée à voix basse, les lèvres serrées. Ignatz comprit que sa blessure devait sans doute la gêner. Il la contempla alors avec le regard de l’artiste. Chaque visage était intéressant, car il recelait une personnalité, une histoire. Un peu plus grande qu’Hilda, la jeune femme devait faire à peu près la taille de Marianne. Sa silhouette était athlétique. Le visage ovale, bien que le menton un peu pointu, elle avait un nez délicat, un cou gracieux et un port de tête impérieux. Son regard yeux pers étaient vifs, acérés, leur forme régulière et bien esquissée. Une épaisse chevelure d’un blond doré, chaleureux, lui faisait une crinière léonine. Un ensemble digne de figurer dans un grand hôtel particulier.
Le contrecoup de la guerre se faisait néanmoins sentir, des cernes tranchaient sur sa peau comme des hématomes, les ombres sur ses traits les faisaient apparaître creusés. Son teint était par ailleurs spectral,  faisant ressortir la couleur de ses lèvres d’une manière encore plus vive et violente. Un rictus les tordait par ailleurs, comme sous l’impulsion d’une souffrance permanente. Elle se tenait d’ailleurs ramassée sur elle-même, prête et partir ou à se défendre. Sa main n’était jamais bien loin de sa dague ou de son épée. 
Mencia nota de son côté les prénoms de chacun, cela pourrait lui être utile. Elle devait admettre que cela faisait du bien de se retrouver entourée dans un cercle comme celui-là. Derrière elle, quelqu’un se mit à chanter :
A l’époque où Lambert
De Faerghus était le roi
Dominique notre père
Combattit les Almyrois…
-Pitié pas ça, pesta Léonie, on l’a toujours dans la tête ensuite.
-Moi j’aime bien, rétorqua Raphaël, ça me donne de l’énergie. 
Il ne manquait en effet plus que les Almyrois pour aggraver encore plus la situation. C’était d’ailleurs très étrange qu’ils se soient tenus si calmes dernièrement…mais aucune attaque majeure n’était à déplorer. Mencia s’était toujours demandé à quoi elle allait avoir droit en premier : leurs voisins ou l’empire ? Elle avait penché pour la première option. Pourtant, la réalité s’était amplement moquée de ses attentes. 
Les gens disaient que les Almyrois étaient des sauvages qui vénéraient le feu. Sauf qu’ils n’étaient pas des bêtes, juste des gens, et leur foi était beaucoup plus complexe. L’Alliance avait également ses tords. La mère de Mencia avait eu une “servante” Almyroise avant que son époux ne l’aide à s’échapper et à rentrer chez elle. 
Cela ne signifiait pas pour autant que l’on pouvait pour autant s’entendre avec eux. Son père en rêvait en s’extasiant sur leur poésie. Le passif entre les deux nations était bien trop lourd pour être oublié en un tour de main. Aucune des deux n’y était de toute manière disposée. Almyra reviendrait sans doute bientôt pour montrer sa force, provoquer les Goneril en une bravade inutile. Tout ce qui comptait était de les repousser, encore et encore, jusqu’à un jour peut-être remporter une victoire décisive. Si Mencia parlait leur langue, c’était pour mieux connaître l’ennemi. Rien de plus. 
Les grattements de la mine d’Ignatz sur le papier l’attirèrent alors et la cavalière osa jeter un coup d’oeil par-dessus son épaule. Voir ainsi le groupe prendre vie l’apaisait, les formes devenaient des silhouettes, les visages se paraient d’expressions très réelles. Aussi se laissa-t-elle captiver par le processus.
-J’aime bien ce que vous dessinez, complimenta-t-elle alors, c’est ressemblant. 
-Merci ! S’exclama alors Ignatz, yeux brillants derrière ses lunettes, souhaitez-vous que je vous ajoute au groupe ? 
-Merci, mais je ne préfère pas, objecta-t-elle alors un peu sèchement. 
Mencia ne désirait pas être immortalisée avec cette sale tronche, que son papier garde le souvenir de cette douleur. Remettre son image entre les mains d’un inconnu ne lui rappelait guère de bons souvenirs. 
-Je comprends tout à fait, répondit Ignatz avec le même air affable. 
-Tu nous dessine ? Hilda attrapa alors la conversation au vol, fais voir !
Tout le monde se rapprocha alors de l’artiste et y alla de son commentaire. L'atmosphère s’anima alors un peu. Mencia suivit le processus avec plaisir, voyant à quel point les esquisses d’Ignatz étaient ressemblantes. Ce fut donc avec des compliments que la jeune femme prit congés du dessinateur. 
*
Mencia rejoignit les autres soldats pour écouter le discours de Claude. Il s’était visiblement remis au point de pouvoir marcher sans assistance et leur fit face, arc en main. Derrière lui se trouvaient Hilda, revêtue de son armure et flanquée de Valkyries de Goneril, et Judith, l’héroïne de Daphnel. La présence de cette dernière fit naître quelques murmures admiratifs.
Claude marqua alors un instant de silence. “Il cherche ses forces pour parler” comprit alors Mencia. Quelle était la part de vérité dans les rumeurs qu’elle avait entendues ?
-Soldats, commença-t-il alors et sa voix porta dès le début, je connais et comprends vos inquiétudes, votre douleur, votre désarroi. Vous m’avez suivi pour défendre l’Alliance, vous avec survécu à cette terrible bataille. Nous espérions porter un coup fatal à l’Empire mais le brouillard s’est retourné contre nous.
Elle n’enviait pas sa situation. Bien sûr que les gens doutaient de lui, il n’avait pas su empêcher la prise du pont de Myrddinn et sa riposte avait tourné court.
-Cependant, je vous demande de ne pas perdre espoir, asséna alors Claude, j’ai dû prendre une décision difficile et ordonner notre retraite. Mais c’était la seule chose à faire car les circonstances ne nous étaient pas favorables. Mieux valait reconstruire nos forces et attendre une occasion propice. Nous retournons chez nous, sur un terrain que nous connaissons, sur des terres qui nous sont chères. L’Empire a subi un terrible revers aux mains du Royaume. Nous avons encore une chance de résister et de vaincre. Mais pour cela, il faut que nous restions unis. 
Mencia ne put retenir un hochement de tête. Son aisance oratoire était indéniable. Il était facile de comprendre comment il avait pu maintenir l’Alliance neutre et unie pendant tout ce temps. 
-Durant ces cinq ans, j’ai protégé nos terres, rappela-t-il alors, j’ai fait en sorte que nous présentions un front uni dans un continent qui se déchirait. Et je continuerai à me battre, car il en va de ma responsabilité en tant que Grand Duc. Il en va de mon rêve de paix. Je me suis tenu à vos côtés à Gronder et je continuerai d’affronter tous les dangers avec vous, les termina-t-il avec une flamme et une conviction solaires, jaillies des tréfonds de son être.
La cavalière pégase sentit l’atmosphère changer, tous ne regardaient plus que Claude. Elle avait été témoin de sa férocité sur le champ de bataille, du courage dont il avait fait preuve en partant parmi les derniers. Et, bien que blessé et souffrant sans doute le martyre, il se tenait devant eux aujourd’hui. 
-Et je ne suis pas seul ! Judith de la maison Daphnel est à mes côtés, Holst de la maison Goneril tient toujours les gorges de Fodlan. Sa maison est prête à combattre !
Judith eut un sourire entendu. Hilda planta alors sa hache au sol, féroce gardienne. Ses soldates l’imitèrent aussitôt. Quelques acclamations s’échappèrent alors, scandant le nom des deux femmes. 
-C’est notre force à nous tous, termina-t-il alors, notre Alliance est née d’un rêve d’union, d’une vision commune. Ni le Royaume, ni l’Empire n’ont pu nous empêcher de tracer notre propre voie. C’est ensemble que nous sommes forts. Nous séparer solderait notre perte. Luttons ensemble jusqu’au dernier souffle ! Longue vie à l’Alliance.
Claude leva alors son arc bien haut. Mencia le vit chanceler un instant, mais cela ne dura pas. Et il resta ainsi, promettant de les guider à travers la tourmente. Elle sentit alors la puissance de la vague se masser, puis la déferlante. Une grande force s’emparait soudain de l’assemblée, comme s’ils prenaient conscience de leur masse, de leur tout. Une énergie qui galvanisait, faisait se sentir fort, invincible. Il y avait encore des cœurs vaillants, des bras vigoureux pour repousser l’ennemi. La survie passerait par leur entente. Claude avait su faire appel à leur fierté, leur donner la force de redresser la tête. 
Les vivats retentirent alors comme un tonnerre. Elle ne s’y joignit pas, mais leva elle aussi sa lance. Que pouvait-elle faire d’autre ? La jeune femme savait qu’elle pouvait avoir tous les doutes qu’elle voulait sur Claude, son pessimisme pouvait trouver toutes les fautes du monde à ressasser mais qui d’autre pouvait les mener ? Aucun chef plus compétent n’avait su émerger. Il avait su asseoir son autorité à la table ronde et les deux maisons les plus puissantes militairement de l’Alliance le suivaient. Il n’y avait plus qu’à attendre la prochaine confrontation avec l’empire. 
*
Mencia retint un frisson d’impatience, lorsque Marianne retira les bandes. La magicienne l’inspecta un instant avant de conclure, douce mais solennelle :
-Vous n’en aurez plus besoin. 
Elle se tut alors et la tristesse fugitive sur son visage n’échappa pas à Mencia. A quoi ressemblait-elle donc ? Ses doigts parcoururent enfin la peau trop fine, la crevasse à peine recouverte. Son cœur se mit aussitôt à battre tambour tandis qu’elle appréhendait, fébrile, les nouveaux contours. La blessure avait pendant tout ce temps été à la fois une abstraction et une réalité constante pour elle. Aujourd’hui, elle deviendrait une partie de sa vie. Mencia allait contempler son nouveau visage. 
-Hilda, appela-t-elle alors, je sais que tu as un miroir. Donne-le moi s’il te plaît. 
La guerrière avait prononcé ces mots avec une telle fermeté, une telle force, qu’il était impossible de lui refuser. L’orage était dans sa voix, dans son regard, lui donnait l’aura d’une générale ou d’une reine. Regardant droit devant elle, tête relevée, elle affrontait l’épreuve sans laisser transparaître une once de crainte.
Marianne jeta un regard hésitant à son amie, comme pour lui dire qu’il ne fallait peut-être pas, qu’il était encore trop tôt. Mais la guerrière secoua la tête d’un air déterminé. Il ne servirait à rien de retarder l’échéance.
Elle le lui remit donc et Mencia se vit. 
Deux grandes balafres croisées meurtrissaient le côté gauche de son visage. L’une allait du  bas son œil à son menton, l’autre la coupait en diagonale, effleurant presque le coin de sa bouche. Une plaie plus fine et pâle marquait l’arrête de son nez. Le reste était intact. La peau, encore trop fine, se tendait pour combler la faille. Les limites de l’ensemble étaient mal définies, sa teinte encore rosée, boursouflée.
Mencia sentit alors sa respiration ralentir, les battements de son cœur s'espacèrent. C’était comme un uppercut en pleine mâchoire. La sidération la maintenait immobile. Ce reflet était celui d’une étrangère. La jeune femme peinait à comprendre, à admettre qu’il s’agissait bien d’elle.
Était-elle censée pleurer, crier, dire quelque chose ? Elle se retrouvait prisonnière de cette contemplation sans parvenir à s’en extraire. 
Quelque chose remonta alors, brisa cette torpeur, comme un réflexe. Parce qu’il fallait bien réagir, briser l’inertie. Une pensée s’imposa alors au milieu de toutes : 
“Eh bien mère ! C’est donc ça le visage que tu voulais montrer à toutes les grandes maisons, jusqu’à celle des Riegan !”
Elle éclata alors de rire. C’était un réflexe de défense, de rejet absolu. Parce qu’elle n’avait que cela face à la douleur. Mencia se retrouva alors transportée, comme possédée, incapable de le contenir. La jeune femme s’abandonna alors complètement, capitula devant toute la pression accumulée.
Elle se ramassa alors sur elle-même, son corps tressautait en laissant échapper des sons entre hilarité et sanglots. Chacun d’entre eux fut un coup de poignard dans ses entrailles, réveilla la plaie. C’était une fièvre nouvelle, dévorante.
Elle vit alors dans le reflet Marianne esquisser un mouvement de recul et Hilda s’approcher d’elle. Ce fut ce qui la ramena à la réalité. Elle cessa alors, même si ses épaules tremblaient encore, que sa gorge la lançait et son visage aussi. 
“Personne n’a le droit de me faire ça. Ils ne gagneront pas, ils ne m’abattront pas. Je m’en sortirai”. La juste indignation, violente, féroce, lui prêta alors sa force, l’aida à se relever. 
La blessée put alors se regarder de nouveau, avec plus de détachement cette fois. Ainsi la guerre l’avait-elle marquée de ses griffes. Ce jour de colère resterait à jamais prisonnier de sa peau. Elle se souviendrait de Gronder à chaque fois qu’elle poserait les yeux dessus, la sentirait sous ses doigts. Le baptême avait bien eu lieu, la marquant à jamais. Elle était une vraie guerrière, désormais. 
L’acceptation commença alors à faire son chemin, les remous de son esprit se calmèrent. Ce visage n’était toujours pas le sien, mais elle avait d’autres préoccupations plus urgentes à gérer. Un jour, peut-être, le reconnaîtrait-elle pleinement.
-Merci Hilda, déclara-t-elle d’un ton égal, en pleine possession de ses moyens, j’aimerais rester un peu seule. 
*
Mencia s’avança jusqu’au seuil de sa tente. Le camp se réveillait peu à peu autour d’elle. Par réflexe, elle toucha de nouveau sa joue, sentit la nouvelle peau sur ses doigts. Elle se souvint avant de toutes les fois où elle était tombée avant de se relever. Son entraînement n’avait été fait que de cela. Mais elle était revenue à la charge, malgré l’échec, malgré les coups reçus. 
Parce qu’elle avait choisi de prendre en main son destin, de prendre sa revanche sur l’existence. Et elle avait continué, jusqu’à ce que les armes n’aient plus de secret pour elle. Son apparence ne l’empêcherait pas de tracer sa route. 
Le feu brûlait toujours, lui prêtant sa force. Elle refusait de laisser la peur gagner. Mencia se tourna alors vers l’horizon, d’où viendraient sans doute bientôt les troupes ennemies.
“Venez si vous le souhaitez, je vous le ferai regretter. Je protégerai mon père et l’Alliance. Plutôt crever que de plier l’échine devant vous”. 
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Voici maintenant le bonus ! Il se passe...bien après les événements de ce chapitre (quelque part avant que Dimitri ne vienne au secours de Deirdriu ?). J’ai écris ça en réaction directe au massacre de Claude dans 3Nopes. ça ne correspond peut-être pas complètement à ce qu’il y a dans le jeu mais je l’ai écrit en me basant sur les premiers leaks, forcément incomplets. 
Shirin est la demi-sœur de Claude. Plus âgée que lui, redoutable guerrière, elle est son adversaire le plus sérieux pour le trône d’Almyra.
Lorsque Claude eut fini de se préparer, il trouva Mencia devant le miroir. Cette vision faisait désormais partie de son quotidien. Il trouvait une certaine sérénité à la voir faire, dans la fermeté résolue de ses gestes. Droite comme une reine, elle contemplait son reflet, la tempête contenue dans son regard. Belle et terrible, ses doigts habiles pliaient les fils d’or, les façonnaient en tresses.
-Je suis prête, annonça-t-elle alors, on y va ? 
*
Inspirer, expirer, laisser filer les pensées parasites comme autant de nuages sans chercher à la retenir. Le passé et le futur n’existaient pas. Seul comptait le présent. Mencia avait découvert la méditation grâce à Claude. Elle avait alors décidé de se joindre à lui. Après tout, cela ne pouvait pas faire de mal. Les effets bénéfiques commençaient à se faire sentir, elle parvenait mieux à canaliser le bouillonnement de ses pensées. Cela l’aidait à faire le vide avant une journée chargée. 
La séance prit fin. La lumière matinale se faisait timide. Des nuages se massaient à l’horizon et la fenêtre laissait entrer un agréable air frais. La pluie serait sans doute au rendez-vous.
-Voilà qui fait du bien, commenta Claude avec sa désinvolture habituelle, j’ai fait un étrange rêve cette nuit…
-Les rêves sont parfois stupides, pesta Mencia. 
-J’espère que ta mère n’est pas encore revenue, s’inquiéta alors son compagnon, le regard empli de tendresse.
-Non, elle m’a laissée tranquille dernièrement, Mencia eut un hochement de tête satisfait. 
Les entraves du passé se défaisaient peu à peu. Il fallait dire qu’elle se sentait en sécurité avec Claude. Même lorsqu’elle se réveillait en sursaut, sa respiration calme et régulière la ramenait à la réalité. Il y avait aussi sa main sur sa hanche, dans ses cheveux, chassant tous les soucis, la quiétude de leur intimité. 
Doux comme la brise, il embrassa alors son front, puis son nez avant de se poser sur ses lèvres. Mencia ne se lassait jamais de l’adoration dans ses yeux, comme si elle était infiniment précieuse, remarquable. 
Elle noua alors ses deux bras dans son cou, le rapprochant d’elle. Ses doigts affectueux plongèrent dans ses cheveux. Elle voulait qu’il sache combien il lui était cher, qu’elle resterait à ses côtés quoi qu’il arrive. 
-Tu peux me raconter si tu veux, offrit la cavalière pégase lorsqu’ils se séparèrent. 
Le pouce hâlé de Claude vint dessiner le contour de sa joue rosie par leur élan. Se confier à elle lui semblait désormais naturel. Il savait qu’elle l’écouterait, comme il le ferait toujours en retour. 
-C’était à propos d’Edelgard, commença-t-il en secouant la tête d’un air un peu navré, l’Alliance était très en difficulté et elle me proposait..de la rejoindre pour attaquer le Royaume et tuer l’archevêque, un sourire naquit malgré lui sur ses lèvres, c’est tellement absurde dit comme ça.
-C’est bien le genre de choses qu’elle pourrait faire dans son arrogance, en pensant que tu vas ramper à ses pieds. Sauf qu’elle ne te connait pas bien, conclut Mencia. 
-Ah ça, elle n’avait de cesse de me sous-estimer lorsque nous étions à l’académie. Elle pense être la seule à savoir comment fonctionne le monde. Je suis loin de tout savoir, il songea notamment à sa conversation avec Cyril, mais j’ai compris qu’il fallait écouter les autres. 
L’attitude de Claude s’affermit alors, il ne plaisantait plus. Elle avait devant lui l’ambitieux, le meneur qui ne renoncerait jamais à son rêve. 
-Je ne travaillerai jamais avec elle parce que je ne partage pas ses méthodes. Je n’envahirai jamais une nation neutre et indépendante. Je veux que nous puissions tous exister ensemble, pas refaire le continent à mon image. Une femme qui sacrifie tant d’innocents au nom de ses idéaux ne sera jamais mon alliée. 
Même dans ces moments, il ne perdait rien de son calme, de sa lumière. Mencia crut presque que le soleil était de retour alors que l’horizon restait maussade. 
-C’est pour cela que nous te suivons tous. Je ne pourrai jamais la rejoindre, déclara-t-elle en relevant impérieusement la tête, lèvres serrées en une ligne ferme. 
Puis elle ajouta, rivant ses yeux inquisiteurs aux siens :
-Et l’archevêque ? 
-Je n’avais pas une bonne opinion d’elle du temps de mes études, avoua Claude sans ambages, mais maintenant j’aimerais parler avec elle si j’en ai l’occasion. Afin de la comprendre. 
“Tout comme j’aimerais pouvoir le faire avec Shirin à mon retour. Mais je doute très fortement qu’elle accepte”. 
-Je n’ai pas l’impression que ce soit une mauvaise personne, j’ai toujours entendu qu’elle accueillait les blessés et des orphelins, qu’elle respectait les autres religions et cultures dans son académie et se prononçait contre un mauvais usage des emblèmes. Elle a sans doute dû prendre des décisions difficiles, mais qui d’entre nous ne l’a pas fait ? Asséna alors Mencia. 
-Je ne dirai jamais le contraire. Mais pour ça, il faudrait d’abord que nous la retrouvions en vie Et nous avons d’abord l’Empire à affronter…mais je ne crains rien, ses yeux étincelèrent de nouveau, parce que tu es avec moi, termina-t-il en lui décochant un clin d’œil. 
Mencia sentit le sourire naître sur ses lèvres, mais ne fit rien pour le contenir. Elle se sentait légère, comme si des ailes venaient de lui pousser. Qu’importait si sa cicatrice se creusait, qu’elle offrait un spectacle que d’autres auraient jugé grotesque. Claude la rendait heureuse et elle voulait qu’il le voie. 
Elle lui tendit la main et leurs doigts s’entremêlèrent. Ils firent alors face à l’horizon, prêts à s’envoler, portés par la force de leur lien. 
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ladyniniane · 2 years
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Chansons et sortilèges (Fire Emblem)
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Il y a quelque temps (dans une galaxie lointaine) j’avais publié un chapitre centré sur Maeve, la magicienne. Elle revient aujourd’hui et retrouve des personnages bien connus avec au programme du thé et des fleurs. 
Si vous voulez vous rafraîchir la mémoire ou que vous venez de découvrir ce billet, vous trouverez tout le reste ici. 
J’en profite également pour préciser que cette histoire de tiendra pas compte de Fire Emblem Three Hopes puisque j’ai commencé à imaginer tout ça avant sa sortie. Donc il y aura bien entendu des contradictions entre les deux. 
(Et je tague bien sûr @lilias42​). Bonne lecture !
Maeve se présenta légèrement de côté à son adversaire, fléchit les jambes, testa ses appuis. Un petit groupe s’était massé sur les bords du terrain pour voir les magiciens s’entraîner à l’auto-défense, comme s’il s’agissait d’un divertissement exotique. Elle l’ignora.
L’instructeur annonça le début de l’exercice. Imbaud frappa aussitôt mais elle saisit son poignet au vol et le tordit, retourna sa force et son élan contre lui. Il chancela et elle fut sur lui en un instant, stylet tiré, plaqué contre la gorge. Son regard n’exprimait plus qu’une froide détermination, la concentration tordait ses lèvres. Elle connaissait la suite : trancher la veine d’un coup précis pour une mort rapide.
-Imbaud est mort. Maeve vit, le maître d’armes sonna le glas, concluant l’affrontement.
-Eh bien, j’ignorais que tu savais faire ça ! S’exclama son camarade avec un petit rire forcé.
Presque tangible, son malaise se réverbèra en elle. Érudit connaissant un peu de magie, Imbaud avait rejoint les troupes depuis peu. Il avait dû être surpris de voir sa camarade se métamorphoser ainsi, se demander si elle aurait été capable d’aller jusqu’au bout.
Aussi reprit-elle son visage amène :
-J’ai appris avec des proches. Tu verras, tu y arriveras toi aussi avec de l’entraînement, l’encouragea-t-elle.
Imbaud saurait de quoi il était fait lorsque le moment viendrait. Certains prétendaient qu’il était plus aisé de tuer à distance avec la magie qu’avec une lame. Certes, l’on ne sentait pas le métal s’enfoncer dans la chair, l’on avait pas de sang sur les doigts et devinait moins bien le visage de la victime. Mais l’ignominie demeurait dans tous les cas.
Dans ces moments-là, elle sentait la tristesse s’abattre sur elle comme un brouillard humide, voyait l’obscurité grouiller dans les tréfonds de son esprit. Ses cicatrices suintaient de l’inquiétude de l’après. Mais la tempête avait beau être violente, la nuit sombre, le brasier cruel, elle n’abandonnerait jamais jamais ses amies. Comme sa mère qui était morte debout, Maeve lutterait jusqu’au dernier souffle.
*
La lumière déchirant les ténèbres. Le soleil impitoyable aveuglant à son zénith. Maeve laissa l’intention façonner la magie. L’énergie fourmilla, remonta le long de son bras. Main levée, elle libéra la sphère lumineuse, comme une note puissante, jaillie des tréfonds de son être, un chant de défiance.
Le séraphin atteignit sa cible. Elle se prépara aussitôt à la prochaine frappe. Le pouvoir se faisait à chaque fois plus insaisissable, elle devait descendre un peu plus dans les tréfonds de son être, empoigner l’astre.
Améliorer sa vitesse de lancer était capital pour mieux faire face aux bêtes démoniaques. Sa première confrontation avec l’une de ces abominations demeurait gravée dans sa mémoire.
Une silhouette titanesque avait soudain ébranlé le pont de Myrrdinn, avalant la distance de ses larges foulées, gueule bardée de dents comme des poignards. Sa patte griffue s’était abattue, balayant les soldats comme des brindilles. La magicienne avait senti ses jambes se figer, se liquéfier. Mais comme toujours, l’instinct de survie avait repris le dessus en un cri à la face de la mort. Elle avait alors fait pleuvoir la destruction sur l’abomination, rejointe par les autres jeteurs de sorts et les flèches de Gladys et Amalia.
Quand la chose était tombée, tout son corps s’était défait dans une immonde vapeur noirâtre. Là où elle s’était tenue, ne se trouvait plus qu’un corps humain recouvert de blessures béantes, le visage carbonisé et méconnaissable.
Maeve avait failli rendre le contenu de son estomac. Mais elle avait continué, malgré les contractions, la brûlure dans son œsophage, comme mue par une force supérieure. Parce que la bataille n’était pas encore terminée, que l’on avait encore besoin d’elle. Une part d’elle refusait pourtant d’oublier cette horreur. La scène était longtemps restée gravée sur ses rétines au moment de s’endormir.
Parfois, quand son esprit dérivait, des larmes lui montaient aux yeux en songeant au sort de ces gens, à l’horreur pure de perdre son libre arbitre. Elle tremblait en s’imaginant la terreur de leurs derniers instants. Du temps avait passé depuis, elle avait repris des forces. Ces atrocités étaient une raison de plus de s’opposer à l’empire. La seule libération possible pour les victimes de cette malédiction était la mort.
Annette passa derrière elle, l’aida à corriger sa posture, à mieux gérer le flux. Sa camarade restait positive, glissant toujours un mot d’encouragement. Maeve songea alors que sa sœur d’armes ferait un excellent professeur de magie.
La jeune femme admirait Annette pour ses talents et sa polyvalence. Cette dernière était en effet une puissante attaquante doublée d’une soigneuse efficace. Maeve ne pouvait en dire autant. Son pouvoir était semblable au feu d’Ailell, une masse grondante, se prêtant volontiers à la destruction. Elle était incapable de soigner autre chose que des blessures bégnines et le faisait laborieusement. Il fallait contraindre l’énergie, la forcer à changer de nature. Maître Hermelin l’avait d’ailleurs incitée à ne pas perdre son temps en s’acharnant.
Dans ses plus sombres envolées, elle redoutait de voir un de ses camarades mourir entre ses mains impuissantes. C’était pour cela qu’elle avait décidé d’apprendre des gestes de premiers secours : bander une plaie, poser un garrot, arrêter une hémorragie…des choses qui pouvaient sauver une vie en attendant l’arrivée d’un guérisseur compétent. Gladys s’était volontiers prêtée au jeu, lui donnant même des conseils et partageant son expérience.
Une fois l’entraînement terminé, Annette s’approcha d’elle :
-Dis-moi, j’aurais un petit service à te demander. Tu es déjà allée à la serre ? Maeve hocha vivement la tête, donc tu sais comment elle fonctionne. On a besoin de recharger le dispositif. Est-ce que tu pourrais t’en charger avec moi ? Tout ce dont il y a besoin c’est d’énergie brute. L’installation se charge de tout transformer ensuite. Je te montrerai comment on procède, mais tu vas voir, c’est tout simple.
-Pas de soucis, approuva aussitôt la jeune femme, quand est-ce que tu veux que je te retrouve là-bas ?
-Demain matin aux premières heures si ça te va. Merci beaucoup en tout cas, le visage d’Annette s’éclaira, j’aurais bien demandé à Mercie mais elle a encore besoin de toutes ses forces pour soigner. Alors c’est tant mieux que tu puisses me donner un coup de main.
-C’est noté dans ce cas, à demain matin !
*
Le jour effleurait les toits de Garreg Mach lorsque Maeve la retrouva. Le fond de l’air était encore frais et elle s’était enveloppée dans sa cape.
-Bonjour, la rousse la salua d’un grand signe de la main, j’espère que tu as passé une bonne nuit ! Allons-y tout de suite comme ça ce sera fait. Il y aura une surprise ensuite, ajouta-t-elle avec un clin d'œil.
-Je suis prête et j’ai hâte de savoir ce que c’est, renchérit Maeve, une lueur dans le regard.
Annette et elle avaient cela en commun : elles souriaient face à l’adversité, c’était leur manière de survivre, de garder la face et de ne pas laisser les ombres gagner.
Sa camarade n’avait pas menti. L’exercice demandait une certaine concentration, mais ne recelait aucune difficulté notoire. Elle se contenta de guider l’énergie pure sans chercher à la sculpter. L’air autour d’elle crépitait de magie. Leurs expressions se faisaient parfois relâchées, tantôt tendues sous l’effort.
-Pfiou ! Voilà qui nous fait commencer la journée du bon pied, commenta Annette, merci encore pour ton aide.
-Ce n’est rien, Maeve eut un doux sourire, j’aime beaucoup cet endroit.
-Viens maintenant, l’invita sa sœur d’armes, je vais te montrer la surprise.
Maeve la suivit alors vers les jardins, elles bifurquèrent ensuite entre deux haies. Cette petite expédition prenait des allures de jeu, un intermède bienvenu avant le retour à la réalité.
Elles débouchèrent alors sur un grand espace vert où se trouvait un kiosque et des tables abandonnées là. Sans doute les étudiants y venaient-ils autrefois pour prendre le thé, déguster des pâtisseries et bavarder avec leurs camarades. Aujourd’hui, ces dernières n’étaient plus que les vestiges d’une vie révolue, leur présence paraissait presque incongrue.
Une agréable odeur de biscuits encore chauds lui chatouilla alors les narines. Dedue les attendait devant une assiette de douceurs et une bouilloire fumante. Était-ce la surprise ? Si c’était le cas, elle valait en effet amplement le coup.
-Et voilà, Annette tendit le bras, un petit remontant ! Je te présente mon camarade de maison, Dedue Molinaro.
-Ravie de vous revoir, salua Maeve avec chaleur.
-Moi de même, offrit-il alors, toujours avec la même concision.
Elle put sentir sa sincérité sous son stoïcisme, c’était dit avec suffisamment de conviction. Voir qu’il gardait comme elle un souvenir positif de leur rencontre la soulagea.
-Oh, vous vous connaissez déjà, constata Annette avec surprise, c’est parfait dans ce cas.
-Oui, nous nous sommes croisés dans la serre, l’informa alors Maeve.
-Je vois, la rousse eut un petit sourire entendu, Dedue est un excellent cuisinier et prépare les plats de son altesse, je lui ai demandé s’il pouvait nous en faire un peu plus histoire que nous puissions avoir un petit remontant avant de commencer.
Maeve en fut impressionnée car ses propres compétences culinaires étaient particulièrement limitées. Elle était heureuse d’avoir un peu de diversité par rapport aux repas du réfectoire. La jeune femme savait qu’elle n’avait pas le droit de se plaindre. En campagne, l’on mangeait ce qu’il y avait et l’on s’estimait heureux d’avoir une assiette remplie. Mais parfois, elle salivait en songeant à de délicieuses recettes d’autrefois, pleines de couleur et de variété. Notamment cette fois où sa mère avait réussi à mettre la main sur un livre de cuisine de l’Alliance et l’avait embarquée pour un voyage gustatif dans son pays natal. Cependant, tout cela avait eu lieu dans une autre vie et elle se demandait s’il ne s’agissait pas d’un mirage.
-Je vous laisse en profiter, annonça alors Dedue, bon courage pour l’entraînement.
Bien que légère, sous-jacente, sa bienveillance restait perceptible.
-Attendez, lança alors Maeve, puisque vous les avez gentiment préparés pour nous, il serait injuste que nous ne partagions pas. Vous pouvez vous joindre à nous si vous le souhaitez.
-C’est vrai, restez avec nous, renchérit Annette, cela fait toujours du bien de prendre un peu de temps pour soi.
Dedue opina de la tête et s’empara alors d’une chaise pour les rejoindre.
Maeve servit alors le thé avec la grâce et les inflexions d’une femme d’illustre lignée. Il vit lorsqu’elle s’empara du gâteau que ses manières de table étaient impeccables. Tant de petits détails futiles pour lesquels l’on avait pas hésité à le rabaisser à son arrivée à Fhirdiad et au monastère.
Il s’interrogea néanmoins sur son identité. A quelle maison appartenait-elle ? Son équipement ne trahissait aucun prestige particulier. Était-elle étrangère ? Une noble du royaume aurait sans doute été plus encline à se montrer hostile envers lui. Des exceptions existaient bien entendu, mais l’habitude restait coriace.
Maeve porta alors un biscuit à sa bouche et son visage s’éclaira, chassant la fatigue et le souci. Elle ressemblait presque à cet instant à une personne ordinaire, savourant simplement un repas avec des proches plutôt qu’à une militaire volant un instant de normalité avant de s’entraîner de nouveau à tuer.
Un élan de satisfaction gonfla alors le cœur du Duscurien. Il n’y avait pas de plus belle réussite pour un cuisinier que de faire naître un sourire. Il connaissait ses limites, il n’était guère éloquent mais compensait en prenant ainsi soin de ses camarades. Mais il y avait aussi une part de magie, quelque chose qui relevait du mystère. Voir l’expression de Maeve, les lumières dansantes dans ses yeux sombres, lui faisait l’effet d’un rayon de soleil.
-C’est délicieux, merci beaucoup ! S’exclama alors la musicienne tandis qu’Annette approuvait.
Emportées par la spontanéité de l’instant, les deux femmes échangèrent alors quelques banalités sur leurs affectations, le monastère et la vie militaire. Dedue se sentit alors partir, se dissocier étrangement. Il restait conscient de la tasse dans sa main, de l’odeur du thé, mais les frontières du temps se brouillèrent un instant.
Le sortilège de ces voix féminines dans l’air du matin, le ramena dans son jardin, dans une maison qui était désormais une tombe. Il se rappela alors dresser la table avec ses parents et sa petite sœur. Le soleil était haut dans le ciel. Tous avaient bien travaillé, ils pouvaient désormais savourer les fruits de leur labeur. De gaies broderies recouvraient leurs habits, leurs bijoux étincelaient. Jamais n’aurait-il pu imaginer que tout volerait en éclat, que l’épée moissonnerait leurs vies.
Il n’en restait que des portes fracassées comme autant de bouches hurlantes à jamais. Des os polis livrés aux rapaces et aux éléments. Le néant. Dedue savait qu’il devrait vivre avec cette ombre jusqu’à la fin de ses jours, condamné à sentir la main fantomatique de sa cadette dans la sienne.
Entre la tragédie et les événements des cinq dernières années, c’était comme si son existence n’était plus qu’une suite ininterrompue d’ombres et de sang. Il se demandait parfois s’il existait autre chose que la guerre et le devoir, peinait à différencier le rêve de la réalité. Ces brefs instants de bonheur avaient-ils seulement eu lieu ?  Dedue continuait à cheminer malgré l’horreur, ou avec elle. Il gardait néanmoins foi en son altesse, son peuple rentrerait un jour chez lui.
Il goûta à son tour le biscuit. Le résultat était plutôt correct, malgré ses ingrédients limités. Le jeune homme prit soudain conscience du silence, les deux magiciennes le fixaient discrètement, comme pour s’assurer que tout allait bien. Sans doute avaient-elles remarqué son absence temporaire et un air inquiet s’invita sur leurs visages.
Dedue chercha alors de quoi les rassurer :
-Merci pour ce que vous avez fait, les plantes tiendront en mon absence.
-C’est tout à fait normal ! Contra Annette, c’est un endroit que nous apprécions tous et où nous avons toujours pu avoir un peu de tranquillité.
-Je suis heureuse de pouvoir vous aider à préserver ces belles fleurs, renchérit Maeve, quand les avez-vous plantées ?
-Il y a cinq ans, lorsque j’étais encore étudiant ici, expliqua Dedue, j’ai été surpris de les retrouver, mais elles sont toujours là…
-Comme nous tous, Maeve esquissa un sourire voilé, en tout cas j’ai bien repris des forces.
-C’est vrai, ça me donnerait presque envie de chanter, laissa échapper Annette, ah, oubliez ce que j’ai dis !
Dedue eut un demi-sourire amusé, il avait en effet déjà été témoin des envolées improvisées de sa camarade lorsque cette dernière se croyait seule.
-Tu aimes chanter ? Ça tombe bien, moi aussi ! Lança Maeve, toute heureuse de se découvrir un nouveau point commun avec elle.
-Enfin, c’est juste quelque chose que je fais pour m’amuser, éluda Annette, est-ce que c’est pareil pour toi ou bien tu as reçu des leçons plus approfondies ?
-J’ai appris avec ma mère, expliqua alors la brune, et je me débrouille plutôt bien. Est-ce que vous aimeriez que je chante quelque chose, pour nous motiver  ? D’habitude je m’accompagne avec mon luth, mais je peux aussi très bien faire sans.
Ce serait sa manière à elle de les remercier. La musique rapprochait les cœurs, soignait les blessures. Elle-même n’attendait que de s’envoler avec ses notes, de faire disparaître la cacophonie des armes. Aussi sentit-elle l’allégresse poindre lorsque les deux autres approuvèrent.
Maeve se leva avec calme à assurance, déjà dans son élément et nullement inquiétée par les regards de Dedue et Annette sur elle. Elle avait depuis longtemps l’habitude de se produire pour les gens du château, le soir, dans la salle commune.
Dedue sentit poindre la curiosité, se demandant ce qu’elle leur réservait. Ce serait un moyen d’en apprendre plus sur elle.
Maeve ouvrit la bouche et laissa échapper sa première note. Sa voix était douce, mélodieuse, comme celle du rossignol qu’elle portait à sa ceinture. Il s’attendait à une mélodie de court, mais elle enchaîna alors sur un chant de travail rythmé.
Ses vocalises étaient pleines d’énergies, comme l’eau vive d’une rivière. Les inflexions étaient harmonieuses, toujours posées avec justesse. L’absence d’instrument ne se faisait pas sentir, ses émotions transparaissaient sans fard sur ses traits. Gérant son souffle, elle tint le rythme, les entraînant dans sa sarabande, sauta gaiement de note en note. Annette l’accompagnait déjà en battant des mains.
Dedue entendit de nouveau les voix des paysans dans les montagnes de Duscur. Maeve retranscrivait parfaitement cette volonté de faire face à la dureté de l’existence. C’était comme survoler les campagnes et les vastes étendues, un rappel au monde d’où ils venaient et à ce qu’ils devaient défendre.
Le chant enfla alors comme une vague, leur transmettant toute son énergie et son courage. Enfin, elle descendit d’un octave, se faisant plus douce, comme la brise, un doux et délicat au revoir.
Silencieuse, elle s’inclina alors.
Annette fut la première à laisser échapper ses félicitations, rejointe par Dedue :
-Vous êtes très talentueuse, complimenta-t-il alors, en avez-vous déjà fait votre métier ?
Il nota avec un amusement détaché qu’elle le rendait plus curieux et bavard. Leurs éloges la firent rayonner encore plus, creusant sa fossette. Sa passion pour son art transparaissait à travers toutes les fibres de son être.
-Non jamais. Mais ma mère était très douée et elle a toujours veillé à me donner la meilleure éducation possible. Je suis entrée au château de ma dame en tant que suivante. Mais très vite, j’ai décidé de la suivre au combat.
Aucune formation militaire préalable, semblait-il donc, a priori aucune envie de suivre ses voix. A la voir ainsi, avec ses airs raffinés, sa délicatesse et sa sensibilité, l’on aurait pu croire qu’elle n’avait pas sa place sur le champ de bataille. Mais Dedue l’avait vue en action et connaissait toute la mesure de son courage. C’était le genre de personne dont on pouvait faire l’erreur de ne rien attendre mais qui recelait pourtant une grande force.
-Tu devrais y songer quand la guerre sera finie, il y a de nombreuses opportunités à la capitale, l’incita Annette.
-Nous verrons, éluda Maeve, en tout cas je suis heureuse que cette chanson vous ai plu. Elle est très appréciée de par chez nous .
La question d’Annette la liait en effet à un certain nombre de ses angoisses secrètes, notamment la peur de la solitude, de l’abandon. Partir à la capitale signifierait laisser ses amies. Leur présence, leur gentillesse étaient un antidote face au souvenir des flammes. La solitude, impitoyable, la laissait toujours face à ses doutes. Tout le monde parlait de plus de l’après pour tenir. Parce qu’il fallait se dire qu’on allait survivre. Mais un retour à la vie normale était-il seulement possible après avoir commis des actes d’une telle laideur ?
Ce chant l’aidait à se rassurer. Gladys le fredonnait souvent quand elle entretenait son équipement. Son aînée ne chantait pas vraiment juste, mais son timbre plaisant faisait le reste. Aussi la magicienne l’avait-elle rapidement mémorisé.
La cloche retentit alors, lourde et solennelle. Chacun se sépara alors pour vaquer à ses occupations. Avant de partir, Annette offrit néanmoins à Maeve de venir quand elle le souhaitait dans l’ancienne salle de classe des lions. C’était l’idéal si elle souhaitait étudier au calme. Cette dernière approuva avec plaisir.
La chanson de Maeve accompagna Dedue toute la journée, mais il y consentit pleinement. S’ajouta pourtant à cela un étrange sentiment de reconnaissance. Avoir été ainsi assis et retrouvé lui avait permis de retrouver un peu de la chaleur des jours passés. C’était comme des graines d’espoir qui poussaient encore un peu timidement. Là se trouvait le pouvoir le pouvoir d’un bon repas après tout : rassembler les gens autour d’un moment de partage.
*
Amalia vérifiait son équipement tandis que Maeve triait des papiers à ses côtés.. La guerrière appréciait sa présence, d’autant qu’elle se révélait toujours motivée et appliquée.
Cependant, la musicienne gardait le silence, ses yeux fuyants étaient comme deux lacs d’encre, indéchiffrables. Lorsqu’elle la regardait, elle levait la tête et souriait comme si de rien était. Amalia connaissait désormais cette expression, quelque chose lui assombrissait l’esprit. La femme lui tendit alors une perche :
-Est-ce que tu vas bien ? Quelque chose te donne du souci ?
-Moi, oh oui, tout va bien, répondit Maeve, un peu contrite, je réfléchissais simplement à la tragédie de Duscur.
C’était inattendu mais pas surprenant. La jeune femme était attentive à tout, elle saisissait parfois des choses au vol, parfois même des mots ou d’insignifiants fragments et les ressassait, les examinait encore et encore, quitte parfois à se mettre mal.
D’un signe de tête, la rousse l’encouragea alors à continuer. Les sentiments bouillonnants issus de sa réflexion, la violence de l’indignation et de l’injustice prirent alors le dessus. Les mots s’échappèrent alors.
-Je suis…révoltée quand j’entends des gens dire que les Duscuriens n’ont pas leur place dans notre armée et qu’ils ont mérité leur sort. Combien même les gens lors de l’ambassade auraient assassiné le roi Lambert et sa suite, toute la nation ne pouvait pas en être responsable ! Quand je pense à tous ces orphelins, ces familles qui ont été massacrées, ces gens qui ont perdu leurs maisons… Où sont l’honneur et la chevalerie ? Tout ce que je vois ce sont des meurtriers. Après tout ce que nous avons vécu depuis l’invasion de l’empire, toutes les larmes que nous avons versées…comment pouvons-nous encore le souhaiter à d’autres ?
Malgré sa voix tremblante, elle avait tout prononcé d’une traite, libérant sa colère trop longtemps tue. Penchée en avant, son expression, la bouche légèrement tordue, reflétait la douleur. La tristesse noyait son regard.
-Il y en effet…beaucoup de laideur en ce monde, Amalia hocha gravement la tête, mais l’important est aussi qu’il y ait des gens comme toi capables de tendre la main.
L’accalmie se fit et Maeve s’apaisa alors.
-Oui vous avez sans doute raison mais…, son regard dériva vers la fenêtre, et je me suis dit une chose, elle paraissait nerveuse, comme sur le point de s’aventurer sur un chemin inconnu et escarpé, je me demande parfois pourquoi les Duscuriens auraient fait ça. Qu’avaient-ils véritablement à gagner en tuant Lambert ? Faerghus possédait une puissance militaire bien supérieure à la leur. Par contre le roi était impopulaire auprès de la noblesse à cause de ses réformes…suite à la tragédie, Kleimann a récupéré un nouveau territoire et Lambert a été retiré de l’équation. Au final, à qui cela a-t-il bénéficié le plus…si ce n’est aux nobles de Faerghus ?
Maeve avait chuchoté ces derniers mots, parcourue par un frisson. Prise de court, Amalia marqua quelques secondes de silence. Ses similitudes avec Maeve la frappaient : de jeunes personnes hésitantes, toutes deux avaient su développer leur potentiel.
-Ma grande, que la Déesse ait pitié de tes ennemis, conclut alors la guerrière d’une voix rauque.
*
Dedue trouva enfin le temps de se rendre à la serre. Le départ approchait et il tenait à s’occuper une dernière fois correctement de ces fleurs.
Son altesse semblait sur la bonne voie. Malgré sa compassion et sa sensibilité naturelles, Dimitri avait su se détourner des demandes des morts. Il saurait les mener à la victoire. De son côté, le guerrier ferait en sorte qu’il mange suffisamment et bien.
Une voix l’accueillit alors, quelqu’un chantait. C’était une ritournelle mélancolique, comme le ressac des vagues au crépuscule, douce-amère comme la fin des beaux jours. La narratrice regardait le soir depuis sa demeure dans la capitale aquatique, le vent était froid, le canal se changeait en encre. Son cœur était lourd d’inquiétude, meurtri par l’absence. Mais lors, la lune et les étoiles se levaient soudain pour se refléter dans l’eau.
Il trouva Maeve assise sous le dais des fleurs, ses cheveux glorieusement dénoués. Elle lui évoquait cette déesse de la végétation qui apparaissait, disait-on, parfois dans les campagnes. Pourtant, ses doigts étaient crispés, son pied s’agitait de temps à autre. Elle connaissait, il le sentait, bien la fracture, la perte, l’attente fiévreuse du lendemain.
Le jeune homme garda le silence, incapable de briser l’enchantement. Mais Maeve le vit bien vite et sursauta.
-Je ne voulais pas vous effrayer, s’excusa-t-il.
-Ce n’est rien, j’étais perdue dans ma rêverie, expliqua-t-elle avec un pauvre sourire, j’étais simplement venue voir les fleurs, une dernière fois…avant de partir.
L’ajout de ces derniers mots ne parvenait pas à cacher le véritable sens de la phrase. Elle savait qu’elle ne reviendrait peut-être pas vivante. Dedue nota alors ses grands yeux inquiets, la finesse de ses poignets, l’élégance de ses mains sous les cals et les éraflures. Elle était jeune, sans doute un petit peu plus qu’Annette. Peut-être dans d’autres circonstances aurait-elle mené une brillante carrière d’artiste, poursuivi ses études de magie. Mais cette guerre l’avait poussée à faire appel aux aspects les plus durs d’elle-même.
-Vous êtes forte, vous avez déjà survécu à Ailell et Gronder, vous reviendrez les voir, promit-il alors.
La guerre était cruelle, il le savait. Mais il l’espérait du moins sincèrement, qu’elle puisse réaliser ses rêves et vivre l’existence paisible qui lui avait été promise.
-Oui, Maeve inspira un grand coup et se releva, nous reviendrons.
Le passage au monastère lui avait offert une accalmie bienvenue, mais trop brève. Il lui faudrait de nouveau emprunter cette porte brûlante, revenir à l’horreur et au carnage. L’anxiété se réveillait alors, conviait toutes les images d’horreur. Maeve craignait de ne pas tenir. Mais elle savait qu’elle y retournerait, comme elle l’avait fait encore et encore. Car elle n’oubliait jamais pourquoi elle était là. Ne souhaitant pas accroître le fardeau de ses amies avec ces maux difficiles à porter, elle était alors restée un peu avec les fleurs.
Dedue alla chercher l’arrosoir et, comme Maeve ne paraissait pas avoir d’impératif urgent, il proposa :
-Voulez-vous que je vous montre comment prendre soin de ces fleurs ?
Réchauffée par sa gentillesse, Maeve se dérida aussitôt :
-Avec plaisir !
-Elles sont habituées à un climat sec, commença-t-il alors, il ne faut pas les arroser trop souvent. Et lorsqu’on le fait, il faut faire attention à la quantité…comme ceci.
Sans doute était-ce parce qu’il s’agissait d’un sujet qui lui tenait à cœur et qu’il maîtrisait bien, mais Dedue se montra étonnement prolixe. Maeve suit ses instructions, appréciant sa présence tranquille à ses côtés.
-J’aime beaucoup celles-ci, la jeune femme désigna alors des corolles jaunes à l’éclat solaire, elles doivent former comme un tapis d’or. Dommage qu’elles commencent à se fâner…
-Elles sont un symbole de bonne fortune et de prospérité, l’informa-t-il alors, on en récupère souvent les pétales pour les faire sécher car leur parfum reste, tenez, il en ramassa quelques-uns qui étaient tombés sur la terre, vous pouvez les prendre si vous voulez.
-Vous êtes sûr ? L’interpella Maeve, surprise, puis, voyant qu’il hochait la tête et les tendait vers elle, elle ouvrit la paume, merci beaucoup.
Réchauffée par cette bienveillance spontanée, elle sortit alors de son escarcelle une feuille avec une liste barrée et les y déposa précautionneusement avant de la replier.
Dedue en tira un sentiment triomphe. Lui qui était si taiseux, au point de se demander parfois si sa compagnie n’en était pas inintéressante, avait réussi à lui remonter le moral.
-Je les mettrai dans un petit sachet, comme cela je pourrais garder l’odeur quand je le souhaite. N’hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit…s’il y a une chanson que vous souhaitez entendre, je souhaite vous rendre votre gentillesse.
-Dans celle que vous chantiez tout à l’heure…vous parliez de Deirdriu, y êtes-vous déjà allée ? Enfin, si vous souhaitez me le dire.
La question de Dedue paraissait peut-être incongrue, mais cela l’intriguait.
-Non, même si j’aimerais beaucoup. J’ai toujours vécu en Faerghus, avec ma mère et ma tante, raconta-t-elle, et elles étaient toutes deux originaires de l’Alliance, alors elles m’en ont beaucoup parlé. Ma mère chantait parfois cette chanson.
“Et quand je l’entonne de nouveau, j’ai l’impression de la retrouver”.
-J’aimerais en entendre la fin, si vous le voulez bien, osa alors demander Dedue.
Maeve approuva en silence, ils s’assirent alors côte à côte. Le fil de la mélodie reprit. Les étoiles devinrent des constellations, la lune était à son apogée. Pourtant, les angoisses s’attardaient.
Mais l’aube se montrait déjà à l’horizon.
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ladyniniane · 2 years
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Hey~ Weird questions for writers : 2, 17, 19 and 33 !
Salut :) J'espère que tu vas bien. Et merci pour les questions !
2. If you had to give up your keyboard and write your stories exclusively by hand, could you do it? If you already write everything by hand, a) are you a wizard and b) pen or pencil?
Ce serait dur, j'ai perdu l'habitude d'écrire à la main, mais si c'est pour écrire et m'évader, alors je le ferai. Et puis bon, avant je prenais toutes les notes de mes cours à la main pour mieux retenir, donc je pourrais reprendre l'habitude, je pense.
17. Talk to me about the minutiae of your current WIP. Tell me about the lore, the history, the detail, the things that won’t make it in the text.
En ce moment je ne travaille pratiquement que sur ma fanfiction sur Fire Emblem Three Houses, tout est accessible depuis le tag "Fire Emblem 4 mariages et 1 enterrement", parce que ça me détend.
Je surnomme ça affectueusement "ma dinguerie" parce que j'ai 4 personnages principaux (enfin, plus ou moins 5 en fait) et que c'est la première fois que j'écris sur autant de protagonistes !
Et comme d'habitude j'ai fait des moodboards et des tableaux Pinterest pour mes persos :D
19. Tell me a story about your writing journey. When did you start? Why did you start? Were there bumps along the way? Where are you now and where are you going?
Alors si je ne me trompe pas j'ai commencé à écrire à 12-13 ans des histoires dans un cahier sur un peu tous les médias que j'appréciais à l'époque et j'ai ensuite continué à écrire de manière occasionnelle. Après vers 19 ans j'ai commencé à écrire mes premières nouvelles avec le personnage de Sighild.
C'est vers 21-22 ans que j'ai vraiment eu le déclic de l'écriture. J'avançais à pleine vapeur, j'avais trouvé le truc. J'ai fait 2 NaNo et j'ai fini un roman, Le dit de Koyuki (même si aujourd'hui j'ai qu'une seule envie : le réécrire. En version purement Fantasy cette fois, parce que c'était un récit historique qui se passait au Japon au XIIe siècle).
Et après il y a eu la traversée du désert il y a deux ans. Tout s'est arrêté d'un coup. J'ai traversé épisode dépressif sévère et je n'arrivais plus vraiment à écrire. J'avais l'impression que rien de ce que je faisais n'était bon, que personne n'aimerait jamais. Je n'arrivais tout simplement pas à y croire.
Heureusement il y a eu de la lumière au bout du tunnel et j'ai peu à peu appris, j'apprends encore peut-être, à retrouver mon écriture. J'ai encore beaucoup de doutes et d'incertitudes, mais j'avance malgré tout. Même si je ne suis pas aussi productive que je le voudrais, chaque petite étape est importante.
33. Do you practice any other art besides writing? Does that art ever tie into your writing, or is it entirely separate?
Je dessinais parfois, mais j'ai moins le temps de m'y mettre. Il faudrait que je trouve un peu le temps, cependant. Et oui, je dessine souvent les personnages de mes histoires.
Weird questions for writers
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ladyniniane · 2 years
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Marcia : la maman de Felix (entre autres choses)
Et voilà @lilias42, j’espère que ça te plaira ! Pour ceux qui se demanderaient où ils sont tombés, Felix est un personnage de Fire Emblem Three Houses et comme on ne parle pas du tout de sa mère dans le canon, j’ai essayé de lui inventer une personnalité.
Voici donc : Marcia Larina Fraldarius.
(Outre la connotation guerrière de son prénom, c’est une référence à la guerrière italienne du XIVe siècle Marzia degli Ubaldini. Le second prénom signifie “protectrice” et c’est le nom de l’une des compagnes de Camille dans L’Enéide.)
*
Un portrait de dame Marcia trône toujours dans la demeure des Fraldarius. L’artiste a réussi de manière remarquable à saisir la vivacité de son modèle, qui parait prêt à sauter hors du cadre. Pas nécessairement une beauté classique, ses traits sont anguleux. Le sourire joueur illumine son visage, et ses yeux ambrés, comme deux soleils, parviennent à faire oublier tout cela. De taille moyenne, sa silhouette reste élancée, athlétique. 
Ses cheveux très courts, nuque et oreilles bien dégagées, témoignent d’ailleurs des préoccupations d’une femme active. Leur noirceur offre d’ailleurs un contraste saisissant avec son regard. Pour le reste, la dame est vécue avec gout et le faste qu’on attend d’une telle maison, tout en se conjuguant avec ses passions. Portant tunique et pantalon, la duchesse est prête à monter à cheval. Une dague d’apparat ornée de gemmes se trouve à son côté. 
*
La famille de Marcia n’avait peut-être pas d’emblème, mais cela ne l’empêchait pas d’être tout de même suffisamment distinguée. Etant une enfant unique, elle bénéficia de toute l’attention de ses parents et d’une excellente éducation, tant physique qu’intellectuelle. On l’encouragea a développer son esprit critique et à penser par elle-même. Très vite, l’héritière fit honneur à la réputation de rigueur militaire du royaume. La chronique familiale raconte comment, armée d’une lance et d’un bouclier, elle aimait défier ses camarades et les désarçonner. 
Quand vint l’âge, Marcia demanda d’être envoyée à Garreg Mach. Ses parents accédèrent à sa requête, y voyant une occasion de la transformer en une remarquable officière mais aussi un moyen pour elle d’étoffer son réseau. Avant de partir, Marcia décida de se faire couper les cheveux, à la fois pour éviter une éventuelle gêne pendant son entraînement, mais aussi pour ne pas perdre trop de temps à se coiffer et à les entretenir. 
A son arrivée, elle s’imposa aussitôt comme un membre très populaire des Lions d’Azur. Il fallait dire qu’il était difficile de l’ignorer. Charismatique, elle allait vers tous sans craintes, traitant de la même manière les nobles et les roturiers, et créa très vite un petit cercle autour d’elle. Energique, elle ne perdait pas une occasion d’exercer ses passions pour l’équitation et la fauconnerie. Cependant, sa personnalité pouvait être écrasante pour les plus calmes et introvertis et elle passait parfois pour orgueilleuse. 
Son franc parler était d’ailleurs légendaire. Très indépendante dans sa manière de penser, elle n’en faisait parfois qu’à sa tête et se devait de parvenir à ses objectifs. Son sens de la justice se révélait néanmoins lorsqu’elle devait défendre ses camarades. 
Marcia eut son lot d’aventures et de mésaventures au monastère. Tout d’abord, elle organisa un tournoi de joute non officiel entre les étudiants. Lorsque le personnel du monastère le sut, elle se fit bien entendu convoquer. Marcia demanda qu’elle était la différence avec les tournois interclasses qui avaient lieu chaque moi. On lui répondit que la différence étaient que ces derniers étaient supervisés et dans un cadre contrôlé. Une autre fois, elle et d’autres se provoquèrent une belle frayeur en tentant d’invoquer “le fantôme des dortoirs”. Enfin, elle provoqua une fois un de ses camarades en duel mais tous deux furent arrêtés avant que l’affaire ne dérape. 
Elle et Rodrigue ne s’appréciaient guère au début. Ce dernier trouvait que Marcia passait son temps à faire son intéressante et elle le trouvait profondément fade et ennuyeux. Tout commença à changer avec la bataille de l’Aigle et du Lion. Ils finirent par reconnaître leurs talents tactiques mutuels pendant les préparatifs : même si leurs approches n’étaient pas les mêmes, elles pouvaient se compléter. De plus, comme ils combattaient tous deux à cheval, ils se retrouvèrent à se sauver plusieurs fois la mise pendant l’affrontement. Ainsi chacun reconnut-il en l’autre un égal, un allié sur qui il pouvait compter. 
Rodrigue et Marcia prirent ainsi l’habitude de s’entraîner ensemble. Ils réalisèrent tous les deux qu’ils s’étaient trompés sur le compte de l’autre. Rodrigue découvrit que son son caractère fonceur, Marcia possédait un esprit vif et affuté. Elle réalisa quant à elle que le sens du devoir de Rodrigue était la preuve d’une véritable force, d’une immense bonté et intégrité et d’un soucis sincère pour les siens. De ce fait, leur camaraderie se transforma en une affection, puis en un amour sincère. 
Son passage à Garreg Mach lui permis de gagner en maturité et de développer au mieux ses talents. Marcia en sortit meneuse d’hommes accomplie. Talentueuse cavalière, elle se montrait redoutable avec une lance, une épée ou une hache à la main. Mais rentrer chez elle signifiait aussi s’éloigner de Rodrigue et elle lui avoua, bien qu’il avait également prévu de lui dire la même chose, qu’elle ne voulait pas le quitter. Il lui confia alors qu’il la voulait aussi à ses côtés.
En tant que duchesse, Marcia fut la partenaire de Rodrigue dans tous les aspects de sa gouvernance. Elle arpentait les terres à cheval, passait ses soldats en revue et assistait à leur entraînement. Son caractère lumineux et vif lui permit se se faire apprécier. Ses ennemis apprirent quant à eux à la craindre. 
Côté famille, Marcia encourageait toujours ses fils à faire leurs propres expériences et à surmonter leurs craintes. Le fait qu’ils jouent avec les enfants de domestiques ou autre roturiers ne la gênait pas. Elle et Rodrigue emmenaient souvent les deux frères pour des ballades à cheval, pour leur plus grand bonheur. 
Marcia aimait également s’entourer de musiciens et d’artistes. C’est donc grâce à elle si Felix a une appréciation pour le chant (puisqu’il a notamment “l’opéra” dans ses sujets de conversation + ses soutiens avec Annette et Dorothéa). J’ai étendu cela dans mon histoire à une appréciation pour les arts en général, notamment la musique et la danse. Pour ces raisons, je pense qu’elle se serait bien entendue avec sa belle-fille dans mon histoire, Vigdis. 
Après quelques années d’éclat, Marcia rencontra son ultime adversaire en la maladie (probablement une saleté comme la variole). Sa volonté ne fut pas suffisante et elle succomba, laissant un vide immense dans sa maisonnée. Sa dernière volonté fut de demander à ce que Felix et Glenn ne puissent voir son corps sous aucun prétexte, pour qu’ils gardent à jamais l’image de leur mère en bonne santé. 
Des serviteurs du domaine racontent que son fantôme peut parfois être vu à l’aube, sa voix entendue dans ses appartements ou tout simplement qu’une présence s’y fait sentir.
Felix était encore petit à ce moment (6/7 ans) et la mort de sa mère fut pour lui une injustice incompréhensible et d’une violence innommable. Il en fut immensément affecté et c’est ainsi qu’apparut le petit garçon qui pleurait facilement que décrit Sylvain dans ses soutiens. Souvent inquiet, il se mit à s’accrocher à ses proches restant, notamment à Glenn. En effet, comme Rodrigue était souvent absorbé par ses responsabilités depuis la mort de sa plus fidèle alliée, Felix passait beaucoup de temps avec Glenn. Et ce dernier considérait en quelque sorte que c’était sa responsabilité de veiller sur son petit frère. Plus que tout, la mort de Marcia a planté en Felix les graines d’une grande colère qui ne ferra qu’être attisée par la perte de Glenn. 
*
Bien que Marcia soit morte au moment où l’histoire commence, elle conserve une certaine importance. La mort de Rodrigue le fait beaucoup réfléchir et il commence à repenser à elle. Certains des membres les plus seniors du personnel du monastère lui en parlent également. Il fait des rêves où ils discutent tous les deux. Est-ce un message d’ailleurs ou simplement le cerveau de Felix qui travaille ? Sans doute la seconde option, mais qu’importe ça marche. Il réalise qu’il se souvient toujours de la force et de la lumière de sa mère et que, cela, personne ne peut le lui enlever. Et cela lui permettra de se souvenir de la leçon la plus importante qu’elle lui ait appris : assumer et accepter ses émotions.
Mais, dans mon modern AU Van (pas celui avec El), je me dis que ce serait drôle si elle était en vie.
Voilà, j’espère que ça t’a plu ! N’hésite pas à me dire si tu veux que je fasse un post sur un autre aspect :) 
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ladyniniane · 2 years
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Fire emblem Three Houses : les OCs
Et voilà ma création de novembre ! Comme vous le savez, je suis tombée dans le jeu vidéo Fire Emblem Three Houses (je tague @pamplelun​ qui comprendra ;) ) et j’ai fini par inventer mes propres personnages dans cet univers. Les voici donc !
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Gladys - La dame du château 
Etymologie : Du gallois “Gwladys” : “princesse” ou encore “richesse/territoire” ou du latin “gladiolus” : “épée courte”.
Gladys vient officiellement d’hériter du titre et du territoire de son père, un membre de la petite noblesse de Faerghus. N’en déplaise à ceux qui l’accusent d’être une bâtarde. Voilà cependant qu’il lui faut partir au front avec les renforts amenés à Dimitri par Rodrigue. Vive, astucieuse, ambitieuse et pugnace, Gladys entend bien rentrer chez elle vivante, même si elle peine à comprendre les décisions de leur meneur. 
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Maeve - Belladonne 
Etymologie : Du vieil irlandais “Medb” : “celle qui enivre” ou “celle qui règne”
Le sourire et le talent pour la musique de Maeve apportent de la couleur et de la gaieté à la suite de Gladys. Courageuse et sensible, la jeune femme sent pourtant l'inquiétude la ronger. Elle possède de plus sa part de mystère. Certaines de ses compétences correspondent mieux à un assassin qu’à une magicienne et qu’est-il arrivé sa soeur adoptive ? 
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Vigdis - La danse des lames
Etymologie : Du vieux norrois “vig” (guerre) + “dis” (déesse)
Autrefois danseuse à l’épée au sein d’une troupe, Vigdis a désormais changé de scène pour le chaos des champs de bataille. Drame ? Opportunisme ? Nul ne connait vraiment le déclencheur de ce basculement. Laconique, l’épéiste apparaît parfois comme distante, blasée. Ses actes révèlent néanmoins sa nature protectrice tout comme les superbes broderies qu’elle réalise pendant son temps libre témoignent de la richesse de son univers intérieur.
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Enid - Ombre fuyante 
Etymologie : du gallois “eneit”: “esprit/vie”
Enid croyait avoir trouvé un foyer pour se reconstruire en compagnie de sa soeur adoptive, Maeve. Mais c’était avant de découvrir que le temps paraissait ne pas avoir d’emprise sur elle. Seule compte désormais sa quête de réponses. L’art de tuer n’a aucun secret pour elle. Nonchalante et sarcastique, Enid ne se soucie guère en apparence de l’avis des autres mais regrette les brefs jours dorés. 
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Amalia - La lionne 
Etymologie : Du germanique “Amal” : “Travailleuse”
Servante, cuisinière, conseillère : Amalia a revêtu de nombreuses identités au cour de sa vie. Désormais, elle se fait féroce guerrière pour soutenir sa fille, Gladys. Véritable ancre dans la tempête pour les plus jeunes, Amalia est une femme résiliante qui ne s’en laisse plus conter. Ses conseils et sa connaissance des plantes médicinales sont autant de cordes supplémentaires à son arc. 
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ladyniniane · 2 years
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Rendez-vous avec les ombres
Et un texte sur Fire Emblem Three Houses, un ! J’ai été plutôt productive dernièrement. 
J’espère que ça te plaira @lilias42 (que je remercie d’ailleurs pour la conversation qui a donné naissance à l’idée des tortues sur le lac Teutates) !
Dimitri sortit épuisé du bureau de Manuela, comme s’il avait passé leur entrevue à retourner de la terre à mains nues. Ceux qui s’arrêtaient à l’apparente frivolité de cette femme se fourvoyaient. Une fois la porte de son bureau franchie, elle se transformait en une talentueuse praticienne, déterminée à aider. La professeure l’avait patiemment interrogé sur ses symptômes, les avait disséqués avec rigueur. Le prince était plus que conscient de la nécessité de la démarche. La survie de ses camarades, de son royaume était en jeu. Cependant, l’expérience lui avait laissé une désagréable impression de vulnérabilité après avoir livré ses plus grandes douleurs, dévoilé l’horreur de ses blessures suintantes.
Professionnelle, Manuela l’avait accueilli sans jugement. Elle lui avait prescrit des préparations, expliqué que ces dernières ne feraient pas effet immédiatement mais qu’elles serviraient de béquille sur le long terme. Puis, elle lui avait enseigné quelques exercices pour gérer la pression avant de le libérer. Dimitri s’était raccroché à cet espoir. Il était bien sûr prêt à empoigner le mal à mains nues et à lutter pour le mettre à terre, mais toute aide était la bienvenue.
Il redoutait que l’éclaircie ne soit que passagère. « Je lutterai pour ce en quoi je crois. Je libérerai Fhirdiad et je ramènerai la paix dans le royaume » se répéta-t-il, gorge nouée. Mais le doute entonnait pourtant sa ritournelle, tapis dans les méandres de son esprit.
Les couloirs du monastère étaient déserts, le silence à peine troublé par ses pas et sa respiration. Il arriva alors devant les portes closes, se souvint de l’époque où l’archevêque Rhéa siégeait de l’autre côté, drapée dans sa blancheur liliale. Une pensée mélancolique lui vint, comme le son d’un glas, pour le Dimitri d’autrefois.
« Felix avait raison, j’étais une bête enragée ». La chose qu’il avait été pendant ces cinq années ne méritait même pas le qualificatif d’être humain : une créature rongée par la haine, perdue dans son monde crépusculaire. Dimitri n’avait pas bronché lorsque la lame avait percé son œil, la douleur et le froid lui étaient alors étrangers. Il revivait désormais tout cela depuis l’autre côté du précipice, glacé par la sidération. Il se convainquit qu’il s’agissait d’une bonne chose, d’une preuve qu’il était pleinement de retour parmi les vivants.
Un souffle effleura alors sa nuque et Dimitri frissonna. Ce n’était qu’un courant d’air, voilà tout. Mais les échanges avec Manuela avaient réveillé ses émotions les plus pénibles. Elles erraient comme des goules affamées, des vents brûlants, des lames glacées. La pression et la fatigue des derniers jours pesaient sur ses tempes. Il avait sacrifié son temps, son sommeil, malgré les réprimandes de Byleth et Dedue, afin de montrer l’exemple, de prouver à ses amis qu’il méritait leur confiance. Mais Dimitri marchait sur un fil. L’angoisse s’éveillait, compressait sa trachée à la moindre faiblesse. Sa vigilance ne se reposait jamais.
La douleur assénait de nouveau ses coups de poings. Dimitri ne se voyait pas regagner sa chambre et ses murs clos. La bibliothèque était tout près. Il allait y attendre une accalmie avant de répartir, ne voulant pas prendre le risque d’être vu mal en point. Nombreux étaient ceux qui fuyaient le sommeil. Les rumeurs se répandraient comme un feu de forêt et saperaient le moral précaire des troupes s’il rencontrait la mauvaise personne. Il aurait pu retourner Manuela, mais s’opposa à l’idée de la déranger encore. Dimitri devait essayer de se débrouiller seul.  Le jeune homme songea à ses camarades, se demanda un instant s’il serait possible de restaurer leur entente. L’amitié était facile à briser et incroyablement difficile à réparer. Et le prince ne croyait de toute manière pas la mériter.
Dimitri poussa la porte dans un grincement et fut accueilli par la pénombre. Il alluma alors une chandelle afin de la dissiper. Son regard dériva alors vers une étagère. Il se souvint alors des nuits passées à retourner les pages pour en extraire la vérité…Arundel…l’oncle d’Edelgard…la tragédie de Duscur…
Il ne devait pas emprunter ce chemin, mais les associations d’idées se tissèrent d’elles-mêmes, sa pensée caracola hors d’atteinte. Ce fut alors comme un millier de ricochets sur une eau souillée de sang. La migraine enfonçait désormais ses dents dans son crâne, la fatigue broyait son corps, comme si tout ce qu’il avait vécu depuis la mort de Rodrigue s’abattait sur lui, le soulevait en une violente rafale de vent et le projetait au sol.
« Je dois connaître la vérité, je dois offrir réparation aux gens de Duscur ».
Livide, il sentit alors la réalité s’altérer, les formes se faire floues, distantes, hostiles, étrangères, monstrueuses. Les ombres projetées par la flamme s’élevèrent, devinrent humaines comme un chœur fantomatique prêt à le juger. Contrefaites, elles se convulsaient comme prises dans les flammes, rampaient pour échapper à leur tourment éternel, dardaient sur lui leurs doigts accusateurs.
Dimitri réalisa alors soudain que du sang goutait de la table devant lui. Il sentit soudain une présence à ses côtés. Emplie d’une colère dévorante, cette dernière n’était  plus qu’un infini cri de souffrance.
Son père surgit alors devant lui, aussi réel que lorsqu’il siégeait encore sur le trône de Fhirdiad. Grand, bien bâti, Lambert était l’égal d’un saint guerrier. Mais l’éclat de son armure était désormais noyé par les souillures, son cou barbouillé de sang. Sous son bras, sa tête fixait Dimitri de ses yeux de givre. Sa peau était bleue, la raideur mortuaire avait figé sa bouche en une grotesque grimace. Des larmes écarlates coulaient de son cou sectionné.  Il emportait avec lui une pestilentielle odeur de chair carbonis��e, de fumée et de fer. Dimitri sentit alors ses jambes trembler tandis qu’il reculait dos au rayonnage. Tout le cortège attendait sans doute déjà : Glenn, sa belle-mère… Et Rodrigue…allait-il se montrer lui aussi ?
Non. Le duc Fraldarius ne viendrait jamais le tourmenter. Il l’avait sauvé, il était parti sans haine. Dimitri devait se ressaisir.
Mais ce fut alors que la tête de Lambert parla. Les lèvres tordues remuèrent tandis que les pupilles restaient torves et le visage inerte.
-Dimitri, souffla sa voix sépulcrale, je souffre tant, pourquoi, pourquoi me tournes-tu le dos ? J’ai si froid…donne-moi le sang de cette femme et son coeur palpitant.
Le prince serra le poing à s’en faire mal pour ignorer cette supplique et la souffrance déchirante. Le temps s’en retrouvait aboli et il se retrouvait de nouveau à quatorze ans au milieu d’un champ de cadavres sans comprendre par quelle raillerie du sort il avait pu en réchapper.
La porte de la bibliothèque s’ouvrit alors sous une poussée énergique, arrachant un instant Dimitri à Lambert.
*
-A nous deux les pensions, cette fois je vous règle votre compte, marmonna Gladys
Elle était venue se confronter aux  chiffres, mais comprit vite qu’il n’en serait rien lorsqu’elle trouva le prince Dimitri. Ce dernier était livide, replié dans une attitude défensive, l'œil écarquillé par l’effroi.  Il regardait devant lui comme si quelqu’un se tenait là où il n’y avait que le vide. Droit malgré tout, il fixait sans ciller ce péril spectral et son attitude était pleine de défi.
-Votre altesse ? Appela-t-elle alors. Est-ce que tout va bien ?
Il se tourna vers elle mais regarda aussitôt vers la gauche, comme si un nouveau visiteur fantomatique venait de s’avancer. Gladys prit donc cela pour une réponse négative.
Son esprit s’activa sous la pression de l’urgence, traita cela comme un nouveau problème stratégique. Le laisser seul était hors de propos et elle n’avait aucune envie de courir dans tous le monastère à la recherche d’une personne de confiance. Gladys devait donc gérer cela d’elle-même, au moins jusqu’à ce qu’elle soit sûre qu’il soit hors de danger. Elle s’approcha alors lentement, leva ses deux mains afin de le rassurer.
-Vous êtes en sécurité, votre altesse, c’est moi, dame Gladys, vous vous souvenez de la patrouille ?
Elle s’exprima avec calme, sans force ni agressivité. La dernière chose dont une personne mal en point avait besoin était qu’on lui crie dessus. Elle se déplaça un peu de côté afin qu’il puisse voir qu’elle ne lui bloquait pas la sortie et resta à bonne distance. Surtout ne pas le toucher tant qu’il était dans cet état.
Il se souvenait bien évidemment d’elle. Dimitri laissa  échapper un souffle rauque, sa tête le vrillait encore. Glenn les avait rejoints et l’assaillait de ses piques. Ces paroles l’aidèrent à reprendre pied au milieu de ce chaos. Il trouva alors la force de hocher la tête.
Enhardie par ce premier contact, cette dernière sourit alors, comme en un défi envers la mort et la détresse. Elle se rappela de combien Dimitri avait semblé serein hors de Garreg Mach et l’évidence s’imposa alors à elle.
-Pensez à lorsque vous étiez dehors, votre altesse, de combien c’était agréable d’être au soleil et de respirer l’air frais.
Ses mots invitèrent les sensations agréables dans son esprit. D’autres images surgirent comme autant de trouées dans les nuages.
“Ne l’écoute pas Dimitri ! La main de Glenn broya dans son épaule, tu dois nous venger. Comment peux-tu penser à des choses aussi frivoles alors que nous sommes tous morts ? Fais demi-tour et attaque Enbarr ! “
Le prince se força alors à regarder Gladys :
-Continuez… parlez-moi de Faerghus, trouva-t-il la force de prier au milieu de toute cette cacophonie.
Parler lui demander un effort surhumain, tant son énergie était sollicitée par les cauchemars qui le rongeaient.
-Le printemps est revenu chez nous, Gladys laissait venir les mots, rebondissait d’une association d’idée à l’autre, sans se soucier de la cohérence, j’aime quand les jours se rallongent et que l’on peut rentrer par les champs sans que la nuit ne soit encore tombé. Cela me laisse toujours une impression de joie, comme si l’humeur était à la fête.
Il s’agrippa à ses mots de toutes ses forces pour couvrir le reste. Sa culpabilité lui ordonnait de se tourner vers les morts, d’accéder à leurs désirs.
“Dimitri, tu es le seul à en avoir réchappé et tu as un devoir envers nous ! Comment peux-tu laisser nos meurtriers rester impunis ? Venge-nous, je t’en prie !”
La voix de sa belle-mère était entrecoupée de sanglots si déchirants qu’ils lui déchiraient des tympans. Mais le paroles de Gladys coulaient toujours en un fleuve tranquille :
-Le moment que je préfère, c’est quand les champs sont dorés et que la récolte est proche. C’est si beau sous le soleil…lorsque j’étais petite, je jouais à cache-cache avec mes camarades entre les épis de blés…Je suppose que vous devez avoir un chemin que vous aimez parcourir à cheval autour de Fhirdiad, je ne suis jamais allée à la capitale mais il a tant de lieux que j’aimerais visiter. Le lac Teutates par exemple…cela doit-être si beau lorsque le soleil se lève et que l’eau est claire et calme. Je veux libérer Faerghus pour retrouver tout cela.
C’était ce qu’il désirait aussi. Il sentit alors sa résolution s’affirmer, comme une lame puissante, une armure pour le protéger des doigts osseux des morts. Ils se lamentaient toujours.. Mais Dimitri n’avait pas cédé. Constater cela fit alors monter en lui une vague de confiance et de calme. Qu’importait s’il était digne de vivre ou non, il réparerait les conséquences de ses actes et ne décevrait plus personne.
Et tous ces revenants qui se massaient autour de lui pour l’étouffer ne pouvaient plus rien lui faire. Car ils étaient morts et ne pouvaient de ce fait pas être là. Dimitri avait longtemps cru qu’ils étaient de véritables âmes en peine. Désormais, il comprenait que tout venait de lui, comme un miroir brisé aux éclats tranchants. Jamais son père n’aurait réclamé une chose pareille. Lambert se serait réjoui de voir l’étendard royal flotter de nouveau sur les toits de la capitale.
Le chœur des morts n’était désormais plus qu’un ressac de chuchotements, des soupirs pleins de regrets qui se dissolvaient comme de la fumée. Sa conviction parlait désormais plus fort qu’eux.
“Je suis vivant. Et je dois me battre pour ce en quoi je crois”.
Tout le ramenait à cet instant, à la promesse faite à Rodrigue et Byleth. Formulée pour la première fois avec autant de netteté, l’évidence l’enveloppa alors, s’infiltra jusqu’aux tréfonds de son être.
Enfin le silence, comme une grâce, un frisson d’espoir qui traversait l’univers, les premiers rayons du soleil levant flamboyant à l’horizon. Dimitri ressentait la joie de la victoire et la fatigue de la lutte. La tourmente apaisée, il prit pieds sur la terre ferme. Le mal était toujours là, ses vrilles plantées dans sa chair, mais le prince avait su le regarder en face et en revenir.
Il y avait de plus cette fois une différence de taille. Dimitri ne prétendait plus que tout allait bien en ignorant les flammes qui dévastaient ses nuits. Il n’était plus seul désormais et le constatait avec une reconnaissance mêlée d’incrédulité.
Un instant silencieux s’écoula, pendant qu’il reprenait son souffle et que l’angoisse et la souffrance refluaient. Le calme de la bibliothèque acheva de repousser les souvenirs de Duscur.
-Merci mille fois, Dame Gladys. Tout va bien maintenant, trouva-t-il alors la force de formuler.
Bien qu’un peu tremblante, sa voix était posée et son regard doux. Tout son être irradiait de gratitude.
-Je suis heureuse de l’entendre, l’intéressée sentit alors la tension déserter ses muscles et résista à la tentation de s’affaler sur le banc, avez-vous besoin que j’aille chercher à boire, que je fasse venir quelqu’un ?
Quel soulagement ! Dimitri n’avait plus définitivement rien à voir avec l’homme qui les avait traînés à travers Ailell et Gronder. Sa capacité à se ressaisir proclamait l’amélioration de son état. Gladys ne solutionnerait pas le problème des pensions ce soir, mais peu importait car elle avait su se rendre utile. La jeune femme se demandait néanmoins ce qu’il s’était vraiment produit. Qui avait-il cru voir ? Cela ne la regardait cependant pas. Qui dans ce monastère n’était pas plus ou moins hanté après tout ?
-Non, ne vous en faîtes pas. Je vais simplement rentrer dans mes appartements, annonça-t-il alors.
Là, il y boirait sa tisane pour la nuit et tenterait de trouver un peu de sommeil. Cette crise avait dévoré ses forces restantes. Dimitri avait le sentiment de partir comme un voleur et se promit de la retrouver le lendemain pour des remerciements en bonne et due forme. La honte subsistait, comme une brûlure. Que devait-il penser de son futur souverain ? Avait-elle seulement confiance en lui ?
“Je lui prouverai, se promit-il, avec le temps. Leur respect ne m’est pas acquis et je dois le mériter”.
-Permettez que je vous accompagne, l’arrêta alors l’archère, je sais que vous connaissez bien le monastère, elle eut un petit sourire, mais je pourrais continuer à vous parler.
Son envie de s’isoler était compréhensible, mais elle ne pouvait pas le laisser partir dans la nature après une telle crise. Mieux valait le conduire à bon port. Il était encore blême et elle le soupçonna de chercher à faire illusion.
Dimitri s’avoua qu’il s’agissait de la chose la plus logique à faire, sa présence l’aiderait à se changer les idées, mais il remarqua alors la besace à la hanche de Gladys, entrouverte sur un abaque et des feuilles froissées.
-Ce serait avec plaisir, pardonnez-moi de vous détourner de vos devoirs, accepta-t-il alors.
-Oh ça, elle secoua la tête et eut un geste désinvolte de la main, ce n’est rien d’urgent. Je voulais simplement revoir mes comptes. Mais ce n’est pas grave, j’aurais tout le temps de le faire une autre fois. Et puis, peut-être que j’ai besoin d’y réfléchir autrement. J’y serais sans doute restée jusqu’à tard et ma mère m’aurait réprimandée, ajouta-t-elle, complice.
Sa sollicitude malgré leur différence de rang la toucha. Voilà une qualité qui lui permettrait de se faire aimer de ses sujets !
Le visage de Dimitri s’éclaira alors. Outre sa voix chaleureuse et agréable, Gladys était définitivement douée pour mettre les gens à l’aise. Loin d’être guindée, son naturel et son assurance lui conféraient un charisme certain, elle avait presque réussi à dissiper sa gêne. La jeune femme se leva alors d’un pas décidé et se tourna vers la porte. Le prince remarqua alors pour la première fois le ruban noir qui fermait la couronne tressée à l’arrière de sa tête. Il paraissait absorber la flamboyance des mèches qui l’entourait. Un trait d’encre dessiné par la main du deuil à la surface de cette mer de flammes. Elle aussi pleurait silencieusement, mais continuait d’avancer, de protéger les siens.
-Et je ne dirai rien à personne, elle se retourna et posa une main sur son cœur, je n’aurais rien à gagner à répandre des racontars.
Et elle avait l’esprit vif, en plus de ça. Son comportement lors de la patrouille avait montré à Dimitri l’ampleur de son professionnalisme et de sa droiture. Il ne pouvait que la croire.
*
Ils furent accueillis au dehors par un beau ciel étoilé. Gladys leva les yeux, émerveillée par cette beauté après la tension de ces dernières minutes. La vision d’un ciel dégagé suffisait toujours à la réconforter. L’image de ce rêve  aussi étrange que frustrant où elle coursait une étoile filante lui revint brièvement mais elle n’y accorda pas d’importance.. La nuit était fraîche, mais cet air dans ses poumons la revigorait. La lune bienveillante avait transformé le grand pont en argent.
Elle se laissa guider. De nombreuses zones du monastère lui étaient encore inconnues et ses déplacements restaient routiniers.
Dimitri partageait son sentiment, ému par cette tranquille magnificence, cette promesse d’encore un peu de beauté en ce monde.
-Vous devriez vous rendre au lac de Teutates si vous en avez l’occasion, il s’empara du sujet qu’elle lui avaitfourni, il y a souvent de la brume, mais le lac est très beau si le soleil se montre. L’on y voit également beaucoup de tortues d’eau douce et on raconte qu’en voir beaucoup est un signe d’abondance.
La sérénité de cette nuit les invitait  à parler bas.. C’était comme s’ils avaient levé la porte d’un monde secret, plus proche des astres. Il n’y avait pas de jugement dans cette obscurité libératrice, juste de la bienveillance. La simplicité, le naturel de cette situation, gardait les morts à distance .
-Vraiment ? S’amusa Gladys, je ne connaissais pas cette légende. J’irai un jour, se promit-elle.
Ce ne serait cependant pas pour tout de suite. La reconstruction de son domaine lui demanderaient toute son énergie. Par chance, la jeune femme avait su s’entourer de personnes de confiance. L’intendant et le magicien supervisaient le tout en son absence. Cela lui éviterait de trouver  un chaos sans nom à son retour. Elle espéra de nouveau que tout se passait bien pour eux.
La colère l’assaillit alors de nouveau. Gladys savait qu’elle n’aurait pas de repos tant qu’elle n’aurait pas chassé les impériaux du royaume. Elle ne voulait rien entendre des motivations de l’impératrice et doutait de toute manière que celle-ci aillent au-delà de l’appétit de conquête. “Pour eux nous ne sommes que des barbares et ils ont droit à nos terres. Mais ils ne sont pas chez eux et ne le seront jamais”.
-Quel était le projet sur lequel vous souhaitiez travailler ? Questionna alors Dimitri, curieux.
-Une fois la guerre finie, je veux pouvoir verser des pensions à mes soldats qui seront gravement blessés ou mutilés, annonça alors Gladys, nimbée de fierté et de conviction.
Elle avait passé la plus grande partie de sa vie au milieu des gens d’armes. Le décès d’Owain lui avait appris la difficulté de devoir affronter l’hiver et la maladie avec des finances brutalement réduites. Beaucoup considéraient l’infirmité comme un sort pire que la mort, car elle faisait de vous un fardeau pour votre famille ou vos anciens camarades. La jeune femme connaissait toutes les rigueurs de la vie militaire et souhaitait que leur sacrifice soit récompensé en leur permettant de continuer à vivre dignement.
-Une bien noble décision. N’hésitez pas à me tenir au courant quand vous aurez trouvé, l’invita-t-il alors, je serais très intéressé par votre solution. Et je ne dis pas cela en l’air, vous pouvez venir me trouver quand vous le souhaitez. Je vous suis redevable.
Bien que préparé à régner depuis son plus jeune âge, il n’avait pas encore l’occasion de mettre tout cela en pratique. Échanger avec une personne de son âge dotée d’une expérience concrète dans le domaine, même sur un territoire bien plus réduit, l’intéressait donc. Cependant, il se reprocha aussitôt cette proposition. Gladys ne désirerait sans doute pas passer plus de temps que nécessaire en sa compagnie.
-J’ai juste fait ce qui était nécessaire dans une situation pareille. Mais je n’y manquerai pas, je serais ravie d’échanger avec vous à ce sujet, accepta aussitôt Gladys.
Un pâle sourire éclaira alors le visage de son interlocuteur tandis que jaillissait, vive et éblouissante, une étincelle de joie.
Avoir quelqu’un avec qui discuter de gouvernance et de politique était pour Gladys une magnifique opportunité de mettre à l’épreuve et de découvrir de nouvelles idées. Elle espérait que son éducation n’apparaîtrait pas trop lacunaire mais c’était un risque à courir.
Dimitri semblait soudain si accessible !  Il n’avait dû avoir aucun mal à gagner l’amitié des membres de sa maison. Sa bienveillance et ses attentions le grandissaient, le paraient d’une aura solaire.
“Et c’est une bonne chose, je vais pouvoir accomplir mon objectif”. Gladys chassa cette pensée opportuniste. Il n’y avait vraiment pas à se réjouir des circonstances qui lui avait permis d’obtenir ses entrées auprès du prince. Mais le fait était qu’elle les avait désormais.
-Je ne sais pas ce que vous avez pensé de moi ce soir, Dimitri s’arrêta alors à sa hauteur, mais je vous en conjure, vous n’avez rien à craindre. Je me montrerai à la hauteur de vos espoirs. Je vous le redis, Gladys, je me battrai jusqu’au bout pour Faerghus.
Cette conviction, cette flamme, cette droiture…Gladys s’immobilisa. Elle retrouvait le grand roi entrevu lors de la patrouille. Dimitri bataillait avec des démons invisibles, ces derniers l’avaient vaincu une fois. Mais il s’était relevé et avançait, inexorable. Bien que sans doute épuisé, il conservait sa dignité.  Quel courage ! L’admiration luttait désormais avec le doute.
-Jamais je n’oserais vous dénigrer, votre altesse, commença-t-elle alors, ce que je vais dire est peut-être inapproprié et je vous demande par avance pardon si c’est le cas, je n’oserais être présomptueuse. Vous savez, lorsque j’étais enfant, j’ai connu une femme qui avait participé à une campagne à Sreng. Elle avait vécu des choses assez difficiles, elle et son unité s’étaient retrouvés perdus dans le désert avec l’ennemi aux trousses et ne s’en étaient sortis que de peu. Parfois, elle oubliait la réalité lorsqu’elle entendait certains bruits et elle se mettait à se battre dans le vide et à transpercer plusieurs fois quelqu’un qui n’était pas là. On m’avait formellement interdit de me moquer d’elle ou de la juger. Parce qu’elle avait traversé de terribles épreuves avec courage et continuait à vivre malgré ses cicatrices. Pour moi, c’était une personne qui méritait mon respect
Elle retint un souffle, espérant que ses mots n’avaient pas déplu. La jeune femme avait eu le sentiment de tout jouer en quelques phrases. Elle était restée aussi neutre et ambiguë que possible sur son passé, par mesure de précaution. Certes, elle savait qu’il pourrait facilement apprendre son histoire avec une brève enquête. Mais le réflexe demeurait.
La gorge de Dimitri se noua de nouveau. Était-il vraiment digne de ces mots ? La considération qui les imprégnait le toucha néanmoins en plein coeur. Son sourire s’agrandit alors :
-Merci pour tout, nous y sommes, annonça-t-il alors soudain, pris par un étrange regret, je vous souhaite une bonne nuit, dame Gladys.
-Et vous de même, votre altesse, elle s’inclina avec élégance, comme Eadric le lui avait appris.
Elle espérait sincèrement que ces paroles lui seraient utiles. Elle ne pouvait que l’encourager face à  l’enjeu qui se tenait devant eux. Leur situation demeurait toujours  incertaine.
En sécurité désormais, Dimitri regarda Gladys disparaître sous le manteau de la nuit.. Quand il se coucha ce soir-là, sa bienveillance et sa compréhension l’enveloppaient encore comme une douce étreinte.
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ladyniniane · 2 years
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Entre mère et fille
Voilà la scène dont je te parlais @lilias42 !
Note : Tous mes écrits sur Fire Emblem seront désormais regroupés sous le tag “Fire Emblem 4 mariages et 1 enterrement”, et non ce n’est pas un poisson d’avril :P. (J’ai hésité à mettre “5 mariages” mais ça le fait moins et puis on perd la référence. Donc je me concentre sur l’intrigue principale). 
Et donc...
Les perles du chapelet, fraîches et lisses, coulaient entre les doigts de Gladys. L’objet avait appartenu à une de ses aïeules, cheffe de famille elle aussi. La chaîne fut interrompue par une médaille portant ses armoiries d’un côté, l’astre céruléen de l’autre.
« Astre d’espoir, dame de compassion et de de joie… veille sur leurs âmes. Permets-leur de contempler ton lumineux visage et de se reposer à tes côtés… ».
C’était comme lâcher un message dans le vent en espérant qu’il arriverait à destination. Elle disséminait ses vœux, les confiait au hasard. Le doute l’assaillait parfois, Gladys s’imaginait la Déesse assoupie à côté de ses saints. Restait cependant l’espoir que quelqu’un l’écoute, puisse prendre soin des mânes d’Owain et d’Eadric, de son beau-père et de son père, du sergent et du seigneur.
Tous deux l'accompagnaient à chaque oraison, flanqués de leurs cortèges de remords.
Des coups à la porte l’arrachèrent à ses dévotions. C’était sa mère, aussi l’invita-t-elle à rentrer.
-Je priais pour papa, expliqua-t-elle alors, perles encore entremêlées entre ses doigts.
Amalia parlait sa langue, savait qu’elle désignait Owain, l’homme qui l’avait élevée et à qui elle était liée par les puissants liens du cœur.
-Il serait très fier de toi, la femme s’assit à ses côtés et posa une main sur son épaule, emplie de sollicitude.
Glissa plissa le front, esquissa une moue dubitative.
-Je ne sais pas… j’ai toujours l’impression de le renier en présentant le seigneur comme mon père et de l’autre côté, je m’en veux quand je pense ça, souffla-t-elle tout bas.
Hors de question de laisser une phrase tombée dans les mauvaises oreilles pulvériser tous ses efforts.
Les deux hommes avaient éclairé son existence chacun à leur manière. Leur confiance lui avait donné la force d’oser déployer ses ailes. Ses souvenirs d’eux étaient emplis de bienveillance et de tendresse. Ils l’avaient chérie avec la même intensité.
Mais Gladys ne pouvait en dire de même.
Le sergent l’avait vue grandir. Il était associé à ses premiers rires, aux bras puissants qui la soulevaient pour la faire tournoyer. Gladys se rappelait de la fraîcheur de l’air matinal, de combien elle se sentait fière et puissante montée sur son poney. Et puis il y avait eu le premier arc, la première épée, leurs leçons et le bonheur d’Owain devant ses progrès. Le guerrier était certes exigeant, mais jamais avare en compliments. Il l’avait vue trébucher et l’avait aidée à se relever, avait séché ses larmes, lui avait appris comment lutter et survivre. Il était la chaleur des veillées au coin du feu, les promenades le long de l’eau et les joyeuses discussions d’une famille unie : son père. Le seul à mériter ce titre. C’était la raison pour laquelle elle avait l’impression de tourner le dos à son passé commun, à ses origines. Gladys se rappelerait toujours de l’année de ses quatorze ans. Le roi était tombé à Duscur et elle pleurait Owain.. La douleur restait gravée dans ses muscles, une cicatrice invisible mais profonde. C’était sa première expérience du deuil, de cette suie qui noircissait l’épiderme, des lèvres brûlées par le sel.
Le seigneur avait quant à lui été un mentor, un tuteur, une présence rassurante à ses côtés, une voix patiente lors de leurs soirées d’études. Elle le revoyait la guider à travers les pièces du château, la préparer à naviguer dans ces eaux troubles. Elle aimait leurs échanges, la manière dont il  la considérait sans hésiter à l’inciter à se remettre en question. La présence de Gladys emplissait ses yeux d’étoiles, elle était sa fille, sa joie. Sa fierté lorsqu’il lui avait donné son second prénom avait été contagieuse : « Tu seras désormais Rusla, la dame rouge. Peut-être connais-tu déjà son histoire, c’était une féroce guerrière, sur terre comme sur mer ».  Mais Eadric ne pouvait prendre la place du défunt. Il resterait un oncle, un adulte de confiance, un dirigeant qu’elle admirait, trop vite parti au front, comme de la brume qui se dissipait en matinée. L’intensité de son affection l’effrayait, car elle ne pouvait lui rendre la pareille. Lui qui avait tant attendu avant de connaître la joie d’être père…n’aurait-il pas été déçu, trahi, s’il avait su la vérité ?
Pas de déluge de larmes, pas de cœur saignant, mais une peine rentrée, méditative. Une mélancolie lancinante, comme un jour de pluie au ciel d’acier et le vent froid murmurait : « Ah, nous nous sommes quittés trop tôt ! ». C’était la tristesse  inexplicable qui la prenait parfois dans cet instant suspendu, lorsque le soleil avait disparu à l’horizon et que le jour vivait ses derniers instants. La brise agitait les arbres languides, les ombres s’étendaient. Que la nature devenait sombre ! Et elle restait là, cœur serré, étreinte par une abattement inexplicable.
Son nouveau statut donnait à ce deuil des allures de performance. Gladys se savait scrutée, ceux qui  la traitaient d’arriviste, de menteuse, de vile renarde dans la bergerie n’attendaient que du grain à moudre. Elle ne se souciait pas de son père, n’était là que pour le titre et l’argent, c’était bien connu.
Gladys avait mis en scène sa douleur, choisi le rôle de la vaillante châtelaine  qui trouvait la force de surmonter sa peine pour conduire ses troupes au combat. Elle pleurerait, mais plus tard, et attendait de ses gens qu’ils fassent la même chose. Elle ferait d’abord honneur à la valeur de son père et du royaume. C’était aussi quelque part la vérité, ce qui avait contribué à son succès. Cependant, elle dissimulait l’intensité réelle de son chagrin. La mort planant au-dessus de leurs têtes faisait désormais oublier tout cela.
Parfois, dans le secret de son cœur, elle demandait pardon au seigneur pour tous ces calculs. « Je voudrais vous pleurer comme je l’ai fait pour mon père adoptif. Vous avez tant fait pour moi. Mais je ne peux pas. ».
Aussi était-ce uniquement par respect  pour sa générosité et sa patience qu’elle avait ceint ses hanches d’une ceinture noire et entremêlé un ruban de jais dans ses cheveux et pas pour qu’on la voie. Même si  la dame en elle ne pouvait s’empêcher de relever les avantages de cette démonstration d’affliction.
-Tu n’es pas une sainte, ma fille, Amalia caressa  gentiment ses cheveux, il est normal d’avoir des sentiments contradictoires dans une situation compliquée. Ne sois pas si sévère avec toi-même.
Gladys se laissa alors étreindre, blottir contre l’épaule maternelle, baigna dans la force, la sérénité de cette femme que rien ne pouvait ébranler.
-Merci d’être là… je te suis infiniment reconnaissante de m’avoir accompagnée.
-Ne te sens pas redevable, objecta Amalia, c’est ma décision. Et ne t’en fais pas, ta mère est solide.
Ce n’était pas une vantardise mais une simple constatation. Celle d’une femme que la maladie n’avait pu vaincre, qui avait su se métamorphoser, dont la bravoure égalait celle des chevaliers. Les soldats impériaux avaient goûté à sa férocité : que cela soit par les flèches, la masse ou l’épée. Gladys n’avait jamais peur lorsqu’elle chargeait, car elle savait qu’Amalia était à ses côtés.
-Je te protégerai toujours, conclut alors sa mère, même si le futur t’amène à monter encore plus haut. Je serai toujours à tes côtés.
Gladys retrouva alors le sourire et resserra son étreinte, apaisée et rassurée. Cette dernière caressa doucement son dos. Les batailles, le sanglant chemin qui les avait menées jusqu’ici furent alors oubliées. Elles étaient de retour chez elles et les champs dorés s’étendaient à perte de vue.
Amalia se souvenait de sa sidération en apprenant ce que sa fille avait fait pour la protéger et s’était alors jurée de ne plus jamais lui faire défaut. Elle se dépassait, ne s’imposait aucune limite. Amalia se revoyait à l’âge de Gladys : simple cuisinière, sans ambitions, elle n’avait jamais manié une arme, recevait des ordres plutôt que d’en donner et sa plus grande bataille avait été l’enfantement. Sa fille était une étincelle, pleine d’énergie et d’ambition. Elle réveillait son envie de voir ce qu’il y avait de l’autre côté de l’horizon.
Toutes deux se séparèrent et les soucis du présent reprirent alors leur place.
-C’était une bonne surprise que le prince vienne participer à la patrouille, apprécia Gladys, il a dit d’ailleurs qu’il voulait de nouveau me voir. Faut qu’il s’en souvienne, mais cela pourrait toujours être utile.
-En effet, approuva la plus âgée, il ne nous reste plus qu’à espérer qu’il ne rechute pas.
-Oui.. Mais de l’autre côté, il est bien entouré, nuança sa fille, et si cela aboutit, cela nous fera un appui  de choix, surtout que nous ne sommes sûres de rien avec cette anguille de Felix…, lâcha-t-elle avec un geste agacé.
Seul le temps leur dirait de quoi le futur serait fait. Se raccrocher à une issue positive malgré les doutes était l’ une des seules manières de rendre supportable cette situation. Des soutiens si hauts placés étaient de plus une bénédiction pour une maison mineure comme la sienne.
Changer de rang avait introduit une part de calcul dans sa vie. Gladys voyait désormais les choses en termes de coûts et d’avantages. Lorsqu’elle avait lancé des distributions gratuites de repas et servi la soupe elle-même, c’était avant tout parce qu’elle se souciait du sort des plus démunis. Mais elle notait aussi désormais l’impact positif pour son image.
De même, Dimitri n’était pas seulement une nouvelle rencontre potentiellement intéressante. La jeune femme trouvait que les choses en perdaient un peu de leur spontanéité. Cependant, elle avait choisi cette voie et ne comptait pas se lamenter pour si peu. Surtout quand elle n’était pas la plus à plaindre.
-Il m’a tout l’air d’être un sacré énergumène. Vu ce que notre enquête a donné, on ne sait même pas s’il va prendre la suite de son père, commenta Amalia avec un geste de la main agacé.
Felix n’avait en effet pas encore été intronisé. Il ne montrait aucune volonté d’agir en duc, n’avait pas adressé de déclaration aux vassaux de son père, et leurs informateurs le décrivaient comme un loup solitaire et revêche,avide de combat, qui n’avait guère le caractère d’un seigneur. Pour compliquer la situation, son oncle continuait actuellement de gouverner les terres en l’absence de Rodrigue et avait une fille dotée d’un emblème.
-Il faudra bien étudier la manière dont nous voulons nous débrouiller avec lui. Ce n’est pas le genre à aimer les sangsues, il faudra la jouer fine. Voyons pour l’instant où ce début avec Dimitri nous mène, décida Gladys.
*
Le moment où elles se retrouvaient toutes à la fin de la journée était l’un des plus importants, un grain de normalité au milieu de tous ces préparatifs. Maeve vint la première, un sourire serein sur ses lèvres, comme si elle emportait avec elle le souvenir d’une expérience agréable.
-Je suis heureuse de te voir comme ça, comment s’est passé ton entraînement ? Questionna Amalia.
-J’ai travaillé dur, Maeve eut un hochement de tête volontaire, et en sortant j’ai fait un tour par la serre. Nous devrions y aller, il y a des fleurs magnifiques.
La magicienne détourna le sujet, ne voulant plus inquiéter Amalia. Elle s’en voulait d’avoir été si nerveuse après Gronder. « Je dois être leur égale, s’admonesta-t-elle, pas un fardeau ».
-J’irai la voir avec toi, promit alors Gladys, je suis très curieuse de voir comment tout ça fonctionne ! !
Des plantes nourries par la magie… elle rêvait déjà d’en construire une semblable dans son domaine. Chaque découverte suscitait une effervescence de plans, de projets. Hélas, la réalité de ses finances  la rappelait à l’ordre.
Amalia admit de son côté que Maeve l’avait surprise. Elle se souvenait de l’adolescente tombée du nid, propulsée dans un monde brutal, dont les larmes fendaient  le masque souriant et qui venait parfois chercher près d’elle la chaleur d’une mère. Un fossé la séparait de la femme courageuse, qui avait surmonté son dégout de la violence par altruisme d’aujourd’hui. Le prix de cette transformation se dévoilait quand Maeve ne parvenait pas à contenir son inquiétude..
Mais elle n’était sans doute pas différente de Vigdis. Il était facile de l’imaginer comme  la lune, suspendue hors d’atteinte, au-dessus des turpitudes du monde. Mais ses broderies racontaient une toute autre histoire. La seule différence était qu’elle enfouissait tout.
L’intéressée les rejoignit d’ailleurs d’un pas souple et léger, s’étira et s’assit. “Est-ce qu’elle s’entraînait encore à cette heure ? S’interrogea la guerrière. Il faudra que je lui en touche un mot”. Néanmoins, les circonstances n’étaient pas adéquates.
-J’ai réfléchi au motif que je voudrais sur ma bourse, plaisanta alors Amalia, j’aimerais une marmite.
-Parfait, Vigdis eut un sourire en coin, croisa les doigts et se pencha vers l’avant, que dois-je mettre à l’intérieur ? Du ragoût ou du bouillon ?
-Ou alors un plat de saghert à la crème, renchérit Gladys avec une diction exagérement distinguée.
Prise de court, Amalia laissa échapper un rire franc.
-Je ne me moquais pas de toi, bien sûr, expliqua-t-elle à Vigdis, Je sais que cela compte beaucoup pour toi et j’ai conscience de la valeur de ce cadeau. Tu es une artiste et tu m’offres ton temps. Je t’en remercie.
Elle et sa fille savaient coudre, comme tout le monde, mais leurs connaissances se limitaient à des réparations fonctionnelles.
L’épéiste lui offrit en réponse un petit hochement de tête pudique accompagné d’un fin sourire reconnaissant.
-C’est juste que j’ai du mal à choisir, expliqua la dame, quel motif m’associerais-tu ?
Le regard de son interlocutrice s’égara un instant dans ses rêves. Puis elle prit une grande inspiration et déclara, solennelle, comme si elle se lançait dans le vide :
-Une bougie.
-Oh ! Très bonne idée ! Renchérit alors Maeve, c’est un symbole de chaleur et d’espoir, c’est ce qui égaie le foyer et nous guide dans le noir.
Vigdis approuva silencieusement, heureuse que son amie ait compris et développé..
-C’est tout toi, maman, appuya Gladys.
-Dans ce cas, Amalia sentit croître sa gratitude, heureuse de se voir décrite ainsi, c’est ce que je veux. Je te fais confiance.
-Comptez sur moi, approuva cette dernière, je donnerai le meilleur.
-Nous avons toutes nôtre motif dans ce cas, célébra Gladys en effleurant le renard qui ornait la sienne, d’ailleurs en parlant de ça…est-ce que quelqu’un a une idée de ce qu’est le saghert ? Comme c’est un plat de la capitale, je n’en connais que le nom.
Amalia secoua alors la tête tandis que Maeve réfléchissait.
-C’est un gâteau à la pêche avec de la crème et des baies de Noa par-dessus, décrivit Vigdis, prosaïque, j’en ai mangé quand j’étais ici. C’est bon si tu aimes les gros desserts sucrés. Ça donne de l’énergie en tout cas.
-ça a l’air délicieux ! Maintenant je regrette d’en avoir parlé, j’ai de nouveau faim, grimaça Gladys.
“Et nous ne risquons pas d’en manger tout de suite” fut la réponse qui effleura les lèvres de Vigdis. Mais elle se trouva maladroite. Ce genre de réflexions évidentes n’apportait rien, à part alourdir l’ambiance. Elle se corrigea alors :
-Nous en mangerons un jour, c’est sûr.
Elle constata avec soulagement que  l’ensemble ne parut ni faux, ni forcé. Peut-être parce qu’il reflétait son désir de gagner et sa prise de conscience du matin : « le soleil finira de nouveau par se lever ».
Les accords du luth retentirent alors. Maeve était revenue avec son instrument. Gracieusement installée sur la chaise, la tête inclinée avec élégance, les mains douces et légères, elle éveilla le luth. Sa voix s’éleva alors si haut qu’elle rejoignit les oiseaux dans le ciel. Soudain, elles n’étaient plus dans une chambre sombre et spartiate de Garreg Mach mais dans un jardin ou un palais. Le ciel était empli d’astres, le monde tranquille. Jusqu’à la prochaine bataille.
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ladyniniane · 2 years
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Enid joins the party! - Fire Emblem Three Houses
(Je n’ai pas trouvé de titre sérieux)
Et voilà, après Vigdis, Gladys et Maeve, c’est au tour de ma dernière héroïne, Enid, d’avoir droit à son entrée en scène. 
@lilias42
Trigger warning : mentions d’automutilation et idéation suicidaire (c’est juste un petit passage, je vous rassure).
Enid associait les mages noirs à l’odeur de la charogne. 
Ils ouvraient la voie à une large voiture couverte, bardée de métal. Un corbillard, une livraison d’ « atouts de guerre », comme les désignaient les documents pour éviter que les consciences ne se réveillent. Elle s’accroupit, se rendit invisible. Ses alliés devaient déjà être en position. Tout son corps se préparait à l’attaque, prêt à tuer. 
L’on fit halte, des éclats de voix montèrent en constatant que la route était obstruée de planches et d’autres obstacles. Ils ne s’attendaient clairement pas à une telle situation.
Elle agrippa son épée. Le moment été venu. Perché dans son arbre, un camarade décocha une flèche. L’un des corbeaux leva la tête, mains auréolées de ténèbres. Enid se déplia, se rua sur sa proie et l’égorgea comme un poulet avec une précision chirurgicale. Un affrontement bien mené devait se terminer le plus vite possible. 
Ses alliés se démenaient à ses côtés, les coups de leurs armes résonnaient au milieu de la mélopée funèbre des flèches et des sifflements de la magie. De nouveau prise pour cible par un mage noir,  elle ne dû sa survie qu’à sa souplesse. Tout se jouait en l’espace d’un battement de coeur. Le couteau rejoignit la main d’Enid, son poignet la libéra avant même que le sorcier n’ait pu préparer sa riposte. Le métal vola vers son torse dans un bref éclat et s’y enfonça.
Une lame s’abattit vers elle, Enid eut à peine le temps d’esquiver, sentit le métal entailler sa peau et la chaleur du sang. Sa riposte fut furieuse, vicieuse. Le garde était fort et leurs armes s’opposèrent en un terrible fracas. Elle ne lui concéderait plus aucun avantage, hors de question de céder à un tel rebut de l’humanité. Un chant de guerre résonnait dans son corps. Bien sûr, l’emblème ne se montrait pas. A croire que cette saloperie n’avait pas d’autre but que de lui rappeler le cauchemar qu’elle avait traversé.
Le visage d’Enid avait tout d’un masque démoniaque. Un rictus dévoilait ses dents, ses yeux brillaient d’une lueur mauvaise. C’était le regard d’un serpent, froid et cruel. Insaisissable comme la fumée, elle réussit à l’entraîner dans sa toile, à lui faire adopter son tempo. Il trébucha alors, emporté par la vigueur de son offensive. Sa chair céda sous la lame d’Enid, ses yeux se révulsèrent tandis que la colère déformait ses traits. Mais il ne fut très vite plus qu’un cadavre échoué à ses pieds.
Le combat prit fin. Les freux viendraient bientôt, attirés par le festin. Enid parcourut la route du regard. Ils avaient triomphé, mais le prix avait été payé et certains d’entre eux gisaient désormais aux côtés des laquais de l’empire. Une mort commune à de nombreux héros de l’ombre. 
Enid savait que cette lutte serait gagnée sur le long terme, mais rageait parfois devant leur peu d’avancées. Ces raclures devaient être éliminées et ne plus jamais toucher à qui que ce soit. Elle se tempéra, sa fureur savait aussi se faire animal à sang froid. L’empire était un colosse, mais ils finiraient patiemment par lui scier les pieds, Enid se le promettait. Elle avait tout le temps nécessaire devant elle. 
La besogne n’était pas terminée. Enid se dirigea vers le véhicule et crocheta la serrure avec maîtrise. La porte s’entrouvrit alors. Une exhalaison méphitique s’en échappa alors, mélange d’excréments, de sang séché et de sanie. Elle avait beau la connaître désormais, ses tripes en furent néanmoins retournées. C’était le parfum de la déchéance, d’une horreur sans nom. Comme toujours elle se crispait, faisait violence à son instinct de survie. La rage pulsait en vagues ardentes.
Tous s’éloignèrent alors. Les monstres étaient toujours enchaînés, mais la prudence s’avérait de mise. Rien ne bougeait à l’intérieur. Les corbeaux avaient trouvé un moyen de s’assurer de la docilité des bêtes pendant le transport. Enid ignorait s’il s’agissait un mélange de sorts, d’hypnose ou de drogues, mais le résultat était là. Les créatures étaient inertes, vautrées dans leur cloaque. 
La femme à sa droite lui tendit alors la lance bénie. Enid haussa les épaules. Elle héritait toujours de ce genre de corvées car ses mains était sûres. L’équarisseuse fit un pas, pointe en avant. Rien ne bougea. 
Elle sentit alors une énergie s’éveiller, c’était un avertissement un instinct, une puissance qui se massait, prête à déferler. 
L’emblème. « Bon sang, c’est pas trop tôt ! ». 
Enid frappa alors, chevaucha la vague, la pointe éclata sans effort l’oeil de la bête, s’enfonça plus loin. L’assassine la récupéra pleine d’une bouillie noire et de morceaux grisâtres. Déjà, la créature se désagrégeait, son être se défaisait comme autant de rubans noirs. Il lui fallut se faire statue de glace pour enjamber le cadavre sans le regarder. Le second monstre connut alors le même sort.
Enfin, s’autorisa-t-elle à la contempler. Les bêtes avaient été deux jeunes gens, couverts d’entailles. Ils étaient passé par le même enfer qu’elle, mais sans avoir la chance d’en réchapper. 
« Reposez en paix, c’est fini maintenant. Que la Déesse vous guide. Je vous promet que cela ne restera pas impuni ». 
Son visage restait lisse, mais son sang n’était que magma en fusion. Enid jeta la lance à sa collègue, sans plus y accorder un regard. 
Bon, l’emblème avait su se montrer utile. Ils allaient pouvoir se disperser plus rapidement. Si ce coup de pouce était appréciable, mais Enid continuait à songer que le véritable avantage d’un tel don était la capacité à utiliser une arme légendaire. Quel dommage que celle qui correspondait au sien soit entre les mains de l’impératrice ! Mais la guerrière n’en était de toute manière pas digne.
*
La mort implacable abattait son poing. L’empire se montrait sans pitié avec la dissidence et plusieurs membres de leur réseau étaient tombé entre ses griffes. Les survivants avaient alors décidé de se disperser, de disparaître en souterrain. Ce n’était que partie remise, l’on ne se débarrassait pas de la mauvaise herbe ainsi. Familles opposées à la guerre, déserteurs ayant fui la conscription, nobles déchus, religieux et adeptes de l’église…nombreux étaient les porteurs de la flamme contestataire. 
Enid savait qu’elle n’avait pas le temps de s’attarder sur les défunts. Elle avait appris la leçon de toute manière, chacun pouvait tomber d’un instant à l’autre. Si elle les estimait pour leur engagement, ses rapports avec eux n’avaient jamais été très approfondis. La mission devrait se poursuivre.
Sa dernière découverte l’obnubilait, occultait de toute manière tout le reste. C’était une chance formidable, obtenue au prix du sang. Le coeur affolé, Enid inspecta les feuillets devant elle, froissés, abîmés, un si fragile espoir. Les recherches d’une emblémancienne dissidente, qui avait passé des années à traquer les indices, à regarder dans les interstices. Ces documents avait été saisis par l’administration impériale mais un de leurs alliés infiltré sur place avait réussi à les détourner. Cependant, nul n’avait plus eu aucune nouvelle depuis. 
Dans ses écrits, la chercheuse laissait entrevoir une paranoïa grandissante. Peu considérée par sa communauté, elle craignait que l’on ne rie de ses révélations. Elle avait également peur des conséquences si elle venait à parler. Mais un besoin fiévreux de coucher par écrit ce qu’elle savait avait guidé sa plume.
Ces charognards, ces bouchers, ces meurtriers d’enfants étaient en réalité les membres d’une société secrète qui rodait dans les coulisses de Fodlan depuis des siècles. La démonstration était étayée de preuves méticuleusement glanées. Leur intégration plus ou moins officielle à l’empire était donc relativement récente. « Si on ne se débarrasse pas d’eux, ils replongeront dans les ténèbres en attendant une occasion de sortir ». Sa main effleura le manche de sa dague.
Enid avait longtemps cru qu’ils étaient une unité secrète, strictement présente en Adrestia et répondant aux ordres de son souverain. Certains éléments revêtaient une nouvelle signification : le fait qu’ils se tiennent à part du reste des troupes, que les soldats ordinaires se méfient d’eux, qu’ils ne prennent leurs ordres que de l’hégémon ou de ses plus proches subordonnés, ainsi que leurs lettres codées rédigées dans une langue indéchiffrable. Enfin, ils étaient les seuls à pouvoir réaliser certaines opérations. 
Elle avait pensé que si de tels mages étaient venus saisir leur maison, c’était à cause de l’alliance entre Cornelia Arnim et l’empire. Et si cette dernière était en réalité un membre de ce groupe, infiltrée dans Faerghus en attendant le moment propice pour agir ? 
C’était une pestilence répandue à travers tout le continent, un monstre aux mille têtes. Enid brûlait de toutes les trancher, de brûler leurs tables d’opération et de les faire saigner comme leurs victimes. 
Sa prochaine destination était le monastère de Garreg Mach. Elle allait avertir l’armée du royaume de la réalité de la menace et les inciter à agir en conséquence. Si le prince Dimitri et la générale Byleth désiraient construire un règne stable, ils n’auraient aucun intérêt à laisser grouiller ces serpents. Leur savoir était trop dangereux. 
Peut-être leur destruction complète approchait-elle. Cette guerre ne se terminerait que par la destruction de l’une des deux parties. Edelgard préférerait sans doute voir sa tête rouler que de capituler. 
De son côté, Enid les éliminerait désormais directement sur le champ de bataille. 
*
De l’eau gouttait du le toit de l’église abandonnée. Autrefois lieu d’accueil et de sérénité, celle-ci n’était désormais plus qu’une coquille vide. Recroquevillée sur elle-même pour conserver sa propre chaleur, Enid s’était installée aux pieds d’un saint manchot et décapité, Cichol sans doutes. La tête mutilée de sa fille, ses yeux, son nez et sa bouche martelés, reposait un peu plus loin.
L’impératrice n’avait pas eu besoin d’ordonner cette destruction. Des groupes de fanatiques s’en chargeaient désormais très bien de leur propre initiative. Edelgard avait dénoncé les mensonges de l’église pour devenir une nouvelle déesse, un absolu.
La guerrière se souvenait de cette église à Enbarr, ce havre de paix. Sa prêtresse l’avait ramenée parmi les vivants et Enid espérait qu’elle vivait toujours. Il lui arrivait encore d’égrener parfois les noms des saints comme elle l’avait entendue faire, trouvant du réconfort dans cette litanie familière.
La pénombre l’encerclait, pesait sur son moral comme une chape de plomb. C’était l’heure où les fantômes se réveillaient. Sa main erra dans sa besace, chercha le talisman déformé, calciné. 
« Ne t’en fais pas, Maeve, je te vengerai bientôt ». 
Rien ne pourrait jamais l’absoudre. En succombant aux douleurs passées, Enid s’était détournée du présent. 
« On a retrouvé cet objet à côté d’un corps carbonisé et méconnaissable. Une jeune fille selon toute logique… »
Maeve ne se séparait jamais de ce talisman, c’était un présent de sa mère. Une mort atroce pour une adolescente gaie, brillante et émotive. Une douce enfant qui méritait de continuer à chanter et à enchanter. Et Nemain, à qui elle devait tout, Philomèle, la survivante…Enid avait échoué à les protéger. 
Sa petite soeur la visitait en rêve, sa peau fondait, se noircissait dans l’étreinte des flammes. Emportés ses beaux cheveux jusqu’à ce qu’il ne reste que le crâne nu. Son doigt accusateur condamnait Enid au bûcher des remords.
Le mal s’était emparé d’elle comme un grand froid, elle se sentait fatiguée, distante. Son corps était devenu une enveloppe trop lourde qu’elle contemplait avec détachement, laissant le givre la gagner. La pente descendait vers les profondeurs. La guerrière savait ce qui l’y attendait mais se vit glisser, sans même chercher à lutter. Enid remonta alors ses manches et contempla les cicatrices qu’elle dissimulait toujours d’ordinaire, nettes, précises…faciles à rouvrir. 
« Lorsque tout sera fini, je vous offrirai la chaleur de mon sang en libation. »
La pensée jaillit des tréfonds de son âme. Ce serait rapide, elle se représentait déjà l’oubli cramoisi qui emporterait tout. Un goût acide lui remonta en bouche, un instinct muselé remua, protesta. Allons-bon ? Quelle autre issue y avait-il ? Enid tâta son visage. Dix ans avaient glissé sur elle. Il ne s’agissait plus de suspicions désormais : elle vieillissait plus lentement qu’une personne ordinaire. Une impulsion maligne la saisissait parfois et lui hurlait de prendre une dague et de régler leur compte à ces traits trop lisses et juvéniles.  La solitude, de longues années passée à se dissimuler, à trouver des stratagèmes l’attendaient désormais. C’était pour cela qu’elle préférait en général opérer seule, elle n’avait pas rejoint le réseau depuis suffisamment de temps pour que l’on ne se pose trop de questions. Et puis elle supposait de toute manière qu’ils avaient eu autre chose à songer…
Cette dernière pensée à la ramena à sa mission, l’arracha aux eaux glacées. Plus tard. Mais pas maintenant. Pas maintenant. Frissonnante, comme fiévreuse, elle chercha une position plus confortable pour somnoler. 
*
Comme chaque matin, le garde reprit avec entrain sa position à la porte. Qu’importait s’il y avait ou non du mouvement, il devait s’acquitter de sa tâche. 
Il vit alors arriver une femme, tout de noir vêtue, juchée sur un cheval bai. L’inconnue portait une brigandine par dessus une longue tunique descendant plus bas que ses genoux, et portait l’épée. Une cape l’enveloppait. 
Sa tête était relevée avec l’arrogance qu’apportait la confiance en ses capacités. Cette attitude ne faisait d’ailleurs que rehausser la noblesse de ses traits, un profil digne de figurer sur une médaille. Son nez était bien dessiné, ses pommettes saillantes, ses lèvres d’une belle couleur vive. Ses longs cheveux châtain clair étaient ramenés en une couronne tressée. Les yeux en amandes restaient néanmoins dérangeants : d’un vert très pâle, minéral, ils avaient quelque chose d’ophidien. L’expression fermée de la femme contribuait sans doute beaucoup à cette impression de froideur. 
Impossible d’estimer son âge. Son premier réflexe fut de lui donner un peu moins de vingt-cinq ans. Mais son maintien, sa distinction, évoquaient la maturité d’une femme plus âgée. Cette contradiction donnait à la régularité de ses traits un aspect artificiel, comme un masque trop lisse. Il ignorait si elle était belle, mais qu’importait : elle avait un charisme indéniable. 
-Je dois parler à l’évêque Leoba, annonça alors Enid, impérieuse, j’ai des informations de la plus haute importance à lui faire parvenir. 
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ladyniniane · 2 years
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Une rencontre dans la serre (Fire Emblem Three Houses)
Après Vigdis et Gladys , c’est au tour de Maeve d’avoir droit à son introduction ! J’espère que ça te plaira @lilias42 !
Note : l’air que chante Maeve est Homo Fugit Velut Umbra/Passacaglia della vita de Stefano Landi (qui a dit que le jeu se déroulait au XIIème siècle :P ?). Je me suis appuyée sur cette traduction en la modifiant un peu. 
Maeve enfila sa tunique et accorda le moins d’attention possible à ses cicatrices. Les souvenirs prisonniers de la chair n’attendaient qu’un regard pour s’échapper. Les plaies savaient se changer en bouches hurlantes. Chanter était alors la seule manière de couvrir les lamentations. Les paroles rassurantes la gardaient sur le droit chemin. Maeve avait confiance en sa voix, ce cri de révolte, cette flamme qu’aucun vent obscur ne pouvait éteindre.
Elle glissa sa baguette dans sa ceinture, puis dissimula son stylet. Enid lui avait appris à le faire surgir entre ses doigts et à frapper avant même que la cible n’ait réalisé la nature du tour de magie. Les points faibles du corps humain ne recelaient aucun secret pour elle. 
La magicienne frappa le sol du pied. « Cesse donc d’y penser ! S’admonesta-t-elle. Tu infliges ça aux autres en prime ». Pourquoi n’était-elle pas capable de trancher l’attache ? Le message était clair, son aînée leur avait tourné le dos. Son esprit insatisfait y revenait pourtant toujours. 
Maeve était de retour dans la cour de la maison. Le saule pleureur ondoyait sous le vent, Enid ferraillait contre les courants d’air. Ses yeux de jade étaient durs, froids et tranchants, sa lutte furieuse, désespérée. La plus jeune sentait la présence de l’ombre sans pouvoir la nommer et son sang se glaçait. 
Il avait suffit d’une nuit pour que tout vole en éclat. Les cris stridents d’Enid, ses cordes vocales sur le point de se rompre, résonnaient encore  dans ses oreilles : « Ils ont touché quelque chose en moi ! Tout le monde dans le voisinage dit que mon visage ne change pas ! Je dois savoir ! Je dois savoir ! ». Tante Nemain avait essayé de parlementer, à peine audible.  Maeve s’était recroquevillée dans son lit, sa poupée blottie contre elle, tétanisée.
Elle reconnaissait désormais douleur de sa « grande soeur », le nuage de ténèbres qui vous assombrissait parfois l’esprit, les démons qui vous tenaient compagnie dans la nuit. 
Les questions sans réponses s’alignaient, s’empilaient. Maeve se passa les mains sur le visage, frotta avec vigueur. De grâce ! Retour au présent ! Le luth l’observait depuis son coin de la pièce, la jugeait en silence. 
« Oh maman, songea alors Maeve, je ne suis pas devenue la personne que tu espérais ». Philomèle l’avait voulue raffinée, à l’abris du besoin, dame de compagnie de quelque grande maison, pourquoi pas. Pourtant, sa fille avait emprunté le chemin écarlate de la guerre, corps meurtri, main souillées. Elle cheminait parmi les cadavres, dans la boue et le sang, convoquait la mort d’un sortilège. C’était ainsi, l’on voulait toujours le meilleur ses successeurs. Maeve n’était pas une exception : « Si me bats, c’est pour que ceux qui viendront après n’aient pas à le faire ». 
Elle releva simplement ses cheveux en un épais chignon à l’arrière son crâne. Le pic qui les maintenait pouvait aussi servir d’armes. Les dernières rondeurs de l’enfance avaient depuis longtemps quitté son visage, son teint était crayeux. Il y avait dans cette substance perdue tout le prix payé. Vorace, la guerre prélevait son tribu, la métamorphosait. Peut-être continuerait-elle à s’étioler jusqu’à ce qu’il ne reste d’elle qu’un squelette, blanc et poli. 
Mais tous finiraient ainsi. Même la terrible impératrice d’Adrestia ne serait un jour que de simples os nus, semblables à ceux des ennemis qu’elle méprisait tant. Revigorée par cette pensée, la magicienne s’arracha à sa macabre rêverie.
-Oh combien tu te trompes
Si tu penses que les années
Jamais ne vont finir,
Il faut bien mourir…
La mélodie lui vint, à la fois défi, fatalisme, et elle la laissa distraitement franchir ses lèvres. 
Dernière étape maintenant. Maeve sortit la boite à maquillage de son tiroir. Il ne lui en restait que peu et elle peinait à s’approvisionner. L’entraînement aurait raison de cet artifice, mais peu lui importait. Seule comptait l’impression de normalité qu’elle retrouvait momentanément ainsi. Un peu de poudre pour redonner de la vigueur à son teint, du rouge sur les lèvres pour ramener de la couleur de son existence. Un vêtement bien choisi, un fard bien appliqué la faisaient aussi paraître plus âgée. Un tour de passe passe réussi en somme.
Pendant qu’elle appliquait les cosmétiques, la magicienne revint à Edelgard. Cette dernière devenait soudain beaucoup moins effrayante lorsqu’elle y pensait ainsi !
Maeve l’avait vue à l’oeuvre lors de la bataille de Gronder. La conquérante avait au début préféré la prudence et supervisé ses soldats depuis l’arrière. Voyant les hostilités se rapprocher d’elle, l’impératrice s’était alors portée au devant de l’ennemi afin de rallier ses troupes faiblissantes.
Parée d’un éclat aveuglant, reconnaissable entre tous au panache écarlate de son casque et aux dorures de son armure, Edelgard avait commencé sa macabre moisson. Maeve s’en rappelait comme un soleil gorgé de sang, une étoile corrompue, de mauvais augure. L’impératrice soulevait son lourd bouclier comme un simple jouet, maniait d’une seule main une arme faite pour être brandie des deux. Il se murmurait que sa hache était vivante et que son tranchant s’agitait, se refermait comme une mâchoire. Une arme animée d’une seule envie : dévorer les chairs ennemies. 
Maeve et les mages s’étaient alors préparés à l’intercepter. La jeune femme avait ignoré la douleur dans ses muscles, la pression à ses tempes. Mais une unité de sorciers impériaux s’était alors interposée. L’escouade de la jeune femme avait jusque-là avancé en étant couverte par les soldats lourds de Duscur. Cela avait alors été à elle de jouer les boucliers. 
Un échange nourri avait alors suivi. Lorsqu’un camarade tombait à ses côtés, il fallait poursuivre et se battre pour deux. Maeve avait dû l’apprendre, ne plus se précipiter pour les aider et briser la formation. Elle avait frappé de toutes ses forces, puisé dans ses dernières réserves avec l’espoir d’ouvrir la voie vers l’impératrice. 
Hélas, sentant le vent tourner, cette dernière avait fait demi-tour avec le restant de ces troupes.
« Si tu ne te sens pas faite pour te battre, avait dit autrefois Amalia, tu n’es pas obligée de continuer. Il faut de tout en ce monde : des soldats, des nourriciers, des artistes…et aucun n’a moins de valeur que l’autre ». 
Mais Maeve avait persisté, même si des progrès restaient encore à faire. « Le fer devient bien une épée sous les coups du forgeron, alors pourquoi ne puis-je pas moi aussi changer de nature ? ». 
L’émaciation n’était pas le seul changement subi par son corps. Elle était désormais plus souple, plus forte, plus rapide. Capable de survivre.
Ce fut sur cette dernière pensée qu’elle quitta la pièce. 
*
-Bravo pour avoir tenu tête à Felix, félicita-t-elle son amie lorsque celle-ci l’eut rejointe, ça c’est notre Vigdis !
L’ombre d’un sourire apparut alors sur les lèvres de cette dernière.
-Je l’affronterai de nouveau ce soir, annonça l’épéiste, et nous verrons. 
Son amie restait imperturbable, sa détermination froide, calculée, féroce. Doutait-elle seulement une fois la porte de sa chambre refermée ? Maeve se promit d’affronter un jour les dangers avec la même défiance. 
*
La journée s’écoula, à perfectionner les formations, à maximiser le potentiel destructeur des sortilèges. Sa rencontre avec la talentueuse Annette s’était révélé plus qu’utile. Maeve se rendit aux bains publics afin de délasser son corps, aussi fourbu que si elle avait passé la journée à agiter une épée. Des fourmillements courraient dans ses extrémités, elle massa ses tempes pour que la migraine ne s’y installe pas : des symptômes ordinaires après une journée passée à utiliser la magie. C’était parfois une affaire de dextérité, pincer la bonne corde pour en tirer le son adéquat. Mais la concentration fluctuait avec la fatigue. Le pouvoir se faisait anguille, il fallait alors le saisir, l’agripper et le contraindre. 
Maeve avait entendu des histoires de mages victimes de leurs propres arcanes dans le feu de l’action. Mais mieux valait ne pas y penser. Elle avait développé ses propres gestes et techniques, connaissait désormais bien les signes avant coureurs. Bien qu’ayant réchappé à Gronder, la jeune femme savait aussi que la véritable lutte se jouerait sur la durée. 
Elle avait plus que tout envie d’un répit. Vigdis était entrain de mener son duel. Gladys rentrerait bientôt de patrouille. Ses pas la menèrent vers la serre tandis que le monastère s’embrasait sous le soleil couchant.
La lumière se déversait à l’intérieur, transformait les vitres en sublimes vitraux et les fleurs en joyaux. Le monde  extérieur avait succombé sous un déluges de flammes rubis. Seul demeurait ce jardin, comme un espace préservé. Ainsi, il existait encore un peu de beauté dans ce monde brutalisé ! 
Maeve déambula sans destination précise, jusqu’à ce que son regard soit attiré par un groupe de fleurs à nulles autres pareilles. La magicienne n’en avait jamais vu de semblables. Leurs couleurs solaires, leurs corolles déployées et leur vivacité la captivaient. Etrangères en ce lieu, elles poussaient malgré tout avec orgueil. 
La jeune femme s’approcha alors. Et attira ainsi l’attention de l’homme qui s’en occupait. Maeve se souvenait de lui : c’était le meneur des lanciers de Duscur et le vassal du prince Dimitri. Il était probablement l’homme le plus grand qu’elle n’ait jamais vu et la dépassait d’au moins trente bons centimètres. Elle ne pouvait que se sentir minuscule en comparaison. 
Sa stature était de plus imposante, sculptée par les années de combat. Tout son visage n’était qu’angle durs, sa mâchoire forte. Nombre de cicatrices claires marquaient sa peau sombre : sur la joue, le front, la lèvre, le menton… Pour autant, son attitude n’était pas nécessairement menaçante. Son regard smaragdin restait pensif, interrogateur. 
-Bonsoir, lui sourit-elle simplement, je ne voulais pas vous déranger. Je regardais simplement les fleurs. 
L’inconnue lui était familière. Dedue comprit alors à la baguette passée à sa ceinture qu’elle était la courageuse magicienne qu’il avait vu combattre à Gronder. Le visage de ses souvenirs était déformé par l’effort, recouvert d’un masque de sang et de suie. La jeune femme s’était érigée en rempart, bras tendus devant elle, pied fermement ancrés dans le sol, déterminée à ne rien laisser passer. Impitoyable, elle n’avait manqué aucune occasion d’éclaircir les rangs ennemis. 
Sa physionomie n’exprimait pour présentement que le calme et une certaine distinction dans son maintien. Dedue nota qu’elle devait être un peu plus jeune que la moyenne de ses camarades de maison. Un sourire lumineux éclairait son visage délicat, lui creusait deux fossettes. Sa carnation était ivoirine, d’une pâleur peut-être accentuée par la fatigue, et ses lèvres pâles. Ses grands yeux curieux n’en paraissaient par contraste que plus sombres. 
Dénouée sur ses épaules, son épaisse chevelure était une rivière d’encre parcourue parfois de quelques vagues. Un rouge gorge, brodé avec beaucoup de talent et de soin au détail, ornait son escarcelle. Dedue songea que cela lui convenait bien.
-Vous ne me dérangez pas, la serre est à tout le monde, rétorqua-t-il simplement. 
Son ton était un peu froid, factuel, mais pas sec pour autant. N’ayant rien de plus à ajouter, le guerrier repris sa besogne. Il avait certes désormais l’habitude de s’ouvrir un peu plus en compagnie de ses camarades, mais ce n’était pas tous les jours que des inconnus engageaient spontanément la conversation avec lui.
Maeve l’observa, fascinée. Ses grandes mains auraient facilement pu ressembler à des battoirs, mais traitaient les fleurs avec une immense délicatesse. Les végétaux paraissaient si fragiles entre ses doigts ! Pourtant, son toucher n’était que précision, légèreté, sureté. Ce qui, couplé à l’impression de force tranquille qui émanait de lui, rendait le tableau étrangement apaisant.
La jeune femme se reprit. Il était inconvenant de fixer quelqu’un ainsi. Elle allait poser sa question et puis partir. 
-Je n’ai jamais vu de fleurs comme celles-ci, d’où viennent-elles ? 
-De Duscur, la réponse fila, tranchante, expéditive. 
Comme lui. Lorsque la tragédie n’avait été pour Maeve qu’une chose lointaine. Elle, sa mère, Enid et tante Nemain formaient leur petite nation dans leur maison reculée. Devenue adulte, la jeune femme avait toujours été horrifiée, glacée, par la brutalité des représailles qui avaient suivi. Toute une nation saignée à blanc, des familles pulvérisées, massacrées… et combien d’innocents dans le lot ? 
Elle imaginait ce que cela pouvait faire de voir son peuple ainsi mutilé, disséminé, de se retrouver déraciné au milieu d’étrangers hostiles, mais se doutait que ses pensées ne pouvaient pas retranscrire la réalité de cette torture 
-Elles sont très belles, complimenta alors Maeve en retour.
Et sa voix ne laissait transparaître que gentillesse et respect.
Dedue la scruta de nouveau, indéchiffrable, peu habitué à ce type de réactions. Il était toujours prêt à se blinder, à laisser les attaques glisser sur lui. Aussi la spontanéité de l’inconnue le désarmait-elle. 
-Merci, son expression s’adoucit un peu, et aussi pour votre aide pendant la bataille. 
Ce fut alors que le sourire de la jeune femme s’agrandit, brillant désormais comme un croissant de lune. Dedue se sentit alors gagné par une chaleur diffuse doublée d’un étrange trouble. 
-Merci à vous pour la votre, corrigea-t-elle, vous nous avez sauvé la mise plusieurs fois. Vous pouvez compter sur moi si nous devons de nouveau nous battre côte à côte. Par ailleurs je m’appelle Maeve Caccini, et vous ?
La réponse fut, comme à l’habitude, brève : 
-Dedue Molinaro.
Le silence qui suivit fut plus confortable. Maeve s’accorda encore un peu de temps dans l’atmosphère si sereine, comme un cocon, de cette serre. Mais elle savait qu’il était bientôt temps de retourner vers le monde extérieur. 
-Je vais vous laisser, annonça-t-elle alors, au revoir et, qui sait, à bientôt peut-être. 
Elle inclina alors la tête, comme en signe de remerciement, son regard était chaleureux, son visage rayonnait de reconnaissance. Dedue se demanda ce qu’il avait fait pour mériter cela.
La serre redevint silencieuse lorsqu’elle partit. Dedue se demanda presque s’il avait rêvé. 
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ladyniniane · 2 years
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Au tour de Dimitri !
“Please do not eat the weeds” @lilias42
Note : Le nom de famille et le second prénom de Gladys sont provisoires. Les noms de famille et moi ça fait 2 mais il fallait bien que je mettre quelque chose.
Anyway, bonne lecture !
Le choeur des morts scandait ses malédictions, leurs doigts décharnés labouraient sa chair. 
Dimitri bondit alors, souffle haché, coeur prêt à bondir de sa poitrine. Il vit qu’il était seul et que les rayons du soleil étaient déjà là. La migraine était aussi au rendez-vous pour lui scier le crâne et broyer ses tempes. 
Le prince palpa son visage pour en sentir de nouveau les contours. Il n’y avait personne d’autre que lui le reste…n’existait pas. Même si ça chuintait encore dans ses oreilles, comme un bruit perpétuel de ressac. Il se le répéta alors encore et encore, dirigea son attention vers la première pensée cohérente et s’y accrocha jusqu’à ce que le funeste murmure s’arrête enfin. 
Dimitri ouvrit et ferma le poing, s’étira, sentit ses muscles jouer. Son corps lui était jusque-là apparu comme une réalité étrangère, une enveloppe distante. Il avait découvert en se lavant des cicatrices dont il ignorait la provenance. Les cinq années précédentes avaient passé dans un brouillard écarlate traversé d’éclairs de fureur. Jusqu’à ce que le coup d’épée de la mort de Rodrigue ne l’arrache à son enfer. 
Une peine épaisse, poisseuse, obscurcissait son paysage mental. Il se sentait sale, gris, comme recouvert de cendres. C’était toujours ainsi au réveil : le jour à venir lui apparaissait comme une montagne insurmontable. Ses pensées formaient un marasme grouillant. Fort heureusement, il n’avait désormais plus aucune autre option que de se tenir à sa décision de reprendre Firdhiad. 
Dimitri savait qu’une lutte perpétuelle l’attendait. Le mal changeait sans cesse de formes. Parfois, il se noyait dans une eau sombre, le froid gagnait peu à peu ses membres et il ne pouvait l’empêcher de lui recouvrir le visage. Des éclats de miroir se plantaient dans sa chair, quand il ne marchait pas sur des charbons ardents. Enfin, l’angoisse pouvait être telle qu’il croyait pourrir de l’intérieur. 
Byleth et Dedue l’attendaient dehors. Sa professeure n’avait pas changé depuis l’époque de l’académie, toujours vêtue de sa longue tunique noire, de son manteau et de son pantalon assortis, des pièces d’armure placées aux endroits stratégiques. Elle l’accueillit avec un hochement de tête approbateur. Il la connaissait bien après tout ce temps et savait déchiffrer les subtiles inflexions de son expression. Un sourire discret relevait le coin de ses lèvres, sa posture exprimait la confiance et la détermination. 
La dette de Dimitri envers elle était immense. Byleth avait tout maintenu en place pendant qu’il errait parmi les morts : les victoires à Ailell, Myrddin et Gronder étaient son oeuvre. Le prince n’aurait jamais l’audace de les revendiquer. Et le génie naturel de sa professeure n’enlevait rien à son mérite. Son mentor paraissait peut-être minuscule face à lui, mais elle le dépassait dans bien des domaines. 
-Le repas est prêt votre altesse, mangez pendant que c’est encore chaud, Dedue désigna la table. 
-Merci pour tout Dedue, répondit l’intéressé avec chaleur.
Une voix lui murmurait parfois qu’il ne méritait pas un tel soutien. Son vassal avait longtemps figuré dans ses hallucinations et Dimitri peinait à décrire son soulagement de le savoir en vie. Tout ce qu’il pouvait faire était de se montrer à la hauteur de la constance de ses camarades. 
Comme à l’habitude, la nourriture n’avait pas de goût. Dimitri n’espérait plus aucun miracle après neuf ans sans saveurs. Mais une paisible chaleur, comme une couverture sur ses épaules, l’enveloppa à la première bouchée. Dimitri avait dû raconter qu’il avait aimé ce plat pendant son enfance et Dedue s’en était souvenu. Et si son palais demeurait inerte, les souvenirs et les sensations associés n’attendaient, eux, que cela pour se réveiller. Le jeune homme savoura l’effort qui avait été fait pour lui rendre la texture et la température agréables. 
-C’était délicieux, complimenta-t-il après avoir avalé la dernière bouchée, la prochaine fois nous mangerons ensemble. 
Dedue approuva en silence. L’heure était maintenant venue de retrouver les autres. 
*
Les lions l’accueillirent avec le sourire et des mots d’encouragement. Certains étaient encore un peu hésitants, mais plus par réserve. Cinq ans s’étaient après tout écoulés et Dimitri était plus que conscient du visage qu’il leur avait présenté lors des retrouvailles. Leur présence tenait du prodige. La honte plantait ses dents dans sa chair, menaçait de l’avaler tout entier. Il lui faudrait désormais vivre avec ce dégout, cette nausée. 
Dimitri ignorait s’il en était digne ou non, mais une seconde chance lui était offerte. Et il comptait bien la saisir, ne plus faire défaut à qui que ce soit. 
Il s’assit alors en tête de la table de réunion. Ingrid et Felix se tenaient à ses côtés. La chevaleresse était digne, les batailles à venir ne l’effrayaient. Il eut plus de mal à affronter le regard de l’épéiste. N’était-ce pas d’une certaine manière à cause de lui que son père était mort ?
Pourtant, son ancien ami se contenta de l’apostropher :
-Allez, phacochère. Nous avons une guerre à mener. 
Dimitri entendit pourtant dans sa voix une chaleur inhabituelle. Il connaissait Felix : c’était ce qui se rapprochait le plus d’un encouragement chez lui. Peut-être tout n’était-il pas perdu. 
Mais plus que tout, ses amis attendaient des actes. Et il comptait bien les leur donner. 
*
Les préparatifs ne lui accordèrent aucun répit. C’était pour Dimitri un combat de tous les instants, entre ses sentiments contradictoires, sa migraine et les images cauchemardesques que ressassait son esprit. Il craignait parfois de ne pas tenir et l’angoisse enflait alors comme une boule dans sa gorge. 
Pourtant, il parvint au bout. Byleth le prit alors à part, sous prétexte d’avoir quelques points à clarifier avec lui. 
-Comment allez vous ? Questionna-t-elle alors, sans détour. 
-Je tiens bon professeure, ne vous en faîtes pas. 
-N’oubliez pas d’aller voir Manuela et parlez-lui de tous les symptômes que vous avez. Elle a dit qu’elle pourrait mettre au point une préparation pour vous aider à mieux dormir et je suis sûre qu’elle peut bien plus, rappela-t-elle avec fermeté.
Ses yeux de chouette voyaient clair en lui. Elle l’empêcherait d’écouter les voix qui lui hurlaient de se négliger, de se punir. 
-Ne vous inquiétez pas pour moi, vous pouvez en être assurée, promit-il alors.
-Et si, commença alors Byleth avec un air détaché, vous sortiez du monastère ? 
Surpris, Dimitri fronça les sourcils. 
-Pourquoi n’accompagneriez-vous pas une patrouille de sécurité ? Les soldats verront votre implication et demain toute l’armée ne parlera que de cela. 
Byleth lui adressa un sourire en coin entendu. Le visage de Dimitri s’éclaira. Sa professeure se souvenait de son amour pour les longues chevauchées et lui proposait d’allier devoir et évasion.
-Avec plaisir ! approuva-t-il alors.
*
Dans la cours, un groupe de soldats se préparaient à partir, leurs chevaux déjà harnachés. Ces troupes rapides parcouraient les alentours du monastère afin de repérer d’éventuelles incursions ennemies et de lutter contre les bandits qui accouraient attirés par cet îlot au milieu d’un continent dévasté. 
Byleth le mena à une grande jeune femme dont la chevelure rousse formait un halo de flammes sous le soleil. Ses mèches ondulées s’arrêtaient au milieu de son cou et une partie était tressée en couronne derrière sa tête. Revêtue d’un plastron, bras et jambes dûment protégés, elle avait au côté un arc, un carquois fourni et une épée. 
Cette dernière plongea aussitôt dans une révérence respectueuse. 
-Relevez-vous, l’invita alors Dimitri avec la courtoisie dont il était autrefois coutumier, quel est votre nom ? 
L’intéressée s’exécuta alors, dévoilant un visage ovale constellé de tâches de rousseurs. Son nez était un peu retroussé, ses lèvres pleines et expressives. Elle le scrutait de ses vifs yeux verts en amande, sans laisser paraître une once d’inquiétude ou de surprise. 
-Je suis Gladys Rusla Eilyn, seigneuresse de la maison Eilyn, à votre service, se présenta-t-elle.
Sa voix était chaude, plaisante à entendre bien que marquée par un fort accent provincial. 
Une famille mineure, vassale des Fraldarius. Dimitri n’avait pas oublié les leçons destinées à le préparer à gouverner. 
-Je souhaite vous accompagner lors de cette patrouille. Il m’est important de jouer mon rôle dans la protection du monastère, expliqua-t-il alors. 
-Toi, Gladys interpella immédiatement une palefrenière, selle et prépare un bon cheval pour sa majesté ! 
L’avantage de la guerre était qu’elle vous préparait à toutes sortes d’imprévus. Y compris voir débarquer le prince et la générale. Gladys observa Dimitri et se fit la même réflexion que lorsqu’elle avait entendu son discours. L’homme devant elle était si différend du guerrier enragé de Gronder ! Rien n’avait pourtant changé dans son apparence, tout venait de son expression, pensive et attentive, de son attitude, calme et mesurée. Aucune once de colère ne venait troubler le ciel de son oeil restant. L’on pouvait ainsi apprécier toute la finesse et la noblesse de ses traits, sans que la fureur. 
Malgré toutes ses inquiétudes, le prince avait ordonné ce qu’elle appelait de tous ses voeux : la marche sur Firdhiad. Beaucoup disaient qu’il s’agissait d’un miracle, que la mort de messire Rodrigue lui avait rendu la raison, une preuve supplémentaire que la Déesse était de leur côté. Gladys n’en était pas sûre, peut-être était-ce tout simplement la preuve d’une remarquable force intérieure. Tous ses informateurs s’accordaient en tout cas à dire qu’il avait changé. Seuls les jours à venir pourraient néanmoins confirmer la pérennité  de cette transformation.
La jeune femme sentit malgré tout ses muscles se tendre, mais se répéta qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Il suffisait de poursuivre sa patrouille comme à l’habitude et de rester courtoise. C’était une mission militaire, pas une fête galante. 
Byleth adressa un signe de tête entendu à son élève avant de s’éclipser. Dimitri vit une femme plus âgée se diriger vers Gladys. Si la nouvelle venue était un peu plus petite, la ressemblance entre les deux était frappante. Elle portait néanmoins ses longs ses cheveux roux et ses traits étaient plus saillants, comme creusés par une ancienne maladie, son front barré de rides de soucis. 
-Ma mère, dame Amalia, présenta alors la plus jeune.
Dimitri sentit alors l’aiguillon de la peine, qu’aurait-il donner pour pouvoir encore bénéficier des conseils de Rodrigue, de sa présence paternelle et rassurante à ses côtés. 
Enfin, chacun fut prêt à partir. Gladys enfourcha son cheval avec une aisance consommée et ils se mirent en route. 
Dimitri vit avec bonheur les portes du monastère s’éloigner. Plus ils s’avançaient, plus il retrouvait avec joie les grand espaces. Un tapis de verdure se déroulait devant lui, le ciel était ouvert et la brise était douce. Il prit une grande inspiration et gorgea ses poumons d’air frais. 
L’atmosphère était néanmoins pesante, certains cavaliers ne pouvaient s’empêcher de le regarder en coin, de se crisper sur leur rênes. Quelle image avait-il dû donner à ces gens ? Il espérait leur redonner un peu de confiance en lui. 
La mission suivit son cours. Le groupe finit par oublier sa présence où simplement à s’y habituer. Il pouvait de se fait se livrer tout entier à cette unique tâche. Les arbres bruissaient doucement sous le vent, une mélodie qui lui parlait de jours de paix, de tranquillité. Dimitri avait oublié la sensation des longues chevauchées, le vent dans ses cheveux et sur son visage qui le revigorait, l’impression que le monde lui appartenait et qu’il ne tenait qu’à lui de partir très loin à l’aventure. 
Il ne relâchait bien entendu pas sa vigilance et Gladys à ses côtés en faisait de même. Elle commandait à ses gens avec autorité et efficacité, parfaitement à l’aise au milieu des soldats. Fille de Faerghus, elle avait sans doute appris l’équitation et le tir à l’arc dès son plus jeune âge. Armée de pied en cap, sa mère la suivait en ombre vigilante. Dimitri se demanda pourquoi sa famille ne l’avait pas envoyée à Garreg Mach, la jeune femme en ayant visiblement les capacités. Peut-être à cause des frais de scolarité ? 
Gladys avait laissé tous ses soucis au monastère. Seul comptait son objectif. Tout se déroulait pour l’instant tranquillement, tant et si bien que la patrouille en revêtit des allures de promenades. Fort heureusement, la présence du prince empêchait les patrouilleurs de ne relâcher.
La jeune femme les aurait remis à leur place si cela avait été le cas. Le danger pouvait surgir n’importe où et la discipline et la cohésion du groupe étaient primordiales. Quelle différence avec l’époque ou l’on rechignait à obéir à ses ordres, où les regards criaient « renarde, bâtarde ! ». Certains devaient le penser encore, mais n’osaient au moins plus le dire. 
Enfin, leur tour s’acheva et ils purent rentrer. Dimitri paraissait apaisé, guidant sa monture avec assurance. Gladys ne pouvait lui reprocher sa rage envers les envahisseurs, elle la ressentait parfois aussi, aveuglante comme un soleil. Ils avaient détruit son pays, fait souffert tant de gens ordinaires qui n’avaient rien demandé. Elle ne cherchait pas à les humaniser comme le faisait parfois Maeve en rappelant la présence de conscrit. L’archère ne voyait que leurs mages, leurs bêtes de cauchemar, leur barbarie.
Il était aisé de sombrer, de se dire qu’une journée avait été productive si l’on avait tué beaucoup d’impériaux. Mais se retrouvée confrontée à Dimitri rappelait à Gladys la nécessité d’être vigilante. Se battre ne devait pas être une fin en soi, elle devait se rappeler de sa motivation : rentrer chez elle pour continuer à gouverner ses terres. Autrement dit, il fallait se préserver, ne pas sombrer, prendre de la hauteur. Et elle comptait bien maintenir cet équilibre. 
-Nous sommes honorés que vous nous ayez accompagnés votre altesse. Bon travail tout le monde, encore un peu et nous pourrons nous reposer, s’exclama-t-elle lorsque le monastère fut en vue.
Un concert de réponse enthousiastes lui fit écho.
-Parlez-moi un peu de la situation sur vos terres, je veux connaître l’état du royaume, la pria Dimitri.
-La population se bat pour survivre malgré tout. Cependant, beaucoup de ressources manquent et des bandes rodent. J’ai monté et entraîné une troupe pour protéger mes terres, c’était une guerre en soi aussi.
Gladys grimaça, chercha ses mots. Voyant qu’il l’écoutait avec attention et sans jugement, la jeune femme s’enhardit à continuer. Leur futur souverain se devait de tout savoir. Elle lui parla des afflux de réfugiés, de la famine et des maladies qui se répandaient. Sa voix était parfois traversée d’une aigreur et d’amertume qui sous-entendaient des décisions difficiles, des tâtonnements aussi. La jeune femme démontrait une connaissance aiguë des conditions de vie des gens ordinaires. Dimitri ne manqua pas un mot, il se devait d’écouter, de chercher d’ores et déjà à des solutions. Régner était un défi sans pareil : tenir tant de vie entre ses mains !
-Ce qui nous manque, conclut-elle, c’est l’espoir. Les gens redoutent que la fin soit proche, que l’empire ne finisse par nous avaler et détruise notre culture et notre identité. 
Il ne se passait pas un jour sans qu’elle ne s’inquiète de ceux laissés derrière. Certes, l’intendant était habile et de confiance, mais Gladys aurait tout donné pour s’envoler jusqu’à son domaine et se rassurer un instant. 
-Je vous promets que ce ne sera pas le cas, nous reprendrons la capitale et nous rentrerons chez nous. 
La réponse de Dimitri avait fusé sans trembler, droit sur sa selle, la voix forte, il irradiait de conviction. Cet homme là pouvait les mener à la victoire. 
Gladys s’autorisa alors à espérer. Elle s’exclama alors :
-Et je me battrai de toutes mes forces pour cela ! 
Ils franchirent enfin les portes du monastère. Byleth avait eu raison, cette escapade l’avait revigoré. Au moment de prendre congés, Dimitri confia à Gladys , c’était après lui avoir dit qu’il aimerait volontiers entendre de nouveau ses observations. Cette dernière approuva et son sourire était si brillant, communicatif, qu’il réchauffa Dimitri jusqu’aux tréfonds de son être.
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ladyniniane · 2 years
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Tiens, voilà @lilias42.
(Pour ceux qui se demanderaient ce que c’est ce sont des tentatives de fanfic sur FE3H)
Angst de Felix : 
La porte se referma avec un grincement, annonçant la fin d’une épreuve et le début d’une autre. Felix fixa le vide, soudain rattrapé par une immense lassitude. La seule chose qu’il put faire fut de s’asseoir sur le lit défait, face à lui-même et au néant. Dehors, le ciel nocturne, chargé de nuages, dévorait les toits du monastère. 
Sans plus attendre, il se déchaussa, se dévêtit, jeta ses affaires et souffla la chandelle avant de se coucher. L’obscurité s’abattit mais ses yeux demeuraient grands ouverts. Felix remua, plia et déplia ses jambes, glissa un bras sous l’oreiller. Il avait retardé le plus possible cet instant, s’entraînant jusqu’à être sûr d’être épuisé. Son chagrin se mettait en sourdine lorsqu’il revisitait le langage familier de l’épée. Le jeune homme pensait avoir su donner le change.
Enfin, s’il exceptait cet instant à la sortie de son tutorat avec la professeure. Felix s’apprêtait à quitter la pièce lorsqu’il avait senti le regard de Byleth le darder dans son dos. 
-Felix, vous pouvez venir me voir quand vous le souhaitez si vous avez besoin de parler, avait-elle annoncé de sa voix calme et claire. 
Les seules fois où il l’avait entendue hurler étaient sur le champ de bataille lorsqu’elle avait besoin de se faire entendre. Pour le reste, rien ne paraissait pouvoir l’ébranler. L’épéiste s’était alors retourné. Les yeux de la générale, deux miroirs polis, l’attendaient. Un malaise glaçant l’avait alors étreint, comme si son interlocutrice pouvait voir la douleur suinter de lui. 
Felix se souvenait avoir rétorqué quelque chose de sec et bref, lui rappelant qu’elle n’était que son professeur. Cet échange lui laissait néanmoins un gout amer, car une part de lui savait qu’il avait déguerpi comme un couard. 
Les cloches sonnèrent de nouveau au loin, le temps fuyait. Le vent sanglota dans les combles. La solitude creusait son trou dans sa poitrine. Felix songea, tandis que la colère lui brûlait les entrailles, qu’il comprenait plus que jamais Dimitri. 
*
Le sommeil vint sur lui sans qu’il ne sans qu’il ne s’en rende compte. Il se trouva soudain dans une salle vide. L’atmosphère en était pesante, comme altérée. Le jeune homme peinait à distinguer les formes et les limites. La lumière blanchâtre, à la provenance inconnue, ne parvenait pas totalement à dissiper les ombres. 
Mais ce qui le mit en alerte fut la sensation de lucidité. Felix ignorait s’il était réveillé ou non. Son instinct lui criait que quelque chose l’attendait, de l’autre côté. Le rêveur était pourtant à première vue seul, condamné à attendre. 
Un cliquetis métallique ce fit alors entendre. Felix porta la main à sa hanche, cherchant une lame qui ne s’y trouvait pas. Furieux, il leva alors les poings, se plaçant légèrement de profil en une posture défensive. 
L’adversaire s’approchait. Il pouvait désormais entrevoir les éclats argentés de son armure de plates. 
Le souffle le quitta alors. Ses pupilles ambrées le fixaient depuis un autre visage. Il connaissait ces pommettes hautes, cette bouche rieuse. Les cheveux de la femme, sombres comme une aile de corbeau, étaient coupés très court, nuques et oreilles bien dégagées. C’était la copie conforme de ce portrait que père avait toujours refusé de remiser pour ne pas la livrer à l’oubli. 
Marcia Larina Fraldarius. Maman. 
Felix laissa échapper un souffle rauque. Il suffoquait, se noyait. La voir avec cette peau lisse, si blanche et lumineuse, lui fit l’effet d’un coup de poing en pleine bouche. Oh, bien sur, il n’avait jamais vu son cadavre. Mais il avait croisé en grandissant un rescapé de la variole. Et outre le fait de se demander pourquoi il avait survécu et non sa mère, son imagination s’était emballée. Il avait contemplé cet épiderme violenté, plein de cratères, et apposé cette corruption sur les traits bien aimés avant de s’en maudire. 
Les secondes avant qu’elle ne s’approchent de lui furent une agonie. Son corps se décomposait sur place, sa langue refusait de lui obéir. Elle était toute proche désormais, aussi réelle que dans ses souvenirs. Armée d’une épée et d’un marteau de guerre, la duchesse était telle qu’elle aurait dû être si la mort ne l’avait pas ravie. Car Rodrigue lui aurait sans doute confié la défense des terres. Peut-être l’aurait-elle même accompagné.
-Quand je pense qu’autrefois je pouvais te blottir sans mal dans mes bras à l’avant de son cheval,  tu as bien grandi, la dame eut un sourire mélancolique, Tu es devenu un beau jeune homme, Felix. 
Le début lui retourna les tripes, mais entendre son prénom sur ces lèvres fantomatiques fut le coup de grâce. Il flancha, trahi par ses jambes, se haït. Lui qui faisait toujours face à l’ennemi tremblait pourtant. 
-Non ! Il recula, plongé dans une rivière déchaînée, incapable de s’accrocher à une pensée cohérente, tu ne devrais pas être là. Tu es morte, cracha-t-il.
Une tristesse suffocante remontait des profondeurs, s’échappait de la geôle où il l’avait bannie. Felix avait de nouveau vécu ce chagrin en perdant Glenn. Maintenant, c’était le décès de père qui le projetait en arrière, le ramenait à cette horreur incommensurable. La plaie était toujours prête à se rouvrir avec son flot de larmes. Tout ce temps à s’endurcir, à surmonter, à ériger minutieusement des murailles ne valait rien. Il suffisait de voir Marcia en chair pour abolir le passage du temps. 
-Felix, la peine obscurcit les yeux de sa mère tandis qu’elle tendait une main gantée vers lui, tout va bien. 
Non. Non. Non ! Ça n’allait pas !
Il avait de nouveau sept ans et sa mère avait disparu. Mais Felix ne désespérait pas et attendait son retour. Elle était forte, la maladie ne pouvait pas la vaincre. En attendant, il essayait de lire une histoire de chevaliers avec son grand frère. Père fit soudain irruption dans la chambre, le visage d’une pâleur mortuaire, cernes violacées, yeux rougis et gonflés. Les deux garçons ne l’avaient jamais vu aussi défait. Qu’est-ce qui avait pu mettre à terre le Bouclier de Faerghus ? 
Et Rodrigue de les prendre dans ses bras, de les serrer fort contre son coeur pour leur donner toute la chaleur et la force qu’il lui restait. Avant de révéler, d’une voix méconnaissable, la vérité. 
Le glas sonna depuis la chapelle familiale. 
-Tout va bien, maintenant. 
Epuisé d’avoir trop pleuré, Felix s’endormit dans les bras de son père. A son réveil, sa gorge le faisait encore souffrir, tant il avait hurlé, appelé sa mère à s’en déchirer les cordes vocales. Elle avait disparu du jour au lendemain. Il n’avait même pas pu lui dire au revoir. Elle ne reviendrait pas. Jamais. Jamais. Jamais. Il ne pourrait plus lui montrer ses progrès, écouter les musiciens et regarder les danseurs assis sur ses genoux, se promener dans le jardin avec elle… Ne restait qu’une question, un cri de révolte et d’effroi : pourquoi, pourquoi, pourquoi ? 
-Felix…
La voix de sa mère lui apparut soudain très lointaine, comme le murmure du vent. La scène changea. Il était à l’avant de la selle, blottit dans les bras de Marcia. En sécurité. La brise lui parlait d’aventures, faisait chanter les arbres. Les hautes herbes dansaient et la fin de l’après-midi nimbait la nature d’un éclat doré. 
-Regarde, la duchesse se pencha pour embrasser le haut de sa tête, comme nos terres sont belles. 
*
Felix repoussa la couverture. Une sueur froide et poisseuse recouvrait son dos et son torse. Sa respiration était hachée, ses bras et jambes étaient perclus de crampes. Et les larmes roulaient sur ses joues, incontrôlables car trop longtemps retenues. 
Ghost Busters à Garreg Mach :
Le moine les conduisait à travers un étroit et bas couloir où régnait une humide fraicheur. Devant les dalles usées par le passage des anciens résidents, Maeve se demanda combien l’avaient précédée. Le monastère faisait en tout cas honneur à sa réputation : un lieu capable de résister à la fin du monde, un dédale de couloirs et de secrets. 
Vigdis songea que c’était la première fois qu’elle s’aventurait ainsi dans ses entrailles. La troupe n’avait fait qu’en effleurer la surface pendant son passage. La majorité de son temps avait de plus été consacrée aux répétitions. Garreg Mach prenait désormais pour elle une toute autre signification : c’était un coeur palpitant, le terreau de l’espoir. 
Maeve rajusta son paquetage mais n’émit aucune plainte. Peut-être Amalia avait-elle raison de lui dire qu’elle transportait trop d’objets… Enfin, le moine aux joues creusées lui désigna une porte parmi la rangée qui s’étendait devant elle. 
-Voici votre chambre, il plissa les yeux et marqua une hésitation, comme hésitant sur la manière de s’adresser à elle. 
La jeune femme y était habituée, consciente que ses manières lui permettaient de passer aisément pour une noble.
-Je vous remercie, elle inclina gracieusement la tête, nous allons nous occuper du reste maintenant. 
-Juste un petite mise en garde, le moine leva les yeux au plafond, tandis qu’un rictus déformait le coin de sa bouche, il se murmure que cet endroit serait hanté, plusieurs étudiants en ont témoigné…
L’homme se tut et laissa planer le mystère, savourant par avance l’effroi qu’il venait de semer. D’un geste vif mais discret, Maeve leva la main pour signifier à Vigdis qu’elle s’en occupait. 
-Comme on s’y attend de la part d’un tel lieu, contra-t-elle avec un sourire affable. 
De son côté, Vigdis jetait un regard glacial au religieux, faisant bon usage de sa haute stature et de son air peu amène. 
La chambre était spartiate. Un lit et un coffre en formaient tout l’ameublement. La première chose que fit Maeve fut de chercher une place pour son luth tout en comblant le silence avec des banalités. Aux yeux de Vigdis, l’instrument était indissociable de son amie. Il s’agissait en effet du seul vestige que la magicienne possédait de son ancienne vie. L’épéiste s’imaginait l’arrivée de Maeve au château par un matin d’hiver, se la représentait avec son trésor blottit dans ses bras, fleur incarnate sur la neige. 
Un gémissement plaintif, un triste sanglot ce fit alors entendre. Les deux femmes regardèrent autour d’elles avant de décider qu’il s’agissait sans doute du vent se faufilant entre les pierres. 
-Le voilà notre fantôme, plaisanta alors l’enchanteresse. 
-Il suffit d’ajouter un groupe d’étudiants impressionnables et voilà le départ d’une légende, Vigdis eut un haussement de sourcils dédaigneux. 
-Tu n’aimes vraiment pas ce genres d’histoires, n’est-ce pas ? Pointa Maeve avec douceur.
-Disons, Vigdis résista à l’envie de se tordre les mains, que les gens ont tendance à beaucoup trop s’affoler à cause de ces dernières.
Un frisson lui parcourut l’échine, écho d’une crainte superstitieuse. Le problème avec les fantômes était que l’on ne pouvait pas les tuer. Et il n’y avait pas que les vieilles bâtisses à être hantées. Non, son esprit l’était déjà, à trainer le poids de ses de ses douleurs, des doigts froids se posaient parfois sur son épaule, la mélancolie qui murmurait à son oreille. « Je serai toujours avec toi » avait promis le maître. Oui, mais comme de l’eau froide dans ses poumons, comme la morsure d’une lame. 
-Tu as raison, Maeve connaissait désormais bien son amie, le gel dans ses yeux, la raideur dans sa posture, mais ce moine a voulu simplement voulu nous impressionner alors n’en parlons plus. 
Il était facile de donner le change lorsque les flammes brûlaient haut. Mais lorsque venait le silence sépulcral du coucher, ses angoisses s’en revenaient en dévouées visiteuses. Enid apparaissait aussi dans ses cauchemars avec un visage hâve, des chairs bleues de noyée ou tout autre immonde souillure. Le champ de bataille lui fournissait une liste infinie d’horreurs à mettre en scène. 
Dans certaines histoires, il était possible de discuter avec les spectres, de raisonner avec eux, même. Maeve se demanda si une telle issue était possible pour les siens. Elle se devait de la trouver. La veille, elle avait encore importuné Vigdis avec ses angoisses. Ses efforts n’étaient pas suffisants. Maeve se devait de lutter, de prendre les spectres à bras le corps et de leur hurler qu’elle était aussi forte qu’eux, ou du moins qu’elle allait le devenir. Et surtout qu’ils ne l’empêcheraient pas de continuer. 
Le rangement terminé, toutes deux restèrent côte à côte et devisèrent un peu. Vigdis sortit son nécessaire à couture et Maeve admira la minutie, l’immense patience que requérait cet art. Ces mains, que la nécessité trempait souvent de sang, étaient aussi démiurges. Ces yeux entrevoyaient des motifs complexes. S’en suivait alors un défi que la musicienne connaissait bien, retranscrire sa vision, la faire naître en ce monde sans la diminuer ou la trahir. 
-Qu’est-ce que tu brodes ? La curiosité de Maeve l’emporta alors. 
-Deirdriu, répondit simplement Vigdis en piquant de nouveau l’aiguille. 
-Je n’y suis jamais allée, Maeve bondit sur cette opportunité de s’évader, tu pourrais m’en parler un peu ? Enfin si tu veux, bien entendu, se reprit-elle. 
Allons bon, elle n’était plus la petite soeur sur qui il fallait veiller ! 
-C’est une ville avec beaucoup d’eau, lâcha Vigdis d’un ton neutre, factuel, le visage inexpressif. 
-Incroyable ! Ironisa Maeve, je ne m’en serais pas doutée. 
Le masque de l’épéiste se fissura et un sourire amusé se dessina au coin de ses lèvres : 
-C’est une ville avec beaucoup d’eau et de nombreux canaux. Le mieux pour la visiter est de prendre une barque. Tu passes par de grandes artères, parfois par des petites rues si dissimulées que tu te demandes ce que tu vas trouver…, si le visage de Vigdis s’animait, son débit de parole restait controlé, tant elle cherchait les bons mots, le grand marché est impressionnant. Il y a des marchandises qui viennent de tout Fodlan et en dehors…
Et ainsi pendant les minutes qui suivirent voguèrent-elles, bercées par le doux murmure des flots. 
*
Maeve revint pour voir si Gladys avait besoin d’elle. Cette dernière avait trouvé un jeu de plateau, sans doute destiné à aiguiser l’esprit tactique des élèves, et l’invita à y jouer. La musicienne savait combien son adversaire était redoutable. Mais l’expérience lui permis néanmoins de placer quelques bons coups. 
-Tu as enfin ta chambre, la dame déplaça une pièce, es-tu bien installée ? 
-Oui, ne t’en fais pas. Le moine qui nous guidait a essayé de nous effrayer Vigdis et moi en nous racontant que l’endroit était hanté, s’amusa Maeve, et toi, est-ce que tu crois aux fantômes ? 
-Disons que dans un cadre comme celui du monastère, il se peut que ce soit une histoire pour effrayer les nouveaux, avant pour moi c’était le fantôme de la caserne. C’était soi-disant un gars mort pendant la guerre de Loog qui n’avait pas vraiment compris que c’était fini et était rentré avec son régiment. Alors parfois, certains racontaient que le fantôme allait venir comme ça…
Gladys se leva, yeux écarquillés, bouche déformée en une grimace grotesque, les mains ouvertes avec les pouces positionnés des deux côtés de sa bouche tandis qu’elle se dandinait. Maeve ne put se retenir et éclata de rire. 
-Tu me déconcentres, parvint-elle à protester. 
-Peut-être bien, Gladys esquissa un sourire en coin.
« Ils disaient aussi que l’homme était mort décapité et qu’il portait sa tête avec lui. » Mais il n’y avait que les bleus pour s’horrifier d’une histoire pareille. Voilà longtemps que Gladys ne frémissait plus devant de telles vues. Elle ignorait si c’était ou non une bonne chose. 
-Tu m’as demandé si je croyais aux fantômes…et bien je pense qu’il y a tellement de choses inexpliquées en ce monde, alors pourquoi pas ? Parce qu’il y avait bien des choses étranges à la caserne malgré tout. Des portes qui s’ouvraient sans courants d’air, des bruits dans la salle d’armes, des moments où j’avais l’impression que quelqu’un était avec moi, Maeve écarquilla les yeux, mais, tempéra Gladys, ce n’était pas quelque chose d’hostile. C’était juste…là. J’aime à me dire parfois que c’était un soldat qui n’avait pas voulu quitter ses camarades. Et à force, j’ai fini par m’y habituer. Ça ne m’empêchait pas de vivre ma vie, elle haussa les épaules, et je ne pouvais rien y changer. 
-C’est une bonne manière de voir les choses, Maeve déplaça un pion, continuons, je ne suis pas encore vaincue. 
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ladyniniane · 2 years
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Le retour de Felix
Voilà ce dont je t’avais parlé @lilias42 !
Felix essuya ses larmes avec fureur, déglutit, lutta pour les refouler. En vain. Plus il se morigénait, plus sa panique augmentait. Son souffle erratique était semblable aux gémissements du vent. Le jeune homme se précipita sur son lit et enfouit sa tête dans son oreiller pour préserver ce qui lui restait de fierté. La honte lui causait une sensation de souillure sur sa peau.
Balloté par des vagues rugissantes, il était incapable de reprendre pied sur la terre ferme. C’était trop tard : les écluses étaient grand ouvertes. 
La tourmente reflua enfin après ce qui parut être une éternité. Felix ignorait combien de temps il lui avait fallu pour se calmer. Mais c’était déjà beaucoup trop. Ses joues et ses lèvres le brûlaient désormais. Il les aspergea copieusement d’eau, espérant par la même occasion se purifier de son angoisse. 
Son poing s’abattit sur la table. Allons bon ! Il n’était plus un enfant pour sangloter ainsi après sa mère. Felix la revoyait pourtant toujours, sa main tendue vers lui le hantait. Des fragments de souvenirs passaient en fantômes dilués. Les flammes de la colère se ranimèrent aussitôt.
Mieux valait oublier ce stupide rêve, décida-t-il, mâchoires douloureusement crispées, sourcils froncés. Pourquoi ressortir tout ça maintenant ? Sa mère était morte ! Comme Glenn. Comme père… Il lutta un instant avec sa suffocante tristesse. S’attarder dessus ne changerait rien. Ce n’était pas ce sentimentalisme qui allait lui permettre de garder la guerre.
Mais tout de même, tout cela avait été si réaliste…si saisissant ! A défaut de pouvoir faire taire ses pensées, Felix se reprocha de s’abandonner ainsi à la superstition. Le monastère était encore endormi, aussi resta-t-il à se demander s’il ne devait pas grappiller quelques secondes de sommeil supplémentaires. Mais l’idée d’y croiser de nouveau un visage connu le terrifiait. Les minutes passèrent alors dans une sorte de flou. 
Les murs de sa chambre se resserraient sur lui. Il fallait qu’il sorte. Un coup d’oeil à son miroir le convainquit qu’il était présentable. Ses yeux étaient encore un peu rouges, mais tout serait rentré dans l’ordre une fois arrivé au terrain d’entraînement. Il se vêtit et se coiffa donc avant de se mettre en route. 
*
Un courant d’air froid caressa l’échine de Vigdis, qui lutta contre l’envie de se retourner vers le couloir désert. La guerre l’avait changée, sa vigilance s’affolait pour un rien. Les propos du moine trottaient dans sa tête. Elle serra les poings : ce n’était pas une petite rumeur qui allait l’effrayer ! Mais tout de même, Maeve avait été trop gentille avec ce religieux. 
La veille, l’épéiste avait brodé jusqu’à ce que ses paupières soit lourdes, pour essayer d’emporter Deirdriu derrière ses paupières closes, de rêver d’être cette petite barque gentiment bercée par les flots. Elle avait tenu contre elle un sachet empli de fleurs séchées dont la douce fragrance l’apaisait. 
Vigdis avait dormi. Pas nécessairement bien, mais suffisamment pour récupérer. 
L’aube lui inspirait des sentiments contradictoires. Elle aimait le silence, l’auguste calme de ce monastère qui avait survécu à tant de conflits. Elle ralentit alors le pas, comme pour prendre un grand bol de cette tranquillité. Des rayons dorés s’invitaient sur son passage, les vitraux projetaient un ballet de couleurs. Elle apprécia d’être aux premières loges pour voir la lumière reprendre ses droits. Le soleil se lèverait toujours de nouveau : une certitude rassurante.
Mais une telle atmosphère était propice aux souvenirs. La nuit n’avait pas encore était totalement chassée et les fantômes s’attardaient.  L’esprit n’avait-il pas horreur du vide ? Vigdis se retrouva projetée cinq ans en arrière. L’archevêque en personne avait convié sa troupe à venir se produire devant les élèves. C’était la consécration de tous leurs efforts, leur art était à son zénith.
Qui aurait pu se douter qu’il s’agissait en réalité d’un chant du cygne ? La jeune femme se voyait parcourir ces couloirs avec ces camarades, écouter le maître planifier tous les détails de sa voix chaude et emphatique. Où étaient-ils maintenant ? Vivaient-ils seulement encore ? 
Elle s’apprêtait presque à se voir surgir au détour d’un couloir, spectre diaphane. Hier danseuse, aujourd’hui femme d’armes. Un nouveau nom, une nouvelle vocation. La vie était éphémère et fluctuante. La seule solution restait de survivre de s’adapter. 
Sans surprise, le terrain d’entraînement était encore désert. Vigdis attaqua aussitôt ses échauffements avant de dégainer. Machine de guerre bien rodée, son corps était prêt pour l’attaque. Seule une pratique rigoureuse lui permettrait de conserver son niveau. Son talent était ce qu’elle avait de plus précieux. Alors, en scène ! Le jour lui appartenait.
« Et vous autres, songea-t-elle, lémures, ombres de la nuit, hors de ma vue ! ».
*
Felix vit en arrivant qu’il avait été devancé. Une guerrière qu’il voyait pour la première fois s’entraînait déjà. Vêtue dans des couleurs froides, d’une jaque bleue pâle qui protégeait son coup couvrait le haut de ses cuisses, d’un pantalon et de bottes usées, elle avait l’allure d’une soldate de métier. Une miséricorde était également glissée à sa ceinture. 
Il avait trouvé une adversaire valable, une distraction bienvenue ! L’inconnue frappait avec une belle énergie, imperturbable, concentrée, une lueur féroce dans le regard. Sa souplesse était remarquable, sa silhouette déliée et  la fluidité de ses gestes donnaient l’impression d’assister à une danse. Il ne fallait cependant pas s’y tromper : chaque coup était étudié pour tuer. 
Comprenant qu’elle n’était plus seule, l’escrimeuse se retourna alors vers lui sans laisser paraître une once de surprise ou de nervosité. Son expression fermée indiquait d’ailleurs la retenue mais aussi une certaine dureté. Felix put alors mieux l’observer et réalisa qu’elle devait avoir son âge mais surtout qu’elle était aussi grande que lui. Son visage était agréable, régulier, le front haut, le nez droit, les lèvres ourlées. Ses yeux bordés de cils pâles étaient deux morceaux de ciel qu’aucun nuage ne venait troubler. 
La lumière matinale sublimait les ondulations de sa chevelure dorée, maintenue dans sa nuque par un simple lien. Seules quelques mèches rebelles s’en étaient échappées. 
Savourant par avance le frisson du défi, Felix leva son épée en geste universel : un salut, un défi.
*
Voilà qu’un autre lève-tôt l’avait rejointe ! Le nouveau venu la fixait de ses remarquables yeux ambrés. Vigdis reconnut ce visage anguleux, ces cheveux bleutés ramenés en une courte queue de cheval à l’arrière de son crâne. Il s’agissait de Felix, le fils de messire Rodrigue. Elle l’avait aperçu de loin et eu vent de ses prouesses martiales. Savoir qu’il avait perdu son père dans des circonstances aussi ignobles lui inspirait de la sympathie. Elle ne pouvait que songer alors à sa propre peine.
Son attitude et son invitation étaient sans équivoques : il désirait l’affronter. Vigdis sentit tout son corps se mobiliser pour le combat, l’adrénaline affluer dans ses veines. Se mesurer à un tel adversaire pouvait être que profitable.
Aussi lui rendit-elle son salut.
Ils se trouvaient face à face désormais, en garde chacun. Le silence avant de laisser parler les lames. 
Vigdis brisa l’inertie et se rua en avant. Felix se précipita vers elle et leurs épées s’entrechoquèrent. Les coups s’enchaînèrent alors sans répit. Les deux combattants n’étaient plus obnubilés que par la victoire.
La guerrière savait qu’elle devait rapidement mettre fin à ce duel. L’emblème de Fraldarius octroierait un avantage considérable à son adversaire s’il s’activait. La jeune femme se tenait cependant prête à faire face à cette situation. Elle se fit imprévisible, chaotique, tablant sur toutes les techniques étrangères qui lui avaient été enseignées. 
Felix était vif, fort et précis. Elle admirait son style, très loin d’être une simple copie du contenu d’un manuel d’escrime. La jeune femme sentait les heures de travail acharnées qui y étaient passées. Son jeu d’épée était hautement personnel, bouillant d’ardeur et d’audace. 
De son côté, Felix mobilisait lui aussi toutes ses ressources. La jeune femme faisait usage de sa souplesse, de son remarquable équilibre pour le déstabiliser. Elle était tantôt semblable à de l’eau, insaisissable, cherchait à se faufiler sous sa garde, s’abattait sur lui avec la férocité d’un blizzard. Son regard était tranchant comme deux éclats de glace.
La douleur s’était évanouie. Il retrouvait le même frisson, la même griserie que lorsqu’il affrontait Byleth. Celle de devoir se surpasser à chaque instant, de tout miser sur un coup, une feinte. L’emblème ne semblait pas vouloir se manifester mais peu lui importait. C’était mieux ainsi, une pure confrontation de technique sans aide extérieure. 
Là ! Il la tenait ! Felix était parvenu à la faire reculer et partit à l’assaut avec une ardeur redoublée. Pourtant, Vigdis ne céda pas et lui rendit coup sur coup. La suite se passa en une âpre lutte, un redoutable ballet de lames. 
Felix exulta. Son épée se trouvait tout près de la gorge de son adversaire. Un sourire se dessinait déjà sur ses lèvres. Pourtant, Vigdis se contenta de hausser les sourcils. Ce fut alors qu’il sentit une pression sur son coeur et prit conscience qu’il s’agissait de la pointe de l’épée de la jeune femme. 
Egalité. 
Ils se séparèrent alors, pris de court. Felix sentit la frustration l’envahir devant cette issue, la pire issue , celle qui laissait un gout d’inachevé. Il était déjà prêt pour un nouveau duel, afin de tirer cela au clair une bonne fois pour toutes. Mais il reconnaissait aussi le talent dont avait fait preuve son adversaire. 
Vigdis songea quant à elle que cette issue n’était pas déplaisante. Elle lui confirmait qu’elle avait atteint un bon niveau et l’encourageait à s’entraîner encore plus. L’envie de se confronter de nouveau, de voir si elle était cette fois capable de le vaincre demeurait. Il ne fallait après tout jamais se reposer sur ses lauriers. Cependant, le passage du temps se rappela à son bon souvenir. Des voix se faisaient entendre dans la cour. Elle était attendue, il fallait qu’elle répète les manoeuvres de groupe avec Gladys.
Aussi salua-t-elle de nouveau, afin de remercier Felix pour ce duel, et rengaina. 
-Je dois partir, expliqua-t-elle simplement on m’attend. 
-Tu n’essaie pas plutôt de te défiler ? Laissa échapper Felix. 
Sa déception de voir les choses se terminer ainsi avait pris le dessus, lui inspirant cette malheureuse parole. 
 Une répartie bien sentie brûla les lèvres de Vigdis. Elle se rappela cependant à temps qu’il s’agissait de l’héritier présomptif de la maison dont sa dame était vassale. La jeune femme se rappela aussi que le silence pouvait parfois être une arme. Aussi se contenta-t-elle simplement de désigner Maeve et un quelques uns de ses camarades qui l’attendaient sur le bord du terrain et lui faisaient signe. Puis, elle inclina légèrement la tête et se détourna. 
Son regard glacial avait été plus qu’explicite. Felix tenta un instant de se convaincre que peu lui importait si elle ne s’entraînait pas de nouveau avec lui. Après tout, il se débrouillait très bien tout seul jusque-là. Pourtant, tout son être appelait une suite.
-Attends ! Appela-t-il alors, quand pourrais-je t’affronter de nouveau ? 
Il lui proposait de fixer les termes de leur prochaine rencontre. Son ton était très différent cette fois, moins orgueilleux, comme s’il souhaitait à tout prix la retenir. Ce fut ce qui poussa Vigdis à se retourner. 
Après tout, peut lui importait si elle l’appréciait ou non tant que cela lui permettait devenir plus forte. 
-Je reviendrai pour les vêpres, l’informa-t-elle alors.
Ce fut tout. Ce fut lorsqu’elle s’éloigna avec sa compagne d’armes que Felix réalisa qu’il ne connaissait même pas son nom. 
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ladyniniane · 2 years
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Essai avec mes OCs
J’avais envie d’écrire quelque chose malgré tout, j’ai donc testé des trucs avec mes OCs de Fire Emblem Three Houses. C’est du raw et il y a rien de très construit, mais voilà le résultat :)
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Les cloches carillonnèrent quand la procession entra dans la chapelle. Gladys se trouvait à sa tête, revêtue des habits de l’Autorité. Cape rehaussée d’hermine, plastron d’armure par dessus une robe azurée, diadème orné de gemmes, elle n’avait jamais rien porté d’aussi luxueux.
Les cierges dans l’allée versaient de temps en temps une larme, car le deuil accablait la maison. Certains scrutaient parfois les recoins, comme pour guetter le fantôme d’un absent. 
Là, devant l’autel, Gladys tira l’épée, jura fidélité à un royaume fracturé, un roi décapité, puis demanda la bénédiction d’une déesse endormie. Puis, l’anneau aux armoiries lui fut présenté et elle se le passa au doigt, prenant son fief pour époux. C’était de lui qu’elle tirait sa force, le coeur enchâssé entre ses murs, les pieds enracinés en son sol. Elle adressa alors une prière silencieuse à son père : « je t’en prie, bénis-moi. Protège-moi ». 
Gladys était déjà seigneuresse en tout sauf en nom. La seule différence serait qu’elle prendrait désormais la place vacante du chef de la maisonnée à la grande table et lors des audiences. 
Mais les beaux atours venaient de s’évaporer, remplacés par son armure. Mère, Vidgis et Maeve l’attendaient au dehors, devant les soldats amassés. La mort et l’espoir marchaient dans leur sillage. 
Les ténèbres vinrent et soufflèrent leur poison. Gladys était désormais seule sur son cheval blanc, perdue dans la mer du néant. Une grande lumière déchira alors l’obscurité. C’était une étoile, orgueilleuse qui filait comme une flèche, une traîne incandescente derrière elle. Gladys talonna aussitôt sa monture. Plus rien ne comptait que ce fruit tombé du céleste jardin. La beauté impérieuse de l’astre l’avait subjuguée. Il lui promettait tout ce dont elle était dépourvue : chaleur, lumière, force, certitude
Le cheval et elle traversèrent la nuit d’encre, rapides comme le vent. L’éclat devant elle la guidait. La sphère lui paraissait parfois toute proche, avant de s’éloigner de nouveau. Sentant l’objet de son désir lui échapper, Gladys s’empara de son arc et tira. Le globe ardent chut. Elle pressa l’allure, portée par les ailes du triomphe. Mais ce fut un éclat moribond qui l’accueillit depuis les profondeurs d’une eau morte. Puis la lumière cessa d’être, emportée dans les profondeurs de son tombeau. L’abysse avait, monstre patient, dévoré l’étoile. 
*
Gladys manqua de renverser la chaise en se réveillant. La pièce lui était inconnue. Son instinct s’éveilla aussitôt : on l’observait ! Dague dégainée, la jeune femme s’abrita derrière le mobilier, visage tordu en un masque féroce. 
Il n’y avait personne, juste une ombre paresseuse. Quant au lieu, il s’agissait tout simplement du monastère, Garreg Mach. Une envolée de cloches répondit alors à ses pensées. Agacée, elle soupira avec force, avant rengainer d’un geste sec. 
La dame s’affala sur le siège, se concentra sur sa respiration, l’énergie meurtrière reflua mais son spectre demeurait. Le mal des guerriers avait-il germé dans son esprit ? Elle se rassura, il était normal d’être à cran après tout ce qu’elle venait de traverser: Ailell, Gronder… les batailles se succédaient, toujours plus violentes et exigeantes. 
Gladys avisa l’aiguière et prit conscience que la soif lui brûlait la gorge. Elle emplit la timbale à ras bord et se désaltéra, vorace, ignorant l’eau qui dégoulinait sur son menton. Se concentrer sur cette sensation si simple, si concrète l’ancra dans la réalité. Elle s’en aspergea généreusement le visage, achevant de se réveiller, se purifiant de l’empreinte des songes. 
Dormir l’avait rassérénée. Gladys n’avait plus l’impression que chacun de ses os avait été pulvérisé avec une masse. Cependant, les doutes au gout de bile demeuraient. Cette cérémonie d’intronisation était supposée représenter l’acmé de son pouvoir. Dame de son plein droit, nul ne pouvait désormais plus la contester. Qui aurait cru que son départ pour le front ferait tout basculer ? 
Un pion, une seigneuresse impuissante, voilà ce qu’elle était désormais, contrainte d’obéir aux ordres. Cela ne l’aurait pas dérangée si leur meneur avait été une personne de confiance. Mais que faire d’un prince avide de vengeance, qui se ruait dans la mêlée sans se soucier de sa sécurité ? Surtout que pendant ce temps, les traitres continuaient de souiller la capitale. Combattre pour son lige aurait dû la remplir de fierté. Pourtant, l’inquiétude s’enroulait comme un lierre autour de son cœur. 
Mais son Altesse avait passé cinq ans en fuite, dans la douleur et la solitude. Etait-ce véritablement une surprise que sa raison ait capitulé ? Gladys n’aurait-elle pas dû s’y attendre ? Les seules personnes capables d’empêcher le naufrage étaient messire Rodrigue et la générale Byleth. Il ne restait désormais plus que cette dernière. « Je dois vivre, se promit Gladys, poing serré à s’en faire blanchir les jointures, je rentrerai chez moi ». 
Sur cette résolution, elle partit en quête d’une autre âme. Gladys trouva sa mère occupée à entretenir ses armes.
-Je suis contente que tu aies pu dormir un peu, sourit Amalia, tu en avais besoin. 
-Je pense que ça m’a fait du bien, opina Gladys, j’ai fait quelques rêves étranges…mais rien de dramatique. 
Le silence, même bref, épaississait l’atmosphère, la transformait en une lourde chape. L’incertitude était prompte à occuper le vide.
-Où sont Vigdis et Maeve ? Questionna alors Gladys.
-Vigdis s’est isolée, elle doit être entrain de coudre ou de s’entraîner, Amalia posa son épée, quant à Maeve, elle était très nerveuse alors je lui ai donné quelque chose à faire. Elle s’en sort très bien quand elle a de quoi s’occuper l’esprit.
-Oui, approuva sa fille, elle m’épatera toujours. 
-Aimerais-tu que je te fasse monter quelque chose à manger ? S’enquit alors Amalia. 
-Non, je propose que nous allions toutes au réfectoire. Ce sera plus agréable. Vigdis ne va pas tarder à réapparaître avec le soir qui tombe, Gladys eut un sourire complice, et Maeve doit bientôt avoir terminé. 
Une étincelle de joie s’alluma à la perspective d’un repas en commun. Gladys saurait se distraire en compagnie de ses camarades, de ses amies. 
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