Tumgik
#sheram sharm
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Les nouvelles expériences d’une vie sans fin (9.2/15)
La grande salle était baignée par le soleil de midi, l’aura dorée contrastant à merveille avec le vert des plantes alentours, les spores de coton voletant dans l’air ne faisant qu’ajouter à la féérie de la scène... Un décor aux antipodes de l’humeur de ses occupants.
          Maître Joris avait fait convoquer une assemblée extraordinaire dès que le Tofu messager s’était posé à la volière. La missive était relativement longue, fourmillant de détails que seuls des administratifs pouvaient trouver attrayants, mais l’on pouvait aisément la résumer en quelques mots. Des mots terribles…
« Bien, je vous remercie d’être venu aussi vite. Comme vous le savez très certainement, des nouvelles de Bonta nous sont parvenues il y a moins d’une heure… » Commença l’émissaire, l’air indéchiffrable tant sa capuche voilait son regard. « Et… Je suis au regret de vous... de vous annoncer que-
- Non ! »
          Adamaï s’était relevé de sa chaise pour frapper la table. Au coin des écailles bleutées, des larmes avaient commencé à se former.
« Ce n’est pas possible ! I-il doit y avoir une erreur, jamais il- !
- Ad’… » Son frère avait posé sa main sur la sienne. « S’il te plait… »
          Les yeux encore emplis d’une rage aveugle, le dragonnet se laissa choir à nouveau, laissant Yugo masser ses phalanges dans l’espoir d’en desserrer la terrible étreinte. Les autres membres de la Confrérie et de la famille Royale compatirent, chacun à leur manière, à la souffrance des deux plus jeunes qui venaient à nouveau de perdre quelqu’un de cher. De l’autre côté de la salle, là où Ruel l’avait fait s’asseoir après une marche éprouvante depuis le laboratoire, Qilby observait les jumeaux. D’après leur réaction, leur Wakfu ne semblait pas les avoir alerté de « la rupture »… Ou du moins, pas de manière aussi brutale qu’il avait pu en faire l’expérience. Tant mieux. Non pas qu’apprendre le décès d’un proche par la bouche d’un autre ne soit plus aisé, bien sûr que non, mais si cela avait au moins pu leur éviter la… la douleur… alors ce n’était pas plus mal. Soudain, son cadet croisa son regard, le forçant à se recentrer sur Maître Joris. Celui-ci reprit :
« Je… Je suis désolé pour votre perte. Je sais bien que cela ne représente que peu de chose en une période si… difficile, mais sachez que Bonta vous sera toujours reconnaissante. » Relevant la tête. « Et que je vous le serai également.
- Humpf ! A-au moins… ! » Tenta le dragonnet, désormais seul représentant de son espèce sur ce plan d’existence. « A-au moins d-dites nous qu’il est parvenu à… ! 
- O-oui ! » Renchérit Tristepin, qui s’était rapproché de son camarade d’entraînement, tout aussi ému. « Il l’a e-eu, ce Népharien, pas vrai ? Il a dû livrer la plus b-belle des batailles ! 
- Pinpin… » Murmura Évangéline. « Je ne sais pas si c’est le bon moment pour…
- Maître Joris ? »
          Tous se retournèrent à la question de la Princesse Amalia. L’intéressé ne répondit pas. Le scientifique commençait à goûter le fer : ses dents avaient entamé la chair tendre de ses lèvres.
L’antidote que vous étiez en train de concevoir…
Je suis un scientifique !
Même pas certain qu’il soit efficace…
Il y a toujours des chances que- !
« J-je ne peux rien affirmer avec certitude. Aucun… Aucun cadavre n’a été retrouvé aux côtés de… » Soupir. « … de Sir Phaéris. »
          Devant le silence, l’émissaire déplia le parchemin qu’il tenait, serti d’un sceau de cire frappé de l’emblème du chêne.
« À l’aube, la patrouille Bronze, en charge d’inspecter les prairies de Montay, a découvert le… Sir Phaéris, sévèrement blessé et… inconscient. Une fiole ouverte mais également brisée se trouvait à ses côtés. Des traces d’une lutte bestiale ont pu être relevée. De son acheminement par les équipes de secours à sa prise en charge par les Éniripsas disponibles, Sir Phaéris n’a pas regagné conscience. Les blessures physiques étaient larges, multiples et profondes, notamment une au niveau du torse et deux sur le flanc gauche… Des signes et symptômes d’une forte fièvre ont commencé à faire leur apparition une heure après son arrivée au poste frontière. Malgré toutes les tentatives du personnel présent ce jour, la… la « disparition » du sujet en un flux de Wakfu a été constaté peu de temps après… »
          Le vieil Éliatrope ferma les yeux, la simple luminosité ambiante, pourtant filtrée par les lianes tombantes servant de rideaux, lui donnait la nausée. Toutefois, quelque chose en son for intérieur le dérangeait : un détail du discours qui… ne collait pas. Un sentiment horrible qui lui irritait la peau. Un souvenir. Il lui fallait juste un peu de temps pour…
« Tout ça c’est de ta faute !! »
          Adamaï en avait décidé autrement. Sans avoir la chance de voir l’attaque arriver, le scientifique se retrouva projeté au sol. Il parvint à réprimer de justesse le juron provoqué par son propre côté endommagé, qui n’avait que peu apprécié le contact brutal avec le plancher, mais était désormais bien en peine de retenir la furie du dragonnet dans son état. Son unique bras valide tentait en vain de protéger son visage des assauts répétés de griffes.
« C’est toi qui a planifié tout ça, hein ?! L’antidote n’a pas fonctionné : tu l’as fait exprès !!
- A-Adamaï ! J-je te jure que- !
- Tais-toi ! Tu mens !! Tu n’as jamais cessé de mentir !
- Ad’ ! » Essaya à nouveau son frère qui le maintenait à présent. « Arrête ! Ç-ça n’arrangera rien !
- Il a raison, bonhomme. » C’était le mineur, qui aidait le savant à se redresser. « O-on va en discuter, d’accord ?
- Tout le monde ici sait que tu détestais Phaéris ! » Continuait-il d’asséner. « Ça serait vraiment si étonnant que tu aies voulu en profiter pour… ! Pour l’éliminer ?! »
          Ce furent les mots de trop.
« Suffit ! » Hurla soudain le scientifique, provoquant la stupeur générale. « Tu ne sais absolument rien de ce dont tu parles ! Comment oses-tu m’accuser de… ?! Après tout ce que j’ai fait pour vous !?
- Ce n’est pas comme si cela serait la première récidive. » Contra le Prince Armand.
« Et qu’est-ce que j’aurai à y gagner, hein ?! Phaéris et moi portons pas mal de différents, mais ce n’est pas comme si cela ne faisait pas déjà des millénaires que je les supportais ! Tout ça pour quoi, je vous prie… ? Risquer de retourner dans cet… cet enfer ?! »
Plutôt crever !
« Ouais, enfin… ça n’explique pas pourquoi la potion n’a pas fait effet. Ni pourquoi vous avez envoûté Évangéline en la forçant à venir vous voir tous les soirs… »
          L’attention se reporta sur le guerrier roux, alors resté en retrait du tumulte.
- Pa… Pardon ? » Interrogea le Prince, une once de violence dans la voix.
« Pinpin ! Je t’ai déjà dit que- !
- Oui, oui, je sais. » Balaya l’autre. « Mais rien ne prouve que tu n’es pas sous l’emprise d’un maléfice ou je ne sais quoi, et que tout ça ne sont que des excuses. Tu ne peux pas dire que tout ça n’est pas louche ! Pourquoi tu voudrais parler à ce… à ce… !
- Ce traître ! » Conclut Adamaï.
          La douce chaleur de la matinée avait été remplacée par un froid glacial. Dans son dos, Qilby sentait l’Énutrof osciller d’une jambe sur l’autre, visiblement indécis de ses prochaines actions. Un regard jeté vers l’archère lui confirma qu’il ne pourrait pas non plus compter sur le soutien de sa confidente : celle-ci était trop occupée à vouloir rassurer son futur époux de sa bonne foi… Chose qui semblait peine perdue d’après sa moue déterminée. Ne restait plus alors que…
« Yugo… ? »
          L’intéressé leva la tête. Qilby n’était pas, ou plus assez optimiste pour croire que son frère lui avait déjà pardonné tous ses méfaits : il avait beau être jeune, il n’en demeurait pas moins doté d’une certaine intelligence… ainsi que d’une rancune tenace.
          Cependant… Le script avait changé, non ? Combien de fois n’avaient-ils pas joué une scène différente de celles que sa mémoire lui avait fournies ? Combien de fois avait-il deviné le remord, la gêne, la compassion même, derrière ces grands iris noisette ? Voilà bien longtemps qu’ils n’avaient pas été aussi proches ; cela devait bien remonter à l’Odyssée ! Sûrement il-
« Eh bien… Je ne suis pas sûr… »
          Il fallait s’y attendre. Mais tout de même…
          Le Roi Sadida s’avança, écartant les querelleurs sur son passage, le regard soucieux. La « Grand Salade » n’était pas d’humeur à plaisanter dans les situations où son peuple était à risque.
« N’y aurait-il pas moyen de démêler cette histoire alors ? Bien que cette solution ne me plaise guère nous pouvons, si besoin est, perquisitionner la chambre de notre invité… »
          De la sueur froide commença à se former le long de l’échine du scientifique.
Tesla !
          Finalement, même s’il ne s’agissait pas de l’objet de leurs accusations, les autres n’avaient pas totalement tors non plus : il avait bien des choses à se reprocher ! Pourquoi avait-il fallu qu’il cherche à… ? Voulait-il toujours… ? Quoiqu’il en soit, si l’on découvrait quoique ce soit de compromettant, ne serait-ce qu’un misérable boulon au fond d’un placard, le moindre papier calciné au fond de sa corbeille, alors… !
« Si Sa Majesté me le permet… » Intervint subitement Maître Joris. « Il se peut que j’aie une meilleure solution à vous proposer. »
          D’une sacoche relativement imposante, l’émissaire sortit alors un bien curieux objet, comme nul autre en ce monde… Un prototype.
« Il se trouve que… Sir Phaéris et moi-même avons fait la connaissance d’un certain marchand lors de notre dernière expédition à la Foire de la Science. Ce-dernier nous a assuré que sa création permettait de « lire les souvenirs », d’où le nom de « Lectanima » qui lui a été donné. Nous n’avons jamais eu l’opportunité de le tester, et je pensais d’ailleurs l’envoyer bientôt chez un antiquaire de ma connaissance, mais… Le Seigneur Phaéris semblait persuadé que nous en aurons l’utilité un jour. » Le regard qu’il lança au scientifique était dénué de toute émotion. « Peut-être ce jour est-il arrivé…
- Et comment fonctionne-t-il ? » S’enquit le Roi, perplexe devant l’engin qui, à son goût, ressemblait un peu trop à un outil de torture.
« De ce que j’en ai compris… Comme un projecteur de souvenirs. Les lunettes à l’avant sont empreintes de magie Xélor :  elles permettraient de récupérer les images enfouies dans la mémoire des sujets.
- M-mais c’est sans danger ? » S’enquit la Princesse, également perturbée par l’appareil de cuir et de métal.
« Ça ne devrait pas l’être… » Répondit l’émissaire. « Pas d’après ce que nous en a dit son concepteur en tous cas… »
          La coiffe crème se retrouva centre de tous les regards. On attendait visiblement son aval, ou, a minima, sa pensée sur la chose. À partir du moment où le sujet acceptait de se soumettre à l’expérience, alors la responsabilité de cette dernière n’était plus du ressort du scientifique, n’est-ce pas ? Ou de celle du tortionnaire dans ce cas… Mais avait-il encore le choix ? Refuser serait perçu comme un signe de faiblesse… Une preuve supplémentaire. Un aveu. Et qui sait, peut-être pourrait-il garder un minimum de contrôle sur ce qui serait diffusé : l’objet pouvait peut-être lire dans les souvenirs, mais il en demeurait l’écrivain et donc le maître. C’était tricher, oui, mais toujours mieux que de laisser le doute planer.
Tout ça doit avoir un sens.
Je...
Je ne repartirai pas là-bas.
« Soit… Finissons-en. »
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               Les Lectanima étaient bien plus impressionnantes à observer qu’horribles à porter. Certes, le cerclage métallique aurait mérité quelques ajustements pour ne pas vous écraser les tempes et la sangle de cuir ne conviendrait pas aux plus larges têtes, mais la morphologie du scientifique lui permettait de s’y accommoder sans trop de mal. On aurait presque pu dire qu’elles avaient été conçues sur mesure… La pensée lui provoqua un soubresaut involontaire, arrachant par mégarde une mèche de cheveux prise entre deux boucles d’acier.
« Ne bougez pas autant je vous prie : le manuel stipule clairement que l’appareil doit être correctement fixer pour éviter toute-
- Comme si cela était de ma faute si son inventeur n’a pas été capable de prévoir que la plupart de sa clientèle n’était pas chauve ! » Préféra rétorquer l’Éliatrope.
          Cette remarque fit néanmoins s’arrêter Maître Joris un instant, celui-ci contemplant un peu trop longuement la tignasse brune qui venait une fois de plus de s’emmêler. À ses côtés, se trouvait toujours une paire de ciseaux à peine dégrossie ayant servi à débarrasser les différentes pièces de leur emballage. Qilby déglutit.
« V-vous n’oseriez pas... »
          Heureusement pour lui, l’archère Crâ, restée jusqu’alors en retrait avec le reste de la troupe pour installer la petite salle dans laquelle ils avaient décidé de s’installer, prit les devant. D’une de ses nombreuses poches, elle sortit un fin bandeau noir, un de ceux qu’elle utilisait elle-même pour attacher ses propres mèches blondes par le passé. L’émissaire la remercia sobrement avant d’aller superviser le reste des opérations.
          Dès son départ, Évangéline s’affaira à cette nouvelle tâche, prenant, pour les plus attentifs, grand soin de ne pas arracher davantage le scalp du scientifique. Profitant de l’agitation ambiante comme de leur mise à l’écart temporaire, elle se pencha à son oreille pour lui murmurer quelques mots. Sa voix trahissait une certaine inquiétude :
« Comment… Comment vous sentez-vous… ?
- À votre avis ? » Soupira-t-il.
« Écoutez, je ne sais pas ce que cette… machine du diable peut réellement faire, mais j’ai appris à me méfier des inventions Xélor comme de la peste. »
          Qilby émit un discret grognement affirmatif à cela. Il savait ce que son frère, Adamaï et leurs amis avaient dû affronter lors de leur rencontre avec Nox, le « Xélor Fou ». Plus qu’une bande de joyeux lurons, cette quête et ces batailles avaient demandé de véritables aventuriers…
« Pensez-vous qu’il… que Yugo pourra voir… ?
- Je ne l’espère pas. » Répondit-il, sombre. « Mais vous comprendrez que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il-
- Hey ! Éva ! » Interpella soudain son petit-ami Iop. « T’as bientôt fini ?
- Je comprends. » Chuchota l’archère en finissant d’attacher les cheveux du savant en une queue de cheval lâche. « Sincèrement. Je… Bon courage… Major. »
          Elle se leva, visiblement en manque de temps… ou de paroles rassurantes. Lui dut se retenir de pouffer de rire à l’usage de ce titre ridicule : décidément, relater leurs campagnes d’extension sur leur planète d’origine avait eu des retombées déplorables. Enfin, au moins était-elle parvenue à le faire sourire avant le début de cette… « expérience » en somme. Toutefois, avant qu’il ne balaye à nouveau la pièce du regard, il eut le temps d’apercevoir celui du Roi Sadida, lui aussi observateur de la scène.
Merde…
          Les avait-il vu échanger ? Lui qui voulait éviter d’attirer les soupçons… Qilby n’eut néanmoins pas le loisir de réfléchir davantage que Maître Joris appelait au rassemblement de ceux encore libres de leur mouvement. La chambre privée était enfin prête, avec ses grands rideaux de lianes tirés, ses couvertures de soie blanche suspendues en lieu et place d’une tapisserie, ainsi que de plusieurs coussins et tapis étalés à même le sol pour ceux et celles qui seraient pris de fatigue durant « l’interrogatoire ». Étrangement, l’accusé serait tourné dans le même sens que les présupposées victimes… La seule différence résidant dans la rude chaise en bois, les lianes maintenant son poignet droit immobile contre son dossier, ce pour empêcher toute tentative de retirer les imposantes lunettes de métal durant la « projection ». Elles ressemblaient presque à celles qu’employaient les forgerons pour se protéger des étincelles et autres éclats aveuglants, mais possédaient cette aura malsaine que seuls les bourreaux et tortionnaires savaient vous instiller.
« Bien ! Nous allons commencer l’interrogatoire. » Enonça Maître Joris, protocolaire à son habitude. « Messire Qilby, avez-vous- ?
- Oui, j’ai bien compris mes droits et obligations, petit gardien de l’ordre. »
          Le dénommé leva un sourcil interrogateur sous sa capuche : il n’était pas dans les habitudes du scientifique d’en venir aux sobriquets et autres formules dégradantes, ce autant pour leur cible que pour leur créateur. L’Éliatrope était acculé ; le voilà à s’en remettre à de maigres attaques verbales. Intriguant. Dangereux…
« Et acceptez-vous toujours de vous soumettre aux questions que nous vous poserons ? » S’enquit le Prince Armand. « Jurez-vous de nous montrer la vérité, et seulement la vérité ?
- La vérité est un concept bien trop complexe pour des âmes aussi juvéniles que- !
- Doc’… » Grommela Ruel, une plainte silencieuse dans le regard.
          Tous s’étaient réunis au centre de la pièce. Maugréant, il finit par concéder :
« Disons que je ferai de mon mieux. Les souvenirs ne sont pas forcément quelque chose… d’aisé à plier à notre volonté. » Soupir. « Et les miens, aussi précis et justes soient-ils… n’y font pas exception.
- Ne vous inquiétez pas, mon cher. » Le Roi Sadida avait posé une main sur son épaule, prenant soin qu’il s’agisse de la bonne. « Je veillerai personnellement à ce que leurs limites soient respectées. »
          Cette dernière phrase, si elle fut appuyée d’une moue sévère à l’encontre du Prince, ne sembla pas apaiser le scientifique pour autant. Après tout, La Source ne connaissait pas de limites. Un puit d’encre infini dont les murs laissaient chaque jour s’envoler davantage de notes, parchemins et gravures vers Les Cimes, qui trieraient, numéroteraient… archiveraient. Ce pour les siècles et millénaires à venir.
« Qilby… ? »
          C’était Yugo, qui s’était enfin approché de lui depuis le début de ce procès infernal. Cela lui rappelait d’ailleurs… Non ! Il ne fallait pas y penser. Enfouir. Enfouir loin ! Il ne pouvait pas prendre le risque que celui-là resurgisse.
« Je… J’aurai préféré que l’on fasse autrement, mais… Mais j’ai peur que les autres ne parviennent pas à croire… » Ses yeux cherchaient ses mots. « … juste des paroles. Tu comprends, n’est-ce pas ? »
          Yugo, petit Yugo, naïf Yugo… Comme s’il n’y avait pas eu d’alternatives à cette farce. Aussi jeune soit-il, son frère n’en demeurait pas moins un membre estimé de la Confrérie du Tofu, un défenseur émérite du Monde des Douze. Eut-il ordonné que l’on offre le bénéfice du doute à son fou de frère, ne serait-ce qu’une enquête soit menée en premier lieu, les autres auraient bien été en mal de lui résister. Mais c’était là la différence majeure qui se tenait entre les deux Éliatropes :
Tu te croies toujours au service des autres,
là où, moi, fatigué de donner…
« Parce que toi, tu y croirais… » Demanda-t-il, un léger rire dans la voix. « … Mon Roi ? »
J’ai fini par exiger que l’on me rende la pareille.
« Bien sûr. »
          Son visage enfantin était ouvert. Déterminé. Ce n’était pas la promesse d’une foi aveugle, comme il avait pu l’avoir lors de leur première rencontre dans cette vie, c’était… Du temps laissé pour s’expliquer. Écouter puis juger. S’excuser, pardonner ou demander réparation si nécessaire. C’était… de la conf- ?
« Prenez place je vous prie ! Nous allons revenir sur les évènements des deux dernières semaines. Pour rappel, une fois la machine lancée, il n’existe pas de moyens de revenir ou d’arrêter le processus de lecture : soyez donc attentifs à chaque détail. Messire Qilby ? » L’intéressé releva la tête, désormais enserrée par le cuir, le métal et le verre. « Je vous sais assez intelligent, mais aussi animé par la curiosité, pour tenter de tester les limites de cette… création. Mais je dois vous informer que le Xélor nous a mis en garde : tenter d’aller à l’encontre du « flot mémoriel », comme décrit par son inventeur, pourrait mener à… disons, des souffrances inutiles.
-  Pardon ? » Les regards inquiets de plusieurs membres de la Confrérie vinrent seconder l’exclamation du Roi Sheran Sharm. « Il me semblait que vous aviez dit que la procédure ne comportait aucun ri- ?
- Elle n’en présentera aucun, Votre Majesté… Si la personne concernée se plie à son mode d’emploi. »
          « Si vous ne faîtes pas de vagues » fut l’implicite. La tentative de réassurance ne sembla pas convaincre le père des Sadidas, qui, s’il s’écarta raisonnablement pour laisser place à la « projection », demeura néanmoins à une liane de distance de leur hôte. Aucune torture inutile n’aurait lieu sous son toit… Du moins espérait-il qu’elle ne le deviendrait pas.
« Tout le monde est-il prêt ? » Demanda une dernière fois l’émissaire pour bonne mesure. « Bien, dans ce cas… »
          Dans sa nuque, Qilby put sentir un loquet se fermer, tandis que l’on tirait le cadre d’une chenille un peu plus haut. Contre le verre noir qui lui bloquait alors la vue, une lumière se mit à danser, créant un tunnel qui ne cessait de croître à mesure que le chaîne contre sa tempe déroulait ses maillons. Une vingtaine : un pour chaque jour que ses utilisateurs souhaitaient visionner. L’effet avait de quoi vous rendre nauséeux. Le cliquetis s’interrompit… Avant de reprendre de plus belle, mais cette fois-ci, dans le sens inverse. La lumière se rapprocha. Le tunnel rétrécissait. Encore. Encore… Encore.
Oh Déesse,
Faites donc au moins que cela soit cou- !
          Soudain… La lumière le frappa en plein cœur. En plein dans ses souvenirs…
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Hey ! Le Traître !
« Ah ! Ça commence !
- Apparemment, il s’agit d’une altercation entre les deux intéressés peu après notre retour de la Foire… »
Tss… Bonjour à toi aussi, Pha-…
Silence ! Phaeris n’a pas de temps à perdre avec tes paroles mielleuses, Qilby !
« Mais… ! Pourquoi… ?
- Chut ! On n’entend rien avec vos commentaires ! »
Le poison contre la créature : quand l’auras-tu terminé ?
Écoute, je ne sais vraiment pas ce qu’il te prend, mais saches que je ne pourrai pas t’en dire plus qu’à l’autre encapuchonné : le mélange n’est pas encore prêt, point final.
« Hum, outre la dénomination, voilà qui est intéressant. Alors il semblerait que Sir Phaéris ait reçu les mêmes informations que nous. »
Et pourquoi donc ?! Toi qui te vantes sans cesse de ton géni, comment se peut-il que cela ne soit pas déjà prêt ? Et ce pour une recette que tu connais déjà ?!
Ce n’est pas la formule qui fait défaut, imbécile, mais les ingrédients ! ! C’est comme si tout reprenait de zéro !
Essayerais-tu maintenant de rejeter tes fautes en plus de ton incompétence sur Phaeris, Traître ?
Ce n’est pas la peine de vouloir réendosser ton ancien rôle, Phaeris « le &X$*/+ », tu sais tout comme moi que je ne fais que dire la véri-Aaaartch ! »
« Que… ? Non…
- Hey, qu’est-ce qu’il a dit ? Phaéris le … ?
- Messire Qilby : n’essayez pas de résister au Lectanima.
- Cette… c-conversation est…
- Tout aussi importante que les autres. Merci de ne pas chercher à en supprimer des éléments qui pourraient se révéler clefs dans leur compréhension. »
Dans une d-dizaine de jours. Je devrai avoir fini dans une dizaine de jours…
Tu en es certain ? Tu n’as pas intérêt à vouloir nous berner !
Tu as intérêt à tenir ce délai. Nous ne pourrons probablement pas nous permettre d’attendre plus longtemps.
Que… ? Quelque chose est-il… ?
Contente-toi de remplir la tâche que l’on t’a confiée.
« Sire Phaéris savait. La rencontre avec le faux émissaire avait donc déjà eu lieu : les éléments concordent pour l’instant, n’êtes-vous pas d’accord Maître Joris ? »
Et pour le poison ? Pardonnez-moi de revenir toujours à notre problème initial, mais…
Je vous promets qu’il sera mis au point à temps.
« Ha ! Quand on parle du Mulou…
- Ruel ! »
J-j’y arrive pas !
Encore un effort : ouvre tes épaules davantage, ralentis ton souffle et-…
Ça marche pas ! Je vais jamais- !
Yugo, calme-toi, ce n’est qu’une question de temps avant que toi aussi tu ne-…
Non ! Tais-toi !!
« C-c’est… moi ?
- Messire Q- !
- Non, attendez. C’était… le jour de l’entraînement. Ceci est donc un… souvenir ? Peut-être que cette perspective, disons, « récente », a provoqué une vision plus ancienne ? »
Comme tu le sais très certainement, le Wakfu se nourrit des flux d’énergies traversant tous les êtres vivants, tels le sang, la lymphe, ou tout simplement l’eau…
Hey, Tristepin ! Intéressé par un petit match amical ?!
« Nous avons visiblement avancé jusqu’à l’après-midi. »
[ Quelque chose ne va pas.
Je pourrais jurer que… Mais non, ce n’est pos-
C’est comme lorsque…
Elle a su se rattraper : la chute n’a pas été violente. ]
Pourquoi donc t’es-tu interposé de la sorte ? Te rends-tu compte du danger que tu as provoqué pour Dame Évangéline ?!
J’ai dit. Regarde-la.
Il semblerait que Dame Évangéline ne soit pas en posture de continuer le combat. Nous ferions mieux de la laisser se reposer pour aujourd’hui et reprendre notre entraînement plus tard.
« Cet épisode était… particulièrement étrange.
- Il a été capable de voir que quelque chose n’allait pas donc.
- C’est pas un Doc’ pour rien : lui sait faire des observations utiles.
- Comment os- ?!
- Armand, assis-toi. »
Hey ! Je sais que vous êtes là !
Ah, vous m’en voyez vraiment désolé, ma chère…
« Voilà ! Le moment de vérité !
- Pinpin… »
Vous êtes un scientifique, non ? J’ai pensé que cela pourrait vous faire plaisir.
« …
- Maître Joris… ?
-Hum ? Non, rien… »
Le collier fonctionne. Je ne peux pas utiliser mes pouvoirs. Je suis simplement plus adepte à sentir les flux de Wakfu.
« Comme à la séance d’entraînement… »
Yugo est mon ami, j’irai même à dire que… je le considère comme un frère. Vous comprendrez donc que je ne peux pas vous laisser agir à votre guise.
Vous… Vous ne partirez pas… hum ?
« Je… Merci, Éva. 
- De rien, Yugo. »
Je suis contente d’avoir eu cette discussion : je vous remercie pour votre honnêteté.  J’aurai encore plusieurs questions à vous poser.
Malgré le plaisir de votre présence… je ne peux pas me permettre de délayer davantage mes travaux sur l’antidote. Mais peut-être seriez-vous intéressée pour partager une autre tasse de thé, disons… Après-demain, vers 15 heures ?
« Donc… Tu voulais juste le surveiller de plus près Éva ? Tu aurais pu me le dire quand même : tu sais quel mal j’ai eu à distraire les gardes durant tout ce temps !
- Pardon ?! Distraire les g- ?!
- Plus tard, Armand. Plus tard. »
Ad’ s’interroge beaucoup ces derniers temps… Il s’est rendu compte que… il, enfin nous – les Éliatropes et les dragons – avons des pouvoirs incroyables. Mais que cela signifie également que nous devons apprendre à les contrôler pour éviter des accidents… de blesser les autres.
« Hey !
- Je devais en parler, Ad’. Il fallait bien commencer quelque part… »
Eh bien, je vous remercie pour cet après-midi. J’espère, cette fois-ci, vous voir manger davantage qu’au diner d’hier soir. Vous ferez plaisir à Yugo en avalant plus que trois feuilles de salade…
Oserai-je voir du souci pour ma santé dans cette requête ?
Pensez donc à faire corriger vos lunettes…
J’y veillerai…
« Et toi qui doutais… »
Qilby ?!
Hum… ?  Oh, Yugo : c’est toi ! Déjà debout ? Je me suis simplement retrouvé à cours de thé et cette charmante personne s’est proposée pour m’accompagner jusqu’à la réserve !
Tu es disponible cet après-midi ?
Disponible est un bien grand mot. Je serai présent dans ma cellule jusqu’au souper si c’est que tu souhaites savoir.
Ah, Yugo ! Comment ça va aujourd’hui, gamin ? Et vous, Doc’ ? C’est rare de vous voir ici-bas dès le réveil ! Vous ne vous êtes pas trop fait mal en tombant d’vot’ lit j’espère ?
« C’était il y a une semaine. Le jour où… »
Sir Phaéris ne nous a pas encore rejoint ?
[ Hey ! Le Traître !
Le poison contre la créature : quand l’auras-tu terminé ?
Un Nephylis…
Dans une d-dizaine de jours. Je devrai avoir fini dans une dizaine de jours…
J’imagine certainement, à l’image de certains ici présents, que ceux-ci se sont lancés tête baissée dans la bataille, hum ?
La bête les as r-ravagées.
Or, il s’agit là exactement de ce que la créature désire…
.
Nous ne pourrons probablement pas nous permettre d’attendre plus longtemps.
.
.
Déjà debout ?
C’est plutôt moi qui devrais te faire la remarque ! ]
L’a-antidote. Phaéris est parti avec l’antidote.
« Il avait déjà compris avant nous ce qu’il se tramait. Mais cela demeure logique compte-tenu de leurs interactions passées. »
Combien de temps avant qu’il n’atteigne votre Cité ?
Un jour… Peut-être deux-
C’est beaucoup trop long. Et les Zaaps ? Vous n’en avez pas à disposition ?
Messire Qilby… ? L’antidote que vous étiez en train de concevoir, n’avez-vous pas dit que sa confection en était presque achevée ?
« Il…
- Oui, on dirait bien, Ad’. »
En théorie, oui. Mais il restait encore à réaliser les tests de contrôle : cette formule n’est pas la même que celle que j’avais pu développer à l’époque ! Tout était à refaire. Il pourrait y avoir un délai d’action à prendre en compte, voire même des effets secondaires ! Je ne suis même pas certain que… !
[ Même pas certain qu’il soit efficace… ]
Messire Qilby. Vous n’êtes pas responsable pour ce qui est arrivé aujourd’hui.
[ C’est moi qui étais responsable de… ]
« Ne serait-ce pas… Sir Phaéris ?
- Ooooh ! Il est vraiment adorable comme ça !
- Oui, mais… C’est une vision du passé, n’est-ce pas ? »
Et je suis certain que Sire Phaéris nous reviendra… Sain et sauf.
Je vais vous laisser… Messieurs.
Vous souhaitiez me voir… les garçons ?
Si les Éliatropes sont faits d’énergie, et que le collier la bloque, même de manière incomplète… N’y-a-t-il pas un risque que… ?
Ouais, et donc…  avec Yugo, étant donné que l’on n’a pas grand-chose de prévu pour aujourd’hui, on voulait te poser quelques questions concernant la langue draconique.
« Ah oui, c’est vrai que plus tard, on était allé lui rendre visite. Pour… tuer le temps. »
Tss… Bon tous les deux, on peut reprendre… ?
Les désirs de Sa Majesté sont des ordres.
Pah ! Touché !
« En tous cas, vous aviez l’air de bien vous amuser. Faudra qu’vous m’invitiez la prochaine fois ! »
Tu… Tu leur en veux ?
Le prix à payer aurait été trop élevé. Vous… Vous devez comprendre de quoi je veux parler, non ?
« Hum, Maître Joris, cette conversation me semble plutôt… privée.
- Nous arrivons bientôt à la fin, Vôtre Majesté. »
Dites doc’, vous allez finir par la poser cette fiole ?
Hum ? Pas tant que la décoction n’aura pas pris des tons orangés, non…
-oc’ ? Vous ê- là ? Doc’ ! Par les Douze, mais qu’est-ce qui vous a- ?
Pha-é-ris - il - Pha-éris est… Phaéris est mort…
« Alors c’était ça, ce qui vous arrivait ce matin, Doc’.
- L-les Éliatropes peuvent… vivre la mort des autres ?
- Comment ça se fait que nous on n’a rien ressenti ?!
- Effrayant… »
Bien, je vous remercie d’être venu aussi vite. Comme vous le savez très certainement, des nouvelles de Bonta nous s-
« Et voilà qui conclue notre histoire. »
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               Il pouvait à nouveau respirer. Il avait réussi. Ses premières tentatives pour modifier l’incessant flot de souvenirs avaient été grossières, perçues directement par leurs spectateurs. Toutefois, dès qu’il eut compris qu’il valait mieux les réarranger, quitte à déformer l’histoire originale, ce plutôt que les censurer, alors la projection avait pu se dérouler sans accrocs… Pour lui comme pour les intérêts qu’il se devait de protéger. Finalement, cela ne changeait pas de ce qu’il avait déjà eu à faire par le passé : ne pas dire la vérité, mais ne pas mentir non plus. Il avait masqué les entrevues avec l’archère par des sessions d’étude, celles avec Ayssla par des heures passées dans son laboratoire. Le scientifique espérait seulement que ses efforts seraient récompensés. Étrangement, il avait du mal à s’en convaincre.
« Bon, après ce visionnage… instructif, je pense que nous pouvons, sans trop nous tromper, rejeter les accusations initialement prononcées à l’encontre de notre hôte. » Le ton du Roi se voulait aussi diplomatique que ferme. « N’est-ce pas ?
- En effet. » Appuya l’émissaire de Bonta. « Je n’y vois pas d’inconvénients. Il paraît désormais très peu probable que Messire Qilby ait volontairement cherché à nous nuire. »
          Il aurait aimé leur rétorquer que le soupçonner en premier lieu avait été une aberration, qu’il aurait eu trop à perdre dans ce pari, que si la fin pouvait parfois justifier les moyens, il n’en était pas à sacrifier ses cartes par pur plaisir sadique… Mais après les évènements qui avaient suivi son premier retour, il se voyait bien en peine de jeter la pierre aux Douziens. Déesse, les rôles auraient-il été inversés, nul doute aurait-il réagi de la même manière.
Peut-être même aurai-je été pire qu’eux…
Très certainement.
« On… peut peut-être lui retirer l’appareil, non ? Maintenant que c’est fini. »
          La voix de son cadet lui fit presque chaud au cœur. Elle semblait si énergique en comparaison aux échos qu’il avait été forcé d’écouter ces trente dernières minutes ! La source conservait les faits, mais n’avait que faire des sens : rares étaient les souvenirs qu’il était encore capable de ranimer à leur plein potentiel. Il manquait toujours cette odeur de printemps, cette voix aux notes cristallines, cette caresse d’un vêtement fraichement repassé… Une pièce de théâtre où les acteurs se voyaient progressivement changés en mannequins dénués de toute expression. De toute vie.
« C’est vrai qu’on doit pas y voir grand-chose avec ce machin sur le nez ! » Déclara une autre, à n’en point douter son ami mineur à son accent tranché. « Bougez pas, Doc’, j’me charge de- ! »
          Très honnêtement, cette histoire aurait dû s’arrêter ici. On le libérait de cette machine du diable, le disculpait de cette affaire, voire, avec un peu de chance, lui présentait des excuses… Repas, tasse de thé, nuit blanche.
« Eh bien moi, je ne suis pas d’accord !
- Pinpin ? Qu’est-ce que- ?
- Éva n’est pas allée qu’une fois le voir et pourtant, on n’a vu qu’une seule visite ! Et on ne sait toujours pas ce que Phaéris et lui ont vu chez elle : il y a quelque chose qui cloche là-dedans et je vais faire la lumière sur toute cette affaire ! 
- Non, Messire Tristepin ! Il ne faut pas- ! »
          Tout ce qu’il sentit, ce fut la chaine partir, accompagnée de quelques mèches de cheveux sauvagement empoignées dans le mouvement… à la différence que les maillons ne furent pas soigneusement comptés. Le défilement métallique résonna comme une avalanche à ses oreilles, ne s’arrêtant qu’avec les cris d’alarme et les grognements des personnes à ses côtés, visiblement aux prises avec le guerrier Iop qui continuait de réclamer de savoir « pourquoi ».
          Et ô comme il allait être servi…
          Car là-bas, dans les entrailles de ces méninges retorses, il allait trouver toutes les réponses qu’il n’aurait jamais imaginé révéler… Et plus encore celles qu’il n’aurait jamais désiré voir.
.
.
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Celles que tu aurais préféré garder pour toi seul, pas vrai… ?
~ Fin du chapitre 9
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chi-xion · 2 months
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wakfu season 4 spoilers!!!
THEYRE MARRIED AND MARRIWD AND THEY GOT MARRIED AND HUH. HUH.
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astrosociety · 27 days
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Something sweet before the webtoon punches me in the guts ah (help)
Without the big shadow ⤵️
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moths-are-better · 10 days
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@geekgirles some adjustments were made
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danidoodles124 · 2 months
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hi tumblr! here’s a dump for being gone so long
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the last one is my cra oc, adamaris! if he gets enough love maybe i’ll draw him some more
pst, there’s more on the discord server linked in my page!
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cocogum · 2 months
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IDK if you brought it up.
But one thing I noticed is that in season 4 when Yugo, Amalia, and the Eliatrope goddess where together, his mother kind of (softly) physically got between them.
I think... Ep 2 or 3 (idk): when Yugo is watching Amalia mourn her father and wants to jump down and support her, she pulls him away. Though it was a good move, Amalia needed to be alone/with her brother. Ep 11: when Amalia calls out to Yugo and he looks at her and seemingly wants to go to her--the goddess turns him towards her. ...these are the only examples but they're there.
To me, I think it was to show blood-family vs found-family. His relationship with the Eliatrope goddess isn't even as close to deep as it is with Amalia, Percedal, Ruel, Alibert, and Eva. Even Yugo said it himself, he feels at home with Alibert (and his friends).
By the end when the goddess wanted to leave the planet with all of her eliatropes (Yugo included), Yugo chose to stay and fight with his found family.
As someone once said (before someone else twisted it), "The blood of the covenant is thicker than the water of the womb."
Just something that came to mind after rewatching the entire season in English sub.
(If you can, you can add the clips/GIFs) because IDK how to do that.
I love how you interpreted those scenes because that’s exactly what it was implying.
Back when Yugo wanted to intervene in Amalia’s private moment (yes it was episode 3), I didn’t think much about how the Eliatrope goddess had pushed him away from her because Amalia did deserve the privacy so it was normal for his mother to be like “your bae is in pain right now and it’s kinda your fault a bit for pulling her away from her dad so come here”.
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But now that we’ve seen episode 11, yeah no it’s clear that she was only trying to cut off Yugo from the others.
Like the way she did it was so sudden too cuz she just ruined Yugo and Amalia’s reunion. The others had proper moments where see them reacting and conversing with Yugo when they realized he grew up (Ruel and the Percedal family).
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But with Amalia, you can’t help but feel like it was going to go somewhere before it suddenly got cut short because his mother butt in. You can even see how her hair hides the others from Yugo! The only reason why Joris didn’t get cut off like the others was because he was standing on the opposite side.
Like I get that she’s supposed to not mind his friends (since she had no problem addressing them as ‘his friends’ at some point) but the Eliatrope goddess really reminds me of a clingy mother who can’t stop hogging her kids. And because of this bad habit of hers, we can also see how her relationships with her kids reflect their distinct dynamics with her:
Yugo is that one kid who wants to be independent but can’t do anything because his mother thinks he can’t survive without her.
Qilby is that one kid who’s greatly dependent on his mother to shower him with love and affection. He sees her as the only source of light in this world who can give him what he needs. A perfect mama’s boy that every needy mom wished to have.
Nora is that one kid who, just like Yugo, recognizes her mother’s flaws but instead tries to help her by shouldering all the responsibilities on herself. Being the voice of reason in the family, the balance.
Efrim is the one who knows his mother’s imperfections and hates her for it because he’s aware that she comes first before her children.
Adamaï is that one forgotten kid. That’s it. He doesn’t get some love as much as Yugo. And doesn’t get mentioned by his mother as much as Nora and Qilby.
She’s literally the embodiment of love but because of her flaw, she’s depicted as the wrong kind of love, the one that’s too clingy, too overprotective, too suffocating.
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toxictidepod241 · 4 days
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Why did Evangelyne make the conscious decision to marry a dumbass himbo instead of a strong (mentally) and powerful prince. Like, yeah, i would, BUT YOU'RE THE SMART ONE EVA! MAKE GOOD DECISIONS!!
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wakfuyugo · 10 months
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larebiscornue · 1 year
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The wakfu origin story says armand was a teen when amalia was five so I checked the wiki and he was 21 in the first season according to it??
That makes his crush on then in s1 17 yr old Eva creepy..
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nautiscarader · 2 months
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Bug (Yumalia, T), spoilers for s4 e13
(Ao3)
inspired by @billythsquid
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Hundreds of people watched as Princess Amalia Sheram-Sharm and King Yugo of the Eliatropes walked towards each other, from two sides of the palace, only to be joined at the wedding aisle.
Heroes and commoners, nobility and servants - there were no privileged seats when love was in the air.
And as the royal couple walked towards the balcony, drenched in orang shine of the setting sun, a loud sniff could be heard.
"I'm s-shorry", Renate cried, "It's just so beautiful…"
One of princess Amalia's closest servants blew another handkerchief.
"I still remember when she was so young and small…"
"Yeah…", Canar, the other trustworthy confidant grunted back.
"Something's wrong?"
Canar took a deep breath.
"Okay, I'm gonna say it, because it will literally bug me for-ever. It is weird that Yugo is tall now."
Renate blinked.
"I mean… he is the king now."
"Yeah, but he looked so cute with his enormous Enutrof hat. The ears drooped to the side… Now they are upright, he looks like a wabbit"
"Oh my gosh, I literally cannot unsee it", Renate gasped, "I hate you".
"How did it happen? He was still a sweet small bean a week ago."
Renate shrugged.
"Freaky Eliatrope magic?"
"Yeah, probably."
And as if on queue, the now-married royal couple fell through the portal in the ground, causing a series of gasps and whispers to spread.
"Whe-where did they go?" Renate asked,looking around the spacious room.
"And where do you think a newlywed couple WOULD go now they are officially married? He is big now."
"Oh.", Renate realised the implications,"They could've waited after the dinner".
I spent a non-zero amount of time googling variations of "wakfu two gay servants of Amalia" before I remembered I had all the episodeson my hard drive so I can find their names.
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emeraldtart · 8 months
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The Warrior of Five AU
In this AU Yugo, Adamaï, Tristepin, Evangelyn and Amelia are all incarnation of their respective races' greatest warrior. The Twelve (technically thirteen) Gods of the World of Twelve sensed something sinister is threatening the world, they are unable to interfere directly, so they reincarnate their greatest warriors to put the world back in balance.
So among The Twelve, the Dragon God, Iop God, Cra Goddess the Sadida God are picked to reincarnate their warriors.
However, something went wrong in the process. The Dragon God's greatest warrior are his sons, a pair of twins whose mother is the Eliatrope Goddess. The twins are unable to exist without the other since their souls are stuck to one another, and as a result, the one extra soul messed up the ritual.
The warriors ended up separated from one another, in a younger form without any memories of their mission. Luckily, the Tofu God (also known as the Messenger God, a minor god) has an idea. He used the Tofu birds to give the young warriors a message when they appear; when the time comes, go to Emelka.
In this AU, Alibert finds Yugo and Az in his stroller as usual.
One day, when Yugo was about a year old, Alibert was running his inn as usual with Ruel visiting him.
Alibert gives Ruel his usual meal, but before the older Enutrof could dig in, it was immediately stolen by a little kid.
Ruel manages to cut the kid off, so they immediately runs upstairs.
Alibert follows suit because he's worried about Yugo. When he arrives upstairs, Yugo was wide awake, safe in his crib, and is laughing and smiling at something under the bed.
Ruel grabs the kid from under the bed and saw that it was a young Iop who has a mouthful of his stew in his mouth.
Alibert feels sorry about the kid and offers to remade the stew for Ruel if he let's the boy go.
After the Iop kid gets his fill Alibert asks him where he comes from.
The boy doesn't remember much, except that he got a message from someone urging him to go Emelka and find an inn.
Of course, Alibert and Ruel are confused, but they can't leave a kid all alone without their guardian in sight. So Alibert takes the kid in.
Ruel warns Alibert not to get too close with the Iop kid while he search for his parents around town, because Iops are one of the races that became very hostile if their young is threatened.
The moment Ruel returns and came empty-handed Alibert gains another son.
Meanwhile, in the Sadida kingdom, King Sheram Sharm came face-to-face with a toddler who suddenly appear in his throne room.
He asked everyone whose child was missing, and when no one came to take the girl he takes her as his own.
Fast forward a couple of months later, Amalia came running to her dad with a young Cra in tow.
Again, King Sheram Sharm can't find her parents, but he can't just adopt the Cra girl like he did with Amelia due to very complicated reasons, so he assign the girl, now named Evangelyne, as Amelia's lady in waiting.
Fast forward 11 years later, the group finally met and when they do, they finally remembered about their true origins. It's basically the Spider-Man meme. They pointed at each other and shouted, "IT'S YOU! Where the hell have you two been!?"
Ruel was confused, how did Yugo and Pinpin knows these two girls?
So yeah, the whole journey is basically Ruel being confused while the other four tries to find a way to jog their memories while to Oma Island and prevent whatever catastrophic event from happening.
Adamaï, upon meeting Tristepin felt competitive. He's far behind in his ranking of best bro in Yugo's list.
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astrosociety · 1 month
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Got inspired by @geekgirles fanfic (go read btw) and tried to design the DivineDoll!au version of Amalia heheh tried to incorporate the elements of her usual dress and the outfits of the other dolls
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moths-are-better · 2 months
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They would be utterly flabbergasted
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danidoodles124 · 1 month
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another doodle dump because i have been so far off my shit lately
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some is s4 stuff, some is things i’ve been working on in the wakfu server (wink wink)
the bottom two are an eva au i’m currently working on (regarding recent events in season 4)
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onenettvchannel · 1 year
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NEW DEVELOPMENTS: The 4th new season of Wakfu still currently in production [#OneNETnewsEXCLUSIVE]
PARIS, FRANCE -- After a successful Kickstarter campaign, the creators of the show have announced last Friday (March 3rd, 2023 -- France local time), with some exciting updates about the upcoming 4th season.
A Kickstarter post update reveals that the team has been working hard, with production of Wakfu: Season 4 are well underway. Wakfunian fans can look forward to see new adventures with returning characters, as well as new villains to spice up their plot. According to Anthony Roux, who is responsible for Wakfu, the aforementioned upcoming season will have a serious darker tone, and will explore deeper themes in fantasy violence than the previous ones, making it a must-watch for fans who want to delve deeper into the story.
In addition, the latest Kickstarter update offers previews of some concepting arts and animation that fans can really expect to see when the season comes out sooner than before. Digital images are stunning and demonstrate the level of dedication and attention to detail in the animated production process. Fans of the series are already eagerly anticipating the release of Wakfu: Season 4, and this latest update was only added to the excitement.
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Although, there is probably a new special episode from a French public broadcaster France Televisions that is linked before or after the 4th season of Wakfu during the funded Kickstarter period: "After a destructive battle against Oropo and their own demons, Yugo the Eliatrope and his friends find themselves at the gates of the Ingloriom, the realm of the gods. The Tofu Brotherhood has no time to wonder what fate the 12 Divinities have in store for them for this sacrilege: the territory is devastated! What is happening? Is there a connection between their victory and this chaos? Are they responsible for the situation, or is it something much worse? How far will our heroes have to go this time around?", said in translated French dialect.
With the show promising to push the boundaries of storytelling and animation, it is sure to be a hit. The 4th season of Wakfu is still in the works as we embark on a thrilling new journey with your favourite characters (including our Ankama News correspondents named Yugo the Eliatrope & Amalia Sheram Sharm).
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Animation Digital Network (ADN) secures streaming rights in France, while Netflix still going to stream the episodes in selected countries worldwide, for those if you're new, or to relive your favorite moments of this French animated cartoon show.
The new season of Wakfu in Season 4 is STILL coming soon -- on-air, online at France.tv, and on the France TV & Okoo APP. The aforesaid new season is definitely worth the wait.
ART PHOTO COURTESY: Ankama via Kickstarter PHOTO BACKGROUND PROVIDED BY: Tegna
SOURCE: *https://issuu.com/francetelevisions/docs/mifa-dp2022_ftv [The Exclusive Press Release from France Télévisions on a Programming Line-Up for 2022-2023 + Show Synopsis and Information Reference for Wakfu S4 on page41] *https://www.kickstarter.com/projects/ankamaanimations/wakfu-the-animated-series-season-4/posts/3747696 [Referenced Kickstarter Post via Ankama Animations] *https://twitter.com/Totankama/status/1635372970234482689 [Referenced Twitter Post via Totankama] *https://fr.linkedin.com/company/animation-digital-network and *https://twitter.com/ADNanime/status/1636691543888125953 [Referenced Twitter Post from Animation Digital Network]
HONEST DISCLAIMER: The views and opinions expressed from a developing news report, are not necessarily those from Ankama Animations, Frankas Productions & Pictanovo. Furthermore, the assumptions of this D.N.R. will NOT state, intervene or reflect those of our Radyo Bandera Patrol reporters. The show, the station, the management, interwebs and the network. Thanks for reading and Stay safe. Later!
-- OneNETnews Team
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th3lost4uthor · 10 months
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Les nouvelles expériences d’une vie sans fin (8.1/15)
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Plusieurs jours s’étaient à présent écoulés depuis l’incident de la salle d’entrainement et, en apparence, les choses semblaient être rentrées dans l’ordre. En effet, chaque matinée se voyait ouverte sur un petit-déjeuner des plus riches, avec l’ensemble de la Confrérie du Tofu et de la famille Sheram Sharm y siégeant chaque fois, parfois rejoint par Maître Joris quand ce-dernier n’était pas occupé dans ses incessants voyages entre Bonta et les terres sadidas, avant que chacun ne vaque à ses occupations. Pour le scientifique, celles-ci se résumaient en une visite à l’infirmerie, ce afin de surveiller la cicatrisation de son bras droit. Il était alors généralement accompagné par Yugo, qui s’était prouvé fidèle à ses vocales inquiétudes concernant l’état de santé de son ainé. Il avait néanmoins été davantage surpris par la visite d’Adamaï lors d’une de ses auscultations. Le dragonnet ivoire s’était invité dans la pièce, ce qui n’avait soulevé que quelques regards inquiets de la part des Eniripsas avant de constater l’absence d’urgence dans cette interruption, et avait commencé à échanger avec son frère Éliatrope. Le savant n’avait pourtant pas manqué de relever les discrets regards jetés à sa main que l’on finissait de bander, mais dont la peau aux plaques rougeâtres, débutant à peine son cycle de régénération, se laissait entrapercevoir. Ses narines s’étaient offusquées de l’odeur se dégageant de la chair brulée, et son regard avait pris une teinte d’horreur… de remords peut-être également ? Il n’en était pas bien sûr. Il n’avait pas reçu d’excuses – non pas qu’il en attendait – mais avait été sincèrement surpris par cette réaction, tout comme il le fut quand il en avait entendu les raisons par Yugo :
« Ad’ s’interroge beaucoup ces derniers temps… Il s’est rendu compte que… il, enfin nous – les Éliatropes et les dragons – avons des pouvoirs incroyables. » Il n’avait pas répondu, n’avait pas souhaité briser ce début d’interaction. « Mais que cela signifie également que nous devons apprendre à les contrôler pour… » Ses yeux s’étaient portés sur les marques écarlates. « …éviter des accidents… de blesser les autres. »
           En sachant la proximité du jeune dragon avec Phaéris, et de par les nombreuses remontrances ou piques régulièrement lancées à son encontre, il ne se permettait pas de croire en un si tôt changement de cœur. En particulier compte tenu des mensonges qui avaient constitués leurs interactions lors de son… « premier retour ». Adamaï s’était senti le plus trahi par ses actes, et cela pouvait aisément se comprendre. Après tout, ils étaient restés plusieurs semaines, voire mois dans l’enceinte même de ces murs ; le dragonnet à lui raconter leurs aventures passées et à s’enquérir de l’histoire de leur peuple, et lui à… lentement tisser la toile qui aurait dû lui permettre de réparer ses torts. De réunir leur famille.
 Enfin, tout cela,
c’était avant ce maudit « conseil »…
À croire que ce mot
porte en lui
toutes les crasses et coups-bas de cet univers.
           Lorsque la grande horloge sonnait neuf heures, il regagnait généralement sa cellule pour y tenter de développer tel ou tel aspect du poison qui devait leur permettre de vaincre le Nephylis sévissant au dehors. Lorsqu’il en avait la nécessité, il s’installait dans le laboratoire « d’urgence », qui avait été conçu spécifiquement pour l’avancée de ses travaux. Le matériel n’y était pas des plus adaptés, mais il avait apprécié l’effort et n’avait nullement bronché lorsqu’on lui avait troqué sa ridicule table d’expérimentation contre la pièce aux larges fenêtres et aux étagères fourbies de ressources, ouvrages et autres verreries. Le seul bémol était la nécessité d’une supervision constante dans ces périodes étant donné les trop nombreux aléas dont il aurait pu se servir pour causer quelques manigances que ce soit… Si ce n’est s’enfuir.
 Les pouvoirs du Cube sont certes impressionnants,
mais sans lui et avec ce satané collier,
ce n’est pas comme si j’avais la possibilité de m’envoler !
           Il n’avait pu s’empêcher d’inspecter l’horizon… pour le découvrir aussi vert et vide que le paysage visible depuis sa minuscule lucarne. Vraiment, tenter une sortie serait synonyme de défenestration dans ces circonstances. Il s’était déjà plusieurs fois brisé les vertèbres au cours de sa longue existence, parfois de façon mortelle. Souvenir d’une nuit d’hiver passée sur une falaise déchirée par les bourrasques d’une tempête, à tenter de sécuriser comme il le pouvait l’humble bicoque qu’il partageait alors avec Shinonomé… Il faisait noir. Le vent giflait son visage. Il ne savait plus quand il avait cessé de sentir la flamme de leur âtre lointain dans son dos. Il avait glissé, avait tenté de se rattraper à la moindre herbe folle ou rocaille, d’ouvrir un portail malgré le vertige effréné qui l’engloutissait. Il ne se souvenait que d’un craquement abject, qui avait retentit dans tout son être. Il avait d’abord cru à des branchages ayant miraculeusement amorti sa chute – il souffrait atrocement, il avait envie de… de hurler jusqu’à s’étouffer, il éprouvait encore la douleur, donc… Il était vivant non ? Non. Il avait voulu éclater de rire, pour se moquer de la mort, voire de sa propre maladresse, oublier ce brasier dans ses veines… Ses poumons n’avaient craché qu’une gerbe de sang, aussitôt absorbée par sa tunique dont dépassaient d’étranges crocs blancs entachés de rouge. La fin de cette histoire ? Il ne la connaissait que par sa sœur dragonne, lors de leur réincarnation suivante, quand elle lui avait raconté comment elle… l’avait retrouvé le lendemain.
 Shinonomé… Héhé…
Que n’avons-nous pas traversé ensemble ?
Que ne lui as-tu pas fait subir, h- ?!
Silence !
           Autant dire qu’il ne s’était plus approché des fenêtres, préférant envoyer quiconque était désigné ce jour-là comme son chaperon à la corvée d’aérer le laboratoire entre deux manipulations. À chaque journée son visage : de la princesse au mineur, de l’archère au guerrier, du simple soldat à l’éminent Maître Joris, c’était un véritable bal qui se pressait pour surveiller, avec plus ou moins de compréhension, le moindre de ses actes. Mais s’il se devait de l’avouer, alors les longues sessions passées en compagnie de Yugo étaient de loin ses préférées. Le petit Éliatrope était… vivant, il ne savait pas comment le décrire autrement. Son sourire vous intoxiquait plus vite qu’une once d’aconit, et sa voix enjouée, posant mille et une questions à la seconde, était un plaisir à ses oreilles, qui n’avaient que trop longtemps souffert du silence. Il avait toujours eu cette « énergie », qui n’avait pourtant rien à voir avec le Wakfu qui le parcourait, cela était bien plus… pur, brut… authentique. Comme l’une de ces géodes exposant les gemmes et cristaux de ses entrailles au vent. Ils parlaient de tout, comme autrefois.
 Yugo souhaitait savoir comment s’organiser leurs cités avant l’Exode ?
Il en griffonnait les contours entre deux formules alchimiques.
Yugo s’interrogeait sur leurs fêtes et cultes ?
Il se lançait dans une longue narration sur la Nuit aux Lanternes.
Yugo surprenait un changement dans sa maîtrise ?
Il lui expliquait les étapes de développement des Éliatropes…
le tout ponctué d’anecdotes sur leurs frères et sœurs.
           Une fois, le plus jeune évoqua Shinonomé au détour d’une conversation. Renouvelant son désir de mieux connaître celle qu’il n’avait entraperçu qu’un instant et alors piégée dans son Dofus, il avait poursuivi son enquête familiale, mais, releva le scientifique, toujours en prenant garde à la tournure de ses phrases ; toutes empreintes de révérence pour la dragonne… mais également envers lui-même. Et à ces questions aussi, il avait répondu. Si certaines avait fait naître un sourire et d’autres un tremblement dans la voix, il avait su se faire maître de ses émotions, n’en laissant aucune transparaître plus que de raison. Toutefois, il n’avait pu que succomber à la paralysie lorsqu’il finit enfin par lui demander, d’un ton si calme, si doux et pourtant si tranchant :
 « Hey, hum, Qilby ? Qu’est-ce que ça fait quand… » Il avait repris son souffle, son regard cherchant l’autre. « Qu’est-ce que ça fait quand on perd… enfin, tu sais ? »
           Le martèlement régulier du pilon contre les feuilles d’amordica cessa. Pendant un long moment, il avait contemplé quelque chose, au loin. Un souvenir ? Il avait fini par soupirer, une longue exhalation comme si l’air pouvait emporter un peu de l’amertume qui lui rongeait le cœur, et il s’était avancé vers Yugo. L’enfant, voire bientôt adolescent, s��était étonné de cette approche, mais n’avait pas reculé pour autant. Il avait alors vu son ainé s’agenouiller, malgré l’effort que cela semblait demander à ses articulations, avant de le fixer droit dans les yeux, captivant toute son attention.
 « Dis-moi Yugo, qu’as-tu ressenti quand Adamaï était possédé par ces démons ? » Une grimace s’accapara aussitôt des traits de l’intéressé.
« Je… C’était horrible, c’était comme si… Je ne sais pas… » Il porta une main à sa poitrine. « Comme si on m’arrachait une partie de moi-même. J’étais tellement en… en colère, je voulais leur… Je voulais te-… !
-Très bien, très bien. Yugo ? » La petite coiffe turquoise se releva. « Maintenant, imagine… » Un élégant doigt vint se poser contre le poing serré. « Imagine donc ce sentiment, cette peine, cette rage, cette solitude, cette impuissance, ce… ce « vide » t’envahir chaque jour de ton existence. » Les yeux de Yugo s’étaient écarquillés d’effroi à cette simple perspective, mais il avait continué malgré tout. « Imagine te lever un jour pour découvrir un monde identique à celui de la veille : les mêmes personnes, les mêmes discussions, les mêmes parfums, les mêmes couleurs. Rien n’a changé. Et pourtant, rien n’est pareil… Car la seule chose qui n’est plus la même… C’est toi. » Il s’était relevé, regagnant sa paillasse et ses fioles. « Et tu pourras faire ce que tu veux, dire ce que tu veux, jamais ce sentiment ne partira. Oh, bien sûr il pourra s’atténuer avec le temps, mais il aura toujours une place dans cette « vie ». Le monde sera le même… mais toi, tu auras changé. » Il avait repris ses activités, fixant délibérément les fibres broyées sous ses coups. « Et tu te demanderas si, en fin de comptes, ce que tu es le seul à éprouver, cette… « anomalie » que tu es le seul à percevoir… » Dans un murmure. « … ce n’est pas tout simplement toi-même. »
           Ils étaient alors restés plusieurs minutes dans un silence des plus sérieux, uniquement perturbé par l’entrechoc des instruments ou le sifflement de quelques alambics. Yugo l’avait observé avec une grande attention, avant d’oser, d’une voix empreinte de chagrin :
 « Elle… Elle te manque, pas vrai ? » Il s’était redressé brusquement, gêné. « P-pardon, c’est une question s-stupide, bien sûr que- je- !
- Oui… terriblement… » L’autre s’était arrêté. « Shinonomé, elle… Je n’ai pas les mots pour t’expliquer à quel point je… Ce que je pourrai donner pour la revoir…
- C’est pour ça que- enfin, je comprends. »
           Yugo s’était tu un instant, mais derrière ses boucles blondes, vous pouviez voir ses pensées et nouvelles interrogations s’animer. Ils avaient passé le reste de la matinée au laboratoire, changeant de sujet pour des thématiques plus légères, avant de débarrasser les tables des plans et accessoires les recouvrant pour aller les entreposer dans la cellule du vieil Éliatrope puis rejoindre la grande salle où le repas de midi serait servi. Ce-dernier pensait la discussion close, quand soudain :
 « Et, euh… Qilby ? Pour nous, comment… ?
-Hum ? » Il avait réajusté une sacoche sur sa bonne épaule.
« Je veux dire… tu te souviens de toutes tes vies, c’est ça ? Alors tu as très certainement dû assister à… à au moins l’une de nos morts. » Il s’était tendu, son échine dorsale relâchant un frisson glacé. « Qu’est-ce que tu as ressenti quand… ? »
           Il n’avait pas répondu.
           Une fois un solide repas avalé, les oreilles aussi pleines d’histoires et racontars comme l’étaient l’estomac de mijotés et autres mets délicats, il retournait bien souvent à ses notes pour le reste de la journée. Cependant, il était devenu assez commun que ses heures d’étude ne soient interrompues lorsqu’au mur, sonnait enfin 15 heures. En effet, bien plus souvent que rarement à présent, la lourde porte bois de sa cellule laissait entrer un invité plutôt que l’une des innombrables petites mains du Palais, qui prenaient à peine le temps d’inspirer avant de fuir ce lieu et retourner se tapir aux cuisines. Par deux fois maintenant le vieux mineur, dénommé Ruel, s’était permis de franchir le seuil, plateau chargé sous le bras et phorreur sur ses traces. Depuis leur première interaction, Qilby avait appris à tolérer sa présence ; il lui arrivait même d’apprécier certains de leurs échanges quotidiens. Le vieil homme avait de nombreuses décennies derrières lui, tout comme lui avait de siècles, ce qui leur permettait presque de s’exprimer sur un ton égal : ils étaient deux âmes éreintées par le temps, qui avaient connu les tumultes de la jeunesse, les « premières fois »… Honnêtement, trouver un compagnon avec qui ressasser quelques souvenirs ou encore se plaindre des dérives actuelles, voilà des moments auxquels il n’avait pas eu l’occasion de s’adonner depuis longtemps. Certes, il y avait bien eu certains de ses frères ou sœurs par le passé, lorsque le hasard des réincarnations les laissait grandir côte à côte… Mais combien d’entre eux avaient accepté sa condition d’éternel observateur ? Combien avaient réellement considéré, et plus encore, reconnu sa malédiction ? Bien peu…
         Ce qui le menait à la seconde personne venant le visiter à l’heure du thé : l’archère. Après leur entrevue secrète, le scientifique préférait ne plus employer le nom « d’Evangeline » en s’adressant à cette-dernière – si son visage avait tout d’un être céleste, son esprit calculateur et sa langue acérée avaient révélé un être terrifiant. Il se contentait alors de formules de courtoisies, telles que « Ma dame » ou encore « Très chère », qui si elles possédaient cette légère froideur polie, n’étaient pas moins dépourvues d’un sincère respect. Et, chose étonnante, celui-ci lui était rendu. Il lui serait difficile de décrire le sentiment qui l’envahissait à chaque fois, aussi rares soient-elles, qu’il entendait ce très sobre « Messire ». Il n’avait jamais couru après les titres – il ne s’agissait que de mots de couverture, qui n’étaient que mieux tordus une fois le dos tourné – et pourtant, la petite flamme qui s’était allumée dans sa poitrine refusait de s’éteindre à son entente. Elle s’animait quand la jeune femme prenait garde à prendre à deux mains la tasse qui lui était offerte, frissonnait quand elle veillait à ne pas verser trop vite l’eau chaude dans celle de l’Éliatrope, et prenait une lueur nostalgique quand elle se risquait, même par légère moquerie, à employer des « cher Docteur » ou « Major ». Étrangement, ce-dernier avait fait rire l’archère aux éclats : le nom ne lui était, selon ses dires, pas des plus appropriés... à moins de prendre en considération qu’il ait « majoré » en conquêtes échouées. Peut-être aurait-il mieux fait de ne pas s’étendre sur sa carrière militaire, bien que pâle en comparaison de celles qu’avaient pu mener Chibi et Yugo. Et pour autant, il n’en avait cure, car pour une fois... Pour une fois… Quelqu’un l’écoutait.
 Je vois, c’est donc comme cela que tout a commencé…
Ah, Nora est l’une de vos sœurs cadettes je me trompe ?
Et comment êtes-vous parvenu jusque-là ?
Les… Méchasmes ? Ah oui, je crois que vous nous en aviez déjà vaguement parlés.
Donc, c’est ainsi que vous…
Oh ! C’est… oui, je… je comprends.
Mais alors…
Vous avez-
Je suis désolée.
Par Crâ…
           Au-delà des commentaires, qui venaient ponctuer ses récits sans en rompre la mélodie, elle avait également cette pertinence, cette… intuition à la limite d’un autre sens qu’elle était seule à maitriser. À chaque pause un brin trop longue, même infime de sa voix, elle le relançait avec un doux intérêt (« Très honnêtement, je ne sais pas comment j’aurai moi-même agi… Votre famille a dû grandement souffrir de ce départ, hum ? ») ; à chaque grincement de dents ou détournement furtif du regard, elle inspirait profondément, le ramenant au calme (« Il ne vous a pas laissé le choix en un sens. Sans cela, vous n’en seriez pas arrivé là… ») ; à chaque frémissement de sa voix, elle se rapprochait de son fauteuil, parfois même jusqu’à ce que leurs genoux se frôlent (« Ce « Aroh »… Vous… l’appréciiez grandement, n’est-ce pas ? »).
         Et s’il osait se l’avouer, alors il dirait que ces après-midis avaient su trouver une place particulière entre les rayonnages de sa mémoire. Après des siècles passés à errer parmi ces couloirs bardés d’ouvrages, se perdant dans des volutes nocturnes que les étoiles avaient fuies, à arpenter ces cours et salles d’études que son emprisonnement l’avait conduit à saccager… à réduire en cendres pour en imprimer les murs de sa rancœur… Après tout ce temps, captif de ses souvenirs et pourtant incapable d’en relire la moindre ligne… Il en avait presque oublié les annotations laissées dans les marges. Les commentaires qu’une main passée mais sienne avait inscrits le cœur léger, détaillant avec emphase tel évènement, telle rencontre, tel repas… telle expérience.
 Aujourd’hui, Glip est enfin parvenu à tenir en vol
avec Grougaloragran plus d’une demi-heure : il a tellement progressé !
 - Notes pour futur laboratoire -
 Rappel à moi-même : ne plus jamais autoriser Yugo
et Adamaï à rester dans la cuisine sans surveillance.
 Ils grandissent trop vite, je ne pensais honnêtement pas arriver au jour
où je regretterai les couches et les biberons…
 Dessin de Nora en copie ; 21 Sombrefeuille 12 648 (voir rouleau section A75/IS-9782862606712)
 Je jure que si je dois encore passer une minute de plus à
écouter Chibi se plaindre de ses relations amoureuses,
je retourne dans mon Dofus pour au moins deux cycles !
 - Correction du projet d’amendement A7ib2 -
 Que dit un cuisinier satisfait de son apprenti ?
Qu’il « gougère » ! – Efrim, 5 Frêlaube 5 847
 Mina a prononcé son premier mot aujourd’hui : « Qwi-bi »
… Ma petite luciole est si intelligente !
           Il s’était perdu dans ses chapitres les plus noirs, ceux-là mêmes où l’encre, mêlée de larmes et de sang, qu’il soit le sien ou non, vous aspirait dans les entrailles, « la Source ». Cet éternel abysse, où si la Dimension Blanche était un jour dans le plus isolé des déserts, alors ce lieu maudit était une nuit au cœur du plus froid des arctiques. Une condamnation à revivre, sensation par émotion, mot par action, le moindre instant que son esprit tordu voulait lui imposer. Ceux emprunts de culpabilité étaient ses favoris, le torturant de ses échecs, ses manquements, ses erreurs… Ses fautes.
         Et pourtant, cette misérable mortelle… Elle l’avait poussé, par sa curiosité, à rouvrir l’un des imposants volumes, ne serait-ce que pour le plaisir d’un paragraphe. Puis, un rouleau abandonné sur une table d’écriture, un recueil à la couverture élimé, un mémo coincé dans une bouteille encore scellée. Petit à petit, ligne après ligne, il avait épousseté ses étagères. Ne soyez pas non plus trop optimistes, car là-bas, dans un recoin, se trouvait encore liasses et pamphlets dont les ombres menaçaient toujours d’envahir le peu d’espace clair qu’il était parvenu à recréer. Un nombre incalculable de rapports listant les pourquoi et comment il en était arrivé à ce misérable état et y avait entraîné son peuple.
         Mais Evangeline s’asseyait sur ce même tabouret de bois noir après avoir apporté un plateau de pâtisseries fines et de fruits frais, il complétait la scène d’une bouilloire et de deux tasses pour s’assoir en face d’elle, dans cet inconfortable fauteuil de cuir… Et le monde pouvait disparaître pendant les deux prochaines heures, si ce n’est jusqu’à tard dans la soirée où l’on sonnait le souper commun. Elle se levait, défroissait sa jupe, il la suivait faisant craquer ses articulations au passage. Un regard, une appréciation :
 « Eh bien, je vous remercie pour cet après-midi.
- Le plaisir fut mien.
- J’espère, cette fois-ci, vous voir manger davantage qu’au diner d’hier soir. » Lui avait-elle lancée nonchalamment. « Vous ferez plaisir à Yugo en avalant plus que trois feuilles de salade…
- Oh-ho... » Avait-il sourit dans tout son sarcasme. « Oserai-je voir du souci pour ma santé dans cette requête ?
- Pensez donc à faire corriger vos lunettes… Messire.
- J’y veillerai… Ma dame. »
           Ces innocentes escarmouches n’avaient rien des joutes verbales dans lesquelles il avait pu se lancer avec Efrim ou encore Glip. Mais Déesse ! Qu’il pouvait savourer ces piques mesurées et ces répliques saillantes ! Son esprit affuté avait toujours été l’un de ses plus grands atouts, tout comme fiertés : si on ne lui laissait pas l’opportunité de polir ses mots à l’égard d’autres langues acérées… Il s’abimait, s’effritait, pour ultimement devenir la mélasse noyant ses pensées, ses ��crits… son être tout entier.
         C’est donc le pas léger qu’il descendait jusqu’à la grande salle, ne prêtant même plus attention à l’escorte pourtant armée jusqu’aux dents qui l’y conduisait sans faillir. Là-bas il y retrouverait son frère et ceux qui avaient su se faire ses amis, et lui, ses geôliers. La famille Sheran Sharm représentait toutefois un patchwork intéressant. En effet, si le Prince Armand ne se cachait pas de son dégoût ni de sa rancœur envers le scientifique qu’il avait autrefois considéré comme un hôte ; sentiments que l’Éliatrope lui rendait bien tant l’impertinence de cette herbe revèche pouvait l’agacer (« Vous ne prendrez pas un peu de gelée à la menthe, mon Prince ? Je suis certain qu’elle vous plaira… ainsi qu’à vos invités… » ; « Non, je n’ai jamais assisté à un match de « Boufbowl » : je volais bien avant que vous ne sachiez marcher, à quoi bon, donc, courir après une balle me direz-vous ? »), cela n’était pas le cas de sa jeune sœur. La princesse Amalia était, pour poursuivre la métaphore, une graine différente des autres. Quand elle avait indiqué qu’elle l’invitait à visiter les jardins royaux, il avait tout de suite laissé l’idée de côté, pensant à une énième formule de bienséance mais sans véritable fond. Il s’était trompé. Il ne lui avait fallu qu’une visite impromptue à so-au laboratoire, la Sadida flanquée de son amie d’enfance Crâ pour ne pas rebrousser chemin, lui de Yugo pour ne pas s’inventer une excuse et décliner, pour que les deux se retrouvent autour d’une table de fer blanc, au cœur de l’Arbre Palais, dans l’une des réserves botaniques les plus majestueuses qu’il était donné d’admirer dans le Monde des Douze. Celle-ci n’était clairement pas aussi impressionnante que Zeden, moins grande, plus sombre, plus « désordonnée »… Mais le tout dégageait un sentiment de simplicité, de chaleur, de… « naturel ». Cette idée l’avait amusé, et lorsque celle nommée « Amalia » (comment pourrait-il l’oublier avec son frère ne cessant de lister ses qualités à longueur de journées ?) l’avait observé, interrogée, il s’était perdu dans un comparatif entre leurs deux domaines. Il s’était néanmoins très vite arrêté, se rendant compte qu’associer ce lieu personnel où la Douzienne avait passé son enfance et certains de ses plus beaux souvenirs, à son ancien lieu d’expérimentation, empli de rumeurs et finalement condamné à la destruction, n’était peut-être pas la meilleure des approches. Le savant avait voulu rattraper son faux-pas (il ne voulait pas que cette première excursion en dehors de sa morne routine ne devienne la dernière !), mais alors elle… Elle avait souri. Celle à laquelle il avait menti, dont il avait abusé de l’hospitalité, agressé ses fidèles sujets, pour finalement presque rayer le monde du Krosmoz… Cette jeune pousse, qui n’avait vécu qu’un fragment de sa propre existence, qui n’avait même pas conscience de l’infinité des merveilles qui se trouvaient par-delà les cimes et les étoiles… Qui regardait chaque chose avec autant d’émerveillement que de bienveillance alors que lui n’y voyait qu’un écho, une répétition, une infime variation sans substance… Elle lui rappelait…
 Tss... !
Elle et Yugo se sont décidément bien trouvés.
           Comme promis, elle lui avait présenté la roseraie de son message. La visite avait été plaisante, et les deux amateurs de botanique se perdaient régulièrement dans des discussions tenant des variétés de telle espèce, de l’entretien et mise en valeur de ces-dernières, même de la forêt presque sentiente qui les entourait. Puis, au détour d’une anecdote sur les liens entre son peuple et la flore, la princesse avait souhaité s’aventurer plus loin…
 « Ah ! Et ces aubépines : c’est ma mère qui en a créé la souche. » Elle avait pris un air nostalgique. « Elle était… très douée pour cela ; de simples racines, elle pouvait reverdir une prairie entière. » Plus bas. « J’espère toujours pouvoir un jour atteindre son niveau.
- Je ne peux pas me prononcer sur le sujet… » Avait-il alors répondu, un peu gêné de la tournure sentimentale. « … mais je pense que vos exploits en tant qu’aventurière, tout comme ce jardin, sont autant d’arguments pour dire que, hum, vous êtes au moins sur la bonne piste.
- Je… Merci ! » Sourire éclatant. Pensée fugace derrière des iris noisette. « Au fait ! Je me suis toujours demandé… »
           Elle avait voulu prendre un chemin que les ronces de son âme avaient condamné… Et qu’elles ne relâcheraient pas de sitôt.
 « … Comment était votre mère ? »
           La petite tête verte avait détaillé sa question après cela : son identité, son nom peut-être, à quoi elle ressemblait, savoir si elle avait donné naissance à tous les Éliatropes par elle-même, qui était ce fameux « Grand Dragon » dont parlait parfois Adamaï… Il avait cessé de l’écouter à ce point. Une voix, lointaine, l’avait envahi, ramené des siècles, des millénaires en arrière. La sienne :
 Pourquoi ?!
Pourquoi m’imposer cela ?! Qu’ai-je donc fait, Mère,
pour mériter cela ?
J’ai pourtant suivi vos indications ! Il ne méritait pas de…
Vous n’avez pas le droit de me faire ça ! Pas après tout ce que j’ai fait !
Je ne mérite pas de souffrir ainsi !!
Pourquoi ce silence ? Pourquoi ne répondez-vous pas ?!
Mère ! Répondez-moi !!
Vous…
Vous les avez abandonnés ! Et c’est moi qui les ai recueillis !
Qui les nourris ! Qui les ai protégés ! Qui les ai élevés !
Et maintenant ?! Maintenant qu’ils… ! Maintenant qu’ils sont…
.
Mère… Pitié…
J’ai juste besoin… Je ne sais pas ! De parler ?
D’entendre votre voix ?
Je…
.
Héhé… C’était votre idée depuis le début, hein ?
À vous et Père… Vous… Vous vous ennuyez tant que ça ?
Vous n’aviez pas assez de deux enfants ? Il vous en fallait plus ?!
.
Demain matin… La cérémonie est prévue pour demain matin.
Je ne sais pas si vous… Enfin, vous voulez peut-être
que je transmette quelque chose ?
Cela les réconfortera que vous… Je…
.
Alors c’est comme ça, hein ?
.
Adieu… « Mère ».
 « Hum, je… Messire Qilby ? Vous-… ? » L’autre le ramena au présent. « Tout va bien ? Vous sembliez… absent. Si jamais ma question vous a indisposé, j’en suis d- !
- Non, je… Je me suis juste un peu perdu dans mes pensées. » Avait-il alors répondu, se dégageant rapidement pour rejoindre l’ascenseur. « Je crois que nous devrions rejoindre vos amis, Princesse, l’heure du dîner ne devrait plus tarder.
- V-vous avez raison, nous… » Son regard avait pris une teinte peinée. « Nous devrions remonter, oui. »
           Il n’avait eu l’occasion de revenir en ce jardin qu’une fois depuis cette première excursion, mais cette dernière s’était déroulée sans accroc, la jeune Sheran Sharm ayant appris sa leçon de ne pas poser de questions desquelles elle ne gagnerait qu’un départ précipité. Peut-être le talent de son amie archère avait fini par déteindre sur la Sadida, car elle avait su remarquer les discrets retroussements des lèvres, les coups d’œil agacés ainsi que les tapotements sur la tasse devenant irréguliers. Elle changeait donc de sujet pour quelque chose de plus léger, et ils s’étaient quittés en meilleurs termes.
           La nuit tombée, le scientifique qu’il était refaisait surface, pour noircir ses pages de notes et les marges d’annotions en tous genres. Il veillait alors jusqu’à tard dans la soirée, jusqu’à ce que toutes les étoiles s’allument dans le ciel… Jusqu’à ce qu’il entende les trois battements distincts contre le carreau de la minuscule lucarne. C’était le signal.
         Il se levait, en profitant pour étirer sa longue colonne fourbue par une nouvelle journée de travail, et s’en allait ouvrir à son acolyte. Ayssla avait l’avantage d’être remonté comme une horloge ; une plaisanterie qu’il ne s’aviserait plus de refaire une deuxième fois quand il l’avait fustigé pour oser le confondre avec ce que les habitants de ce monde nommaient un « Xélor » (il se rappelait néanmoins l’avoir déjà entendu de la bouche d’Adamaï au sujet du fameux Nox que lui et son frère avaient affronté avant son retour). Le Steamer avait un grand respect pour les siens, ses origines, mais une rancœur presque aussi profonde quand il s’agissait des institutions qui les régissaient, une autre caractéristique qui les avait rapprochés. Les deux savants n’avaient toutefois pas le loisir d’échanger plus que quelques phrases entre l’entrée de l’ingénieur renégat et la relève des gardes à la porte de l’Éliatrope. Cela n’avait pas empêché le premier pour tenter de nouer contact avec son « patient » :
 « Oooh ! Je vois que vous avez là un thé fort appétissant : verriez-vous un inconvénient à m’en verser une tasse, très cher ? Je travaille toujours mieux avec les rouages huilés - haha ! »
 « Vous savez, j’ai été élevé par un Féca, qui a tout de suite vu le potentiel de combiner mon aptitude pour la mécanique avec son talent pour l’enchantement ! C’est la raison pour laquelle je me suis tant intéressé à la Stasis et à son incorporation dans chacun de mes pro- !»
 « Dites-moi, mon cher Weiß, vous ai-je déjà raconté la fois où j’ai malencontreusement, disons, « remodeler le paysage » de l’Observatoire Garant de la Méchanique (OGM) ? Non ? Ah, je suis certain que vous allez apprécier cette histoire ! Vous aimez les histoires, non ? »
 « Eh bien, eh bien... En voilà une mine sombre ! Vous feriez presque de l’ombre à un Sram -hé ! Vous l’avez ?! Sram… Ombre… Hum, je vois que mon humour ne parvient pas à étirer ces traits maussades. Que diriez-vous d’écourter peut-être notre séance de ce soir, hum ? Je m’en voudrais terriblement si vous veniez à nous faire une syncope en pleine op- ! »
 « Pfiouuuh ! Ces murs sont toujours aussi hauts, et leur ascension n’est pas sans me rappeler que mes moteurs ont besoin d’une petite révision ! »
           Aussitôt le claquement des bottes se faisait entendre de l’autre côté, aussitôt le torrent de murmures cessait pour être remplacé par un silence d’une incroyable clarté. Pour autant, Qilby appréciait ces échanges, autant que ces-derniers puissent porter ce nom du fait qu’il avait rarement l’opportunité de répondre. Mais il aimait entendre des nouvelles venant de l’autre côté de ce globe. Ayssla avait raison : il avait toujours été fasciné par l’inconnu. Lui qui avait horreur de ses souvenirs, il avait néanmoins toujours nourri une soif infinie pour ceux d’autrui : ces paysages, ces langues, ces cultures, ces savoirs… ces expériences. Toutes ces choses que son esprit ne pouvait qu’effleurer, mais qui semblaient si vivantes dans la bouche de ces âmes étrangères ! Il avait été maudit par l’ennui d’une existence monotone, et depuis lors, n’avait eu de cesse que de combler ce besoin d’étendre son horizon. Quoi de mieux alors, que ces canevas que lui fournissaient ces bardes, voyageurs et autres aventuriers, dont les couleurs n’attendaient que d’être ravivées par ses propres découvertes ? Il s’était donné la mission de revenir sur ces lieux mythiques, d’apercevoir cette créature inconnue, d’étudier ces ruines oubliées…
         Une nuit, alors que lui et le Steamer étaient afférés à l’un des nombreux tests de leur « création », il ne saurait expliquer comment, mais il parvint à s’endormir durant l’une des procédures. Il se souvenait d’Ayssla, faisant virevolter ses outils comme s’il s’agissait d’un quelconque spectacle de foire, ne prenant une pause dans son « protocole » que pour en évaluer la résistance. Il se souvenait de la douleur, irradiant depuis l’intérieur de son être pour parfois venir se heurter avec fracas contre l’énergie du collier, comme des vagues contre les falaises. La souffrance était un concept tout comme une sensation qu’il ne connaissait que trop bien, et son corps avait dû reléguer les épines de métal dans sa chair ainsi que son Wakfu torturé au second plan. La lumière artificielle était douce, au-dehors, les bruits de la nuit et d’un Palais presque endormi… Il avait succombé au sommeil… pour se réveiller le lendemain dans son lit, toutes traces de l’ingénieur sufokien évanouies ! Celui-ci lui avait expliqué, à leur prochaine rencontre, que voyant son état, il n’avait pas eu le cœur à poursuivre son travail, et avait préféré porter, ou plutôt trainer, l’Éliatrope jusqu’à sa couche, avant de repartir par la même lucarne qui l’avait vu rentrer. Ce jour-là, Qilby s’était juré de ne plus se permettre une telle faiblesse devant un inconnu. Qui sait ce qui aurait pu arriver ? Le plus dérangeant dans cette affaire, restait qu’Ayssla ne semblait en aucun cas perturbé par ce manquement de sa part ! Il avait même continué de « s’inquiéter » de son état de santé tout au long de leur travail du soir, mais Qilby savait mieux que quiconque voir à travers ces mascarades de bienséance ! Il n’était qu’un sujet de recherche pour le Steamer, comme l’autre n’était qu’un pion dans son plan ! À l’image de la Princesse qui ne cherchait qu’à mieux atteindre son frère Yugo à travers leurs « aimables » discussions, lui à regagner la confiance d’un peuple qu’il avait réellement trahi ! Tout comme l’archère qui n’était motivée que par la curiosité, lui par le besoin de mettre en ordre son esprit ! Il ne s’agissait que d’une façade ! Un masque usé pour une énième pièce dont il serait cette fois-ci l’auteur !
 Mais est-ce seulement le cas ?
Est-ce que je souhaite véritablement… ?
Qu’est-ce que je souhaite déjà ?
           Et alors qu’au dehors les étoiles s’éteignaient, attendant que les premières lumières de l’aube ne filtrent à travers les fines feuilles des hautes branches… L’Éliatrope se retrouvait seul pour quelques heures. Il avait planifié sa fuite dès son arrivée, s’était juré de ne plus être à la solde de personne. Toutes ses actions depuis lors n’avaient servi que ce but précis : accéder à son laboratoire, endormir la confiance des Douziens, trouver une alternative à son « handicap ». Encore deux ou trois semaines, quatre tout au plus, et il serait dehors. Libre.
         Pourtant, les yeux rivés sur le plafond de sa cellule, qu’il méprenait parfois pour une chambre, la tête pleine de questions sans réponse, il continuait d’attendre que son cadet vienne le chercher pour une nouvelle journée, quasi-identique à toutes celles qui l’avaient précédée. Identique. Mais pourtant…
 Je me demande si le ciel sera clair ce soir…
L’Automne semble arriver, et si Ayssla a raison,
alors la saison des comètes ne devrait pas tarder.
           Pour la première fois depuis des millénaires, il avait l’impression que… tout cela n’avait pas vraiment de sens. Il se levait chaque jour avec un objectif, à savoir achever une formule originale contre une menace planétaire, un défi assez relevé pour tenir son intellect occupé et satisfait. Il n’avait pas à se soucier des moyens mis en œuvre, il avait un toit au-dessus de la tête, trois repas chauds par jour et même du thé à volonté. Il était craint, mais son savoir était respecté. On le haïssait, mais certains avait commencé à montrer des signes de confiance, et pas de ce genre faux, non, une confiance sincère, motivée par l’idée d’un lien durable. Phaéris ne désirait que le renvoyer dans la Dimension Blanche de ses propres griffes, Adamaï était un peu moins rancunier même si encore méfiant à son égard… Mais il avait Yugo. Il avait Yugo, ce petit frère qu’il avait vu naître, grandir et mourir pour un nombre incalculable (« 1517 ! ») d’existences, mais qui ne cessait jamais de l’émerveiller…
 Peut-être devrai-je remonter quelques
nouveaux sachets d’herbes.
Ceux de la dernière fois étaient un peu trop vieux…
Hum, et peut-être même une ou deux boites de biscuits.
Ce n’est pas comme si elles allaient
leur manquer de toutes manières ~ héhé…
           Oui, pour la première fois depuis des millénaires, il… Il s’amusait presque de revivre cette boucle d’activités et de visages, jouant avec lui-même à trouver les moindres variations pour mieux les comparer. Ce n’était plus un défilé de tableaux, mais l’analyse active de chaque scène, chaque décor, chaque personnage… Il n’était plus prisonnier de ce musée, mais le gardien. Là où il était enchaîné par contrat et fers à ce monde, il se prenait à imaginer de nouvelles possibilités. La pensée était délicieuse, la sensation, grisante.
         Et ainsi, pour la première fois depuis des millénaires, Qilby se surprit à souhaiter que ces journées ne finissent jamais.
 Oui…
Cela pourrait être plaisant.
~ Fin de la partie 1/3 du chapitre 8
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