// Matin. Heure encore sombre. Sortir de la maison, fine bruine désagréable, pester sur la météo. Une bretelle du sac à dos sur l'épaule, la capuche de sa veste sur la tête. Pester sur l'été encore loin.
Il sort du pâté de maison, marche encore machinalement 5 minutes, descend les escaliers. L'air puant et le brouhaha de la station de métro. Il visualise mentalement sa journée. Les cours, la BU, manger un truc, les cours, la BU, rentrer trop tard, manger en vitesse ce que sa mère aura laissé pour lui dans le frigo, Twitch un peu s'il a le temps ou insta puis dodo.
Le métro arrive mais ce n'est pas le sien. L'air chaud, les tenues des gens, l'incivisme de certains qui poussent pour rentrer. Il soupire doucement. La journée va être longue mais ça tombe bien, il a beaucoup à faire. Dernière année de Master.
Trois minutes plus tard son métro arrive, il laisse passer les plus pressés. A cette heure ci, il y a des places assises de toutes façons.
Il s'installe, garde sa capuche, enfonce la main dans le fond de sa poche pour y retrouver ses airpods, les visse dans ses oreilles et démarre Apple Music, une playlist un peu chill, une bulle avant l'effervescence de la ville, de la journée, des étudiants, de son cerveau.
// Matin brumeux et froid en pleine campagne. Ado levé au treuil, douche, petit déj, vêtements, chaussures. T'as un contrôle aujourd'hui ? Et ton bouquin c'est pour quand ? T'es sûr qu'il n'y avait rien pour maths ? J'avais rien à signer ? Allez on s'active, tes chaussureuh.
Dans la voiture, l'ado décide de la musique, chipote dans Spotify pour faire découvrir des sons. Elle apprécie, ils parlent de la drill, de ce qui la différencie du rap, des influences de Ziak, de ses textes un peu trop explicites, des anciens rappeurs, du concert de NTM où elle était allée, des morceaux à textes, des morceaux à ambiance, de Nekfeu. Il met un son de Nekfeu accompagné de Dinos. Elle connaît par cœur le moment où ça va vite et il est impressionné. Puis il parle du rap plus chill, il change de morceau, met Dinos seul. 93 mesures. L'intro au piano envahit la voiture et son cœur rate un battement. Elle fait semblant de rien. Celui là aussi, elle en connaît chaque rime, chaque note, chaque silence. Ça la remet quelques mois en arrière, elle pense à lui. Elle fait semblant de rien.
// Le métro s'efface, les gens disparaissent. Il croise les bras au dessus de son sac plaqué contre lui, incline la tête vers l'arrière, ferme les yeux et se laisse bercer par la musique. Disiz, Youssoupha, Dinos.
Dinos. Changer de morceau. Ne plus penser à elle.
Le trajet se prolonge. Il sort à son arrêt, émerge de la musique et de la station de métro, marche encore un peu et arrive à l'université. Les études sont sacrées pour lui. Jusqu'au soir, il absorbera chaque mot prononcé par ses profs, il sera intéressé et concentré. Aux heures de fourche, il ira à la BU pour s'avancer dans son travail, réaliser ses tp, faire des recherches pour sa première thèse. Après les cours, il ira encore à la BU jusqu'à la fermeture, pour travailler au calme dans cette ambiance studieuse qu'il apprécie.
// Arrivée à l'école. "Oublie pas que tu prends le bus" et "Concentre toi bien en maths hein". La musique se coupe, le tel de l'ado étant maintenant trop loin pour le bluetooth.
Repartir de là. Une playlist de rap pour rester dans la continuité. Soleil Noir, nouvel album de Dooz Kawa et ses potes. Sa voix éraillée, sa poésie, ses jolis mots, mettre du beau et de l'harmonie dans ce qui est cru.
La journée démarre doucement et en musique, avec cette petite pointe de nostalgie qui s'élargit comme une tache d'encre dans son cœur en papier froissé. Un soupir plus tard et les larmes pointent.
Ça vient de loin, d'il y a des mois. Penser à lui, à la musique découverte avec lui, aux moments passés en pleine nuit assise par terre dans les toilettes, seul endroit calme de la maison, les écouteurs sur les oreilles à l'écouter parler "Je sais pas y a quoi mais j'ai pas envie de couper aujourd'hui" "tu me rends fou je deviens fou c'est pas possible" "tu fais quoi si j'arrive maintenant là ?" "Tu ferais quoi si on était célibataires tous les deux?"
Elle lui répondait en chuchotant, écoutait ses silences, sentait ses hésitations, entendait ce qu'il ne disait pas.
Elle se gare pour reprendre ses esprits. Coupe la musique. "Tu es trop jeune" "Et toi tu ferais quoi ?" Silence, sanglots et murmure de la circulation, oreilles qui sifflent.
"Je jouerais avec le feu, je te rendrais folle comme tu me rends fou", cerveau qui implose. Cette sensation insupportable d'être vide.
Respirer.
Respirer.
Encore.
Se recentrer. Remettre la musique, pas Dinos, remettre le contact, repartir. Ne plus penser à lui.
Laisser la journée s'écouler, profiter des bons moments, rassurer, apprendre, être patiente.
Et puis le soir arrive, elle retrouve son conjoint et son ado, elle est repassée acheter de quoi faire une soupe. Pas de musique, la tv déclame les infos, en vod parce qu'il est tard. Ça va trop fort pour elle. Et il y a trop de lumière. L'ado en a marre de la soupe, le conjoint raconte sa journée. Et toi ça a été ? Oui oui nickel.
Bien sûr, elle taira les plaies encore ouvertes du matin.
// Il quitte la bibliothèque universitaire pour reprendre le métro. Il fait déjà noir. Il met sa capuche malgré qu'il ne pleut plus. Les mains dans les poches. La fatigue lui barre le front, les lumières de rue sont un peu crues. Heureusement il fait calme, il entend plus loin la circulation des rues plus fréquentées. Ses pas résonnent sur le trottoir un peu humide.
Elle, elle s'inquiétait pour lui. "Mais t'as pas peur de rentrer si tard ? Moi je serais tétanisée". Il sourit en se souvenant comme il l'avait laissée sans voix en lui répondant "Oh tu sais en général c'est plutôt de moi dont on a peur". Après elle avait été désolée et il lui avait envoyé de la musique.
Il la chasse encore de son esprit. Ne plus penser à elle.
12 notes
·
View notes