Felix et Vigdis sont sur un bateau
(Si ça c’est pas du titre)
Et voilà le retour de notre petit énergumène préféré @lilias42, j’espère que ça te plaira ! Je me rends compte que ça fait longtemps que je n’ai pas écrit sur ces deux là alors que j’ai l’impression que ça date d’hier.
Si jamais vous tombez sur ce billet que vous vous demandez quel est le contexte, cliquez sur le tag “Fire Emblem 4 mariages et 1 enterrement” et vous aurez les passages précédents.
Les vêpres avaient sonné. Occupé à répéter ses mouvements, Felix laissait parfois son regard s’égarer vers l’entrée. Son impatience grandissait à chaque seconde malgré l’indifférence dans laquelle il tentait de la noyer. Il n’aimait en effet guère attendre et avait plusieurs fois rejoué le duel en esprit.
La journée s’était déroulée sans trop d’accrocs. Dimitri paraissait enfin déterminé à assurer son rôle. Quel soulagement ! Felix ne savait pas encore combien de temps il aurait pu supporter de voir la charogne qu’était devenu leur meneur. Leur première campagne avait brutalement tranché leur lien. Felix saignait alors encore de la perte de Glenn, mais l’horreur avait revêtu un nouveau visage. Il avait vu mourir le Dimitri de son enfance, remplacé par une brute assoiffée de sang et de vengeance.
Pourtant, il croyait désormais presque retrouver son ami d’avant la chute. Le jeune homme serra les dents : il était trop tôt pour crier victoire. L’image de son père surgit et avec elle un flot d’amers regrets. Dévoué comme il l’avait été, Rodrigue se réjouirait sans doute de voir qu’il ne s’était pas sacrifié en vain. Dimitri était leur futur roi, il ne pouvait s’égarer de nouveau. Felix se promit de le remettre à sa place si besoin.
Ce fut alors qu’il la vit le rejoindre avec détachement, comme si le reste n’était que des formes, un théâtre d’ombres autour d’elle. Un peu exaspéré, le jeune homme ne put s’empêcher de se demander ce qu’elle dissimulait au fond. Était-elle blasée, indifférente à tout ?
-J’espère ne pas vous avoir fait attendre, le salua-t-elle, nous pouvons reprendre notre duel si vous le souhaitez.
Sa voix était comme l’eau cristalline mais froide des montagnes.
Il hocha alors la tête :
-Allons-y.
Il n’y eut pas de salut ou de fioritures car l’on ne s’en embarrassait pas sur le champ de bataille. Les lames s’exprimèrent de nouveau, rien n’existait à part leur confrontation.
Coups, parades, ruses, esquives… le ballet se prolongea tandis que le jour déclinait.
*
Hors d’haleine, gorge incendiée, Felix s’appuya contre le mur. L’emblème lui avait offert la victoire in extremis. C’était un triomphe sans feu, une coupe fade. La lame de son adversaire avait plusieurs fois frôlé ses points faibles. Elle avait réfléchi et appris de leur précédente rencontre. Le jeune homme avait rêvé de prendre le dessus par le seul mérite de ses capacités, de la technique qu’il avait passé tant de temps à aiguiser. Oui, sa bénédiction lui offrait un redoutable avantage, mais seuls les fats et les fainéants se reposaient uniquement sur les leurs. Il arriverait toujours un moment où sa fortune le déserterait. Et Felix se devait d’être capable de gagner quand même.
De son côté, Vigdis isolait chaque échange, réfléchissait à la manière dont elle aurait pu les retourner en sa faveur. C’était la première fois qu’elle affrontait un adversaire doté d’un emblème. Si l’on ôtait ce facteur, sa performance n’avait pas été mauvaise. Par chance, il ne s’agissait que d’un entraînement. Elle devait saisir cette opportunité pour s’améliorer et rebondir. C’était en s’adaptant, en changeant toujours, qu’elle parviendrait à survivre. Son ancien métier lui avait appris à travailler dur, à viser la perfection jusque dans les détails. Tout n’était que partie remise, une affaire de persévérance. Ainsi, elle ne ferait plus jamais défaut à qui que ce soit.
Elle trouverait comment faire la prochaine fois et espérait qu’il y en aurait une. Affronter de nouvelles personnes était essentiel lorsque l’on arpentait la voie de l’épée.
Trop fourbus pour reprendre la lutte, un accord tacite s’établit alors entre eux. Ne sachant comment combler ce vide, Vigdis réfléchit alors.
-Vous vous débrouillez bien, à sa grande surprise, ce fut lui qui rompit le silence, qui vous a entraînée ?
Ces pieds lestes, ces poignets vifs, ces gestes aboutis, ce mélange éclectique mais cohérent de techniques résultaient forcément de l’enseignement d’un talentueux professeur particulier. Sans doute venait-elle d’une famille militaire et avait ainsi bénéficié de toute l’attention nécessaire au développement de son talent.
Elle riva ses prunelles azurées aux siennes. Son regard était impérieux comme une lame. Il se contraignit à ne pas battre en retraite. Les encouragements patients et chaleureux de son père lui revinrent : “Felix, n’aie pas peur de regarder les autres dans les yeux”. Le jeune homme se crispa alors. Pourquoi était-ce si difficile ? Un tel contact se révélait trop direct, intime, le ramenait à sa vulnérabilité, à sa sensibilité autrefois à vif. C’était donner aux autres trop de pouvoir sur lui, leur offrir la clef de son âme.
Ce moment de recul, cette fuite, n’échappa alors pas à Vigdis. Elle reporta alors son attention sur ses bottes, prétendant n’avoir rien remarqué. Elle savait combien il était parfois difficile de se sentir à l’aise avec un inconnu.
Cette réserve la surprenait néanmoins. Sa première impression de Felix n’avait guère été positive. Il lui dévoilait désormais une facette plus appréciable. Loin de pérorer sur sa victoire, il reconnaissait sa valeur tout en abonnant le tutoiement abrupt pour un vouvoiement plus respectueux.
Elle serra les dents, agacée. Face à un égal, elle se serait contentée d’éluder : “mon père adoptif qui était mercenaire. J’ai ensuite été garde de convois”. Les choses en restaient généralement là, cette muraille de glace dissuadait les curieux. Felix ne se contenterait sans doute pas de ces demi-vérités et elle n’avait pas l’aisance ni le talent d’improvisation de Gladys. Autant parler de sa propre initiative que de subir un siège et échouer à broder autour de la carrière de son instructeur. Elle se prépara alors, comme pour sauter dans une rivière glacée.
-Maître Jaufré Auber, un temps meneur de la troupe de mercenaire des Lames-Tempêtes, expliqua-t-elle alors, ensuite directeur de la troupe de danseurs à l’épée Stella Maris.
Elle n’occulta aucune de ses facettes. Son mentor avait toujours été fier des deux
-Un mercenaire devenu saltimbanque ? Laissa échapper Felix qui s’attendait à tout sauf cela.
Vigdis retint une grimace exaspérée. Elle s’appuya contre le mur, l’air de dire “et alors ?”. Voilà pourquoi elle préférait le silence. Elle s’imaginait déjà les réactions de ses camarades : “Quoi, la froide Vigdis a été danseuse ? Personne ne l’aurait jamais cru ! Allez, montre-nous quelque chose ! Pourquoi tu as arrêté au fait ?” et s’armait déjà en réponse. Elle se promit que toutes les remarques désobligeantes glisseraient sur son armure. Par chance, elle avait souvent entendu son professeur répondre à ce genre d’interrogations. La riposte lui vint alors.
-La danse à l’épée est souvent pratiquée par des escrimeurs. Si jamais le public compte des amateurs ou des militaires, il faut que ces derniers puissent s’y retrouver.
Felix hocha la tête, c’était après tout logique. Sa mère avait apprécié ce genre de performances, s’il se souvenait bien. Ses craintes remuèrent maintenant que la fraîcheur de la nuit s’installait. Allons bon, ce n’était qu’un rêve stupide et elle allait le laisser tranquille maintenant.
-Une telle troupe est venue danser à Garreg Mach quand j’y étudiais, c’était effectivement leur cas, admit-il simplement.
-C’était la mienne, répondit alors aussitôt Vigdis.
La réponse s’était imposée comme une évidence. Elle était allée trop loin pour revenir en arrière. Leur meneur avait tiré tant de fierté de cette réussite ! Impossible de laisser planer l'ambiguïté et de faire croire que ce succès était celui d’un autre.
Felix la fixa, incrédule, puis toutes les pièces s’assemblèrent alors. L’archevêque Rhéa en avait pris cette décision afin de distraire les élèves dont les mois s’assombrissaient sous les événements inquiétants. “Certains s’interrogeront peut-être sur la venue d’une troupe d’artistes dans le monastère, mais la Déesse aime ce qui est beau. Les arts et la liesse lui sont agréables”avait-elle expliqué.
L’intérêt de Felix avait été piqué, il gardait une certaine curiosité pour les arts même si l’épée lui demandait désormais tout son temps. Pensé pour les étudiants d’une académie militaire, le spectacle rejouait les vies de grands héros et s’inspirait d’illustres batailles tout en intercalant des tableaux plus calmes. Secondés par leurs musiciens, les danseurs avaient fait montre de tout leur art à grand renfort de puissance et de souplesse, de précision et de grâce.
Il revit alors l’une d’entre eux, une grande jeune femme aux cheveux dorés. Elle était dans son souvenir vêtue d’une tunique à col montant, fendue après la taille, et qui s’arrêtait à ses genoux. Son pantalon et ses bottes montantes soulignaient sa silhouette élancée lorsqu’elle bondissait. Son habit était rehaussé aux épaules et à la poitrine de broderies rappelant une côte de maille. Une ceinture à l’éclat métallique marquait sa taille et une rangée de disques argentés ornait son front, comme autant de lunes. C’était son interlocutrice actuelle, il n’y avait pas de doute à avoir.
Un passage l’avait particulièrement marqué. La danseuse et un interprète plus âgé, avaient simulé un duel accompagnés d’un tonnerre de percussions. L’ensemble était enjolivé de poses théâtrales et d'acrobaties pour accentuer l’aspect dramatique, mais il lui était clairement apparu que les deux artistes maîtrisaient leur art dans tous les sens du terme.
La complicité entre les deux partenaires, leur absolue confiance l’un envers l’autre, l’avaient subjugué. Leurs lames, de véritables armes, s’étaient entrecroisées avec telle une célérité qu’elles en étaient devenues des traits de lumière
Un tonnerre d’applaudissements avait alors conclu leur partie et Felix s’y était joint de bon cœur. Trop absorbés par le spectacle, ses amis n’avaient heureusement pas remarqué sa mine émerveillée. L’homme avait alors pris la main de sa jeune protégée et l’avait levée très haut, la couvant d’un regard plein de fierté.
Le jeune homme se les était aussitôt imaginés père et fille, en dépit de leur absence de ressemblance. Une douleur lancinante s’était alors installée, un regret d’une complicité passée. De quelque chose qu’il n’aurait jamais plus. Une fois la représentation terminée, il s’était précipité au terrain d’entraînement pour s’en purger.
Cette guerrière glaciale était donc la danseuse entrevue cinq ans auparavant. L’idée lui paraissait presque incongrue. Tout en elle trahissait la soldate de métier, il avait cru qu’elle avait passé son existence à se battre. L’idée qu’il se faisait d’une artiste était tout autre : une diva théâtrale, flamboyante, cherchant l’attention des autres. Il n’y avait qu’à voir la professeure Manuela et Dorothea Arnault.
Felix sentit alors le givre dans sa poitrine et l’amertume l’envahit, comme un brouillard pensée. Une image le hantait : elle et lui, dans cette salle, sans se voir ni se connaître mais dans la même situation, ignorant que leur univers était sur le point de basculer.
Ce changement de vie et d’habit s’expliquait en un mot : la guerre. Comment une troupe d’artistes pouvait-elle survivre, trouver des mécènes, se déplacer dans un continent en guerre ? Non, il leur avait fallu passer à de véritables affrontements.
Et cet homme, ce père qui ne l’était peut-être pas, la soutenait-il encore sous son regard protecteur ? Ou bien avait-il payé le prix du conflit ? Était-elle orpheline comme lui ? Les autres artistes étaient-ils toujours en vie ?
-J’ai assisté à ce spectacle, annonça-t-il alors pour meubler ce silence, et j’en garde un bon souvenir.
Qu’elle ne s’attende pas à ce qu’il développe ses impressions. Il n’était pas non plus un esthète à se répandre en un long discours et à analyser les moindres détails.
La glace fondit alors un peu. Vigdis apprécia qu’il n’en demande pas plus et ne fasse. Elle sentit alors poindre une poussée de nostalgie. Comme cela il l’avait vue avant le cataclysme, lorsqu’elle portait un autre nom. Les eaux du hasard avaient ballottés et ramenés l’un vers l’autre.
Le souvenir de cette époque éveillait ses vieilles douleurs. Sa plus grande crainte restait de croiser le fer avec l’un des membres de sa troupe ou pire de l’occire par mégarde. Celle-ci avait accueilli des personnes de tout Fodlan, les frontières et préjugés y étaient abolis. La guerre avait pulvérisé leur entente. Désireux d’être réunis avec leurs familles et d’être du bon côté, les impériaux avaient fait voile vers leur terre natale. D’autres s’étaient faits sédentaires, s’abritant dans l’Alliance. Plus personne n’était en sécurité dans ce continent à feu et à sang et certainement pas des voyageurs comme eux.
N’étaient restés qu’un petit noyau, avec en son centre Vigdis et son professeur, et leur route les avait ramenés vers Faerghus.
Oui, elle affronterait peut-être un jour un ancien compagnon de route, mais n’arrivait pas à s’y préparer autrement qu’avec des phrases toutes faîtes, des “il faudra faire avec”, comme des bandages pour masquer l’inquiétude.
Que cette vie d’artiste était simple au fond ! Enfant trouvée, Vigdis n’avait pas commencé avec les meilleures cartes en main. Par chance, les artistes lui avaient offert une famille aimante et elle n’avait jamais connu la solitude et la négligence. Sa nature introvertie lui demandait certes parfois de s’isoler après l’agitation des représentations, mais elle parvenait bien à jongler entre ses responsabilités et ses envies. Les répétitions étaient exigeantes mais elle s’y pliait de bon cœur. Leur quotidien n’était bien entendu pas une balade idyllique, il leur fallait trouver des soutiens, marcher longtemps. Si certains mois étaient plus prospères que d’autres, ils n’avaient jamais connu de véritables périodes de disette. Toutes ces difficultés lui semblaient désormais dérisoires face à ses mains rougies de sang.
Pourtant, cette rude existence de guerrière lui convenait mieux. C’était ainsi qu’elle se sentait le plus utile : sur le champ de bataille à protéger ce qui lui était cher. Vigdis avait trouvé ce pourquoi elle était faîte. Sa valeur était dans sa lame et elle taillerait son chemin en ce monde à la force de son bras.
Néanmoins, entendre que son art avait apporté un peu de joie à quelqu’un alluma une lueur en son cœur. Le givre dans ses yeux fondit et le coin de sa bouche se releva légèrement.
-Merci, je suis heureuse que vous ayez apprécié cette représentation.
Son élocution n’était plus aussi expéditive, il y sentait une certaine douceur, comme la caresse d’un rayon de lune.
Elle essayait toujours de transmettre les choses de la plus simple possible, mais les émotions étaient toujours difficiles à attraper et les mots traîtres.
“Qu’il ne me demande pas de danser, pria-t-elle intérieurement, je ne le fais que quand je veux et pour qui je veux”.
Mais il ne posa plus aucune question.
-Je vais devoir partir, ma dame m’attend, merci pour ce duel, Vigdis eut une inclinaison élégante de la tête, ce fut très instructif.
-Attendez, Felix la retint alors, vous ne m’avez toujours pas dit comment vous vous appelez.
Son regard dériva de nouveau vers le mur. Cette marque de timidité surprit de nouveau Vigdis. Peut-être comprenait-elle un peu mieux ce loup solitaire. Mais elle n’était pas Maeve, qui déchiffrait sans mal les partitions des uns et des autres.
Elle le contempla alors tête relevée, avec une assurance qui proclamait :” mais vous ne me l’avez pas demandé”.
-Je m’appelle Vigdis Auber, je suis spadassin au service de la dame Gladys de la maison Eilyn.
Elle fut tentée d’ajouter quelque chose au sujet de son service à la maison Fraldarius mais garda le silence. La question était visiblement compliquée et elle avait entendu Gladys s’en plaindre. Il se racontait que messire Rodrigue et son fils n’avaient jamais été vus ensemble. Aussi mieux valait-il ne pas mettre les pieds là-dedans.
Des vassaux de sa maison…il sentit de nouveau l’ombre de son père planer au-dessus de lui, lui demandant quand il allait enfin prendre sa décision. En tout cas, son impression était confirmée : elle était bien la fille de cet homme.
-Vous savez où me trouver si vous souhaitez vous mesurer de nouveau à moi, conclut-il alors.
Une platitude car son esprit était déjà bien occupé.
Il se séparèrent peu après. Vigdis le quitta avec une impression étrange, peu habituée à en dire autant à une personne qu’elle venait à peine de rencontrer. Mais tant pis, il ne savait pas non plus tout. Maintenant qu’il n’était plus possible de revenir en arrière, elle devait juste composer avec.
Bien que mordant, Felix apparaissait néanmoins capable de se tempérer et n’était pas imbus de son rang. Si cette impression était juste, elle plaçait leur futurs entraînements sous de bons auspices. Car Vigdis comptait bien obtenir sa victoire.
3 notes
·
View notes